Séance du jeudi 29 août 2024 à 20h30
3e législature - 2e année - 4e session - 18e séance

R 1043
Proposition de résolution de Jacques Blondin, Jean-Marc Guinchard, Sébastien Desfayes, Patricia Bidaux, François Erard, Alia Chaker Mangeat pour défendre la pluralité de la presse romande et assurer la pérennité d'un journalisme indépendant et de qualité à Genève
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 29 et 30 août 2024.
R 1041
Proposition de résolution de Caroline Marti, Julien Nicolet-dit-Félix, Matthieu Jotterand, Christina Meissner, Dilara Bayrak, Céline Bartolomucci, Philippe de Rougemont, Louise Trottet, Léna Strasser, Léo Peterschmitt, Pierre Eckert, Angèle-Marie Habiyakare, Lara Atassi, Sophie Bobillier, Uzma Khamis Vannini, David Martin, Marjorie de Chastonay, Laura Mach, Diego Esteban, Djawed Sangdel, Jean-Pierre Tombola, Jean-Charles Rielle, Jacklean Kalibala, Romain de Sainte Marie, Leonard Ferati, Emilie Fernandez, Nicole Valiquer Grecuccio, Oriana Brücker, Cyril Mizrahi, Caroline Renold, Thomas Wenger, Grégoire Carasso, Sylvain Thévoz, Jean-Louis Fazio, Marc Saudan, Sophie Demaurex, Francisco Taboada, Masha Alimi, Laurent Seydoux, Christian Flury, Raphaël Dunand : Pour le maintien des emplois et de la diversité de la presse locale, la Tribune de Genève doit survivre !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 29 et 30 août 2024.

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous continuons nos urgences avec les deux objets liés suivants: la R 1043 et la R 1041, traitées en catégorie II, trente minutes. La parole revient à M. Jacques Blondin.

M. Jacques Blondin (LC). Merci beaucoup, Monsieur le président. Ce mardi 27 août 2024 restera comme une journée noire pour la presse. Si la chronique d'une mort annoncée de la presse écrite a été égrenée par la triste succession de licenciements et de disparitions de titres à laquelle les Suisses ont assisté impuissants au cours des vingt dernières années, l'annonce abrupte et violente de Tamedia a sonné comme un coup de tonnerre dans un ciel d'été. Par son ampleur et ses répercussions profondes sur le paysage médiatique romand, cette restructuration a ouvert les yeux sur l'impérative nécessité d'agir pour conserver une presse locale, pluraliste et diversifiée en Suisse romande et particulièrement à Genève.

Nous avons tous été ébranlés par ces nouvelles et les réactions ont été plus ou moins rapides. Bien évidemment, le politique se doit de réagir; à titre personnel, l'attitude de Tamedia me rappelle la triste épopée de Swissair. Cette compagnie avait décidé de quitter l'Aéroport international de Genève pour tout recentrer chez elle, à Zurich. Le nom d'alors, Zurich Unique Airport, en disait long !

On ne va pas rentrer dans le débat, pas toujours juste, qui oppose la Suisse alémanique et la Suisse romande, mais quand même. Ce type de mépris qui consiste à prendre des décisions sans procéder à des consultations préalables est un petit peu préoccupant, voire assez triste. Quand on voit à la RTS que la directrice générale de Tamedia s'adresse aux Welches par l'intermédiaire d'un avatar et en utilisant l'intelligence artificielle et ChatGPT, je me dis que si la presse romande travaille demain sur cette base-là, on a du souci à se faire.

Cela étant, notre groupe a mis du temps à déposer cette résolution, parce que... (Commentaires.) Non, mais ceux qui siégeaient lors de la précédente législature constateront que la commission de l'économie a traité une dizaine d'objets portant sur la presse et sur la manière dont les pouvoirs publics peuvent la soutenir. Bien évidemment, son indépendance est fondamentale, et on est toujours parti du principe que ce n'était pas à l'Etat de financer la presse en tant que telle, bien qu'il ait un rôle à jouer.

Je me permets juste de mettre en avant les trois points développés dans notre résolution - elle est différente de celle des Verts et des socialistes, mais il n'y a pas d'antagonisme entre les deux. Il s'agit de l'urgence liée aux licenciements. Le Conseil d'Etat ne nous a du reste pas attendus pour prendre langue avec Tamedia, ce qui doit bien sûr être fait.

La pérennité de la «Tribune de Genève» est fondamentale. Moi, je veux bien, vous l'avez tous vu, mais bon, «24 heures» au niveau de la Romandie... Si c'est ce journal qui va nous inciter à lire les nouvelles genevoises, j'ai de gros doutes quant au résultat espéré par Zurich. Pour la pérennisation - notre résolution diffère de celle du parti socialiste et des Verts sur ce point -, on a envisagé des solutions, qui existent déjà par ailleurs, sous la forme de fondations de droit privé ou d'associations chargées d'organiser le maintien et la pérennité de cette presse.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Jacques Blondin. La presse écrite est en difficulté, le papier disparaît, les imprimeries le savent, ça va être compliqué, mais on a besoin de journalistes de qualité, sur place et qui connaissent ce dont ils parlent, et d'un journalisme d'investigation qui se fait trop rare. Ce serait bien que Genève, avec 500 000 habitants, en profite. Nous vous invitons à adopter notre résolution et pour notre part, nous soutiendrons celle des Verts et des socialistes. Merci !

Une voix. Bravo !

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, ces deux textes sont somme toute modestes. Je vais parler en particulier de la résolution du parti socialiste et des Verts. Elle demande un maintien des emplois suite à l'annonce de la suppression d'un grand nombre d'entre eux par le groupe Tamedia, et la survie de la «Tribune de Genève» comme titre de presse locale. Elle est là pour dire notre solidarité à toutes celles et à tous ceux qui, après cette annonce, sont sous la menace d'une perte d'emploi.

Elle est là pour dire aussi notre consternation face à la perte de savoir-faire que les fermetures et ces licenciements représentent dans des domaines tels que le journalisme ainsi que l'édition et l'impression. Elle est là pour dire le choc qui a été le nôtre quand on a appris la fin probable, je dirais presque malheureusement annoncée, de la «Tribune de Genève», dernier quotidien genevois local. Ce titre de presse nous accompagne dans notre vie de tous les jours et les Genevoises et Genevois y sont particulièrement attachés. Cette résolution est là pour dire notre très vive inquiétude quant à cette nouvelle réduction du paysage médiatique romand et genevois: après la disparition de «La Suisse» et du «Journal de Genève», voici la menace de celle de la «Tribune de Genève». Elle est là pour affirmer que la production d'une information indépendante, diversifiée, vérifiée, critique et de qualité est une condition sine qua non au bon fonctionnement démocratique, de même qu'une couverture de l'actualité locale.

Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, si on élargit un tout petit peu le focus, on doit bien admettre que notre responsabilité collective et politique est engagée. Nous pouvons nous dire surpris, et nous l'avons sincèrement été tant par la violence de ce choc que par cette annonce extrêmement brutale, mais pouvons-nous réellement prétendre que nous ne nous y attendions pas ? Pouvons-nous réellement prétendre qu'absolument rien ne nous faisait craindre une telle annonce ?

Faisons un tout petit peu d'histoire récente ! En 2016, Tamedia annonce le licenciement de 24 personnes réparti entre la «Tribune de Genève» et «24 heures». En 2017, Tamedia annonce la fusion de plusieurs rubriques de la «Tribune de Genève» et de «24 heures». En 2018, Tamedia annonce la suppression du «Matin». (Commentaires.)

Le président. Est-ce que le groupe UDC peut laisser parler ?

Mme Caroline Marti. En 2021, Tamedia annonce la disparition de 9 postes accompagnée du non-remplacement de plusieurs départs. En 2023, Tamedia annonce la suppression de 56 emplois en Suisse romande. Tout ça alors que la situation économique de ce groupe était bonne !

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Madame.

Mme Caroline Marti. Merci. On a un groupe de presse qui, de manière manifeste, fait primer les intérêts financiers de ses actionnaires sur les emplois, sur les conditions de travail et sur la qualité de l'information; ce même groupe est quasi monopolistique, ou du moins hégémonique, dans le paysage médiatique genevois et romand. Alors à quel moment avons-nous pu envisager que ça allait bien se finir ?

Oui, nous devons aujourd'hui manifester notre indignation et accepter ces deux résolutions, c'est ce que fera le groupe socialiste, mais nous devons aussi nous engager à ne pas en rester là. Nous devons nous poser les vraies questions, les questions centrales, les questions les plus difficiles. Comment sortir des logiques du marché la production de ce qui n'est pas un bien de consommation ordinaire et qui s'assimile, aux yeux du parti socialiste, à un bien fondamental ? Comment assurer le maintien d'une diversité des médias locaux qui est absolument nécessaire à une libre formation de l'opinion ?

En 2017, le parti socialiste avait fait la proposition, à travers un projet de loi, de la création d'une fondation d'aide à la presse; cette proposition a malheureusement été balayée. La formulation de ce projet de loi n'était peut-être pas parfaite, mais une chose est certaine: ne rien faire n'apportera strictement aucune solution et n'est pas une option.

J'aimerais terminer mon intervention, Mesdames et Messieurs les députés, en citant une interrogation lancée en 2018 par la journaliste du «Courrier» Laura Drompt, dans le titre d'un de ses éditoriaux. Au moment de la suppression du média «Le Matin», elle nous interpellait de la manière suivante: «N'en restera-t-il plus qu'un ?» Ce questionnement sonne aujourd'hui comme une terrible prophétie. A nous de faire en sorte que cela ne devienne pas une réalité ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Jacques Jeannerat (LJS). Chers collègues, le monde de la presse écrite est complexe. Certains le voient comme un secteur économique comme les autres, avec une entreprise qui a des charges et des recettes. D'autres le voient comme un secteur d'activités à vocation particulière, notamment responsable de nourrir le débat démocratique et la diversité d'opinions. En réalité, ces deux concepts vont de pair, mais il semble que Tamedia n'ait pas compris cela de façon globale et ne se focalise que sur le premier point.

On est bien sûr choqué par les annonces, et la préannonce de la phagocytose de la «Tribune de Genève» par «24 heures» doit nous inquiéter. Si vous avez l'édition du même jour des deux journaux sous les yeux et que vous les feuilletez (j'ai fait l'exercice il y a dix-huit mois), vous constaterez que les deux tiers sont identiques: politique internationale, politique fédérale, sports internationaux, etc. Les deux tiers de leur contenu sont les mêmes !

La décision de Tamedia nous met en colère, et le monde politique, le Conseil d'Etat comme notre parlement, se doit de manifester ce sentiment. Ce n'est pourtant pas le premier épisode, et Mme Marti l'a bien relevé tout à l'heure. Je vais remonter un peu plus haut dans le temps. En 1994, il y a trente ans, je répète: trente ans, «La Suisse» disparaissait. Quatre ans après, c'est le «Journal de Genève». En 1998, j'étais sur les bancs de la presse, j'étais journaliste au «Journal de Genève», et je vous assure que quand on vit ce type de naufrage et de stress, individuel et collectif, ce n'est pas évident. J'ai vécu les trois dernières années du «Journal de Genève»; ce n'est pas facile d'être au coeur d'une telle action, ou plutôt d'une inaction. Ce n'est pas facile à titre personnel, car on ne sait pas quel job on aura. Pour ma part, j'ai eu de la chance, car une boîte est venue me chercher comme chargé de la communication, mais beaucoup de collègues sont restés sur le carreau. Ça fait mal aux tripes, parce que quand un journal ne va pas bien, la rédaction s'applique à faire du bon boulot, de façon individuelle et collective.

Des résolutions avaient été déposées; elles parlaient de création d'une fondation, de cessation du titre, à l'époque. En 1998, j'étais sur les bancs de la presse et vous, Monsieur le président, étiez déjà dans la salle, vous y siégiez comme député. Au final, il ne s'est rien passé, parce que notre pouvoir est quand même faible, mais ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas voter ces résolutions. Notre groupe vous invite du reste à le faire. A l'époque du «Journal de Genève», certains ont dit: «Mais les banquiers privés genevois qui sont proches du "Journal de Genève" devraient le racheter !» (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Mais ils ne pouvaient pas le faire ! Ce journal n'aurait pas été libre d'opinions, même s'il était proche des milieux bancaires; il aurait perdu son indépendance !

Paradoxe: trois ou quatre jours avant la dernière édition, s'agissant de l'avenir de la presse, j'ai écrit que le prochain épisode serait probablement une fusion entre la «Tribune de Genève» et «24 heures». J'avais vingt-six ans d'avance ! C'est pourquoi nous appelons à voter cette résolution.

Je crois que la presse écrite actuelle rencontre deux problèmes. Premièrement, une partie de la population ne lit plus les journaux comme avant mais va davantage sur internet, sur les réseaux sociaux. Deuxièmement, la part de la publicité qui lui est attribuée a fondu comme neige au soleil; la publicité se trouve maintenant sur les vecteurs électroniques, et les deux grands acteurs qui ont piqué la part qu'en avait la presse écrite genevoise et qui tuent cette dernière sont TF1 et M6, et les autres télévisions.

Le président. Monsieur le député, vous devez mettre fin à votre intervention.

M. Jacques Jeannerat. Quand vous suivez une soirée à la télévision à Annecy, regardez les pubs: elles sont françaises. Encore trente secondes, Monsieur le président ! (Exclamations.)

Des voix. Non !

Le président. Non !

M. Jacques Jeannerat. A Genève, les pubs ne sont pas les mêmes, elles sont genevoises ou suisses.

Le président. S'il vous plaît !

M. Jacques Jeannerat. Les médias étrangers, les télévisions ont piqué notre part dévolue à la presse écrite, et ça, c'est aussi à déplorer. J'aimerais terminer ! Encore vingt secondes ! (Exclamations.)

Le président. Non !

Des voix. Non !

M. Jacques Jeannerat. Je pense que le Conseil d'Etat pourrait aussi revoir...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Jacques Jeannerat. ...le processus de formation des journalistes; c'est un métier noble, magnifique, et il faut donner la possibilité à ces gens-là... (Le micro de l'orateur est coupé. L'orateur continue à s'exprimer hors micro.)

M. Guy Mettan (UDC). Chers collègues, après quarante-quatre ans de journalisme, dont six passés à la direction de la «Tribune de Genève», je ne peux évidemment qu'être atterré par ce qui se passe. Je trouve qu'effectivement les procédés employés sont scandaleux. Personnellement, je défends les éditeurs privés, l'entreprise privée, mais dans ce cas-là, le comportement de Tamedia est celui de voyous, je m'excuse du terme. Pourquoi ? Parce qu'on a sciemment privé les journaux d'une partie des recettes des petites annonces notamment en les parquant ailleurs, pour qu'ils aient des déficits, et ce, dans le but de procéder à des licenciements. Ce n'est pas un comportement d'employeur responsable !

Je soutiens ces résolutions, mais le texte socialiste moyennant l'amendement que j'ai déposé, parce que je crois qu'il est important d'exprimer notre solidarité à l'égard de ceux qui vont perdre leurs emplois et, à titre personnel, à l'égard de certaines et certains des collaboratrices et collaborateurs qui étaient les miens lorsque je dirigeais le journal. Il est bien, selon moi, que l'on puisse se sentir solidaire en dépit de toutes les divergences qu'on peut avoir sur la manière de faire le journalisme.

Je pense aussi que ces objets sont utiles. Je me souviens que lors des derniers licenciements nous avons été reçus avec M. Maudet, alors ministre de l'économie, par M. Supino; ce dernier s'inquiétait quand même des effets que des résolutions politiques pouvaient avoir sur le groupe. Cela veut donc dire que quand on accepte une résolution, ça n'est pas sans conséquences sur l'avenir. C'est pour ça que si c'étaient des résolutions inutiles, je ne m'y joindrais évidemment pas, mais c'est utile, parce que ça peut avoir un impact.

J'en viens au contenu. Le texte du parti démocrate-chrétien est à mes yeux tout à fait bon. J'avais une petite réserve à l'égard de celui du parti socialiste; c'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement pour la deuxième invite. Je préconise d'enlever l'adjectif «financier», parce qu'il peut exister d'autres formes de soutiens que financiers. Il n'y a pas de raison de se priver d'autres soutiens, qui peuvent être n'importe lesquels, politiques, financiers, mais pas seulement. Je propose donc de supprimer ce mot. Je propose également d'ajouter à la fin l'expression «à un repreneur privé», parce que selon moi, on ne peut pas accepter une étatisation rampante de la presse. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Il est évident que c'est au secteur privé de reprendre le journal, le cas échéant. C'est la raison pour laquelle je vous invite à accepter l'amendement.

Pour ma part, je soutiendrai les deux résolutions, la socialiste également si elle est amendée. Je remercie le groupe de m'avoir laissé m'exprimer en toute liberté et laisse quelques secondes à mon chef ! (Hilarité. Commentaires.)

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, loin de l'hilarité ambiante, je crois qu'on peut dire que nous avons été véritablement consternés, sidérés par les annonces de ces dernières semaines, car nous savons que toute la démocratie s'enrhume lorsque la presse tousse: celle-ci est une des conditions nécessaires à l'exercice de la démocratie, sorte de symbiose entre l'activité démocratique, la nôtre évidemment, et la démocratie populaire, celle de la population. Cette dernière est appelée à plusieurs reprises à se prononcer par la voie des urnes, mais aussi par la voie des manifestations que différents groupes d'intérêt organisent. Tout ça, c'est la presse qui en est le vecteur, critique, car elle est au plus proche de l'actualité.

Il est clair que ces informations nous ont sidérés. Pourtant, comme il a été dit auparavant, on pouvait les attendre: la presse vit une lente agonie, les conditions-cadres sont mauvaises. On sait que le financement est de plus en plus délicat et que le groupe Tamedia ne se comporte pas comme un employeur responsable, ça a été soulevé de l'autre côté et ça n'est une surprise pour personne.

La première chose à faire, c'est évidemment d'avoir une pensée pour les employés dont le poste est mis en péril, malgré un travail d'une qualité exceptionnelle qu'il faut saluer. Je pense que c'est la première des choses ! Le travail est d'une qualité exceptionnelle dans un contexte de pression énorme, dans un contexte où l'employeur refusait d'investir, dénigrait la qualité de ce travail en remplissant les pages de contenus data journalistiques produits par l'intelligence artificielle et mal traduits de l'allemand. Vous en êtes aussi les témoins. Pourtant, l'équipe de rédaction est volontaire; elle a continué à travailler et va continuer à le faire.

Nous étions tout à l'heure, avec quelques collègues de presque tous les partis sauf erreur, à l'assemblée des journalistes et avons pu voir à la fois la sidération et la volonté de maintenir le titre et un journalisme de qualité à Genève. Mesdames et Messieurs les députés, la «Tribune de Genève» n'appartient pas à Tamedia. Elle appartient commercialement à Tamedia, mais patrimonialement aux Genevoises et aux Genevois, au lectorat de la «Tribune». C'est pour cela que l'Etat se doit d'intervenir, de différentes façons. Les deux résolutions se complètent, même si elles n'ont pas nécessairement la même approche. On peut avoir un regard critique sur les deux, mais il est important qu'elles soient acceptées. Elles représentent en effet un premier pas vers la reconnaissance de la part de l'Etat de la valeur patrimoniale de la «Tribune de Genève».

Il est absolument exclu que ce titre traverse la rue des Rois pour rejoindre au cimetière d'autres titres de valeur patrimoniale comme «La Suisse» et le «Journal de Genève», qui ont disparu au cours des dernières décennies. C'est pour cela qu'il faut considérer ces résolutions comme un premier pas. Les journalistes étaient tout à l'heure très critiques à l'égard de l'action politique envers la presse, et ils avaient bien raison de l'être. Il est nécessaire de ne pas s'arrêter à ces résolutions, il faut marquer notre soutien et continuer à l'exprimer de façon différente. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Alexandre de Senarclens (PLR). Après les autres intervenants, le PLR veut aussi dire à quel point il a été choqué par la décision du groupe Tamedia de procéder à des suppressions très importantes de postes: 290 postes dont 90 journalistes. C'est une véritable saignée pour la presse et pour la presse locale, et nous avons évidemment une pensée à l'égard de ces employés qui sont dans l'incertitude et risquent de perdre leur emploi. Des rédactions sont décimées et en état de choc. La presse locale se réduit comme peau de chagrin. On a évoqué «La Suisse», le «Journal de Genève». Ces restructurations viennent à peu près tous les trois, quatre ans et à chaque fois elles réduisent l'offre et le nombre de journalistes. La «Tribune de Genève», nous l'avons dit, est un journal fondamental, essentiel pour Genève: «la Julie» est lue à Genève depuis 1879 !

Nous sommes inquiets ! Nous sommes inquiets parce que la presse est absolument essentielle pour les débats politiques, pour la démocratie, pour la vie en société - on parle de quatrième pouvoir. Que se passerait-il en cas de votations si nous n'avions pas la «Tribune de Genève» ? Comment est-ce qu'on présenterait les enjeux à la population ? Plein de questions se posent. C'est essentiel dans une période où nous subissons des «fake news», de la désinformation, la montée du populisme qui se nourrit des réseaux sociaux, de Facebook, de TikTok, d'Elon Musk qui, avec un ego boursouflé et dans son hybris, vient avec toute une série de désinformations.

Aussi, nous avons besoin d'une presse forte, indépendante, qui sait hiérarchiser et contextualiser l'information, et c'est pour ça que nous avons besoin de la «Tribune de Genève». Or, la presse doit évoluer; personne ici n'a une boule de cristal, mais nous savons les difficultés qu'elle connaît. Elle doit évoluer, réfléchir à son avenir, mais elle a besoin de la part de ce parlement d'un soutien et d'un message clair qui dise son inquiétude. C'est la raison pour laquelle le PLR votera inconditionnellement la résolution du Centre; il se montre par contre plus dubitatif à propos de la résolution du parti socialiste, qui vise essentiellement à une aide étatique. On ne croit pas à une aide étatique d'ordre financier, qui nous semble plutôt inquiétante pour l'indépendance d'un titre. C'est la raison pour laquelle nous refuserons la résolution socialiste en l'état, si les amendements de l'UDC ne sont pas votés. Je vous remercie, Monsieur le président.

Le président. Merci bien. La parole revient à M. Nidegger pour cinq secondes.

M. Yves Nidegger (UDC). Cinq secondes !

Une voix. Oui ! (Commentaires.)

M. Yves Nidegger. Ah, Guy ! Monsieur le président, vous l'aurez compris, le groupe UDC est divisé entre ceux qui ont occupé la fonction de rédacteur en chef de la «Tribune de Genève» dans le passé et ceux qui ne l'ont pas fait ! (Rires.)

M. François Baertschi (MCG). Il est important d'avoir des journaux locaux forts, une information locale forte. Mais la «Tribune» est un cas désespéré: elle a été rachetée dans un premier temps par Edipresse, la direction ayant été délocalisée à Lausanne, puis par les Zurichois de Tamedia, qui tiennent en otage ce journal, ses journalistes et ses lecteurs. N'oublions pas les imprimeries ! Passablement d'imprimeurs-rotativistes sont partis à Bussigny et maintenant, ils vont aussi être liquidés dans la charrette. On a vite tendance à négliger les petites mains et à ne rester que dans une sorte d'intellectualisme de bas niveau. N'oublions pas non plus la RTS qui a quitté Genève pour aller à Lausanne, ce qui est également une catastrophe !

Heureusement, il nous reste le «GHI», «Le Courrier», Léman Bleu, médias que l'on oublie, qui font leur travail de manière très honorable et méritent d'être soutenus. Nous devons impérativement soutenir les acteurs locaux, et non des succursales de multinationales qui vont chercher leur dirigeant jusqu'à Hambourg, ce qui amène des catastrophes industrielles et médiatiques. Nous sommes dans un délire total !

Il est loin le cliquetis des téléscripteurs, et - permettez-moi d'être un peu nostalgique, Monsieur le président - elle est lointaine l'époque où les patrons de presse étaient des humanistes, où il existait un respect du lecteur, des rédacteurs et des imprimeurs. Ce monde s'est sans doute perdu dans l'univers numérique ! Il faudrait pourtant bien que l'on trouve à nouveau une certaine éthique dans ce monde numérique vers lequel nous nous dirigeons. Il serait beaucoup plus important de défendre les intérêts médiatiques de Genève, mais je constate qu'ils sont malheureusement trop mal défendus et, par facilité... On l'a vu avec le cas de la «Tribune», une dégringolade qui dure depuis des décennies, depuis près de cinquante ans ! Il faut vraiment que les Genevois se battent pour avoir des médias de qualité ! C'est à nous de prendre notre avenir en main ! Aussi, le MCG votera les deux textes. Merci, Monsieur le président.

Mme Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît !

Mme Nathalie Fontanet. ...le Conseil d'Etat accueille favorablement et salue les deux résolutions déposées. Vous le savez, le Conseil d'Etat a communiqué dès mardi matin sa consternation face aux pertes d'emplois et au fort impact sur la diversité et la qualité de la presse et de l'information qu'auraient les décisions de Tamedia et de TX Group. Le Conseil d'Etat est consterné par l'effet concret de ces décisions sur l'identité genevoise de l'information. Il a également rappelé que la presse diversifiée, indépendante et de qualité est indispensable pour forger l'opinion du citoyen. Cela a été dit, nous vivons dans un monde de l'immédiateté, dans un monde des réseaux sociaux, et dans ce contexte, la presse doit conserver une importance.

Maintenant, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat s'est aussi associé aux inquiétudes... (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés !

Mme Nathalie Fontanet. ...et a voulu montrer sa compassion face à la situation des collaboratrices et collaborateurs qui, depuis plusieurs années déjà, voient se succéder les annonces de suppressions d'emplois et qui vivent dans une incertitude. On l'a aussi relevé, on parle actuellement beaucoup de Tamedia, on parle beaucoup de l'effet sur la «Tribune de Genève», mais l'effet sera identique à la RTS, il l'a déjà été sur d'autres médias. Aussi, la question que nous devons nous poser est la suivante: voulons-nous que nos concitoyens puissent se forger librement leur opinion sur la base d'une presse variée et de qualité ? Voilà ce qui est très clairement mis en danger aujourd'hui par les annonces de Tamedia.

Alors il est évident que le Conseil d'Etat va repenser les aides globales qu'il octroie à la presse depuis quelques années, et le Conseil d'Etat salue toute réflexion ou discussion qui vise à pérenniser cette variété et cette qualité de l'information. Néanmoins, Mesdames et Messieurs - je pense qu'il est important de le rappeler -, les aides publiques, qui peuvent être apportées à différents médias locaux, ne sauraient être distribuées en faveur d'un groupe privé qui dégage des bénéfices et qui distribue des dividendes considérables à ses actionnaires. Cela n'est pas acceptable ! Une aide étatique ne pourrait se concentrer sur un seul média par souci d'équité. Les aides doivent aussi pouvoir être apportées au niveau fédéral; la Confédération doit revoir sa perception de la presse, le Conseil d'Etat l'a mentionné dans son communiqué de mardi matin.

Mesdames et Messieurs, la presse est un pilier de la démocratie et ne peut être gouvernée par de simples considérations financières, comme un bien de consommation ordinaire: la presse n'est pas un bien de consommation ordinaire ! Le Conseil d'Etat étudiera évidemment toutes les propositions que vous formulerez. La question qui a été posée très rapidement par le Conseil d'Etat, c'est celle de la reprise du titre par une association, par une fondation, par des privés, de façon à pouvoir garder un titre genevois avec une identité genevoise de l'information, parce que, Mesdames et Messieurs, si ce qui est proposé aux Genevois demain est un cahier dans «24 heures», eh bien, il faut d'ores et déjà informer Tamedia qu'elle se trompe de stratégie, parce que les Genevois ne s'abonneront pas à un cahier dans «24 heures» pour connaître les informations genevoises. Voilà, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat se réjouit que vous adoptiez ces résolutions. Merci. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs du groupe UDC, quand vous intervenez, j'ai constaté que les autres groupes vous respectent, alors s'il vous plaît, je vous prie de bien vouloir respecter une conseillère d'Etat quand elle intervient. C'est la moindre des choses !

Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote sur la R 1043.

Mise aux voix, la résolution 1043 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 84 oui contre 5 non et 2 abstentions (vote nominal).

Résolution 1043 Vote nominal

Le président. Nous passons à la R 1041. A la seconde invite, nous sommes saisis de deux amendements de M. Guy Mettan. Le vote nominal a été demandé pour ces deux votes. Est-il soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Il l'est.

Le premier amendement a pour but de supprimer l'adjectif «financier».

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 50 oui contre 38 non (vote nominal).

Vote nominal

Le président. Le second amendement vise à rajouter l'expression «à un repreneur privé» à la fin de l'invite, qui aurait ainsi, sachant que le premier amendement a été adopté, la teneur suivante:

«Seconde invite (nouvelle teneur)

- à proposer des mesures de soutien en faveur du maintien des emplois, de la pluralité des médias locaux, et de la qualité de l'information, notamment via la cession du titre Tribune de Genève à un repreneur privé.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 43 oui contre 40 non et 6 abstentions (vote nominal).

Vote nominal

Mise aux voix, la résolution 1041 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 60 oui contre 22 non et 7 abstentions (vote nominal).

Résolution 1041 Vote nominal