Séance du
jeudi 29 août 2024 à
20h30
3e
législature -
2e
année -
4e
session -
18e
séance
IN 198 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous traitons notre premier point fixe en catégorie II, trente minutes. Il s'agit de l'IN 198 assortie du rapport du Conseil d'Etat IN 198-A. La parole échoit à Mme Jacklean Kalibala.
Mme Jacklean Kalibala (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la contraception non seulement permet d'éviter des grossesses non désirées et des infections sexuellement transmissibles, mais constitue indéniablement l'un des moyens clés d'émancipation des femmes. On se retrouve ici à l'intersection des questions de droit à la santé et d'égalité des sexes.
Les grossesses non désirées représentent un problème de santé publique, car elles imposent un fardeau socio-économique aux individus et à la société. De plus, elles sont considérées comme étant à haut risque, car associées à de nombreuses conséquences négatives pour la mère, le bébé et l'autre parent.
En ce qui concerne les infections sexuellement transmissibles, on constate depuis plusieurs années en Suisse une forte augmentation des cas de chlamydia et de gonorrhée, sans oublier qu'en Suisse romande, nous avons l'incidence de nouvelles infections au VIH la plus haute du pays. Ainsi, la santé sexuelle et reproductive constitue un enjeu de santé publique important et nécessite une meilleure prise en charge, notamment en matière de prévention.
L'accès à la contraception moderne renforce le pouvoir décisionnel et l'autonomie des femmes, aussi bien à titre professionnel, personnel qu'au sein du ménage. En Suisse, la quasi-totalité des frais liés à la santé sexuelle et reproductive sont supportés par les femmes. Cette situation augmente encore les inégalités économiques entre les femmes et les hommes. De plus, l'accès n'est pas égalitaire entre toutes les femmes, puisque la contraception coûte cher et n'est pas couverte par l'assurance-maladie.
Sur le plan européen, la Suisse est largement en retard sur ces questions. Tous nos pays voisins offrent au moins une prise en charge pour les populations les plus vulnérables. Malgré plusieurs interpellations, le Conseil fédéral refuse d'intégrer la contraception au catalogue LAMal. Il est donc tout à fait légitime d'agir au niveau cantonal. Cette initiative nous donne l'occasion d'améliorer la santé sexuelle et reproductive des Genevoises et des Genevois sans discrimination. Merci. (Applaudissements.)
M. Léo Peterschmitt (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, bien que l'accès aux différents modes de contraception relève d'une question de santé publique, les coûts sont actuellement entièrement à charge des individus et presque exclusivement des femmes. Le choix du type de contraception devrait se faire sans aucune considération d'ordre pécuniaire pour ne pas pénaliser celles qui opteraient pour une méthode adaptée à leur mode de vie ou à leur corps, mais plus chère.
Un nouveau rapport de l'OMS a été publié aujourd'hui. On y apprend que l'utilisation du préservatif par les jeunes sexuellement actifs a significativement baissé en Europe en dix ans; les proportions de rapports sexuels non protégés sont inquiétantes. L'OMS indique que cette situation expose les jeunes à un risque important d'infections sexuellement transmissibles et de grossesses non planifiées. Face à ce constat, il faut renforcer l'action de l'Etat en matière de santé sexuelle par l'éducation et l'accessibilité des dispositifs, qui sont indispensables pour garantir à toutes et à tous une bonne santé sexuelle. C'est sur ce deuxième point que se concentre l'initiative.
A Genève, la tendance globale des infections sexuellement transmissibles est à la hausse; notre canton affiche une incidence plus élevée que la moyenne suisse et c'est aussi celui avec le plus haut taux d'IVG. Pourtant, la littérature scientifique est claire: la protection et un accès facilité aux contraceptifs réduisent le nombre d'IST et de grossesses non désirées. Le coût représentant une barrière, la gratuité aura un effet bénéfique.
Parce que cette initiative vise à réduire les inégalités entre les genres en matière de santé sexuelle, parce qu'elle renforce la santé et l'autodétermination, parce que la prévention est plus efficace sur tous les tableaux que les actions de soins ultérieures, les Vertes et les Verts l'accueillent positivement. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Chères et chers collègues, je me réfère également à l'étude de l'OMS citée par M. Peterschmitt et dont les médias se sont fait l'écho ce matin. Je précise - cela n'a pas été indiqué - que celle-ci concerne 242 000 jeunes de 15 ans dans 42 pays et régions de 2014 à 2022. Le pourcentage des adolescents qui utilisent un préservatif lors de leurs rapports sexuels a diminué, passant de 70% à 61% chez les garçons et de 63% à 57% chez les filles durant cette période. Comme M. Peterschmitt l'a souligné, cela peut entraîner des grossesses non désirées, des avortements risqués et un risque accru de contracter des infections sexuellement transmissibles - et pas seulement le VIH.
Pour ceux d'entre vous qui ont lu le rapport du Conseil d'Etat sur lequel nous allons nous prononcer tout à l'heure, on constate que si cette initiative est importante au vu des chiffres que je viens d'évoquer, elle comprend aussi toute une série de problèmes qui ne sont pas résolus pour l'instant et qui seront difficiles à régler, notamment l'établissement d'une liste de bénéficiaires, eu égard au fait que les données doivent être confidentielles et strictement protégées.
Citons également le contrôle de la domiciliation: un tel système devra être mis en place. Quant au coût, il y a non seulement les 20 millions qui ont été estimés, mais tous les frais liés à la gestion des stocks, aux aspects logistiques, au flux des factures et au suivi médical nécessaire pour plusieurs types de contraception. Un autre aspect qui a été relevé, c'est que puisque la liste des bénéficiaires n'est pas limitée, on toucherait nombre de personnes qui n'ont manifestement pas besoin de cette aide.
Sur cette base, le groupe du Centre, tout en reconnaissant l'intérêt de l'initiative, vous recommandera le rejet de celle-ci et l'élaboration d'un contreprojet en prenant acte du rapport du Conseil d'Etat. Je vous remercie.
Mme Gabriela Sonderegger (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, la gratuité de la contraception pour les jeunes femmes constitue une démarche essentielle reposant sur le principe de prévention plutôt que de guérison. Cela permet de réduire les grossesses non planifiées, surtout chez les jeunes femmes, souvent moins informées et disposant d'un accès limité aux moyens contraceptifs; cela peut contribuer à diminuer le taux de grossesse des adolescentes et les conséquences sociales, économiques et psychologiques qui en découlent.
L'un des objectifs de l'initiative est d'offrir à toutes les jeunes femmes, indépendamment de leur situation financière, un accès aux méthodes de contraception. Cela garantit une plus grande justice sociale et une égalité dans l'accès aux soins de santé reproductive. La gratuité de la contraception offre aux jeunes le contrôle sur leur propre corps et leur santé reproductive en leur permettant d'opérer des choix éclairés concernant leur sexualité et leur avenir.
Enfin, prévenir est toujours moins coûteux que guérir: en investissant dans la contraception, on réduit à long terme les dépenses liées aux soins médicaux pour les grossesses non désirées et les avortements. Promouvoir cette initiative, c'est non seulement investir dans la santé des jeunes, mais aussi dans leur avenir et celui de la société. Vous l'aurez compris, le groupe MCG soutiendra l'initiative 198. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Mme Natacha Buffet-Desfayes (PLR). Un certain nombre d'arguments ont déjà été évoqués. Si les buts de cette initiative sont louables et que plusieurs constats sont partagés par notre groupe, nous soulignons tout de même des moyens disproportionnés qui manquent leur cible.
A la lecture du rapport du Conseil d'Etat, nous déplorons le fait - cela a été indiqué tout à l'heure - que l'aide serait octroyée sans distinction des ressources financières ni du lieu d'habitation, sans parler des coûts que cela pourrait engendrer pour l'ensemble de la société.
En deuxième lieu, cette initiative élude quasiment la question de la prévention, puisqu'elle considère que c'est «uniquement», entre guillemets, en mettant à disposition des moyens gratuits de contraception qu'on parviendra à régler les problèmes évoqués.
Enfin, elle se heurte à une réalité malheureuse: le fait est que les pays qui ont mis en place les différents dispositifs souhaités constatent hélas que les effets ne sont pas au rendez-vous et qu'ils se frottent aux mêmes difficultés que celles mentionnées tout à l'heure, à savoir une augmentation du nombre d'avortements et de maladies sexuellement transmissibles.
C'est pour toutes ces raisons que nous rejetterons l'initiative, mais nous nous pencherons sur un contreprojet qui pourrait se baser sur le rapport du Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Je prends très brièvement la parole au nom du Conseil d'Etat pour confirmer que nous nous réjouissons, à la faveur de cette initiative, d'entamer des discussions que nous espérons fructueuses à la commission de la santé, à l'image de celles que nous avons menées sur une précédente initiative portant sur la santé bucco-dentaire.
Il s'agit ici - je crois que c'est incontesté en matière de santé sexuelle et reproductive - d'un thème fondamental qui connaît des évolutions préoccupantes. Ce constat, nous le partageons avec les initiants et, je l'espère, avec une grande majorité de ce plénum, et il convient d'apporter la bonne réponse.
La bonne réponse - là aussi, nous espérons faire recette, voire l'unanimité, avec cette stratégie -, c'est de passer d'une approche centrée sur les maladies à une approche axée sur les patientes et les patients en fonction de leurs capacités contributives, en fonction aussi des risques auxquels ils sont exposés.
J'enchaîne sur les propos de la préopinante PLR: de ce point de vue là, la notion de prévention devra sans doute être renforcée dans le cadre des travaux, parce que c'est à travers la prévention que nous allons mieux pouvoir cibler les populations concernées.
Mais je ne veux pas anticiper davantage le travail de la commission. Le Conseil d'Etat, vous l'avez compris, Mesdames et Messieurs, soutient le principe du renvoi en commission, se réjouit de travailler sur un contreprojet et espère être en mesure, d'ici un an, de proposer à votre plénum des mesures procédant de la plus large concertation possible. Merci de votre attention.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat.
L'initiative 198 et le rapport du Conseil d'Etat IN 198-A sont renvoyés à la commission de la santé.