Séance du vendredi 21 juin 2024 à 14h
3e législature - 2e année - 3e session - 16e séance

M 2892
Proposition de motion de Aude Martenot, Françoise Nyffeler, Jocelyne Haller, Léna Strasser, Jean Batou, Pablo Cruchon, Sylvain Thévoz, Pierre Vanek, Didier Bonny, Yves de Matteis, Marta Julia Macchiavelli, Anne Bonvin Bonfanti, Ruth Bänziger, Pierre Eckert, Nicolas Clémence, Bertrand Buchs, Marjorie de Chastonay, Grégoire Carasso, Adrienne Sordet, Badia Luthi, Emmanuel Deonna, Jean Burgermeister : Droit à la vie pour les personnes vulnérables dans l'asile
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 15 et 16 décembre 2022.

Débat

Le président. Nous poursuivons nos travaux avec la M 2892, classée en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à Mme Léna Strasser.

Mme Léna Strasser (S). Merci, Monsieur le président. Cette proposition de motion a été déposée en décembre 2022 par un groupe qui n'est plus présent ici aujourd'hui, à savoir Ensemble à Gauche; elle n'a pas eu l'occasion d'être traitée en commission, donc nous souhaiterions qu'elle soit renvoyée à la commission des affaires sociales. Cela nous permettra de faire un point de situation sur un sujet dont nous avons passablement discuté hier - la migration et l'accompagnement des jeunes, notamment issus de l'asile -, de voir ce qui a été mis en oeuvre depuis le dépôt du texte, d'effectuer un état des lieux pour le mettre à jour. Voilà, je demande donc le renvoi à la commission des affaires sociales. Merci.

M. André Pfeffer (UDC). Je ne pensais pas qu'un renvoi en commission serait demandé. Cela étant, j'en profite pour mentionner quelques éléments - tout en approuvant le renvoi à la commission des affaires sociales par ailleurs. Il faut quand même souligner qu'en Suisse, le droit d'asile est appliqué et respecté. Il s'agit d'un droit individuel, chaque dossier fait l'objet d'une étude spécifique, et toute personne requérante dispose d'un droit de recours. Voilà le premier aspect.

Après, deux décisions sont possibles: soit la demande est approuvée, la personne obtient l'asile et, par là même, le droit à toutes les prestations sociales, quasiment comme un citoyen suisse, soit celle-ci est déboutée. Là encore, il faut rappeler le droit: un migrant dont la requête d'asile a été refusée a droit au logement, à la nourriture, à un minimum d'entretien, à des soins médicaux et autres, et reçoit en plus un pécule de 10 francs par jour. Tous les jeunes arrivés à Genève jusqu'à l'âge de 19 ans ont le droit, même s'ils ont été déboutés, même si leur demande d'asile a été rejetée, de poursuivre ou d'effectuer des études en Suisse jusqu'à l'échéance.

Le troisième point à souligner - et Mme Strasser le sait, puisqu'elle est membre de la commission des visiteurs officiels -, c'est que pour chaque renvoi, les avis médicaux doivent être respectés, c'est la règle. Dans certains cas, un accompagnement médical est même prévu.

Enfin, cette proposition de motion se base sur des cas certes dramatiques et particuliers, mais appartient-il au législateur - c'est-à-dire nous - d'intervenir dans un domaine où les règles permettent d'éviter les situations évoquées dans le texte ? Voilà, je suis donc plutôt réticent à l'égard de cet objet, mais étant donné que le renvoi en commission a été sollicité, je pense que notre groupe le soutiendra. (Commentaires.)

Mme Joëlle Fiss (PLR). Chers collègues, le jeune Alireza, un requérant d'asile afghan de 18 ans, s'est suicidé après avoir reçu une décision de renvoi vers la Grèce. Il a mis un terme à sa vie, et c'est avec grande tristesse que les Genevois avaient appris cette nouvelle; à juste titre, cela avait suscité une vague d'indignation - c'était en novembre 2022. Arrivé à Genève en 2021, Alireza avait été hébergé au foyer de l'Etoile, il s'était bien intégré malgré son état psychologique fragile. Depuis, la famille d'Alireza a saisi le Ministère public afin que celui-ci établisse si certaines omissions ou actions ont joué un rôle dans sa mort.

Aujourd'hui, c'est de ça qu'il s'agit; aujourd'hui, c'est bien au Ministère public de se prononcer, puisqu'il a l'obligation de déterminer les circonstances du décès d'Alireza. Une motion comme celle-ci ne peut malheureusement rien changer. Une fois que le Ministère public se sera exprimé publiquement et seulement à ce moment-là, le Conseil d'Etat pourra décider s'il y a eu une faille dans le système et s'il y a des choses à changer. Nous sommes tous dans la douleur par rapport à ce drame, mais malheureusement, il faut attendre.

Pendant cette attente pénible, le PLR appelle le Conseil d'Etat à veiller à ce que les jeunes requérants d'asile, qui se trouvent déjà dans une situation extrêmement stressante, puissent vivre dans des conditions dignes qui leur permettent de se reconstruire le temps de leur accueil à Genève. Contrairement aux auteurs du texte - qui ne sont plus présents dans l'hémicycle, effectivement -, le PLR ne prétend pas connaître les raisons de la dépression d'Alireza; ce qui est certain, c'est que celle-ci ne sera pas utilisée pour faire de la politique.

En ce qui concerne maintenant le renvoi en commission, je pense pour ma part qu'aussi insupportable que ce soit, il faut attendre: il faut attendre ce que le Ministère public indiquera, il faut attendre ensuite la réaction du Conseil d'Etat. Et le Conseil d'Etat devra vraiment réagir, parce que parfois, des motions sont déposées et la réponse attendue fait défaut. Ainsi, le PLR attend avec grand intérêt la décision du Ministère public ainsi que celle du Conseil d'Etat. C'est à ce moment-là que nous aviserons et définirons si des changements systémiques sont à opérer. Merci.

Mme Patricia Bidaux (LC). Mesdames et Messieurs, cette proposition de motion date du 13 décembre 2022. La discussion immédiate et l'urgence avaient été acceptées par notre parlement, mais le débat n'a pas eu lieu, donc nous nous retrouvons un an et demi plus tard avec ce texte non traité en commission. L'exposé des motifs fait remarquer que deux motions sur le même sujet ont été adoptées par le Grand Conseil: la M 2525 déposée en 2019, sur laquelle un rapport du Conseil d'Etat a été rendu en 2020, ainsi que la M 2526 déposée le 8 février 2019 qui a fait l'objet d'un premier rapport du Conseil d'Etat en 2020 et dont le deuxième rapport du Conseil d'Etat date du 17 mai 2023.

Mais revenons-en au présent objet et surtout à la demande de renvoi en commission. Pour Le Centre, si certaines invites ont déjà trouvé des réponses, il n'en demeure pas moins qu'il reste tout un questionnement quant à l'accompagnement des RMNA par le développement de projets éducatifs, et si le Conseil d'Etat, dans sa réponse de 2020, mentionne que cette thématique est en développement, nous ne disposons pas de plus d'informations aujourd'hui.

On le sait bien, et la députée Fiss l'a souligné, cette motion ne sauvera pas la vie du jeune qui s'est suicidé. Cependant, on ne peut pas nier que c'est grâce à un accompagnement social et éducatif digne de ce nom des RMNA - qui, cela a été rappelé hier, ne sont autres que des enfants - qu'on pourra éviter qu'un tel drame se reproduise. Quant à la collaboration avec le réseau local, là encore, si on reprend l'analyse des autres motions citées dans l'exposé des motifs, on n'a aucune réponse !

C'est la raison pour laquelle Le Centre soutient avec force la proposition de renvoi en commission, il s'agit de la dignité de ces enfants qui méritent un vrai accompagnement social et éducatif. A l'heure actuelle, on ne sait pas ce qui est en place. Ok, on peut attendre ce que dira la Confédération, mais au-delà de ça, il s'agit de programmes locaux et cantonaux. S'il vous plaît, donnons à ces jeunes, donnons à ces enfants les moyens non seulement de faire face à leur situation, mais également de vivre leur vie d'enfant. Je vous remercie.

M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, avant de parler des immigrants, il est question de l'image de Genève, de la Suisse. Quand vous ouvrez les journaux le matin, vous lisez: «Des jeunes se sont suicidés, ils ont perdu la vie.» C'est bien sûr malheureux pour les familles, mais n'oublions pas que la première chose qui frappe, c'est nous, c'est notre système d'accueil, la façon dont nous recevons les réfugiés, les mineurs, les jeunes.

L'idée est simplement de renvoyer la motion en commission pour qu'elle y soit étudiée, pour éviter qu'une telle situation se reproduise, qu'il y ait d'autres Alireza ou jeunes venant de divers pays qui déchantent après avoir cru trouver ici leur deuxième pays, se disant: «Je vais travailler, je vais construire ma vie, je vais créer ma famille, je vais contribuer à mon deuxième pays, car je n'ai pas eu la chance de le faire dans mon premier pays.»

Il faut aller sur le terrain, poser des questions à des jeunes ou à des familles qui habitent ici actuellement, qui n'ont pas le droit de voyager, qui n'ont pas le droit de travailler, qui n'ont pas le droit à certaines facilités auxquelles nous avons accès pour notre part. Je pense qu'il faudrait même déposer un projet de loi pour éviter que d'autres jeunes commettent à leur tour un tel acte.

Un jeune arrive dans un nouveau pays, plein d'espoir, et finalement il perd la vie. Et on nous dit: «Il faut attendre que le Ministère public délivre ses résultats.» Certes, cette motion n'aura pas sauvé la vie de ce jeune, mais il s'agit maintenant de l'examiner pour éviter d'autres accidents malheureux comme celui-ci qui, par ailleurs, n'est pas bon pour l'image de Genève ni de la Suisse - sans parler de la douleur de la famille. Je vous invite, chers collègues, à renvoyer cet objet à la commission des affaires sociales pour qu'il y soit bien étudié et qu'on évite ce genre d'incident à l'avenir. Je vous remercie beaucoup.

M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, on s'interroge quant aux raisons qui poussent un demandeur d'asile à se suicider...

Le président. Vous n'avez plus de temps de parole, Monsieur le député.

M. Marc Falquet. Ah ! (Remarque.) Mais si, je vois mon temps, là !

Une voix. Mais oui, il y en a encore !

Une autre voix. Stop !

Une autre voix. Le chronomètre n'a pas démarré au bon moment et le groupe UDC a largement dépassé les trois minutes.

Le président. Voilà, mais je vous laisse dix secondes.

M. Marc Falquet. Dix secondes, d'accord. J'indiquerai juste que chaque semaine, un à deux Genevois - ce ne sont pas des demandeurs d'asile - se suicident, et il serait peut-être intéressant aussi de se demander pourquoi il y a un tel mal-être. Ce ne sont pas des demandeurs d'asile, d'accord ? Merci beaucoup.

Mme Léna Strasser (S). L'idée n'est pas d'opposer les différentes populations. Oui, il y a des problématiques de santé mentale chez les jeunes, on peut s'en préoccuper, mais cette proposition de motion ne traite absolument pas de ce sujet. J'aimerais également rappeler que ce n'est pas un texte spécifique sur le décès d'Alireza, que nous regrettons fortement, c'est un texte qui demande des mesures concrètes pour l'accompagnement de tous les jeunes; il n'est plus d'actualité, mais c'est aussi pour ça que nous souhaitons le renvoyer en commission: il s'agit de définir où en est le travail autour des points qu'il relève.

Le foyer de l'Etoile a été fermé, la situation a certainement évolué depuis le dépôt de la motion, il y a peut-être encore des choses à faire, mais l'idée est vraiment d'examiner tout ça tranquillement en commission et d'obtenir des informations substantielles de la part du Conseil d'Etat, notamment sur la prise en charge actuelle liée à la mise en place de l'Agenda intégration suisse au niveau national, lequel est entré en vigueur dans les cantons depuis quelques années. Voilà, la demande de renvoi en commission va dans ce sens. Merci.

Mme Emilie Fernandez (Ve). Beaucoup de choses ont déjà été relevées. Le canton de Genève a effectivement été endeuillé plusieurs fois suite au suicide de jeunes requérants d'asile. Ces décès ne sont que la pointe de l'iceberg s'agissant de la souffrance de jeunes migrants dont le sort est incertain en raison de notre système d'asile.

Notre canton a la compétence d'exécuter les renvois, donc il dispose aussi de la marge de manoeuvre pour les faire cesser lorsque des raisons de santé s'y opposent. Cette appréciation, au vu des nombreux drames survenus, doit faire l'objet d'un examen scrupuleux et d'une grande retenue pour nous assurer que nous ne devions pas à nouveau enterrer un jeune.

Nous devons faire le nécessaire pour que ces jeunes obtiennent des garanties, notamment de sécurité, de santé, de prise en charge psychosociale, ainsi que toute mesure pouvant soutenir leur épanouissement, qui participe à une intégration réussie. En ce sens, nous pensons que cette motion doit être étudiée en commission et vous demandons, s'il vous plaît, d'accepter cette proposition. Merci.

Le président. Je vous remercie. La parole retourne à Mme Fiss pour trente secondes.

Mme Joëlle Fiss (PLR). Merci, Monsieur le président. Vous transmettrez à mon collègue de LJS qu'on ne sait pas pourquoi Alireza a souffert de dépression, il était bien intégré à Genève. Peut-être a-t-il subi un stress post-traumatique suite à son vécu en Afghanistan, on l'ignore. C'est pour ça qu'on doit absolument déterminer ce qui s'est passé, on doit connaître les failles du système genevois - pour autant qu'il y en ait. Je pense sincèrement qu'un renvoi en commission ne va rien changer, nous devons tous attendre pour disposer de plus d'informations avant d'agir, voilà ce que j'essaie de dire; le renvoi en commission ne changera rien à cette situation tragique. Merci.

Le président. Merci, Madame la députée. Je rends la parole à M. Sangdel pour cinquante-cinq secondes.

M. Djawed Sangdel (LJS). Oui, merci, Monsieur le président. On mélange les choses, Mesdames et Messieurs. Le but n'est pas de renvoyer cette motion en commission pour identifier certaines raisons du suicide d'Alireza; notre collègue a bien précisé que c'est le Ministère public qui déterminera les circonstances du décès de ce jeune. Non, il s'agit d'éviter que d'autres cas comme celui d'Alireza se reproduisent, il s'agit d'étudier les choses pour améliorer notre système d'accueil des mineurs et éviter que ce genre d'incident se répète. Si on ne renvoie pas cet objet en commission, le message sera clair: on accepte encore ce genre d'accident sans en définir les causes. Je pense que cette motion mérite d'être renvoyée en commission pour être examinée et que de tels incidents ne se reproduisent plus à l'avenir.

M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Très rapidement, Mesdames et Messieurs, je rappelle que le Conseil d'Etat a déjà agi, il n'a pas attendu cette motion pour fermer le foyer de l'Etoile et surtout il a réorganisé complètement le dispositif de prise en charge des requérants d'asile mineurs non accompagnés, privilégiant le fait qu'ils soient mineurs avant d'être réfugiés, et non le contraire. La considération est importante, parce que ces dernières années, le Conseil d'Etat a mené une autre politique; dans cette législature, nous avons décidé de renverser le paradigme.

En mars 2024, le Conseil d'Etat a communiqué sur un accompagnement différent, renforcé, développé sur cinq axes, notamment autour du diagnostic sociosanitaire dont nous avons besoin pour permettre aux jeunes d'être orientés au bon endroit, de trouver des hébergements en suffisance et à taille humaine, de suivre des formations adaptées. Ainsi, le Conseil d'Etat ne s'opposera pas au renvoi en commission, cela lui permettra de vous donner de plus amples exemples de ce qui a été entrepris; il refusera toutefois d'effectuer le travail du Ministère public.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer sur la proposition de renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2892 à la commission des affaires sociales est adopté par 54 oui contre 29 non et 1 abstention.