Séance du
vendredi 31 mai 2024 à
16h15
3e
législature -
2e
année -
2e
session -
9e
séance
M 2612-A et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Le point suivant réunit les M 2612-A et M 2770. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et je laisse la parole au rapporteur, M. Marc Falquet.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, précisons que ces deux propositions de motions concernent les mineurs non accompagnés qui ne relèvent pas du domaine de l'asile, qui n'ont pas déposé de demande d'asile, ce ne sont pas des requérants mineurs qui font l'objet d'une prise en charge interinstitutionnelle, comme on dit.
Alors qui sont ces MNA ? Selon les personnes entendues - nous avons procédé à de nombreuses auditions -, nous sommes en présence de jeunes hommes de 13 à 25 ans originaires du Maghreb, mais généralement en provenance d'une capitale européenne; ils se présentent à Genève sans papiers d'identité et affirment avoir moins de 18 ans afin de bénéficier de la protection garantie aux mineurs. En effet, nous avons l'obligation de nous en occuper.
En général, ces jeunes sont en rupture familiale, sans formation, sans objectif précis et se déplacent à travers les différents pays d'Europe pour vivre par exemple de la délinquance ou bénéficier des facilités qui leur sont octroyées, notamment de la nourriture et de l'hébergement. La plupart d'entre eux sont polytoxicomanes, souffrent de troubles du comportement et ne sont malheureusement pas preneurs des mesures actuellement proposées. En résumé, ils sont totalement en rupture et sabotent quasiment leur vie.
Les auditions ont démontré que la prise en charge des MNA constitue un casse-tête pour les institutions, les services spécialisés, les associations, la police et la justice. Tous ont un sentiment d'impuissance et de découragement face à ces jeunes. Les MNA à Genève ont tout de même coûté la modique somme de 7 millions de francs aux contribuables en 2020, et ce pour un bilan très maigre. Il est dès lors indispensable de réformer leur encadrement pour plus d'efficience et de résultats, pour vraiment essayer de faire s'en sortir ces jeunes qui sont là de toute façon.
Nous sommes saisis de deux motions. Il y a d'abord celle d'Ensemble à Gauche, qui propose de garder les mineurs non accompagnés sans la moindre condition, sans soumettre finalement quelque chose de concret; le texte n'ayant pas convaincu la majorité, les commissaires ont ensuite rédigé une motion de commission qui offre un programme de stabilisation et de formation au cas par cas à ceux qui le souhaitent et démontrent leur ferme volonté de se relever via la signature d'un contrat de confiance. Ce n'est pas nous qui avons inventé ce dispositif, il s'inspire des expériences réalisées par l'association Tipiti, qui travaille depuis des années avec exigence et rigueur avec ces jeunes, et cette approche produit de très bons résultats.
Cette motion est exigeante: elle invite le Conseil d'Etat à adopter une attitude stricte face aux jeunes qui ne respecteraient pas les contrats de confiance ou commettraient des infractions pénales, il ne s'agit pas de les garder ici ad vitam aeternam dans des hôtels ou d'autres lieux d'hébergement. En bref, il n'est pas question de financer l'installation de délinquants à Genève, mais bien d'offrir une opportunité à ceux qui veulent s'en sortir. Aussi, la commission vous demande de refuser la M 2612 d'Ensemble à Gauche et de renvoyer la motion de commission 2770 au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Yves de Matteis (Ve). Ces dernières années, notre commission s'est penchée sur le sort des RMNA. Trois d'entre eux sont allés jusqu'à mettre fin à leurs jours, d'où des interrogations quant aux moyens mis en oeuvre et à la prise en charge de la santé mentale de ces jeunes particulièrement vulnérables. Nous, pouvoirs publics, n'avons pas toujours su faire face à leur détresse. On prend conscience des différents ressentis et de leurs conditions d'hébergement et de vie, souvent inadéquates, en lisant la bande dessinée «Seuls en exil», réalisée par des dessinateurs locaux sur la base du témoignage de trois mineurs non accompagnés à Genève.
A l'issue des travaux, la commission quasi unanime a rédigé une motion de commission - cela a été relevé -, la M 2770, qui prend en compte des éléments nouveaux. Mais réflexion faite, il serait utile de voter également la motion de départ, soit la M 2612, qui n'est pas contradictoire. Aussi, Mesdames et Messieurs, je vous engage à le faire, de même que ma collègue Sophie Bobillier qui prendra la parole après moi. Merci, Monsieur le président.
Mme Sophie Bobillier (Ve). En effet, Mesdames et Messieurs, je poursuis, car en tant que membre de la permanence MNA (mineurs non accompagnés)/RMNA (requérants d'asile mineurs non accompagnés), aux côtés d'une quarantaine d'avocates, d'avocats et de juristes, cette thématique m'est particulièrement chère. En automne 2019, nous avons été confrontés à des jeunes, parfois très jeunes - 14 ans à peine -, particulièrement vulnérables qui dormaient dans les rues de Genève; ils s'étaient vu refuser l'accès au SPMi (service de protection des mineurs) au motif qu'ils n'avaient pas de document prouvant leur identité.
Les avocates et avocats ont dû intervenir pour chacun d'eux individuellement afin d'exiger leur prise en charge, laquelle avait été refusée tout à fait arbitrairement pour certains tandis que pour d'autres pas. Certains jeunes n'avaient qu'une seule revendication, non pas de profiter du système, comme on l'a entendu juste avant, mais simplement d'accéder à l'école, ce qui leur a été refusé alors même que la scolarisation n'est pas seulement un droit, mais aussi un devoir; un refus complètement invraisemblable vu nos obligations légales, notamment quand on sait que la Suisse est signataire de la Convention relative aux droits de l'enfant.
La permanence s'est mobilisée en adressant quatre lettres au Conseil d'Etat afin de l'alarmer quant à la situation et d'exiger une meilleure prise en charge de ces jeunes. Voici la réponse qui nous a été donnée: «Et qu'allons-nous faire une fois qu'ils auront 18 ans ?» Or le contexte était grave, ils n'avaient pas encore 18 ans et il fallait s'en occuper. Rappelons que même à 18 ans et un jour ou à 17 ans et 364 jours, les jeunes ont besoin d'un encadrement, c'est absolument nécessaire pour leur bon développement.
Cette prise en charge a été lacunaire, la réponse a été autoritaire avec un ciblage policier et une répression extrêmement forte. Aujourd'hui, la motion de commission revêt une grande importance, nous devons la mettre en oeuvre même si un certain nombre de jeunes sont passés à la trappe et ont vu leur destin basculer. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Christina Meissner (LC). Mesdames et Messieurs, on peut regretter que notre parlement soit si lent et on ne peut pas se réjouir que le sujet soit toujours d'actualité. Nous traitons des textes datant de 2020 pour la motion d'origine de M. Pierre Bayenet et de 2021 pour la motion de commission rédigée à l'issue des travaux.
Cette motion de commission, que nous vous demandons de soutenir, reconnaît la problématique soulevée, mais propose une approche et des solutions plus étayées et issues de connaissances acquises durant nos travaux à travers de nombreuses auditions. Nous avons ainsi découvert des dispositifs originaux et efficaces mis en oeuvre en Suisse alémanique, en particulier le système développé par l'association Tipiti.
Nous espérons que le Conseil d'Etat prendra en compte les suggestions de la commission et abordera la prise en charge des jeunes migrants non accompagnés tant en pratiquant un accueil bienveillant et éclairé qu'en apportant une réponse ferme - celle présentée dans le texte - aux jeunes qui ne joueraient pas le jeu.
Notre système d'encadrement des mineurs non accompagnés a tout à y gagner. Il s'agit de s'inspirer de modèles alémaniques qui ont fait leurs preuves, de considérer en priorité la volonté d'intégration en offrant un programme de formation motivant, encadré, comme le fait l'association Tipiti, de ne pas renvoyer les jeunes qui suivent avec assiduité cette formation régulière, de conditionner leur prise en charge à la conclusion et au respect d'un contrat de confiance et d'adopter une attitude stricte face à ceux qui ne le respecteraient pas ou commettraient des infractions pénales, le tout pour préparer les jeunes à la perspective d'un retour dans leur pays d'origine.
Pour toutes ces raisons, Le Centre vous propose de refuser la motion d'origine, qui ne propose finalement que des droits, et de voter la motion de commission, qui y associe des devoirs. Je vous remercie.
M. Patrick Dimier (MCG). Les choses les plus pertinentes ayant déjà été dites, je me contenterai d'appuyer le rejet de la motion d'origine, c'est-à-dire de la M 2612, et notre groupe a opté pour la liberté de vote en ce qui concerne la M 2770. Merci.
M. Diego Esteban (S). La motion de commission est un exercice auquel une commission se livre lorsqu'un problème est partagé assez largement, mais que le texte d'origine n'obtient pas l'adhésion. Pour des raisons tout à fait différentes de celles évoquées jusqu'ici, la préférence du groupe socialiste va au deuxième texte, car il reprend des projets qui existent déjà en Suisse, qui sont intéressants et complets, que le rapporteur de commission a déjà mentionnés, notamment ce qui est entrepris à Zurich, et qui à l'avenir pourraient - ou non - englober des mesures de la motion de base, laquelle proposait un dispositif d'accompagnement plus complet de ces jeunes en situation de décrochage - ce serait idéal.
Il faut rappeler que le décrochage n'est pas un choix individuel, mais le résultat d'un certain nombre d'échecs; cela peut être un vécu traumatisant, comme le fait de payer les pots cassés de systèmes défaillants, et donc on hérite aujourd'hui des négligences et du manque d'accompagnement d'autres pays. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s'abstiendra majoritairement sur la motion initiale et soutiendra sans réserve celle de commission. Je vous remercie.
M. Francisco Taboada (LJS). Le groupe LJS n'était pas présent à l'époque où la motion d'origine a été déposée. La majorité des choses ont déjà été dites par mes préopinants. La lenteur du système fait qu'on traite ces objets seulement aujourd'hui. Le groupe LJS refusera la motion de départ et soutiendra celle de commission, qui tient compte des nombreux éléments évoqués par mes préopinants; nous la validerons donc par le oui. Merci.
M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, je n'ai pas participé non plus aux travaux de la commission des Droits de l'Homme, parce que je n'en fais pas partie, mais je m'exprime au nom du groupe PLR en l'absence de nos deux représentants dans cette commission. J'ai lu attentivement l'excellent rapport et j'aimerais saluer le travail non seulement du rapporteur, mais également de la commission.
En effet, les commissaires ont considéré dans un premier temps que la motion initiale ne pouvait pas être acceptée pour les raisons qui ont déjà été expliquées, et la commission aurait pu se satisfaire de dire: «Nous ne prenons pas ce texte en considération»; nous nous serions ainsi simplement retrouvés ici avec une motion refusée. Eh bien non, Mesdames et Messieurs, la commission a estimé qu'un problème très important existait, qu'il était permanent, qu'il évoluait - et pas dans le bon sens - encore aujourd'hui et qu'il était pertinent de réaliser un travail complet à ce sujet. Le résultat de cette étude est la motion de commission 2770, que nous nous apprêtons à adopter maintenant et que le groupe PLR soutiendra naturellement.
A la forme, je reconnais qu'il nous arrive de solliciter l'urgence sur des sujets qui, peut-être, nous excitent un peu, nous chatouillent, mais ne sont pas forcément toujours des problèmes de fond justifiant une urgence; ce propos simplement pour mettre l'accent sur le fait que ce rapport a été déposé il y a trois ans et qu'éventuellement - je fais amende honorable, parce que nous ne l'avons pas proposé -, nous aurions pu demander l'urgence bien avant. C'est une façon pour moi de renforcer l'importance qu'il y a à voter la motion de commission ce soir tout en refusant celle de départ, qu'on a jugée - c'est toujours le cas - comme ne répondant pas à la problématique. Je vous remercie de votre attention.
Une voix. Bravo.
Le président. Merci bien, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je vous propose de passer au vote sur ces deux textes. Nous commençons avec la M 2770... (Commentaires.)
Une voix. D'abord la M 2612 ! (Commentaires.)
Le président. Mais laissez-moi parler, s'il vous plaît ! Dans le rapport, la M 2770 a été mise aux voix en premier, mais enfin, c'est égal, si vous voulez vous prononcer d'abord sur la M 2612, allons-y !
Mise aux voix, la proposition de motion 2612 est rejetée par 53 non contre 21 oui et 8 abstentions (vote nominal).
Mise aux voix, la motion 2770 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 79 oui et 7 abstentions (vote nominal).