Séance du jeudi 30 mai 2024 à 17h
3e législature - 2e année - 2e session - 6e séance

PL 12729-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Delphine Bachmann, Jean-Luc Forni, Sébastien Desfayes, Jacques Blondin, Anne Marie von Arx-Vernon, Jean-Marc Guinchard, François Lance, Olivier Cerutti, Souheil Sayegh, Christina Meissner, Bertrand Buchs, Claude Bocquet, Patricia Bidaux sur les familles (LFam)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 1er et 2 juillet 2021.
Rapport de majorité de M. Didier Bonny (Ve)
Rapport de minorité de Mme Patricia Bidaux (LC)

Premier débat

Le président. Nous passons aux objets relevant du département de la cohésion sociale. J'appelle le PL 12729-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. La parole revient à Mme Fernandez.

Mme Emilie Fernandez (Ve), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je reprends le rapport de mon estimé collègue, M. Bonny. La commission des affaires sociales s'est réunie trois fois en 2020 et 2021 pour étudier ce projet de loi-cadre déposé par Mme Bachmann, alors députée, qui part du constat que la Suisse est à la traîne en matière de politique familiale. Selon elle, notre pays manque d'une politique familiale cohérente; elle affirme que la présence de familles saines et soutenues donne lieu à une société qui va bien et qu'il s'agit d'une politique transversale qui se répercutera positivement sur les autres politiques publiques.

Au niveau cantonal, Mme Bachmann relève les disparités entre les cantons en matière de politique familiale et souligne qu'à Genève, les problématiques familiales sont morcelées entre différents départements. Pour le PDC, ce texte permettrait de poser un cadre auquel les départements concernés par la politique familiale pourraient se référer afin d'orienter leurs mesures.

Interrogé par la commission au sujet du concept de loi-cadre, M. Mangilli, directeur des affaires juridiques de la chancellerie, explique qu'il s'agit d'une loi ordinaire qui n'a pas de caractère constitutionnel; il précise que dans le projet de loi, 95% des dispositions ne contiennent pas de droits directement applicables. Par conséquent, une mise en oeuvre par le Grand Conseil est nécessaire, et cela pose problème, car il y aura le même niveau normatif pour la loi-cadre et la loi d'application. Il fait remarquer que certaines dispositions reprennent quasiment la constitution; d'autres points pourraient relever du droit fédéral, notamment le principe de congé paternité et le soutien à la parentalité. M. Mangilli conclut qu'une loi-cadre est possible d'un point de vue légistique, mais que celle-ci peut se révéler problématique dans son exécution.

Par ailleurs, la définition de la famille proposée par le texte est questionnée par les commissaires, qui peinent à en cerner les contours. Mme Bachmann note que les familles monoparentales sont comprises dans la définition, de même que les familles homoparentales. Un commissaire revient sur l'article 2 et la définition de la famille: «Sont considérés comme famille, au sens de la présente loi, les couples et les communautés rassemblant des personnes parentes ou alliées de plusieurs générations faisant ménage commun. Le lien familial peut s'étendre au-delà du lien biologique et comprendre ainsi les relations de soins, de solidarité et d'assistance qui se développent entre des individus de plusieurs générations qui constituent une communauté de vie.» Il demande s'il peut y avoir une famille sans enfant et quel foyer ne serait alors pas considéré comme une famille. Pour Mme Bachmann, il faut un adulte et un enfant au minimum pour former une famille.

Un autre point de discussion a occupé la commission: le projet de loi prévoit des dispositions relativement spécifiques qui auraient un impact sur le fonctionnement de certaines institutions. Par exemple, l'article 12 sur les structures d'accueil stipule: «L'Etat développe des structures d'accueil extrafamiliales et extrascolaires, ouvertes toute l'année et à prix abordables [...]». Un commissaire demande si l'autrice propose que l'Etat reprenne en main les crèches et le GIAP. Le texte contient encore des modalités qui concernent la population au sens large, soit au-delà de la famille, par exemple la protection contre l'endettement ou l'accès garanti au système de santé.

Pour conclure, si les intentions des signataires sont louables, il semble que le projet de loi manque sa cible. C'est la conclusion à laquelle sont arrivés l'ensemble des groupes à l'exception du PDC: ils évoquent une potentielle usine à gaz, une loi patchwork, un grand catalogue ou encore un texte qui, de par sa forme, risque d'engendrer plusieurs contradictions. L'entrée en matière est donc refusée par 13 non contre 2 oui et 0 abstention. Merci.

Mme Patricia Bidaux (LC), rapporteuse de minorité. Si vous pouviez, Monsieur le président, rappeler à mon éminente collègue que le PDC s'appelle dorénavant Le Centre, ce serait fort aimable ! Mesdames et Messieurs les députés, proposer un projet de loi transversal sur la famille, n'est-ce pas faire de celle-ci une vraie politique publique qui ose aborder les problématiques qui y sont liées dans leurs aspects pratiques, mais aussi juridiques ?

Comme vous l'avez entendu, la discussion a beaucoup, beaucoup, beaucoup tourné autour du fait qu'une loi-cadre, c'est trop compliqué, que cela exigera trop de travail transversal, le tout pour finir par entendre que le texte est uniquement déclaratif. Mais non, chers collègues: il s'agit bien plus d'accorder à la famille sa place, d'en mesurer l'étendue et d'admettre que, quel que soit le modèle choisi, la famille représente bien plus qu'une somme d'individus.

Ainsi, le projet de loi qui vous est présenté sous la forme d'une loi-cadre sur la famille est un texte fondamental qui vise à établir les principes généraux de la politique familiale de notre Etat et le cadre dans lequel celui-ci peut intervenir, conformément à l'article 205 de la constitution. Le chapitre I pose les bases essentielles. A son article 1, le but de la loi est clairement spécifié: fixer les principes généraux de la politique familiale de l'Etat. L'article 2 définit la notion de famille, qui englobe non seulement les couples, mais également les communautés multigénérationnelles. Ne s'agit-il pas d'une manière visionnaire d'envisager la famille lorsqu'on réfléchit à toutes les problématiques des... (L'oratrice s'interrompt.) Voilà que j'ai un blanc ! ...des proches aidants, pardon ! Cette définition inclusive reconnaît la diversité des structures familiales et les liens qui les unissent, au-delà de la seule parenté biologique. Le chapitre II, quant à lui, détaille les mesures sectorielles à prendre pour soutenir et accompagner les familles.

A travers des dispositions telles que la prévention, l'accompagnement, l'aide aux familles, la promotion de la culture et du sport ou encore l'aménagement du territoire, cette loi-cadre s'efforce de répondre aux besoins variés des familles dans toutes les dimensions de leur vie quotidienne; elle permet à l'Etat de reconnaître le rôle fondamental de la famille en tant que cellule naturelle et fondamentale de la société, tout en respectant son autonomie et sa diversité, comme le stipule l'article 4. Il s'agit notamment de garantir que l'arrivée d'un enfant ne constitue plus un facteur de paupérisation ou de mise entre parenthèses de la carrière de l'un des deux parents, mais plutôt une source d'épanouissement pour la famille.

Finalement, ce texte a soulevé bien plus de questions quant à la manière de faire face à la transversalité alors même que nous n'avons de cesse de demander au Conseil d'Etat d'en finir avec les silos et de mettre en place des politiques plus transversales. Tout cela pour subir une fin de non-recevoir après seulement trois séances de commission - non, vraiment, c'est trop compliqué !

Cela étant, je suis ravie que le mot «loi-cadre» ne fasse plus peur à notre gouvernement, puisque M. le conseiller d'Etat chargé du DCS, dans son plan stratégique 2022 vers une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap à Genève, nous promet une nouvelle loi qui pourrait être une loi-cadre ! Cela figure à la page 33 du document: «Examiner la nécessité et les modalités d'une révision de la LIPH et/ou d'une mise en oeuvre d'une loi-cadre selon le modèle bâlois».

En conclusion, ce projet de loi représente un engagement fort en faveur du bien-être et de l'épanouissement des familles dans notre société. Je vous invite donc à le soutenir afin de concrétiser nos valeurs de solidarité, d'égalité et de justice sociale. Convaincue par mon argumentaire, je dépose deux amendements pour que le texte soit en conformité avec la définition légale d'une loi-cadre - c'est ce qui avait été proposé lors des travaux de commission:

«Art. 34 Référendum (nouvelle teneur)

En application de l'article 67, alinéa 3, de la constitution de la République et canton de Genève, du 14 octobre 2012, la présente loi est soumise au corps électoral.»

«Art. 35 Loi-cadre (nouvelle teneur)

Toute base légale contrevenant aux principes de la présente loi-cadre doit être modifiée en ce sens.»

Voilà, je vous remercie de votre attention.

Présidence de M. Thierry Cerutti, premier vice-président

Mme Sophie Demaurex (S). Mesdames et Messieurs les députés, il est tout à fait louable de vouloir améliorer la politique familiale en Suisse, et en cela, je remercie la rapporteuse de minorité - vous transmettrez, Monsieur le président de séance - d'aborder une telle thématique. Cependant, une loi spécifique est-elle vraiment nécessaire ? Ne conviendrait-il pas plutôt de renforcer les différents textes et dispositifs existants ?

Oui, il faut soutenir les structures familiales, et notre Etat a un rôle à jouer pour que, soit par l'accès aux soins, soit par l'accompagnement durant la grossesse et le soutien aux jeunes parents, nous puissions mener une véritable politique familiale.

La parentalité, parlons-en. A quand un vrai congé parental qui représenterait un vrai plus lors de la naissance d'un enfant ? Pouvoir concilier vie professionnelle et vie familiale grâce à un mode d'accueil serait indispensable. Aussi, l'adolescence constitue un moment de grandes turbulences qui doit être accompagné. Les grands-parents ont également leurs besoins ainsi qu'un rôle à jouer. La proche-aidance envers les membres de la famille ayant besoin de soutien doit être valorisée et reconnue.

Que la vie des familles soit paisible ou un long chemin sinueux, notre Etat se doit de veiller à délivrer des prestations adaptées. Les initiatives et actions ne manquent pas, à nous de les valoriser: loisirs pour les jeunes, bourses d'études, permanences d'information, permanences juridiques, permanences de désendettement, associations de familles monoparentales, renforcement des dispositifs existants en matière de sécurité matérielle des familles, adaptation des subsides d'assurance-maladie, indexation des forfaits d'entretien, adaptation des prestations complémentaires destinées aux familles... En faire le tour de façon exhaustive prendrait bien plus de temps que celui qui m'est imparti.

Ce projet de loi, quoique bien intentionné, semble redondant par rapport à d'autres lois qui couvrent déjà de nombreux aspects de la politique familiale, comme cela a été expliqué par la rapporteuse de majorité. Apporte-t-il de nouvelles idées et solutions concrètes pour résoudre les problèmes auxquels les familles genevoises sont confrontées ? La complexité et l'étendue du texte pourraient le rendre difficile à mettre en oeuvre et à gérer. Un projet plus sobre et synthétique aurait sans doute été plus efficace et facile à comprendre pour tous.

En conclusion, bien que nous partagions l'idée d'améliorer la politique familiale, nous pensons qu'en l'état, cet objet n'amène rien de plus, même si des actions concrètes restent à entreprendre. Aussi, Mesdames et Messieurs, nous vous invitons à le refuser. Merci.

Présidence de M. Alberto Velasco, président

Mme Ana Roch (MCG). Mesdames et Messieurs, cette proposition donne plutôt l'impression d'une usine à gaz, comme l'a souligné la rapporteure de majorité. La majorité des membres de la commission n'ont pas vu en quoi le texte pourrait apporter un plus au régime actuel; au contraire, il semble constituer une reprise de toute une série de domaines. Cette accumulation de dispositions légales crée une redondance sans qu'une direction claire soit donnée en matière de politique familiale. Nous ressentons une discordance entre l'intention initiale et la manière dont le projet de loi est rédigé, ce qui soulève des interrogations légitimes.

De plus, cette loi-cadre touche de nombreux autres textes législatifs, ce qui est problématique. Il est à craindre qu'elle comporte plusieurs contradictions du fait de sa forme même. C'est pourquoi la majorité de la commission a préféré ne pas entrer en matière, et pour les mêmes raisons, le MCG vous enjoint de faire de même. Nous devons veiller à ce que nos lois soient claires, cohérentes et efficaces, ce qui ne nous paraît pas être le cas de cette proposition. Merci.

M. André Pfeffer (UDC). Ce projet de loi de l'ex-PDC - aujourd'hui Le Centre - n'a obtenu le soutien d'aucun autre parti. Même les commissaires du Centre ont déclaré qu'en cas d'acceptation de l'entrée en matière, il nécessiterait le dépôt de plusieurs amendements. Le problème de ce texte est qu'il constitue un catalogue de bonnes intentions, une sorte de fourre-tout dont les actions sont beaucoup trop floues.

Voici deux exemples pris à l'article 3: «[Les mesures] favorisent la qualité des rapports entre les membres de la famille et l'épanouissement de la communauté familiale au sein de la société.» Puis: «Elles favorisent et soutiennent un cadre légal adapté aux nombreuses réalités familiales.» Je citerai encore l'article 4: «[L'Etat] n'intervient que si d'autres organismes publics et privés ne le font pas; au besoin, il joue le rôle de coordinateur. Il peut déléguer des tâches à des organisations à but non lucratif.»

Tout cela existe déjà, il n'y a rien de neuf. Mener une politique familiale et surtout soutenir les familles avec de jeunes enfants est admis par une très large majorité, mais ce projet de loi n'apporte aucune action nouvelle et concrète; il s'agit d'un mélange entre un catalogue de bonnes intentions et une loi-cadre tout court. Bref, Mesdames et Messieurs, je vous invite à suivre la très grande majorité des commissaires et à refuser ce projet de loi. Merci de votre attention.

Une voix. Bravo.

Mme Véronique Kämpfen (PLR). Vous l'aurez compris, Mesdames et Messieurs, le PL 12729 vise à instituer une loi-cadre en faveur des familles. Outre les difficultés juridiques engendrées par l'appellation «loi-cadre», cette typologie de loi n'existant pas stricto sensu, le projet de loi touche à de très nombreux domaines du droit. En effet, son objectif est de rassembler en un seul texte parlementaire tout ce qui a trait à la famille, allant des violences familiales aux aides et subsides en passant par la protection de la parentalité, la culture et le sport, la durabilité, la formation, l'emploi, l'aménagement, le logement, la fiscalité, etc., etc. - la liste n'est pas exhaustive.

La majorité de la commission des affaires sociales s'est rapidement rendu compte qu'un tel objet aurait des incidences majeures sur quasiment tous les domaines du droit, comportant un risque réel de création d'une usine à gaz, voire de déstabilisation d'institutions et de processus étatiques établis. Certes, tous ne fonctionnent pas à la perfection et les lire sous l'angle de la famille est intéressant d'un point de vue intellectuel, mais ces intentions se heurtent au principe de réalité. Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe PLR vous invite également à rejeter ce projet de loi. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Je prie l'assemblée de se prononcer sur ce texte.

Mis aux voix, le projet de loi 12729 est rejeté en premier débat par 76 non contre 6 oui.