Séance du
jeudi 30 mai 2024 à
17h
3e
législature -
2e
année -
2e
session -
6e
séance
M 2927-A
Débat
Le président. Nous enchaînons avec le traitement de la M 2927-A en catégorie II, trente minutes. La parole revient à M. Falquet.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, en 2020, le département de l'instruction publique a décidé d'interdire aux enseignants de procéder à des épreuves en date du 14 juin, soit en pleine période d'examens pour le secondaire II. Pourquoi ? Pour permettre aux jeunes de participer à la grève féministe. C'est un peu spécial, mais c'était le choix du département de l'instruction publique de l'époque. Genève est le seul canton suisse à avoir imposé aux enseignants de ne pas tenir d'épreuves le jour de la grève des femmes.
Evidemment, cette mesure a eu des conséquences. Le premier effet immédiat, c'est le rallongement de la période d'épreuves. Par ailleurs, on nous a expliqué qu'il n'était pas nécessaire de renoncer aux évaluations ce jour-là, car les cortèges se tiennent le soir, on pourrait très bien adapter les horaires des examens au lieu de donner congé aux élèves.
Cette proposition de motion, qui a été déposée par le PLR, demande simplement de rétablir le 14 juin comme une date normale d'examens de fin d'année. Le texte invite également le Conseil d'Etat à édicter des principes ainsi que des règles strictes et claires concernant toutes les manifestations extrascolaires. En l'occurrence, il s'agit de la grève des femmes, mais il pourrait y avoir la légalisation du cannabis, le DIP pourrait décider de libérer les jeunes pour leur permettre de manifester en faveur de n'importe quelle cause.
Mesdames et Messieurs, la mission de l'école, c'est déjà de tenir le programme d'enseignement et surtout de faire en sorte que les élèves réussissent leurs études et restent concentrés sur leur travail, particulièrement en période d'épreuves. Par ailleurs, à titre personnel - mais je ne suis certainement pas le seul à le penser -, j'estime que le DIP doit rester neutre et n'a pas pour vocation de formater les jeunes pour les sensibiliser à des causes idéologiques, c'est évident. Pour toutes ces raisons, la commission de l'enseignement, dans sa majorité, vous propose d'accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat. Merci.
Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de minorité ad interim. Il est des sujets qui sont tout à fait politiques au sens qu'ils concernent les citoyens et citoyennes, mais qui pâtissent lorsque les politiciens et politiciennes s'y intéressent; c'est le cas de cette motion liée à la grève des femmes. La présente proposition de motion remet en cause une mesure organisationnelle du DIP, soit le fait de ne pas fixer d'examen le 14 juin afin de permettre aux élèves qui le souhaitent de participer à cette manifestation, et ce alors que cette décision ne pose, contrairement à ce qu'indique le rapporteur de majorité, aucun problème.
En effet, les travaux de la commission ont démontré qu'il n'est pas problématique pour les établissements concernés de ne pas prévoir d'épreuves le 14 juin, la session d'examens ne s'en trouve ni prolongée ni repoussée, et selon les propos mêmes du directeur au DIP, l'impact opérationnel est relativement limité, il y a toujours des jours sans épreuves, alors que ce soit le 14 juin ou un autre, cela ne fait pas grande différence - c'est moi qui ajoute le fait que cela ne fait pas grande différence.
Ce texte remet en question une position pragmatique qui n'avait pas d'impact négatif pour proposer une mauvaise solution. Et au nom de quoi ? Au nom d'une vision de principe de l'école limitée à l'évaluation, au nom d'une opposition à la grève féministe, mouvement social et politique qui semble effrayer les bancs majoritairement masculins des partis qui ont adopté la motion en commission.
La minorité a une vision plus complète de l'école, de l'instruction et de son rôle. L'école, ce n'est pas uniquement remplir des jeunes têtes de savoirs pour qu'elles réussissent des examens; l'école, c'est aussi l'éducation citoyenne, c'est encourager les élèves à s'engager dans la vie politique, dans la vie sociale, dans la défense de leurs droits, surtout quand il s'agit, dans le cas de la grève féministe dont nous parlons aujourd'hui, des droits d'une moitié de la population - enfin non, pardon: il s'agit des droits de l'entier de la population, qui bénéficiera d'une société plus égale.
L'école, c'est encore permettre aux jeunes d'exercer leurs droits humains. N'en déplaise à la majorité, la liberté de manifester constitue un droit humain fondamental - comme nous le rappellent les échos que l'on entend aujourd'hui - qui appartient aussi aux jeunes. Le droit à la liberté d'association et de réunion pacifique est garanti non seulement par notre Constitution fédérale et notre constitution cantonale, mais aussi par la Convention relative aux droits de l'enfant à son article 15, convention qui a été ratifiée par la Suisse en 1997 déjà. Le droit de manifester et de se réunir est d'autant plus important pour des jeunes qui, pour beaucoup d'entre eux, ne peuvent pas encore voter.
La minorité aimerait rappeler que le droit de réunion pacifique ne peut faire l'objet de restrictions que si cela est prévu par la loi et dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sécurité publique, de l'ordre public, pour protéger la santé ou la moralité publiques ou pour préserver les droits et libertés d'autrui. Le fait d'indiquer que des examens ne devraient pas avoir lieu le 14 juin pour des raisons organisationnelles, sans qu'il y ait aucune conséquence sur le calendrier scolaire, ou d'aller encore plus loin et d'établir des conditions exceptionnelles pour autoriser la participation à une mobilisation telle que la grève du climat - et non à une manifestation pour le cannabis dont on n'a jamais parlé - ne justifie pas une restriction générale au droit fondamental de réunion pacifique. Nous sommes suffisamment épinglés en Suisse, notamment par Amnesty International, en raison de nos violations du droit de manifester pour ne pas en commettre d'autres.
Mesdames et Messieurs les députés, la minorité vous invite à refuser cette proposition de motion qui polarise inutilement un sujet non problématique afin de s'attaquer de manière détournée à la grève féministe et à ses revendications d'égalité tout en violant le droit de réunion pacifique des enfants et des jeunes. Montrons aux élèves du secondaire II que leur avis compte. Si nous voulons de futurs citoyens qui s'engagent, qui votent, qui croient en notre système politique, il ne faut pas les priver de leur droit d'y participer. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Laura Mach (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette motion a été présentée, discutée et votée en une seule séance; un traitement express qui nous a sidérés. Il n'y a pas eu de temps pour une quelconque élaboration. L'audition de notre conseillère d'Etat décrite dans le rapport a été effectuée à la hâte, dans la foulée, sans avoir été formellement demandée, simplement car celle-ci assistait à la séance avec le directeur de l'enseignement secondaire. Les invites n'ont pas été étudiées, mais uniquement commentées sur un coin de table. Vite fait, bien bâclé !
Pourtant, le texte nécessite du travail. En effet, les trois premières invites proposent tout bonnement une rigidification de l'agenda scolaire pour interdire la libération des élèves le 14 juin, alors que le directeur du secondaire II relève qu'aucun problème d'organisation particulier ne s'est posé. Rigidifier là où il n'y a pas de problème, on n'en voit pas le sens.
Ensuite - et ce point nous paraît plus délicat -, les motionnaires s'insurgent contre le fait qu'il n'existe pas de critères stricts au DIP pour libérer les jeunes. Effectivement, il n'y en a pas. Mais s'il n'y en a pas, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas pour rien: c'est bien à l'école que doit revenir la décision de libérer les élèves, et non à l'Etat au gré de sa sensibilité politique. Etablir des critères stricts, comme le prévoit cette motion, c'est réduire l'autonomie des écoles, ce qui va à l'encontre des promesses de notre conseillère d'Etat et attaque l'autorité des directions d'établissement.
La faisabilité et la conformité au droit n'ont d'ailleurs pas du tout été examinées, le département n'ayant pas été auditionné correctement. Or il nous semble que le fait de libérer les élèves, que ce soit pour permettre la tenue de conseils d'établissement, pour participer à un projet pédagogique ou pour prendre part à un mouvement citoyen de forte ampleur, doit être laissé à la bonne appréciation des directions, dont le rôle est de veiller à tenir compte des différents mouvements à l'oeuvre dans leur école afin de conserver une atmosphère bienveillante et propice aux apprentissages. Mesdames et Messieurs, reprenons le travail et renvoyons cet objet en commission.
Le président. Je vous remercie. Sur la demande de renvoi en commission, la parole retourne aux rapporteurs. Allez-y, Madame Renold.
Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je soutiens la demande de renvoi en commission, notamment parce que la question de la liberté de manifester et de réunion n'a pas du tout été examinée et que les travaux ont été bâclés.
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs, le débat ne porte pas sur des causes à défendre, mais sur des principes et règles à établir par le DIP. Sinon, ce sera l'anarchie ! Il s'agit de principes à respecter, il n'est pas question de se mobiliser pour telle ou telle manifestation. Du reste, ce n'est pas le rôle du DIP de soutenir des causes qui, par ailleurs, peuvent poser problème dans certains cas. Nous refusons le renvoi en commission.
Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs, je mets aux voix la proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2927 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 56 non contre 28 oui.
Le président. Nous poursuivons le débat. La parole est à Mme de Planta.
Mme Francine de Planta (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il ne s'agit pas ici de remettre en cause le droit de grève des femmes du 14 juin et encore moins de rigidifier une situation. J'ai entendu, dans la bouche de la rapporteure de minorité, parler d'éducation citoyenne, dire que l'école devait inculquer le sens civique. Eh bien l'éducation citoyenne passe par le respect du calendrier scolaire, c'est le premier principe qu'il y a lieu d'observer.
Et si d'aventure des dérogations doivent être apportées par les directeurs d'établissement, cela doit se faire sur la base de critères stricts qui ont été déterminés au préalable. On ne peut pas accepter chaque année de déroger aux règles, ce d'autant que le 14 juin est un jour qui, très souvent, tombe en pleine période d'examens.
Mesdames et Messieurs, le PLR vous invite à soutenir cette motion, car il n'est pas question de modifier les horaires ni de rétrécir l'année scolaire. Le droit de manifester existe et peut s'exercer en dehors de l'école. Par ailleurs, la mesure est discriminatoire, puisqu'elle n'accorde pas les mêmes droits aux écoles professionnelles qui, elles, ne peuvent pas libérer les élèves. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, nous vous recommandons d'adopter cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Xavier Magnin (LC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, l'école est obligatoire et la formation également jusqu'à 18 ans, mais de toute évidence, les intérêts de chaque élève divergent. D'ailleurs, selon une récente étude helvétique, seuls 38% des jeunes genevois apprécient d'aller en cours à l'âge du cycle contre 51% pour le reste de la Suisse. On comprend tout d'un coup mieux l'intérêt de courir vers des manifestations sur les heures scolaires dès que cela est possible.
Il n'empêche qu'entre causes à défendre, école et surtout validation du parcours scolaire - je parle bien ici des examens finaux -, il n'y a pas photo: on ne prend pas le risque de mettre en péril la validation des années de formation d'un claquement de doigts, et si l'étudiant a plus de 18 ans, il doit assumer sa décision.
Les organisateurs de manifestation ont le loisir de prévoir des horaires appropriés, notamment en juin, sachant que les évaluations reviennent aussi sûrement que l'été, les vacances et Roland-Garros. Bien sûr, tout est important, toutes les causes sont urgentes et défendables, mais la formation et la validation des acquis représentent des étapes essentielles dans la construction d'une personne et de sa vie. Les examens sont bien déterminés, connus, attendus, et on n'a pas à s'adapter aux besoins d'autres organismes, lesquels peuvent plus facilement s'adapter et fixer des horaires en fonction de ce qui est traditionnel et important pour un étudiant.
Dans une contestation toujours aussi étonnante et systématique des autorités et des règles du bien-vivre en société, que ce soit la police, l'enseignement, le politique, il est bon, pour une frange de la population étudiante et studieuse de plus en plus chahutée et désécurisée, de savoir que certaines choses ne sont pas remises en cause en dernière minute. Il faut donc accepter ce texte.
Une voix. Bravo.
Le président. Merci, Monsieur le député. Est-ce que le caucus du parti libéral qui se tient tout au fond de la salle peut se dérouler ailleurs ? Merci. Je donne la parole à Mme Roch.
Mme Ana Roch (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, c'est le lieu ici de réaffirmer le rôle fondamental de l'école dans la transmission de savoirs aux élèves selon un programme, des règles, des critères clairs et établis. La majorité de la commission a été unanime sur ce point: l'organisation des examens ne doit en aucun cas être modifiée ou perturbée en raison d'une manifestation extrascolaire, quelle qu'elle soit. Il est primordial de garantir que les épreuves se déroulent dans les meilleures conditions possibles tout en respectant le droit des élèves à soutenir des causes qui leur tiennent à coeur.
Concernant la journée du 14 juin, comme cela est souligné dans les considérants de la motion, une simple adaptation des horaires en fin de journée permettrait aux élèves qui le désirent de participer aux cortèges de la grève des femmes sans pour autant perturber le bon déroulement des périodes d'examens. Le groupe MCG soutiendra cette motion telle que sortie de commission, sans y apporter de modifications, et vous enjoint de faire de même. Je vous remercie.
Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de minorité ad interim. Nous n'avons pas dû lire le même rapport ! Il n'y a pas de contradiction entre ce qui a été prévu par le DIP, c'est-à-dire ne pas fixer d'épreuves cette journée-là, et l'organisation des examens. Je vous rassure, Mesdames et Messieurs: depuis quatre ans, les élèves du secondaire II passent des examens, les réussissent ou y échouent, mais il n'y a pas eu de problèmes, il n'y a pas eu de mise en péril de la scolarité de tout le secondaire II depuis quatre ans.
C'est au contraire cette motion qui est extrêmement rigide, puisqu'elle prescrit, sans analyse au cas par cas, que le 14 juin doit être une journée d'examens et qu'il n'est pas possible d'assister à une manifestation.
Je vous rappelle que nous sommes liés par des principes constitutionnels, il existe des critères très précis quant à la restriction des droits fondamentaux - en fait, le cadre est déjà réglementé -, soit une base légale, la proportionnalité, un intérêt public, conditions qui s'examinent dans chaque cas. En l'état actuel des choses, si une fois, par hypothèse, un examen indispensable à la scolarité devait se dérouler le 14 juin, le DIP pourrait tout à fait le fixer ce jour-là, pas besoin de cette motion.
Cet objet extrêmement rigide propose de faire exactement le contraire, de partir du principe qu'il est toujours interdit d'assister à une manifestation le 14 juin. C'est pour cette raison qu'il faut absolument refuser ce texte qui viole nos principes constitutionnels de base s'agissant du respect des droits fondamentaux. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC), rapporteur de majorité. Oui, c'est vrai que toute règle peut avoir des exceptions, mais il faut quand même édicter des principes, des règles strictes concernant l'ensemble des manifestations extrascolaires, ne pas faire du militantisme au département de l'instruction publique, ne pas influencer les jeunes en faveur de telle ou telle cause. Chers collègues, la majorité vous demande d'accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat. Merci.
Mme Anne Hiltpold, conseillère d'Etat. Très rapidement, Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais pas vous indiquer ce que vous devez voter s'agissant de cette motion. Comme je la comprends, l'idée, si elle est acceptée, n'est pas d'imposer des examens le 14 juin, et ce qui s'est pratiqué jusqu'à maintenant devrait prévaloir, à savoir que pour les formations professionnelles, si des épreuves sont fixées le 14 juin, il est très compliqué de les déplacer. Partant, dans la mesure du possible, il faut éviter de prévoir des examens ce jour-là, surtout l'après-midi.
Voilà comment je comprends cette motion, voilà comment le département a procédé jusqu'à maintenant, et je pense que nous devrions continuer de la même manière. Je vous laisse décider dans quel sens vous voulez voter. Merci beaucoup, Mesdames et Messieurs les députés.
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes saisis d'un amendement présenté par Mmes Bartolomucci et Mach consistant à supprimer la première invite.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 59 non contre 25 oui.
Mise aux voix, la motion 2927 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 59 oui contre 25 non (vote nominal).