Séance du
vendredi 31 mai 2024 à
18h
3e
législature -
2e
année -
2e
session -
10e
séance
M 2846-A
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs, voici le dernier point - pour aujourd'hui, du moins: la M 2846-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Madame Buffet-Desfayes, nous vous attendons avec impatience... (Un instant s'écoule.) Voilà, vous avez la parole.
Mme Natacha Buffet-Desfayes (PLR), rapporteuse de majorité. Juste le temps de m'installer, et je suis opérationnelle pour ce rapport de majorité ! Merci, Monsieur le président. Pour rappel, Mesdames et Messieurs, le texte émane d'une forme de dispute entre le canton et la Ville. Selon nous, il était légitime d'exiger une plus grande participation de l'Etat à la lutte contre le sans-abrisme, mais le moyen formulé dans la motion de même que tout ce qui y est demandé ne correspondent plus à la réalité.
Les invites consistaient en la mise en place d'une plateforme de coordination pour traiter efficacement cette question et en l'identification de lieux d'hébergement pour les personnes sans abri. Il s'agit certes d'un problème majeur - nous y reviendrons plus tard -, mais dans l'intervalle, l'objet n'a plus de raison d'être. En effet, le dossier a énormément évolué: entre le moment où il a été déposé et celui où nous nous penchons dessus, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts.
De nouveaux lieux d'accueil ont été trouvés grâce à une forte collaboration entre le département de la cohésion sociale et l'office cantonal des bâtiments. De plus, je vous le rappelle, un vote très important a eu lieu qui a mené à une nouvelle loi sur l'aide sociale, laquelle - je vous le rappelle également - prévoit le partage des compétences entre le canton et les communes, et dans cette affaire, le canton s'est spécifiquement engagé en faveur de l'accompagnement sociosanitaire.
Par ailleurs, une nouvelle réglementation financière a été mise en place, dans le cadre de laquelle le rôle du canton, par le biais de la LRPFI, a été renforcé. Pour terminer, la plateforme demandée a été créée entre le dépôt du texte et aujourd'hui, et les acteurs qui manquaient peut-être un peu de dialogue et de collaboration à ce moment-là se réunissent régulièrement maintenant, visiblement.
C'est pour toutes ces raisons que nous vous appelons, même si la requête était légitime au moment où le texte a été lancé, à refuser celui-ci, de même que - nous en reparlerons sans doute plus tard aussi - la proposition d'amendement qui tente plus ou moins habilement de modifier la motion en se dirigeant vers une autre voie que celle qui constituait l'enjeu principal au départ, puisqu'elle se concentre sur l'aspect sanitaire et non plus sur la lutte contre le sans-abrisme.
Cette question a évidemment été abordée en commission, et il a été indiqué au parti socialiste, qui en faisait la mention pendant les travaux, que s'il y avait une requête allant dans ce sens, il conviendrait de rédiger un autre objet - puisque, je le répète, le texte de base n'abordait pas uniquement ce sujet, mais surtout celui de la lutte contre le sans-abrisme - qui, pour être traité correctement, nécessiterait d'être renvoyé à la commission de la santé. Mesdames et Messieurs, nous vous encourageons à refuser cette motion légitime à l'époque, mais qui n'a plus de raison d'être aujourd'hui. Je vous remercie.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de minorité. Nous rejoignons en partie les propos de Mme Natacha Buffet-Desfayes. La LAPSA a été votée le 3 septembre 2021, cette motion déposée le 16 mai 2022 et un an après, en avril 2023, est entré en vigueur le règlement d'application de la LAPSA - deux ans, tout de même, entre le vote de la loi dans ce parlement et son règlement d'application. Il est vrai que certains éléments datent, et c'est pourquoi nous en prenons acte en supprimant trois invites, mais en en gardant une qui nous semble centrale et qui ne relève pas uniquement de la santé, selon nous, mais vraiment d'un enchevêtrement de la santé et du social.
Et là, évidemment, je m'inscris en faux contre l'affirmation de Mme Buffet-Desfayes: la question sanitaire a un impact direct sur le sans-abrisme, à tel point que l'on constate aujourd'hui qu'un nombre grandissant de familles et d'enfants sont à la rue, et bien malin qui peut dire si cela découle d'une situation psychique fragile ou d'un manque d'abris qui conduit les personnes, à une vitesse accélérée, à développer des problèmes sanitaires. L'amendement vise à ne garder qu'une seule invite qui demande de se centrer sur les questions sanitaires et de santé psychique, de traiter la situation urgente du sans-abrisme et des personnes à la rue souffrant de troubles psychiques.
Aujourd'hui, on recense environ cinq cents places d'accueil - enfin, pas environ, il y a un dispositif de cinq cents places d'accueil -, mais, on le sait, toujours entre huit et neuf cents personnes qui dorment dans la rue, en majorité celles atteintes dans leur santé psychique. Si aucune intervention n'est faite, si des actions ne sont pas développées, le risque est que la situation de ces gens se détériore et qu'in fine, les coûts pour traiter et améliorer leurs conditions de vie soient extrêmement élevés.
Notre proposition est vraiment de nous concentrer sur une unique invite qui porte sur la question sanitaire des soins psychiques, en espérant qu'elle trouve un bon accueil à vos yeux et que le Conseil d'Etat puisse ainsi formuler des solutions sur ce sujet précis. Merci beaucoup.
M. Léo Peterschmitt (Ve). Les personnes à la rue ont le droit d'être logées et de recevoir des prestations de suivi sanitaire; cette idée devrait faire consensus, mais malgré les besoins et le manque de places, la présente motion n'a pas été accueillie favorablement en commission par la majorité de droite. Pourtant, quand on est à la rue, factuellement, statistiquement, on est en mauvais état de santé et l'accès aux prestations est plus difficile. C'est la double peine. Il n'est pas normal d'être à la rue, il n'est pas normal que l'accès au système de santé soit plus compliqué.
J'ajouterais même qu'il n'est pas normal d'être logé dans les conditions dans lesquelles sont accueillies les personnes dans l'urgence, notamment celles demandant l'asile. Prenons l'exemple de Palexpo - certes hors de la LAPSA, mais que dire des abris PC régulièrement réouverts et refermés ? -, Palexpo où l'hébergement se fait dans la promiscuité, dans les punaises de lit, dans les fientes de pipistrelles. Genève, cette fameuse terre d'accueil, mais qui souvent propose un accueil loin de conditions dignes.
Les Verts estiment que l'argument selon lequel l'application actuelle de la LAPSA répond déjà aux demandes n'est pas convaincant, dans la mesure où les auditionnés décrivent des besoins sur le terrain qui demeurent. La volonté politique est certes présente, mais elle n'est pas suffisante, car pas assez traduite en action. C'est la raison pour laquelle le groupe des Vertes et des Verts soutiendra la motion ainsi que l'amendement socialiste qui la cadre sur les enjeux sanitaires. Merci. (Applaudissements.)
M. Marc Saudan (LJS). Chers collègues, une fois de plus, on se retrouve face à un texte qui change un peu de direction au cours des débats. Les différentes auditions ont bien mis en avant un problème quant à la prise en charge, notamment des personnes souffrant de troubles psychiques, il y a un manque d'intervenants sur place. De ce côté-là, la proposition d'amendement de M. Thévoz est tout à fait pertinente, mais je rejoins la rapporteuse de majorité: je pense que pour régler ce sujet, il faut renvoyer la motion à la commission de la santé. Merci.
Le président. Je vous remercie. La parole retourne aux rapporteurs s'ils souhaitent intervenir sur cette requête. C'est à vous, Madame Buffet-Desfayes.
Mme Natacha Buffet-Desfayes (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Je précise mes propos: peut-être me suis-je mal exprimée, mais je considère qu'il faut déposer un tout nouveau texte traitant spécifiquement de cette question et ensuite le renvoyer à la commission de la santé, mais pas celui-ci. Merci.
Le président. Bien, merci. Je soumets aux votes de l'assemblée la proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2846 à la commission de la santé est rejeté par 69 non contre 8 oui.
Le président. Nous poursuivons le débat. La parole va à Mme Sophie Demaurex.
Mme Sophie Demaurex (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion a permis de discuter du sans-abrisme à Genève et du déploiement de la LAPSA, mais l'une des invites a retenu notre attention - nous venons d'en parler -, celle sur la santé et les moyens mis à disposition de la CAMSCO pour délivrer des forces sanitaires auprès de cette population.
Qu'en est-il de leurs problèmes de santé ? Il s'agit en grande majorité de troubles psychosociaux, de plaies, de lésions dermatologiques, de douleurs musculo-squelettiques, d'affections cardiovasculaires. Eh oui, la morbidité et le taux de mortalité des sans-abri sont sans commune mesure avec ceux de la population générale, particulièrement chez les jeunes et les femmes. En France, il a été identifié que l'âge moyen des sans-abri au moment du décès est de 49 ans. Les études concordent quant à la mortalité élevée attribuable à l'abus de tabac, d'alcool et à la consommation de drogues. Le tabagisme, y compris chez les femmes, est quatre fois plus fréquent que dans le reste de la population.
Les sans-abri sont excessivement exposés à la violence, aux accidents, aux intoxications, et le taux de mortalité lié au suicide est très élevé chez les jeunes. L'évolution de la santé des enfants et des jeunes mères est impactée par l'instabilité résidentielle et la durée du sans-abrisme. Chez les adultes d'âge moyen, on assiste à un phénomène de vieillissement précoce avec la survenue prématurée de maladies chroniques et dégénératives responsables d'excès de morbidité et de mortalité. Enfin, l'insécurité alimentaire joue un rôle prépondérant sur le développement des maladies métaboliques et carentielles.
Le plus souvent, les sans-abri ne disposent ni de médecin de premier recours ni de suivi médical régulier; de fait, ils sont des usagers fréquents des services d'urgence. Cette pratique est généralement considérée comme inappropriée, car les motifs sont rarement urgents; les résultats de la prise en charge sont insatisfaisants, les coûts élevés seraient évitables. Les personnes sans abri bénéficient peu d'interventions préventives et ne se rendent pas dans les institutions de soins classiques, craignant l'autorité, la facturation ou parce qu'elles sont en situation irrégulière. Des complications apparaissent ou des maladies chroniques se développent et engendrent des problèmes sur le long terme.
Il ne faut pas négliger l'importance des problématiques liées à l'hygiène et à la promiscuité dans la vie en foyer d'hébergement; les punaises de lit et la gale en sont des exemples, comme mon préopinant l'a relevé. La présence infirmière in situ permet d'évaluer l'état de santé en dépistant les maladies chroniques, en identifiant les situations à risque, en réorientant les personnes au sein du réseau et en évitant un recours aux urgences. C'est s'inscrire dans une vision plus large de promotion de la santé et de réduction des inégalités sociales liées à un accès aux soins primaires que de renforcer l'action sanitaire dans tous les lieux d'hébergement. Aussi, nous vous demandons de soutenir cette motion avec son amendement. Merci. (Applaudissements.)
M. Amar Madani (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, il faut rappeler que cette problématique reposait depuis une vingtaine d'années sur le dos de la Ville de Genève. Face à l'explosion du phénomène, concentré en grande partie sur le territoire municipal, le canton, les communes et la Ville ont entamé des négociations qui ont abouti au projet de loi 12911, lequel offre un compromis pour faire face à cette situation. En effet, la loi votée par notre Grand Conseil prévoit une péréquation pour une mutualisation des efforts afin de mener cette tâche à bien.
Quant à cette proposition de motion qui date de mai 2022, soit d'avant la mise en place de la nouvelle loi - laquelle répond de manière satisfaisante à une partie des invites du texte -, le MCG la votera si l'amendement est accepté afin de donner un signal fort aux partis concernés de près ou de loin par cette thématique. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs.
Mme Patricia Bidaux (LC). Je serai très brève, puisque beaucoup de choses ont déjà été dites. Il faut relever ici les nombreux aspects qui ont évolué, mais ce qui a évolué aussi - et on le constate malheureusement aujourd'hui -, c'est la situation sanitaire des personnes qui sont soit accueillies, soit sans domicile. Le Centre, au vu de l'amendement déposé par le rapporteur de minorité, acceptera la motion uniquement si l'amendement est voté également. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. J'ouvre la procédure de vote. Avant de nous prononcer sur ce texte, il s'agit de statuer sur l'amendement déposé par M. Thévoz, qui consiste à biffer les invites 2 à 4.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 58 oui contre 24 non.
Mise aux voix, la motion 2846 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 56 oui contre 26 non (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)