Séance du
vendredi 22 mars 2024 à
14h
3e
législature -
1re
année -
10e
session -
64e
séance
P 2172-A
Débat
La présidente. Nous en arrivons aux pétitions, qui sont classées en catégorie II, trente minutes. Voici la première: la P 2172-A. Si les rapporteurs souhaitent s'exprimer, je leur donne volontiers la parole; sinon, elle ira aux autres intervenants. (Un instant s'écoule.) Très bien, Madame Marjorie de Chastonay, c'est à vous.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition a été déposée le 14 juin 2023 à l'occasion de la grève féministe. Le 8 mars, soit la journée des droits des femmes, a eu lieu il y a quelques jours; alors je sais que ce n'est qu'une journée dans l'année, mais elle consacre des revendications extrêmement importantes.
La P 2172 concerne trois droits: le droit des femmes à retourner au travail après une maternité, donc à trouver une place en crèche pour leur enfant, le droit des femmes à bénéficier de conditions de travail dignes - je parle de l'accueil préscolaire - et le droit des enfants à recevoir une éducation de la part d'un personnel qualifié et formé. Ce texte défend donc les familles et l'égalité entre femmes et hommes; il exige essentiellement davantage de moyens pour garantir la relève du personnel ainsi que des conditions de travail dignes.
Pourquoi ? Parce que le personnel de terrain, essentiellement des femmes, en a marre: marre que rien ne bouge, ou presque rien. C'est pour cette raison également que les employées des structures d'accueil préscolaire genevoises ont transmis un cahier de revendications à leurs employeurs. J'en citerai quelques points saillants qui sont identiques aux demandes de la pétition, puisqu'elles veulent une réelle reconnaissance de leur métier, des conditions de travail dignes et proposent les mesures suivantes.
Premièrement, une revalorisation salariale des ASE, soit des éducateurs et éducatrices de l'enfance, des cadres des structures d'accueil préscolaire, du personnel administratif et technique. Deuxièmement, une véritable amélioration salariale. Troisièmement, des mesures de reconversion professionnelle et en formation duale pour résorber la pénurie. Quatrièmement, une politique de remplacement efficace avec des postes en CDI hors dotation en suffisance et la fin des contrats précaires, c'est-à-dire sur appel. Cinquièmement, le respect des horaires planifiés afin de pouvoir concilier travail, famille et vie privée. Sixièmement, des moyens supplémentaires pour les enfants à besoins spécifiques - oui, ça commence dès le plus jeune âge. Il y en a encore bien d'autres, je m'arrêterai là.
La pétition que nous traitons aujourd'hui est cohérente, car elle rassemble les besoins du personnel dans ce secteur et ceux de la population. On sait que l'offre s'élève à seulement une trentaine de pour cent alors que la demande explose. Il est indispensable d'augmenter le nombre de places en crèche, mais sans baisser la qualité de l'accueil et surtout sans le faire sur le dos d'autres femmes, à savoir sans détériorer des conditions de travail qui sont déjà physiques et fatigantes.
Pour ces raisons, nous, les Vertes et les Verts, refuserons le dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Nous soutenons également le référendum pour protéger les conditions de travail dans les crèches de même que la qualité de l'accueil des enfants. Pour les enfants, pour les familles, pour la population, mais surtout pour les femmes, merci ! (Applaudissements.)
M. Alexis Barbey (PLR). Mesdames les députées, Messieurs les députés, le PLR est d'accord avec le constat dressé par cette pétition: il manque des places en crèche. Là s'arrête le discours consensuel, parce que notre solution ne passe pas par les mesures que vient d'évoquer Mme de Chastonay, mais par le développement des crèches privées. Il faudrait assouplir les normes des lieux d'accueil ainsi que les taux d'encadrement. A l'heure actuelle, une formation courte de deux ans est disponible pour les détenteurs d'un CFC d'assistant socio-éducatif et il y a du personnel désireux de travailler dans cette branche. L'objectif est d'élargir la base des personnes ayant accès aux crèches sans perte de qualité.
D'autre part, ce problème concerne essentiellement les communes, puisque le canton ne s'occupe que de la formation, pas de la mise à disposition d'employés ou de lieux d'accueil. Pourquoi le Grand Conseil est-il saisi de cette pétition ? A nos yeux, il s'agit d'une faillite du dialogue social, d'un échec des négociations budgétaires. Notre parlement n'est pas une rustine que l'on place sur un échange raté. Dès lors, il faut déposer la P 2172 sur le bureau du Grand Conseil.
La présidente. Je vous remercie. Ah, les rapporteurs se réveillent ! Je vais leur céder la parole dans l'ordre prévu à la fin d'un débat, donc elle va d'abord à M. Romain de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Les rapporteurs se réveillent, mieux vaut tard que jamais ! Mesdames et Messieurs, en tant que représentants, hélas, de la minorité - qui, je l'espère, se transformera en majorité -, nous soutenons cette pétition qui demande simplement d'augmenter les budgets publics en faveur des structures d'accueil préscolaire tout en garantissant la qualité de celles-ci.
Alors que Genève, année après année, enregistre des excédents aux comptes, parfois de plusieurs milliards, je pense qu'on peut se permettre de vouloir pour les plus petits des lieux d'accueil qui puissent garantir - c'est ce que vise ce texte - la formule «un enfant égale une place en crèche» de même qu'une certaine qualité de prise en charge. Nous vivons dans un canton qui perçoit des bonis de plusieurs milliards chaque année et on entend quand même une partie de cet hémicycle soutenir qu'il faut diminuer la qualité d'encadrement de nos enfants !
Je crois que ce serait une erreur, surtout quand on sait - et la conseillère d'Etat Anne Hiltpold, qui n'est malheureusement pas là, l'indiquait très clairement dans sa feuille de route - que les premières années sont essentielles au développement de l'enfant. Il ne s'agit pas d'apporter des solutions au rabais pour les petits mais, bien au contraire, d'investir pour leurs premières années, des années fondamentales à leur bon développement.
Maintenant, j'entendais hier Le Centre évoquer une solution... Ah, voilà Mme la conseillère d'Etat, dont je parlais juste avant ! J'entendais hier le groupe du Centre évoquer ce qui constitue une fausse bonne idée, à savoir des bons de crèche, mais en pointant du doigt ce qui est vrai, c'est-à-dire le manque de places dans les structures d'accueil préscolaire. Vous le savez, la moyenne cantonale s'élève à 31%, c'est-à-dire qu'il y a 31 places pour cent enfants. Il existe un objectif vraiment ambitieux que nous partageons - qui, de nouveau, a été mentionné par la conseillère d'Etat - et qui consiste à atteindre un taux de 44% en 2029. 44% en 2029, il faut y arriver !
La présente pétition va exactement dans ce sens: investir plus de ressources publiques pour les structures de la petite enfance. Je ne vois pas du tout en quoi déposer ce texte sur le bureau du Grand Conseil nous aidera à atteindre le but voulu par le Conseil d'Etat, à savoir davantage de lieux d'accueil préscolaire et de qualité. La qualité est essentielle. Je sais que ce parlement va ouvrir le débat sur la qualité, c'est-à-dire sur les normes que l'on souhaite fixer en matière d'encadrement de la petite enfance. Quand on réalise chaque année des excédents aux comptes, on peut se permettre une prise en charge de qualité pour nos enfants. C'est la raison pour laquelle je vous invite à refuser le dépôt de cette pétition et à l'adresser au Conseil d'Etat.
M. Xavier Magnin (LC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs, chers collègues, il faut faire une différence entre l'intitulé de la P 2172, à savoir «Plus de moyens pour garantir la relève du personnel et des conditions de travail dignes dans le cadre d'un service public», et ce qu'elle demande. Cette pétition ne va pas dans ce sens-là, absolument pas. In fine, les pétitionnaires veulent davantage de moyens, oui, mais surtout une place pour un enfant. Une place pour un enfant, c'est 100% d'accueil. La recommandation de la FDAP est de 44%, objectif qui a été repris par le Conseil d'Etat. Actuellement, on est à 33%.
Certes, il faut déployer des efforts, mais par ailleurs, le texte vise à ce qu'on traite le personnel de façon digne. Or quand on voit le nombre de parents qui cherchent à placer leur enfant en crèche, ça montre quand même qu'il n'y a pas de problème, que les conditions sont dignes, que les gens sont bien formés, que ça se passe bien. Voilà le travail digne qui est demandé dans cette pétition.
Il faut effectivement former plus de monde pour accueillir les enfants et répondre à la demande, et c'est bien sur l'axe de la formation qu'on doit faire la différence. En effet, certaines crèches ne sont pas ouvertes totalement par manque de personnel.
Entre l'invite de la pétition, son titre et l'exposé des motifs, il y a des variations et un manque de cohérence qui fait que la commission devrait finalement la renvoyer à l'Association des communes genevoises, car ce sont les communes qui sont chargées de la petite enfance et des places en crèche pour répondre aux besoins des parents.
Oui, des conditions dignes sont assurées; oui, le traitement du personnel est garanti. Une place pour un enfant, ce n'est pas ce qui est recommandé, ce n'est pas ce qui est demandé, et les moyens à disposition viennent majoritairement - très majoritairement ! - des communes, à l'exception d'une petite partie de la FDAP. Par conséquent, la majorité de la commission a estimé que cette pétition n'atteignait pas son but, n'était pas adressée au bon endroit et souhaite la refuser ou la déposer sur le bureau du Grand Conseil.
La présidente. Merci. (Remarque.) Je ne donne plus la parole après les rapporteurs, le débat est terminé. (Remarque.) C'était la conclusion de la discussion; ils n'ont pas fait l'ouverture, mais bien la fermeture ! (Commentaires.)
Une voix. Non, mais il faut un minimum de discipline, un minimum ! Il faut juste arrêter, quoi !
La présidente. Je suis d'accord avec vous. Nous passons au vote sur les conclusions de la majorité, à savoir le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport (dépôt de la pétition 2172 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 55 oui contre 28 non (vote nominal).