Séance du
jeudi 21 mars 2024 à
17h
3e
législature -
1re
année -
10e
session -
62e
séance
PL 13056-A
Premier débat
La présidente. Nous passons au PL 13056-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de M. Patrick Malek-Asghar est repris par M. Pierre Nicollier, à qui je donne la parole.
M. Pierre Nicollier (PLR), rapporteur ad interim. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je souhaiterais tout d'abord remercier M. Patrick Malek-Asghar pour son excellent rapport. La commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport a examiné entre mai et octobre 2022 le PL 13056, qui propose une modification de la loi sur l'instruction publique impliquant une augmentation de 254 classes, soit plus de cinq mille élèves qui devraient largement être accueillis dans des containers compte tenu du manque de locaux dans le canton. Ce projet de loi pourrait d'ailleurs s'intituler: «Envoyons nos enfants dans des containers !»
Quand bien même ce projet semble de prime abord peu raisonnable, je vais vous le présenter de la manière la plus objective possible. Il comprend trois volets. Le premier prévoit de limiter à 18 ou moins le nombre moyen d'élèves par classe de l'enseignement primaire à l'échelle du canton, en imposant qu'aucune classe ne compte plus de 22 élèves, et que ces valeurs soient réduites de deux unités au sein du réseau d'enseignement prioritaire (REP).
Le deuxième prévoit de fixer à 16 au maximum le taux d'encadrement au degré primaire à l'échelle du canton et à 14 au maximum au sein du REP. Pour information, en 2022, lorsque nous avons traité ce texte, le taux d'encadrement était de 15,9. Ce deuxième point n'est donc pas très intéressant et ne devrait pas nous faire perdre trop de temps.
Le troisième propose que les charges découlant de l'application des dispositions prévues aux deux volets précédents soient considérées comme des charges contraintes lors de l'élaboration du budget de l'Etat, ceci par une modification de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat, ce qui aurait pour effet de les soustraire au mécanisme des douzièmes provisoires, dans l'hypothèse où le budget ne serait pas voté par le Grand Conseil.
Pour analyser ces propositions, la commission a naturellement auditionné la première signataire du projet de loi, ainsi que le département de l'instruction publique, mais également l'Association des communes genevoises et la Société pédagogique genevoise. Les débats ont porté sur la situation actuelle, la pertinence de fixer les règles proposées au regard de celle-ci et des explications reçues du DIP à son sujet, les conséquences quant aux postes à créer et aux classes d'école à construire, ainsi que sur l'impact financier. Le projet de loi a été rejeté par la commission à l'issue de ces débats.
Au 31 décembre 2020, il y avait en moyenne 19,9 élèves par classe et 314 classes comptaient plus de 22 élèves. En principe, les effectifs sont adaptés aux spécificités des écoles, et ils figurent dans le règlement d'application. Le Conseil d'Etat avait évalué à 254 classes, soit 305 ETP, les besoins en personnel pour répondre à ce projet de loi. Le comité de l'ACG a examiné ce texte sous l'angle des bâtiments scolaires. Il estime que s'il était accepté, il faudrait augmenter rapidement le nombre de classes, et des containers devraient être mis en place. Pour rappel, le coût d'une classe se situe entre 1,5 et 3,5 millions de francs d'investissement.
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Pierre Nicollier. Merci, Madame la présidente. Ces chiffres tiennent compte du groupe scolaire complet, sur la base du règlement de 2022. Durant les travaux, le DIP avait rappelé qu'il faisait face à un développement démographique soutenu avec des conséquences sur les besoins en infrastructures collectives. Sachant qu'il y avait en 2020 environ 40 classes disponibles dans tout le canton, il faudrait construire 14 à 15 écoles de plus pour répondre à la demande: 14 écoles de 15 classes à 2,5 millions en moyenne, soit plus de 37 millions par établissement. Nous parlons donc d'une charge pour les communes de plus d'un demi-milliard - c'est le coût d'investissement de cette proposition. Mais ne vous inquiétez pas, la construction d'un nouveau bâtiment prenant quinze à vingt ans, les communes auront le temps de voir venir ! Pendant ce temps, cinq mille élèves seraient cloisonnés dans des containers !
Je tiens par ailleurs à souligner que dans son positionnement, le DIP indiquait que le nombre moyen d'élèves par classe était une question moins importante que le taux d'encadrement des élèves, pour lequel nous répondons déjà aux exigences du projet de loi. La proposition de la nouvelle magistrate est d'ailleurs d'augmenter le taux d'encadrement dans les petites classes (1P et 2P). Bonne nouvelle, ce projet fait partie de la feuille de route présentée par la conseillère d'Etat le 15 février dernier.
La majorité de la commission vous demande de bien vouloir refuser d'envoyer les élèves dans des containers et donc de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi farfelu. Merci.
M. Jean-Charles Rielle (S). Chères et chers collègues, surprenant, un projet de loi socialiste dont l'entrée en matière est refusée sans qu'il y ait de rapport de minorité, ce qui laisse croire que la majorité nous avait convaincus ! En effet, il y a eu maldonne, d'où cette absence de rapport et le fait que j'ai seulement trois petites minutes pour essayer de vous convaincre de voter l'entrée en matière sur ce projet de loi, qui est loin d'être farfelu.
Ce texte veut, sans revenir sur les trois volets déjà considérés dans le rapport, baisser le nombre d'élèves par classe et augmenter le taux d'encadrement, avec davantage d'enseignants d'appui dans différentes disciplines. L'objectif est d'améliorer l'environnement de travail et le climat scolaire, d'augmenter le temps à disposition pour le suivi individuel afin de prendre en compte les besoins particuliers de l'ensemble des élèves et de lutter contre le décrochage scolaire, ce dès les premières années et déjà en préscolaire.
Quatre auditions ont été menées par la commission, celles de la première signataire, du DIP, de l'ACG et de la SPG, qui ont porté sur la situation actuelle, la pertinence de fixer les règles proposées au regard de celle-ci et les explications du DIP. C'est un choix politique que de réduire le nombre d'élèves par classe. La SPG indique être en accord avec ce projet de loi. Sur la base des moyens octroyés à l'école primaire, on ne peut pas pleinement respecter l'article 50 LIP, à savoir prendre en considération les élèves à besoins particuliers. La seule nuance à apporter, c'est qu'il n'est pas tenu compte des doubles degrés et que contrairement au cycle d'orientation, les élèves ne peuvent être déplacés, car ils doivent aller à l'école la plus proche de leur domicile. Il faudrait mettre des forces dans les tout premiers degrés et baisser les effectifs en 1P et 2P, mais pas au détriment du cycle moyen sous prétexte que plus grands, ils sont plus autonomes.
L'ACG a examiné ce projet de loi sous l'angle des bâtiments scolaires. Elle estime que s'il est accepté, il faudra donner aux communes le temps de s'adapter et envisager une certaine flexibilité.
Le DIP rappelle qu'il faut faire face à une explosion démographique. Cela a des conséquences sur les besoins en infrastructures collectives, et l'augmentation des besoins du parascolaire est une conséquence sociétale. Lorsqu'il y a plus d'élèves, il faut prévoir plus d'encadrement. Le DIP soutient ainsi le lien fait entre l'augmentation démographique et les moyens à allouer sur le terrain. Il faut se concentrer sur le taux d'encadrement. Une des pistes d'avenir est le co-enseignement, soit deux enseignants en classe. Le DIP fera volontiers des propositions sur l'amélioration envisagée du taux d'encadrement, notamment via l'augmentation de ce taux d'encadrement dans les petites classes (1P et 2P) par des postes de soutien, par exemple un toutes les quatre classes. Si la plénière souhaitait entrer en matière sur ce projet de loi, c'est dans ce sens qu'il faudrait aller.
En conclusion, les socialistes vous recommandent, comme en commission, de soutenir l'entrée en matière sur ce projet de loi, ce qui permettrait de l'amender en deuxième débat afin de tenir compte des propositions faites en commission. Merci, Madame la présidente. (Applaudissements.)
Mme Laura Mach (Ve). Ce projet de loi tend à répondre à la difficulté rencontrée par les enseignants aujourd'hui, notamment au primaire, en raison de l'augmentation des difficultés des élèves présentant de multiples troubles des apprentissages. Ces enfants demandent une attention supplémentaire, et la diminution du nombre d'élèves par classe est une façon de répondre à cette problématique.
Les auditions préliminaires à l'entrée en matière pour ce projet de loi ont montré que des mesures doivent en effet être prises pour assurer la qualité de l'enseignement et éviter l'épuisement des enseignants. Cependant, il s'avère qu'abaisser le nombre d'élèves à un taux moyen de 18 par classe nécessiterait la construction d'une quinzaine d'écoles primaires et la création de plus de deux cents postes. C'est une réalité dont il faut tenir compte. Une possibilité serait de travailler sur le taux d'encadrement plutôt que sur le nombre d'élèves par classe, et ceci pourrait être fait notamment pour les premiers degrés avec un impact budgétaire modéré. Nous vous demandons donc un renvoi en commission afin que cette option puisse être envisagée. Merci.
La présidente. Je vous remercie. Je donne la parole au rapporteur sur cette demande de renvoi.
M. Pierre Nicollier (PLR), rapporteur ad interim. Merci, Madame la présidente. Je crois qu'il est clair que ce projet de loi n'a pas d'avenir, raison pour laquelle à mon sens nous pouvons immédiatement nous prononcer à son sujet. Je vous demande donc de refuser le renvoi en commission.
La présidente. Je vous remercie. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13056 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 55 non contre 28 oui.
La présidente. Nous continuons notre débat. La parole est à M. Arber Jahija.
M. Arber Jahija (MCG). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi demande l'introduction d'une limitation des effectifs d'élèves par classe ainsi qu'une augmentation du taux d'encadrement dans les écoles primaires de tout le canton. En d'autres termes, si ce texte était accepté, il faudrait créer plus de 250 nouvelles classes et ouvrir plus de 300 nouveaux postes supplémentaires à l'Etat.
Ce type de proposition ne tient pas compte du phénomène de pic démographique que connaît Genève, dont les infrastructures scolaires sont déjà surchargées. Etant donné les difficultés liées à sa mise en oeuvre ainsi que les conséquences financières de ce projet de loi, le MCG le refusera. Merci, Mesdames et Messieurs, de votre attention.
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, bien entendu, l'intention de ce projet est louable: si on a les moyens, pourquoi ne pas réduire la taille des classes à douze, treize ou quatorze élèves ? Mais il faut d'abord se demander si nous en avons les moyens, non seulement financiers, mais bien évidemment aussi si nous disposons des enseignants et de l'espace physique nécessaire. Par ailleurs, la situation démographique de notre canton montre que de plus en plus de gens sont intéressés à vivre à Genève, à y travailler. L'immigration fait que de plus en plus de gens s'y installent.
Je pense que ce projet de loi ne peut pas être concrétisé cette année ni dans quatre ou cinq ans. Avant de penser à une telle proposition, certes louable et appréciée par le groupe LJS, qui en remercie son auteure, il faut en avoir les moyens humains, physiques ainsi que financiers. Ainsi, le groupe LJS vous invite à ne pas entrer en matière sur ce texte.
M. Souheil Sayegh (LC). Chers collègues, tout d'abord, qu'il me soit permis ici de remercier les enseignants de nos petits enfants, de la 1P à la 8P, qui font un job admirable - le matin, quand j'amène ma fille à l'école, je vois les gamins tout contents de courir pour aller dans leur classe, raison pour laquelle je me permets ici de les remercier encore une fois.
Ce projet de loi a été déposé en plein covid, c'était une forme déguisée d'augmentation de l'effectif des enseignants: on diminue le nombre d'élèves par classe, du coup il faut un peu plus d'enseignants. On était à l'époque dans la guerre: «Il nous faut encore plus de postes et de soutien parce que nos enfants sont tous en difficulté croissante ! C'est terrible, il faut absolument les aider !» Ce n'est pas la vision de la société que nous avons actuellement au Centre.
Nous l'avons compris, il faut construire, donc il faut de l'argent. Il faut non seulement de l'argent, mais aussi de la place. C'est aux communes de se débrouiller, de trouver la manière de gérer le logement, les écoles, les crèches et autres ! Mon propos ne consiste pas à dire qu'il ne faut pas d'écoles, qu'il ne faut pas de classes, qu'il ne faut pas d'enseignants, mais tout ça se prépare et ne se décide pas sur la base d'un texte déposé en plein covid.
Par conséquent, même si cet objet part d'une bonne intention, aujourd'hui nous avons une nouvelle magistrate à la tête du département, qui nous a dévoilé sa feuille de route. Laissons-la mener le travail qu'elle a prévu, ne lui proposons pas et ne lui imposons pas des normes qu'elle n'a pas décidées. C'est pour les raisons que je viens d'évoquer, et tout en remerciant encore une fois les enseignantes et enseignants, que Le Centre vous propose de rejeter ce projet de loi. Merci.
M. Pierre Nicollier (PLR), rapporteur ad interim. Je serai bref. Bien entendu, nous remercions également tous les enseignants, qui sont dévoués à leur travail, mais à nouveau, nous ne souhaitons pas que cinq mille enfants soient scolarisés dans des containers pendant quinze à vingt ans. Nous y sommes opposés autant pour les enfants que pour les enseignants. Je vous invite donc à refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mme Anne Hiltpold, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, beaucoup de choses ont déjà été dites de la part de la majorité sur le fait qu'évidemment, dans un monde idéal, nous souhaiterions avoir le moins d'enfants possible dans les classes, également le plus d'enseignants possible pour encadrer nos enfants; mais nous sommes quand même confrontés à un principe de réalité. Ce dernier n'est pas que financier, j'aimerais le préciser: vous avez entendu que les communes genevoises sont aussi dans des situations compliquées, il se pose également une problématique liée aux bâtiments.
Ce que je n'ai pas entendu, sauf erreur, c'est le fait qu'on fixe dans une loi un nombre d'élèves par classe: cet élément est problématique pour le Conseil d'Etat, pour mon département, parce qu'aujourd'hui, nous avons une certaine souplesse du fait qu'il s'agit de normes posées dans un règlement, ce qui fait que nous pouvons y déroger. Alors nous ne le faisons pas de gaieté de coeur, mais parfois, c'est aussi dans l'intérêt des enfants, notamment d'enfants qu'on peut ainsi ne pas déplacer: si on devait respecter strictement des normes posées dans une loi, on pourrait être amené à proposer à des enfants, notamment dans de petites écoles, d'aller dans l'école du village d'à côté, parce qu'on n'ouvrirait pas une classe pour deux élèves supplémentaires. Cette proposition pose ce problème de rigidité et ne permet pas la souplesse nécessaire.
Pour ces raisons ainsi que pour celles qui ont déjà été évoquées par toutes les personnes qui se sont exprimées, le Conseil d'Etat ne souhaite pas que vous entriez en matière sur ce projet de loi. Je vous en remercie. J'ai terminé, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 13056 est rejeté en premier débat par 59 non contre 28 oui.