Séance du
vendredi 1 mars 2024 à
18h05
3e
législature -
1re
année -
9e
session -
61e
séance
M 2996
Débat
La présidente. Mesdames et Messieurs, il est 19h15, ce qui signifie qu'il nous reste encore quarante-cinq minutes de séance. (Exclamations.)
Une voix. C'est rude !
La présidente. Eh oui, c'est dur, je sais ! Il reste deux urgences; si une majorité a voté ces urgences, c'est qu'elle jugeait utile de le faire. Je souhaiterais un peu de silence pour terminer nos travaux. Je continue à le dire et à le redire: si vous voulez discuter, ce qui est tout à fait légitime - vous avez certainement plein d'objets à négocier -, n'hésitez pas à le faire à l'extérieur, différentes salles se trouvent à votre disposition. Dans cette enceinte, l'idée est de s'écouter, c'est le principe du débat parlementaire; sinon, nous pourrions bêtement voter en nous taisant.
Voici la prochaine urgence: la M 2996, que nous examinons en catégorie II, trente minutes. Je serai particulièrement attentive dans cette discussion au respect des intervenants entre eux. La parole revient à l'auteur, M. Sylvain Thévoz.
M. Sylvain Thévoz (S). Merci beaucoup, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, la catastrophe humanitaire à Gaza se poursuit avec des centaines de milliers de civils risquant de mourir de faim ou de périr sous les bombes. Environ deux millions de personnes ont été déplacées du nord au sud de la bande de Gaza et se trouvent dans des conditions inimaginables. Plus de trente mille civils sont décédés, dont vingt-cinq mille femmes et enfants. Ce ne sont que des chiffres; derrière, il faut imaginer qu'il y a chaque fois une vie. Et il faut ajouter les plus de 1200 civils assassinés le 7 octobre dans ce qui ressemble à un crime de guerre en Israël.
Mesdames et Messieurs, la situation humanitaire est absolument intolérable. Depuis seize ans, Gaza subit un blocus qui était déjà terrible, mais depuis le 7 octobre... (Commentaires.)
Une voix. Chut !
La présidente. Excusez-moi, Monsieur le député. Je pense que j'ai été mal comprise tout à l'heure. (La présidente marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Monsieur Nidegger, est-ce que je peux vous demander d'aller discuter à l'extérieur de la salle ? Reprenez, Monsieur Thévoz.
M. Sylvain Thévoz. Merci beaucoup. Depuis le 7 octobre, le blocus s'est aggravé: pas d'eau, pas d'électricité, pas d'alimentation, pas de gaz. Imaginez quelques secondes seulement le contexte de vie actuel pour ces 2,2 millions de personnes; s'y ajoutent les bombardements.
Mesdames et Messieurs, nous ne pouvons pas rester silencieux, nous ne pouvons pas ne rien faire. Certains diront: «Une motion, à quoi bon ?» Certes. Mais comment pourrions-nous ne pas agir et accepter la situation ? Nous sommes marqués à Genève par un héritage fort, celui d'Henry Dunant. «Un souvenir de Solférino», 1862: il se trouve sur un terrain de bataille, constate les ravages de la guerre, en témoigne. De là naît ce qui fait aujourd'hui la fierté de notre ville: le droit humanitaire, les Conventions de Genève, la Croix-Rouge, la volonté que les civils soient préservés de toute guerre, un droit qui les protège. Ce droit est aujourd'hui violé, a été violé le 7 octobre et l'est de manière crasse depuis à Gaza.
Cette proposition de motion invite le Conseil d'Etat, le canton de Genève à intervenir au niveau de la Confédération pour que la Suisse engage les moyens politiques, diplomatiques, économiques, humanitaires à sa disposition - et nous croyons qu'ils sont nombreux - afin de réclamer un cessez-le-feu qui constitue le prérequis à toute paix et à tout apaisement qui pourra en découler ainsi que de déployer toute mesure pour prévenir les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
Nous présentons également un amendement demandant au gouvernement genevois d'oeuvrer auprès de Berne pour que notre pays fasse tout ce qui est en son pouvoir afin de libérer toutes et tous les otages de ce terrible conflit, ce qui veut dire l'ensemble des civils. Nous ne souhaitons pas opposer ici les uns et les autres, nous devons nous élever au-dessus de cela.
Il s'agit par ailleurs de renforcer la collaboration avec la Confédération pour tout ce qui relève de l'aide humanitaire, de l'acheminement urgent et massif de secours. Souvenez-vous, nous avons voté 5 millions de francs pour le CICR début novembre, mais depuis, quatre mois ont passé. Enfin, nous proposons de faciliter toutes les démarches administratives pour que des victimes de cet effroyable conflit puissent venir à Genève et y être soignées. Le Dr Salti en a accueilli 17, je crois; il espérait en faire venir 34. Toutes les démarches ont été à sa charge (le financement, les garanties), et cela ne nous semble pas acceptable.
Nous pouvons, nous devons faire plus, nous devons exhorter le Conseil d'Etat à en faire davantage au nom de l'ADN de Genève, au nom du respect de notre héritage et surtout pour préserver toutes les vies humaines, de quelque camp qu'elles soient. Je vous rappelle cette phrase d'Einstein que vous connaissez: «Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.» Nous voulons agir, modestement, mais résolument. Merci de soutenir cette motion avec l'amendement et de la renvoyer au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
M. Marc Saudan (LJS). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion ne se veut pas politique, et il serait souhaitable que nos débats s'élèvent afin de ne pas parler du conflit, mais des victimes, victimes nécessitant des soins. Mon préopinant l'a déjà indiqué: dans la ville du CICR, qui a été fondé notamment pour aider les victimes de conflits armés sans prendre parti par rapport aux belligérants, il est important de donner un signal.
C'est pourquoi le groupe LJS soutiendra l'amendement et la motion, particulièrement en raison de la troisième invite, qui est vraiment envisageable pour le canton de Genève, c'est-à-dire favoriser l'accès aux victimes pour que l'on puisse leur prodiguer des soins médicaux dans nos hôpitaux, notamment aux HUG. Merci. (Applaudissements.)
Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs, une terrible tragédie se déroule sous nos yeux. Chaque jour nous apporte son lot d'horreurs et d'extrêmes souffrances. Les invites de cette proposition de motion ont été rédigées dans le souci de rassembler autour de la question humanitaire à Gaza. J'avoue ma sidération et mon incompréhension en constatant que près de quarante d'entre vous ont refusé hier de voter l'urgence pour Gaza. Pourquoi ?
N'y a-t-il pas urgence lorsque l'OMS alerte sur le risque majeur de famine généralisée et d'épidémies ? N'y a-t-il pas urgence lorsque des otages sont encore détenus ? N'y a-t-il pas urgence alors que la Cour internationale de justice a alerté sur le risque génocidaire il y a déjà un mois sans que la folie meurtrière de Netanyahou fléchisse ? N'y a-t-il pas urgence quand hier encore, quelques heures à peine avant notre séance, plus de cent Palestiniens affamés ont été tués lors d'une distribution alimentaire et plus de cinq cents blessés ? N'y a-t-il pas urgence lorsque même les survivants n'ont tout simplement plus de vie ?
Hier, Mesdames et Messieurs les députés, vous étiez nombreux à refuser l'urgence pour Gaza. Hier, nous n'étions pas à la hauteur de la mémoire d'Henry Dunant; j'espère que ce sera le cas aujourd'hui.
Cette motion, Mesdames et Messieurs, propose d'abord de tout mettre en oeuvre pour favoriser un cessez-le-feu immédiat. Depuis notre résolution votée en novembre, les frappes n'ont pas faibli, la situation humanitaire s'est très gravement détériorée; nous en sommes les témoins quotidiens et impuissants. Devons-nous nous taire pour autant ? Je crois au contraire que nous devons manifester notre indignation autant que nécessaire. Si nos appels ont une portée toute relative, notre silence serait assurément coupable et insupportable.
Ensuite, le texte demande un acheminement urgent et massif d'aide humanitaire et médicale à Gaza. Quand 2,2 millions d'habitants dépendent uniquement de l'aide humanitaire, dramatiquement insuffisante aujourd'hui, quand l'OMS avertit que si rien n'est fait, une famine généralisée à Gaza sera inévitable, il n'y a pas matière à tergiverser. Il y a d'autant moins matière à tergiverser lorsque, parmi les plus fragiles, nombreux sont ceux qui ont déjà succombé, faute d'eau et de nourriture, notamment les enfants en bas âge. On en est là, Mesdames et Messieurs les députés. Comment peut-on être contre cette deuxième invite ? (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Le canton doit par ailleurs jouer un rôle de facilitateur pour les personnes de bonne volonté. Celles et ceux qui accueillent dans leur clinique des enfants victimes de la guerre ne doivent pas être entravés, mais à l'inverse mille fois aidés et infiniment remerciés. Je pense au Dr Raouf Salti, que nous avons pu voir...
La présidente. Il vous faut conclure.
Mme Alia Chaker Mangeat. ...dans un reportage absolument poignant de «Mise au point», qui se démène... (Remarque.) ...et aussi au Dr Razah Raad de la clinique Vert-Pré. Merci à Sébastien de me rappeler qu'il avait oeuvré pour la libération des otages français au Liban dans les années 80.
La présidente. C'est terminé.
Mme Alia Chaker Mangeat. Bref... (Le micro de l'oratrice est coupé. Applaudissements.)
M. Sandro Pistis (MCG). Le MCG a eu l'occasion de le rappeler maintes fois par le passé: il n'appartient pas à notre parlement cantonal d'intervenir en matière de droit international, prérogative qui revient en premier lieu au Conseil fédéral. Néanmoins, à plusieurs reprises, notre Grand Conseil a considéré devoir donner un signal, signal d'autant plus nécessaire que notre cité est dépositaire des Conventions de Genève, elle est le berceau du droit international humanitaire.
Depuis bientôt cinq mois, sous nos yeux consternés, se joue en Israël et à Gaza un drame qui ne peut laisser personne indifférent. Les crimes contre l'humanité - nous les désignons résolument ainsi - commis le 7 octobre 2023 ont constitué le point de départ de la riposte de l'Etat d'Israël, dont les habitants aspirent légitimement à la sécurité. Pourtant, ce qui représentait un acte de légitime défense, certes compliqué par l'identification et la localisation des terroristes recherchés, s'est transformé, jour après jour, en un drame humanitaire sans précédent.
Des dizaines de milliers de morts, des dizaines de milliers de mutilés et de blessés, des villes et des villages rasés, une population détruite par la famine, laissée sans aide sanitaire efficace. Les événements récents nous montrent, s'il le fallait encore, la détresse de cette population, mais aussi la détermination de l'armée présente sur place à ne faire aucune concession. Sans une action internationale forte et rigoureuse en vue d'une trêve humanitaire, la population sera abandonnée, condamnée à mourir de faim. Et cela, Genève, parce que nous sommes la ville où le droit humanitaire est né, ne peut le regarder survenir sans réagir.
Cela étant, si les invites qui nous sont proposées peuvent être suivies, l'argumentaire présenté est truffé de remarques partiales regrettables. C'est la raison pour laquelle certains membres du groupe MCG exprimeront par leur vote non pas leur distance à l'égard d'une situation grave et inhumaine, mais leur réticence quant à la manière par laquelle notre Grand Conseil a été interpellé.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à Mme Gabriela Sonderegger pour vingt secondes.
Mme Gabriela Sonderegger (MCG). Merci, Madame la présidente. Je serai très rapide. Depuis le massacre du 7 octobre qui a pourtant été condamné et a révolté l'opinion publique internationale...
La présidente. Il vous faut conclure.
Mme Gabriela Sonderegger. ...il est triste de constater que la presse ne vérifie plus tous les faits et que le Hamas est désormais considéré comme l'unique source crédible aux yeux des journalistes occidentaux.
La présidente. C'est terminé.
Mme Gabriela Sonderegger. Puisque je dois faire très court, précisons qu'il appartient à chacun à l'avenir de vérifier les sources... (Le micro de l'oratrice est coupé.)
Mme Dilara Bayrak (Ve). Je partage les constats dressés par certains de mes préopinants. Nous aurions pu obtenir l'unanimité, mais les deux dernières interventions ne vont pas dans le même sens. Je remercie ma collègue Alia Chaker Mangeat d'avoir peint une image de la situation, et j'aimerais maintenant vous parler plutôt de moi: je suis née et j'ai grandi en Suisse, j'y ai effectué toutes mes études. Pendant mes 26 ans de vie ici, j'ai été bercée par les valeurs humanistes de ce pays: la Suisse d'Henry Dunant, la Suisse qui vient en aide à celles et ceux qui en ont besoin, la Suisse qui héberge le CICR, la Suisse et la Genève internationale qui tentent de prévenir les conflits mondiaux.
Quand on évolue dans ce narratif, dans cette culture humaniste, on ne peut que se demander combien de décès il faudra encore avant d'agir. Dix, cent, mille ? Aujourd'hui, plus de trente mille personnes, dont la grande majorité sont des enfants, sont mortes sous les bombes du gouvernement israélien, soit près de 6% de la population genevoise. Imaginons une seconde notre canton amputé de trente mille de ses habitants en moins de trois mois ! Quelles organisations doivent encore nous alerter pour que nous daignions enfin regarder ce qui se passe en Palestine ? Amnesty International ? Médecins sans frontières ? Nous sommes témoins d'une souffrance insoutenable, la violence continue de sévir chaque jour.
Nous, parlement genevois, sommes concernés par les violations crasses des Conventions de Genève. Nous ne pouvons détourner notre regard et devons défendre le nom de notre canton, car après les bombes à Gaza, c'est aujourd'hui la famine qui menace et qui tue en Palestine. L'aide humanitaire est bloquée à la frontière tant par les opérations militaires que par des civils qui, je cite, «ne veulent pas nourrir l'ennemi». Les enfants sont des civils, et les civils ne peuvent être considérés comme des ennemis. Nous ne pouvons fermer les yeux sur l'anéantissement de tout un peuple. Je vous rappelle d'ailleurs, comme ma collègue vous en a informé tout à l'heure, que plus d'une centaine de personnes ont été tuées hier lors d'une distribution alimentaire; il s'agit de l'ensemble de cette salle, collaborateurs du Grand Conseil compris.
Les journalistes et maintenant les rapporteurs indépendants de l'ONU (Francesca Albanese et Michael Fakhri) sont interdits d'entrée sur le territoire; ceux-ci alertent toute personne voulant bien les écouter: des civils font l'objet de crimes contre l'humanité. Ce soir, je souhaite que nous écoutions les Genevoises et les Genevois qui demandent un cessez-le-feu; nous devons les écouter, nous devons intervenir, ne serait-ce que pour requérir le respect des Conventions de Genève. C'est pourquoi je vous demande de voter cette proposition de motion. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à Mme Caroline Renold pour un peu moins de deux minutes.
Mme Caroline Renold (S). Je vous remercie, Madame la présidente. En novembre, notre Conseil a adopté une résolution dont les invites étaient fondamentalement les mêmes: cessez-le-feu, respect du droit international humanitaire, accès à l'aide humanitaire. Nous étions alors à quelques semaines du début du conflit, les conditions étaient déjà terribles; nous en sommes aujourd'hui à 146 jours, pour être exacte, et la situation dans la bande de Gaza n'a fait qu'empirer, elle est aujourd'hui dramatique.
Je citerai quelques chiffres du point quotidien de l'OCHA du 1er mars, donc de ce jour, que mes collègues ont déjà énoncés pour certains: la quasi-totalité de la population de la bande de Gaza, qui compte pratiquement le même nombre d'habitants que la Suisse romande, est déplacée, une famine inévitable menace la population, un enfant sur six de moins de 2 ans souffre de malnutrition aiguë.
Toutes les denrées de première nécessité manquent. Il n'y a pas d'eau, il n'y a pas eu d'électricité du tout hier. Il n'y a pas de toilettes - on estime qu'il y a une toilette pour cinq cents personnes en moyenne, soit cinq fois moins que dans cette assemblée. Il n'y a pas de matériel médical; le personnel de santé doit examiner cent personnes par jour. Plus de 30 000 Palestiniens ont été tués, soit un sur vingt dans la bande de Gaza, et plus de 70 000 blessés, dont de nombreux enfants.
Notre Conseil ne peut rester silencieux. Nous avons un devoir de solidarité et d'humanité, le devoir de condamner les violations du droit humanitaire et du droit international, d'appeler à la paix et à l'humanité, de rappeler la pensée des visionnaires Henry Dunant, Gustave Moynier et d'autres, de rappeler que la guerre est réglementée, parce qu'à défaut d'arriver à l'abolir, il faut au moins la rendre un peu moins terrible. Il est contraire au droit et à notre humanité d'affamer une population civile, de la priver des nécessités de base, il faut lui permettre de survivre.
Chers collègues, exigeons que les armes se taisent, même si c'est une déclaration, exigeons que l'aide humanitaire puisse nourrir, abreuver, panser les plaies. Faisons ce que nous pouvons pour accueillir et soigner des blessés. Je vous prie de voter cette proposition de motion. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la députée. Pour information, deux amendements ont été retirés, celui de M. Marc Saudan et celui de M. Sébastien Desfayes. Il nous reste à traiter une demande de modification présentée par M. Sylvain Thévoz et cosignataires:
«1re invite, 3e sous-invite (nouvelle)
- oeuvrer à la libération de toutes et tous les otages de ce terrible conflit;»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 58 oui contre 9 non et 17 abstentions.
Mise aux voix, la motion 2996 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 57 oui contre 12 non et 18 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)