Séance du
vendredi 2 février 2024 à
16h
3e
législature -
1re
année -
8e
session -
55e
séance
PL 11926-A
Premier débat
La présidente. Mesdames et Messieurs, nous abordons le point suivant, le PL 11926-A. Comme il est classé en catégorie II, cent minutes, nous allons entamer les travaux maintenant et les poursuivrons après la pause. Je précise que le rapport de première minorité de M. Olivier Baud ne sera pas présenté, le groupe Ensemble à Gauche ne siégeant plus dans ce parlement. Si les rapporteures veulent bien appuyer sur le bouton, je leur donnerai la parole... Autrement, on peut aussi voter tout de suite ! (Rires.) La parole échoit tout d'abord à Mme Danièle Magnin.
Mme Danièle Magnin. Je vous remercie, Madame la présidente... (Brouhaha.)
La présidente. Attendez, excusez-moi. Je ne l'ai pas précisé, Mesdames et Messieurs, mais nous ne sommes pas encore en pause; si certains d'entre vous souhaitent discuter, ils peuvent aller le faire à l'extérieur de la salle. (Remarque.) Ce n'était pas à vous que je m'adressais, Monsieur Poncet !
J'en profite pour rappeler que même si nous sommes en catégorie II, cent minutes, ce qui fait dix minutes par groupe, la LRGC interdit les interventions de plus de sept minutes, donc il se peut qu'à un moment donné, j'interrompe les orateurs même s'ils ont encore du temps de parole. Madame Magnin, je vous laisse reprendre.
Mme Danièle Magnin (MCG), rapporteuse de majorité ad interim. Je vous remercie, Madame la présidente. La première chose que vous devez savoir, Mesdames et Messieurs, c'est que la modification proposée à l'article 129, alinéa 3, vise à diminuer d'une année le temps de formation des enseignants du primaire. Ceux-ci peuvent être responsables soit des cinq-huit ans - ou cinq-neuf ans -, soit des huit-douze ans, ce qui implique des connaissances différentes, en particulier au niveau des langues.
Certains ont souhaité - ce n'est pas nouveau, c'est déjà arrivé plusieurs fois - que les enseignants soient formés pendant plus longtemps, ce qui fait qu'à Genève, le cursus dure quatre ans. Il y a aussi une histoire de bachelor - on parle de baccalauréat, à ne pas confondre avec le baccalauréat français. Le texte sorti de commission est le suivant:
«Art. 129, al. 3 (nouvelle teneur)
3 Dans l'enseignement primaire, la nomination du maître généraliste dans le cycle élémentaire ou le cycle moyen» - il s'agit de cette différence que j'évoquais suivant les âges - «est subordonnée, pour les enseignants formés à Genève, à l'obtention d'un baccalauréat universitaire (bachelor) - orientation cycle élémentaire ou, respectivement, cycle moyen - de l'institution du degré tertiaire A chargée de la formation des enseignants. L'obtention d'un certificat complémentaire, en formation duale sur un semestre, permet l'enseignement dans les deux cycles. La nomination des maîtres n'ayant pas été formés à Genève est subordonnée à l'obtention d'un titre jugé équivalent par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique. La nomination du maître de disciplines artistiques ou sportives est subordonnée à l'obtention d'un baccalauréat délivré par une haute école ou un titre jugé équivalent et d'une formation pédagogique complémentaire.
Art. 150, al. 3 (nouveau)
Disposition transitoire relative à la formation des maîtres généralistes dans l'enseignement primaire (art. 129, al. 3)
3 La nomination d'un maître généraliste ayant suivi sa formation à Genève avant la rentrée 2020 est subordonnée à l'obtention d'un baccalauréat universitaire (bachelor) et d'un certificat complémentaire - mention enseignement primaire - de l'institution du degré tertiaire A chargée de la formation des enseignants.»
C'est un petit peu du charabia, tout ça. Cela a suscité toutes sortes de commentaires, différentes positions, et au final, l'ensemble du projet de loi 11926 a été voté par 7 oui (2 MCG, 1 UDC, 4 PLR) contre 6 non (1 Ensemble à Gauche, 3 socialistes, 2 Verts) et 2 abstentions PDC. Or nous avons dépassé le temps prévu pour examiner le projet de loi, ce qui fait que des positions peuvent certainement avoir changé, tout comme la composition du Grand Conseil a changé. Les membres du PDC s'exprimeront eux-mêmes s'ils le souhaitent, mais apparemment, ils ne s'abstiendraient plus, ils voteraient... Bon, je ne sais plus si c'est pour ou contre - plutôt contre, d'après ce que l'on m'a dit...
Une voix. Vous n'allez pas nous laisser le choix.
Mme Danièle Magnin. Oh, mais vous savez, je ne fais que répéter ce que m'a indiqué le chef de groupe... (Commentaires. Rires.) Pardon ?
La présidente. Continuez, Madame, continuez.
Mme Danièle Magnin. Pas de souci. Je sais qu'il y aura une demande de renvoi en commission, mais je laisserai ceux qui veulent la proposer le faire eux-mêmes. Merci.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, lors des débats en commission, nous avons entendu les arguments des signataires de ce projet de loi qui, en gros, nous indiquaient ceci: les autres cantons forment leurs enseignants en trois ans; il faut augmenter les heures de formation pratique. Selon eux - mais cela n'a évidemment pas été démontré dans le cadre des travaux -, un cursus en trois ans sur le modèle d'une HEP permettrait d'augmenter la formation pratique et, partant, il suffirait de couper l'ensemble de la première année de formation, qui est effectivement une année très théorique.
Le DIP nous a donné toute une série d'informations durant les travaux de commission. D'abord, il a réagi à l'inquiétude des auteurs du projet de loi, qui souhaitent une formation plus pratique des enseignants de l'école primaire en augmentant le nombre de semaines de stage pratique dans le cadre du cursus.
Mais ce qu'a tout de même rappelé le DIP, c'est qu'un certain nombre de cours théoriques sont indispensables pour obtenir la reconnaissance du diplôme d'enseignant auprès de la CDIP. Il n'est simplement pas possible de couper tous les cours théoriques dispensés en première année, parce que cela nécessiterait de les ventiler sur les années restantes, ce qui réduirait la qualité de la formation pratique des enseignants; c'est bien entendu se tirer une balle dans le pied par rapport à ce que veulent les auteurs du texte.
Je signale également qu'aujourd'hui, la formation des enseignants dure quatre ans, ce qui leur permet ensuite d'enseigner dans les degrés 1 à 8 HarmoS. Or si on en vient à une formation en trois ans, on ne pourra plus leur garantir la possibilité d'enseigner dans l'ensemble des degrés de l'école primaire: ils devront se focaliser soit sur le cycle élémentaire, c'est-à-dire les degrés 1 à 4, soit sur le cycle moyen, soit les degrés 5 à 8. Non seulement cela nuit grandement à la flexibilité des enseignants de même qu'aux possibilités d'adaptation et d'organisation au sein du DIP, mais cela péjore également les possibilités d'évolution et de variété dans la carrière d'un enseignant; il est particulièrement piquant de constater que c'est le PLR, premier parti à revendiquer plus de flexibilité dans l'administration publique ainsi que des possibilités d'évolution de carrière pour les collaboratrices et collaborateurs de l'Etat, qui s'acharne à vouloir réduire le temps de formation des enseignants, ce qui prétéritera ces options.
Si le département a soudain besoin de plus d'enseignants dans le cycle moyen ou dans le cycle élémentaire pour des raisons... (Brouhaha.)
La présidente. Excusez-moi, Madame. Est-ce que je peux demander qu'il n'y ait pas de discussions juste à côté de vous ? Merci, poursuivez.
Mme Caroline Marti. Merci beaucoup. ...pour des questions de démographie d'élèves, eh bien cela nécessitera de prodiguer à des enseignants qui n'auront été formés que sur un seul cycle de l'école primaire des formations continues très importantes qui sont payées à 100% par le canton, contrairement à une formation universitaire de quatre ans dont une partie est financée par la Confédération. Dans les faits, le passage à une formation en trois ans - c'étaient les dires du DIP lors des travaux de commission - coûtera plus cher à l'Etat.
La force du système de formation en quatre ans que nous connaissons à Genève, c'est de permettre aux enseignants d'être très polyvalents, beaucoup plus que ne le sont les enseignants d'autres cantons: ils enseignent treize branches, c'est un record intercantonal. Evidemment, avec un temps de formation plus restreint, on ne pourra pas maintenir ce niveau de polyvalence.
Un point fondamental qu'il me faut encore souligner, c'est que l'école évolue tout comme les besoins des élèves évoluent, donc la formation doit elle aussi évoluer, s'adapter à des situations nouvelles, à de plus en plus d'élèves allophones, souffrant de troubles d'apprentissage, de troubles «dys-», de troubles du comportement, etc. Cela nécessite une formation spécifique pour que les enseignants puissent développer des compétences dans la prise en charge de ces nouvelles problématiques et répondre à des situations variées et évolutives, et cela s'ajoute à la formation nécessaire pour les besoins didactiques de l'enseignement des treize disciplines.
Je précise en outre que les tendances, que ce soit au niveau intercantonal ou international, vont au contraire vers un allongement de la formation des enseignants, précisément pour pouvoir tenir compte de l'évolution de l'école et des besoins des élèves. Le constat de notre minorité, c'est que les auteurs du projet de loi semblent vouloir revenir à l'école de grand-papa - ou de grand-maman, ne faisons pas de discrimination -, une école élitiste qui ne tient pas compte des besoins variés des différents élèves que l'instruction publique doit accueillir et se focalise sur les meilleurs d'entre eux pour leur permettre de développer leurs compétences en laissant les autres sur le carreau. Ce n'est évidemment pas le projet que la minorité défend.
Dernier point, Madame la présidente, j'en terminerai par là: très clairement, si on fait passer le temps de formation des enseignants de quatre à trois ans, cela va conduire à une dévalorisation de la formation, respectivement à une dévalorisation du métier d'enseignant, et cela justifiera, notamment dans le cadre des discussions sur G'Evolue, une détérioration des conditions salariales. Je rappelle que le métier d'enseignante et d'enseignant est encore très majoritairement féminin et que si on dévalorise la formation et les salaires versés, on accroît par là même les inégalités salariales indirectes entre hommes et femmes.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que la minorité que je représente vous appelle, Mesdames et Messieurs, à refuser ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve), rapporteuse de troisième minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi 11926 constitue une attaque contre le primaire: il vise à réduire la formation initiale des enseignants à trois ans et demi - on vient même de recevoir un amendement consistant à revenir au texte de départ, c'est-à-dire à une formation de trois ans - alors qu'il faudrait au contraire la prolonger et l'améliorer pour répondre aux enjeux actuels de l'école. Genève est le seul canton suisse offrant une formation universitaire de quatre ans, un cursus qui garantit le statut de généraliste permettant d'enseigner quatorze disciplines sur l'ensemble de la scolarité primaire.
L'effet négatif d'une telle modification, ce serait une formation diminuée, ce qui affecterait le statut même de généraliste et ne permettrait plus d'enseigner à la fois au cycle 1 et au cycle 2. C'est l'unicité du statut et la mobilité professionnelle qui sont directement attaquées ici. La formation serait non seulement réduite, différente, mais il y aurait aussi un impact sur les salaires. D'où la mobilisation des professionnels qui sont directement concernés, qui oeuvrent sur le terrain et qui s'opposent complètement à cette modification de la loi, à cette diminution de la durée de la formation; ils s'expriment en parfaite connaissance de cause. Les associations professionnelles qui les représentent, elles aussi, y sont fortement opposées, et je vais vous détailler tout cela dans le propos qui va suivre.
Les auteurs du projet de loi font preuve d'un tel mépris pour le métier d'enseignant que les associations professionnelles comme la SPG, soit la Société pédagogique genevoise, qui fait partie du Cartel, sont déjà prêtes à lancer un référendum que nous, les Vertes et les Verts, soutiendrions bien sûr si cet objet devait passer la rampe, car nous faisons confiance aux professionnels du terrain.
Avant d'entrer plus en détail sur les raisons de notre refus et de mettre en lumière le contexte dans lequel ce projet de loi a été voté, le cadre de la formation genevoise, les avantages du cursus en quatre ans - ils ont déjà été un peu évoqués, j'y reviendrai -, les inconvénients du passage à une durée de trois ans, la perte que cela créerait du point de vue de la qualité dans la formation et de la polyvalence entre les cycles, le fait qu'il n'y aura pas vraiment d'économies financières, le décalage avec les pays voisins et les recommandations de Swissuniversities, le fait que ce texte va à l'encontre de tout ce qui se passe sur le terrain - augmentation des besoins, hausse des violences, accroissement de la charge administrative, école inclusive - et est donc à l'envers du bon sens, eh bien pour toutes ces raisons que je vais développer tout à l'heure, je demande un renvoi en commission.
La présidente. Merci. Je passe la parole aux autres rapporteures ainsi qu'au Conseil d'Etat sur cette proposition. Madame Caroline Marti, c'est à vous.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de deuxième minorité. Je soutiens la demande de renvoi en commission, merci.
Mme Danièle Magnin (MCG), rapporteuse de majorité ad interim. Le MCG la soutient également.
La présidente. Vous représentez la majorité, en l'occurrence, mais bon... (Commentaires.) La conseillère d'Etat souhaite-t-elle intervenir sur le renvoi en commission ? (Remarque.) Non, très bien, alors je le mets aux voix.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11926 à la commission de l'enseignement supérieur est rejeté par 46 non contre 43 oui.
La présidente. Bien, Mesdames et Messieurs, nous avons eu la présentation des rapporteures. Après cette ouverture en fanfare, nous allons garder le suspense sur la suite le temps de la pause.