Séance du
vendredi 2 février 2024 à
14h
3e
législature -
1re
année -
8e
session -
54e
séance
R 930-A
Débat
La présidente. Nous examinons maintenant la R 930-A en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de Mme Christina Meissner; celui de minorité était à l'origine de moi-même, mais il a été repris par M. Jean-Pierre Pasquier. Madame Meissner, vous avez la parole.
Mme Christina Meissner (LC), rapporteuse de majorité. Merci, Madame la présidente. Cette résolution datant de 2020 invite le Conseil d'Etat «à condamner les violences, arrestations, disparitions et tortures perpétrées par les autorités biélorusses contre leur peuple; à solliciter le Conseil fédéral afin que la Suisse: condamne les violations massives des droits humains qui y sont commises et contribue à une transition pacifique vers une démocratie et un Etat de droit; appelle à la libération des prisonniers politiques, dont la Suissesse Nathalie Hersche; appelle à l'organisation d'élections anticipées».
En août 2020, la réélection d'Alexandre Loukachenko à la présidence avait déclenché un mouvement de contestation historique, violemment réprimé par les autorités, lesquelles avaient procédé à des arrestations massives, à des liquidations de médias et d'ONG, ce qui avait conduit au dépôt de cette résolution. Le texte a été voté par une majorité de la commission des Droits de l'Homme, mais c'était en septembre 2021. Depuis, que s'est-il passé ? La résolution est-elle encore en adéquation avec l'actualité ?
Certes, la Biélorussie n'est pas devenue un Etat de droit entre-temps, mais les élections de 2020 qui avaient entraîné une vague d'arrestations et de protestations sont bien loin et les prochaines auront lieu en 2025. Réclamer des élections anticipées en février 2024 n'est pas pertinent: d'ici que la résolution soit traitée par notre Conseil d'Etat et que le Conseil fédéral s'en saisisse, cette requête n'aura plus aucun sens.
La demande que la Suisse s'engage pour la libération des prisonniers politiques, dont une Suissesse, est elle aussi un peu dépassée au vu des événements. Il y a toujours des prisonniers politiques, mais depuis novembre 2023, la Suissesse Natallia Hersche est de retour en Suisse, libérée après plus d'un an de détention en Biélorussie. Cette libération est intervenue suite à d'intenses efforts déployés pendant près d'un an et demi au niveau fédéral. Ignazio Cassis s'est impliqué directement auprès du président Loukachenko et, à ses côtés, 83 parlementaires suisses ont également demandé sa libération.
C'est dire si aujourd'hui, cette résolution de 2020 arrive un peu comme la grêle après les vendanges au vu des efforts fournis à l'échelle fédérale. Dès lors, la rapporteure de majorité que je suis se sent bien mal à l'aise pour la soutenir. (Brouhaha.)
La présidente. Merci. J'aimerais que les multiples discussions qui ont lieu dans cette salle cessent ! (Remarque.) Madame Alimi, par exemple !
Une voix. Ça dénonce !
La présidente. Il y a de la délation sur la gauche de la droite ! La parole va à M. Jean-Pierre Pasquier.
M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous pourrions en rester sur les propos de la rapporteure de majorité. Le sujet qu'elle a présenté serait sans doute suffisant, Mesdames et Messieurs, mais comme l'a indiqué Mme la présidente, je reprends son rapport de minorité et j'aimerais dire quelques mots.
L'article 54 de la Constitution fédérale prescrit: «Les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération.» Les cantons - cela inclut Genève même s'il a l'honneur d'accueillir de nombreuses organisations internationales, et nous en sommes fiers - n'ont pas à s'immiscer dans la politique extérieure de la Suisse. Cette répartition des prérogatives est évidemment contraignante pour les cantons, mais également pleine de bon sens.
Les relations avec les autres pays nécessitent de faire usage de diplomatie, de disposer d'une vision globale des enjeux ainsi que d'une stratégie d'action. Il n'y a aucun intérêt à ce que les 26 cantons effectuent ce travail qui, c'est évident, dépasse largement les compétences d'un parlement de milice. Pour ces motifs et indépendamment du fond de la résolution 930, la minorité d'alors vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à refuser cet objet.
M. Grégoire Carasso (S). Je ne reviendrai pas sur les propos de l'ancienne minorité qui sont bien connus de ce parlement. Si ces gens n'ont pas envie de voir l'effort formel réalisé à travers cette résolution - laquelle ne s'adresse pas aux Chambres fédérales, mais au DFAE via notre exécutif -, s'ils et elles ne souhaitent pas admettre que ce texte respecte fidèlement l'ordre constitutionnel qui est le nôtre, tant pis pour eux.
J'aimerais remercier la rapporteure de l'ancienne majorité pour ses propos bienveillants sur le relatif décalage de cet objet - ou du moins de sa lettre - entre le moment où nous l'avons déposé en 2020 et aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle vous avez été saisis, chers collègues, d'une proposition d'amendement. Pourquoi le texte garde-t-il toute son importance aux yeux du groupe socialiste ?
La Biélorussie est, comme on a l'habitude de le dire, l'un des plus vieux régimes, l'une des plus vieilles dictatures d'Europe; plus ou moins la seule qui, depuis la chute du Mur en 1989, n'a pas bougé. Loukachenko est toujours là. C'est le seul pays d'Europe centrale et orientale où les services secrets s'appellent toujours le KGB. C'est le seul pays d'Europe et au-delà de l'Oural - le prochain orateur de l'UDC ne dira pas le contraire - qui n'est pas membre du Conseil de l'Europe, à la différence de la Russie. C'est aussi le dernier pays d'Europe qui pratique encore, et de manière intensive, la peine de mort. Et malheureusement, c'est un pays qui, s'agissant des indicateurs de suicide, d'alcool, de commerce illégal ou de nombre d'officiers de police par habitant, détient un triste record sur l'ensemble de ces points.
Et d'ailleurs, petite pique à nos amis libéraux-radicaux ou de l'UDC: qui ne s'y était pas trompé ? Nos camarades de l'extrême gauche lors de la dernière législature, puisqu'ils étaient farouchement opposés à cette résolution; je constate qu'ils auraient pu gagner ici - et ç'aurait été rare - l'un de leurs combats.
Suite à la répression de 2020, suite aux élections présidentielles, l'invasion de l'Ukraine a dramatiquement changé la situation. En effet, on n'entend plus parler de la Biélorussie. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) La question de politique internationale qui consiste à déterminer si elle est encore souveraine aujourd'hui demeure pleine et entière. Des prisonniers politiques - strictement politiques -, il y en avait 650 lorsque ce texte a été déposé; on en est actuellement à 1450. Les élections, parlons-en: on aura une bonne blague l'année prochaine. Appeler, comme la Suisse le fera sans doute...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Grégoire Carasso. ...à des élections libres avec la participation d'observateurs internationaux sera la moindre des choses. Enfin, la dernière invite ajoutée à travers l'amendement provient du fait que nous souhaitons des conditions favorables en Suisse pour les réfugiés politiques biélorusses qui seront...
La présidente. Merci, c'est terminé.
M. Grégoire Carasso. ...bientôt privés de leur passeport, faute de... (Le micro de l'orateur est coupé. Applaudissements.)
M. Guy Mettan (UDC). Mesdames et Messieurs, il est évident qu'il faut refuser la résolution sur la base des arguments qui ont été donnés à la fois par la rapporteuse de majorité et le rapporteur de minorité. Il n'y a aucune raison de voter ce texte qui est complètement dépassé aujourd'hui. Sur le fond, on nous dit, en employant des grands mots, avec des trémolos dans la voix: «C'est la dernière dictature d'Europe !» Alors je conviens qu'il ne s'agit pas du tout d'une démocratie, on est tout à fait d'accord là-dessus. Cela étant, j'aimerais tout de même corriger quelques éléments.
Savez-vous par exemple que la Biélorussie est le pays qui a le mieux performé pendant la crise du covid, où il y a eu le moins de morts ? Ce sont les chiffres de l'OMS... (Commentaires.) Ce sont les chiffres officiels de l'OMS, Monsieur - vous transmettrez à mon collègue de Senarclens, Madame la présidente ! Et pourquoi ? (Commentaires.) Pourquoi ? Parce que leur système de santé fonctionne, parce qu'ils ont soigné les malades et n'ont pas enfermé les personnes saines, comme on l'a fait trop souvent chez nous. (Commentaires.) Est-ce que je peux m'exprimer, Madame la présidente ? Voulez-vous bien dire à M. de Senarclens de se taire ? Quand il prend la parole, je ne l'interromps pas !
Une voix. Ou qu'il sorte pour discuter.
M. Guy Mettan. Ou qu'il sorte cas échéant !
Une voix. Je vais sortir, effectivement.
M. Guy Mettan. Bonne idée !
La présidente. En effet, si des personnes souhaitent s'exprimer, je les invite à le faire en appuyant sur le bouton, et si elles ne veulent pas écouter le débat, elles peuvent sortir. Poursuivez, Monsieur Mettan.
M. Guy Mettan. Merci. Par ailleurs, pourquoi les Biélorusses soutiennent-ils en majorité - ce n'est pas moi qui le prétends non plus, ce sont des sondages officiels venant des Etats-Unis - leur président ? Parce que ces gens ont subi des massacres durant toute leur histoire: ils ont été décimés par les Russes au XVIe siècle, par les Polonais au XVIIe siècle, par les Suédois au XVIIIe siècle, par Napoléon, puis deux fois par les Allemands. Chaque fois, ils ont perdu 20% à 25% de leur population. Il se trouve qu'ils sont reconnaissants envers leur président, malgré tous ses défauts, et se disent: «Au moins, avec lui, on a la paix; au moins on n'est pas en guerre, il ne nous a pas précipités dans le naufrage.» Ce sont des choses qu'on n'explique jamais chez nous, mais il faut comprendre pourquoi c'est très important là-bas.
Je suis allé deux fois en Biélorussie l'année passée pour des conférences dans des universités, une fois aussi avec deux de nos ambassadeurs - notre ambassadrice à Minsk et un autre ambassadeur basé ici. Pourquoi se rendre sur place ? Parce qu'il est très important de maintenir le dialogue, parce que, malgré sa mauvaise réputation, malgré ses limites, ce pays sert aussi de pont entre l'Est et l'Ouest. Ce sont des aspects essentiels qu'il faut connaître.
On a évoqué l'exemple de Mme Hersche. Eh bien Mme Hersche, qui était en prison, a été libérée. Quand cette résolution a été déposée, on parlait beaucoup de l'affaire Roman Protassevitch, qui se trouvait dans un avion prétendument détourné et qui aurait dû être condamné à mort. Ce M. Protassevitch a été libéré, il est actuellement libre. Il faut également prendre ces éléments en considération. Je vous invite dès lors à refuser cette résolution.
M. Yves de Matteis (Ve). Une majorité de la commission des Droits de l'Homme a voté en faveur de cette résolution; une seule personne ne l'a pas soutenue. (Commentaires.) Notre groupe adoptera quant à lui ce texte. Bien sûr, certaines choses ont changé, d'où l'amendement déposé par l'auteur de l'objet, M. Carasso, ainsi que par Mme Marti. Ces modifications sont tout à fait pertinentes étant donné que la Suissesse Nathalie Hersche a été relâchée - j'ai une date différente - en février 2022, après que la Suisse a envoyé un ambassadeur en Biélorussie. Cela montre que notre pays peut avoir un certain poids, ce qui légitime encore plus cette résolution.
Comme les élections législatives biélorusses vont avoir lieu dans trois semaines - le 25 février 2024, d'après ce que j'ai pu lire - afin de renouveler les 110 membres de la Chambre des représentants de Biélorussie et que Loukachenko a été réélu, l'invite demandant des élections anticipées doit évidemment être supprimée, comme le propose M. Carasso dans son amendement.
L'Association biélorusse des journalistes, dissoute en août 2021, a reçu en 2022 le prix de l'UNESCO pour la liberté de la presse. A l'époque, 24 journalistes étaient incarcérés en Biélorussie et au moins 300 ont été contraints à l'exil; certains le sont encore. Selon le Corruption Perceptions Index (un indice concernant la transparence et la corruption), en 2023 la Biélorussie figurait encore au 37e rang sur le plan international; malheureusement, les choses ne s'améliorent que très lentement, puisqu'en 2022 elle occupait le 39e rang. La situation reste donc très tendue et il est tout à fait clair pour nous que cette résolution doit être acceptée par la plénière, ce que notre groupe va faire dans un instant. Merci, Madame la présidente.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, même si nous allons voter avec l'UDC contre cette proposition de résolution, il ne faut pas compter sur moi pour faire l'éloge du Bélarus ni de son président. Bien évidemment, il est exclu de tolérer les violations répétées des droits de l'homme qui ont lieu dans ce pays.
En revanche, j'aimerais faire une fois de plus l'éloge du fédéralisme, de la répartition des compétences entre les cantons et la Confédération. Mesdames et Messieurs, adresser à l'Assemblée fédérale des résolutions sur des questions de politique extérieure revient à émettre sur une fréquence radio qui ne nous a pas été assignée. (Commentaires.)
Vous vous trompez lourdement quant à l'écho que peuvent trouver ces textes auprès de la Confédération tout comme au poids de la Suisse sur la scène internationale. Nous sommes un pays de huit millions d'habitants qui n'est pas membre de l'Union européenne, qui n'a pas été membre de l'ONU pendant très longtemps et qui, dans le concert des nations, détient une voix probablement plus modeste que ce que vous imaginez.
Mais surtout, ces objets constituent une injure envers le Département fédéral des affaires étrangères. Les auteurs de ces résolutions répétées n'ont absolument aucune idée de ce qu'est la politique extérieure, de ce qu'est la diplomatie, de ce que sont les relations internationales, de ce que sont les relations bilatérales entre la Suisse et l'ensemble des pays du monde.
Mesdames et Messieurs les députés, il suffit de faire une recherche basique sur internet en tapant «relations Suisse-Bélarus» pour trouver un lien direct vers le site internet du Département fédéral des affaires étrangères et constater qu'il y figure un chapitre complet dédié aux relations bilatérales Suisse-Bélarus. Et que peut-on lire sur cette page ? «Le 15 mai 2019, le Conseil fédéral avait décidé de donner à la représentation suisse à Minsk le statut d'une ambassade dans le but d'intensifier les relations bilatérales. Mais les violations graves et systématiques des droits de l'homme perpétrées dans le sillage de l'élection présidentielle controversée du 9 août 2020 pèsent aujourd'hui sur les relations entre la Suisse et le Bélarus, tout comme la décision du pays de permettre à la Russie d'utiliser son territoire comme base arrière dans le cadre de l'agression contre l'Ukraine, lancée le 24 février 2022.»
Mesdames et Messieurs, la Suisse agit d'ores et déjà, elle fait savoir son opinion, elle condamne fermement les violations des droits de l'homme perpétrées au Bélarus par les autorités de ce pays, elle n'a pas besoin de se faire dicter sa politique étrangère par des diplomates amateurs ou de pacotille. Il faut donc refuser cette résolution. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Nous sommes saisis d'un amendement déposé par M. Grégoire Carasso et Mme Caroline Marti qui annule et remplace la seconde invite comme suit:
«à solliciter le Conseil fédéral afin que la Suisse:
- condamne les violations massives des droits humains qui y sont commises et contribue à une transition pacifique vers une démocratie et un Etat de droit;
- appelle à la libération des prisonniers politiques en Biélorussie;
- appelle à des élections équitables avec la participation d'observateurs internationaux;
- garantisse des conditions favorables aux réfugiés politiques du Bélarus en Suisse.»
La présidente. Je mets cette modification aux voix, puis nous nous prononcerons sur la prise en considération de la résolution.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 51 non contre 27 oui.
Mise aux voix, la proposition de résolution 930 est rejetée par 55 non contre 28 oui (vote nominal).