Séance du
vendredi 26 janvier 2024 à
14h
3e
législature -
1re
année -
8e
session -
49e
séance
PL 12791-A
Premier débat
La présidente. Nous avons terminé le traitement des extraits. Nous reprenons donc l'ordre du jour ordinaire et passons au PL 12791-A, classé en catégorie II, quarante minutes. Comme le groupe Ensemble à Gauche ne fait plus partie de ce Grand Conseil, le rapport de deuxième minorité de M. Jean Batou ne sera pas présenté. Monsieur Ivanov, rapporteur de majorité, vous avez la parole. (Brouhaha.) Je prie le reste de la salle de se taire.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. (Brouhaha.) Ça va être difficile ! Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi aborde à nouveau l'imposition des personnes physiques. C'est un mantra idéologique de la gauche - un de plus - qui revient sans arrêt sur la même problématique en voulant taxer les plus aisés, les plus riches de notre canton, qui paient énormément d'impôts pour notre collectivité. En effet, ce PL 12791 propose d'augmenter le taux d'imposition pour les tranches de fortune supérieures à 259 239 francs - précis ! - imposables par année, sur trois ans, avec une augmentation progressive des taux d'imposition sur ces tranches et l'ajout d'une nouvelle tranche d'imposition pour les revenus supérieurs à 1 million de francs imposables par année.
L'impact de ce projet de loi peut être variable. La part des contribuables concernés devrait rester stable. Il en touche 1,9%. Pour l'ensemble de ces contribuables, l'impôt sur le revenu pourrait croître de 7,5% à 9%, soit une augmentation importante. Il faut rappeler que ceux qui se situent dans la dernière tranche du nouveau barème figurant dans le projet de loi sont ceux qui génèrent près de 90% du supplément d'impôt total. On touche ainsi la petite partie des contribuables auxquels il faut être particulièrement attentif.
La conseillère d'Etat ne dit pas qu'il ne faut pas les imposer, mais que le fait de surcharger leur imposition pourrait avoir un effet néfaste et déstabiliser complètement la pyramide fiscale de notre canton. Il faut rappeler que les revenus imposables de 200 000 à 400 000 francs concernent 3% des contribuables, qui paient 16,7% de l'impôt. En définitive, 4,8% des contribuables paient 48% des impôts pour ce qui est de l'impôt cantonal sur le revenu. Il faut également souligner que ces contribuables sont très mobiles. Il est facile de traverser la Versoix pour payer moins d'impôts.
Ce n'est pas seulement une augmentation de l'impôt cantonal, cela aurait aussi des répercussions considérables sur l'impôt communal à travers les centimes additionnels. On atteint ainsi des montants stratosphériques via cette augmentation. On imagine bien que ces contribuables qui subiraient une augmentation, sauf erreur, de 15%, à laquelle il faudrait encore ajouter les centimes additionnels, réfléchiraient à deux fois avant de rester à Genève. La majorité de la commission fiscale vous demande de refuser l'entrée en matière sur le PL 12791.
Présidence de M. Alberto Velasco, premier vice-président
M. Thomas Wenger (S), rapporteur de première minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, comment ne pas se rappeler de la crise du covid, de cette pandémie qui nous a plongés dans une crise sanitaire ? S'en est suivie une crise économique, et puis, de cette crise économique, une crise sociale qui, deux ans après la pandémie - qui existe encore aujourd'hui, mais qui est maîtrisée au niveau sanitaire -, n'est pas du tout finie. Elle est loin de l'être pour un certain nombre de Genevoises et de Genevois qui en portent encore les cicatrices. Certaines se sont refermées partiellement, d'autres sont encore ouvertes.
Demandez par exemple aux restaurateurs ou aux entrepreneurs qui n'arrivent pas à rembourser leurs prêts covid, ou à toutes les personnes qui sont tombées dans la précarité, qui n'arrivent plus à boucler les fins de mois, qui n'arrivent plus à payer leurs factures, avec l'augmentation des coûts dont on parle souvent au Grand Conseil. Je les rappelle: augmentation des loyers, augmentation des coûts de l'énergie, de l'électricité, augmentation des primes d'assurance-maladie, augmentation du prix de nos courses de tous les jours, notamment la nourriture et les besoins de première nécessité.
On peut d'ailleurs faire une parenthèse sur les chiffres d'affaires des grands distributeurs de notre pays que sont Migros, Coop, mais aussi Denner: ils s'envolent et augmentent de manière éhontée, alors que de plus en plus de nos concitoyennes et concitoyens ont de la peine à boucler les fins de mois et voient le prix de leurs courses augmenter. Je pense qu'il y a vraiment des questions à se poser.
Les factures sont plus difficiles à payer à la fin du mois - je l'ai dit -, et face à ce constat de crise sociale qui existe encore aujourd'hui à Genève, nous proposons, au travers de ce projet de loi, un petit effort fourni par les plus hauts revenus de notre canton. Ce petit effort ramènerait des recettes fiscales estimées à 74 millions de francs supplémentaires. Pour répondre à M. Ivanov, rapporteur de majorité - vous transmettrez, Monsieur le président -, sur ces 74 millions, 66 millions seraient payés par les environ mille contribuables qui disposent d'un revenu de plus de 1 million de francs. Quand on a un tel revenu, on peut faire un petit effort. Cet effort, je le rappelle pour ceux qui ne se souviendraient pas de ce projet de loi, serait temporaire, sur trois ans, avec une augmentation moyenne d'impôts de 8,5%.
Pour la minorité, cet effort peut être fait par les plus hauts revenus de ce canton. Si - et je n'en doute pas ! - il y a un large soutien de ce Grand Conseil pour voter ce projet de loi, nous proposerons bien entendu un amendement à l'article 2 souligné, pour modifier la durée de validité de la nouvelle loi et remplacer le 31 décembre 2023 par le 31 décembre 2027, et un autre amendement, à l'article 3 souligné, afin que la loi entre en vigueur le 1er janvier 2025, pour avoir le temps de mettre en oeuvre ce texte. Je vous remercie de votre soutien à ce projet de loi solidaire et responsable.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de troisième minorité. J'aimerais apporter un ou deux éléments complémentaires à ceux qui viennent d'être présentés par mon collègue Wenger, à commencer par l'argument qui nous est avancé en permanence sur la concurrence fiscale entre les cantons, voire la concurrence fiscale internationale, selon lequel nous ne serions pas concurrentiels. Je tiens à démonter quelques-uns de ces arguments.
On dit que ça favoriserait l'exil de ces gros revenus vers d'autres cieux. En y regardant de plus près, cet argument est bancal, puisque notamment le canton de Vaud impose déjà davantage les gros revenus. Quand on parle des hauts revenus, si l'on prend l'exemple d'un couple marié avec deux enfants qui a un revenu brut de 1 million de francs, on voit que Neuchâtel, Bâle-Campagne, Berne, le Jura et Vaud appliquent des taux d'imposition effectifs plus élevés que Genève. L'application du nouveau barème proposé par le projet de loi amènerait Genève à peu près au niveau du canton de Vaud pour les revenus très élevés. Pour les revenus inférieurs à 1 million de francs, Genève se tient plutôt au milieu du peloton et ne représente donc en rien l'enfer fiscal que la droite passe son temps à dresser en épouvantail.
Je prends encore un ou deux chiffres, puisqu'il y avait à l'origine un troisième rapporteur, M. Jean Batou, qui était rapporteur de deuxième minorité. J'aimerais relever certains éléments qu'il a détaillés dans son rapport. Il s'agit d'éléments de comparaison entre les villes. L'imposition d'un revenu brut de 300 000 francs est aujourd'hui plus faible en ville de Genève qu'à Delémont, Liestal, Lausanne ou Neuchâtel, et est du même ordre de grandeur qu'à Berne ou Fribourg, alors que Genève dispose d'un niveau de vie supérieur à ces autres chefs-lieux cantonaux. En faisant cette comparaison, on voit que Genève n'est de loin pas la ville la plus chère en matière d'imposition pour des revenus de 300 000 francs. Ces statistiques de comparaison intercantonale peuvent être consultées sur le site de l'administration fédérale, que vous trouvez dans mon rapport de minorité. Laissez-vous inspirer, vous pouvez comparer divers types de revenus, divers types de familles, avec ou sans mariage - cette comparaison est très instructive.
Pour l'ensemble de ces raisons, la minorité représentant les Vertes et les Verts vous incite à entrer en matière sur le projet de loi 12791. (Applaudissements. Brouhaha.)
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie de bien vouloir garder le silence. Ceux qui veulent discuter peuvent le faire à l'extérieur de la salle. Merci beaucoup. La parole est à M. Desfayes.
M. Sébastien Desfayes (LC). Merci, Monsieur le président. Je pense que le député Wenger ne sera pas surpris si je lui dis que le groupe Le Centre ne va pas soutenir ce projet de loi. (Remarque.) Vraiment, il ne sera pas surpris ! Mais, Monsieur le président, vous qui aimez le cinéma, vous avez peut-être fait l'analogie avec «Nimitz» ou «Matrix». Moi, je me suis cru, l'espace d'un instant, en entendant l'excellent député Wenger, dans un vortex spatio-temporel particulier, parce qu'on a entendu quasiment le même discours au mois de novembre - je crois que c'était le 16 novembre - sur un projet de loi qui était en tous points identique. Par conséquent, je ne vais pas être très très long: je vais simplement dire que ces projets ne servent à rien, si ce n'est à créer une inquiétude dans la population par rapport à la fiscalité. Tout le monde sait que le Grand Conseil ne va jamais les accepter. Vous allez peut-être déposer de nouvelles initiatives, ça créera de nouvelles inquiétudes, mais, à nouveau, vous allez perdre devant le peuple.
Ce qui est aussi dangereux avec ces initiatives, c'est qu'on introduit un doute auprès des 1% de la population dont les finances publiques dépendent. Ce sont ces gens-là qui contribuent de manière essentielle aux recettes fiscales issues des personnes physiques, et, projet après projet, vous les visez alors même que leur maintien sur le territoire est absolument fondamental.
Le rapporteur de première minorité - je terminerai par là - a été d'une très grande démagogie en parlant de Migros, de la Coop, etc.: ça n'a absolument rien à voir avec ce projet de loi. Mais il a quand même dit quelque chose de juste: l'immense majorité des Genevois ont de la peine à faire face à leurs charges, notamment les loyers, l'assurance-maladie, il faudrait aussi ajouter les impôts. Il se trouve qu'à peu près 60% de la population ne touche pas de subside d'assurance-maladie, ne touche pas d'aide au logement, mais en revanche paie des impôts. Alors si on veut renforcer le pouvoir d'achat de la population genevoise et de cette catégorie majoritaire de la population, il faut bien entendu réduire les impôts, et je vous appellerai, en temps utile, à soutenir le projet de loi déposé cette semaine. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Ce projet de loi concerne la période covid. Il prévoyait d'augmenter l'impôt sur le revenu de 2021 jusqu'à fin 2023 pour pallier les difficultés liées à la pandémie. Il est obsolète, parce qu'il était expressément rédigé pour apporter une aide temporaire pendant le covid.
Soutenir aujourd'hui un amendement en cas d'entrée en matière pour décaler les années d'effet de ce projet de loi est cynique. C'est bien la preuve que la gauche saisissait à l'époque le prétexte de la pandémie pour faire avancer ses idées, instrumentalisant ainsi à ses fins une crise sanitaire planétaire. Sur le fond, l'idée du parti socialiste est toujours la même: faire payer encore davantage les personnes qui paient déjà un maximum d'impôts. Je rappelle ici quelques chiffres - on en a déjà entendu certains, je vais vous en présenter d'autres: 15% des contribuables paient 73% de l'impôt sur le revenu; à noter que 0,2% des contribuables en paient 21% et que 36% des contribuables n'en paient pas. Je rappelle également que 1% des contribuables paient 70% de l'impôt sur la fortune. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes personnes qui paient beaucoup d'impôts sur le revenu et qui paient aussi l'impôt sur la fortune. A eux deux, ces impôts représentent 57% des recettes de l'Etat. Ils sont donc essentiels pour le fonctionnement de notre collectivité.
J'ai du mal à comprendre l'acharnement consistant à vouloir continuellement charger encore davantage les contribuables qui paient le plus d'impôts à Genève. C'est un message négatif et délétère à leur égard, qui, en plus, nuit à l'attractivité du canton. Par ailleurs, si nous voulons maintenir notre niveau de prestations à la population, vision qui devrait être chère à la gauche, nous avons tout intérêt à être prudents et à cesser de vouloir faire fuir les personnes qui participent activement à notre prospérité et au bien-vivre ensemble. Vous l'aurez compris, pour toutes ces raisons, le groupe PLR vous invite à rejeter clairement ce projet de loi. Je vous remercie, Monsieur le président de séance.
Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, vous l'aurez compris - on l'a rappelé et c'est juste -, ce projet de loi a été déposé dans un contexte de crise, celle du covid-19, et il se base sur l'idée qu'en période de crise, lorsqu'on a des personnes économiquement fragiles qui, par milliers, tombent dans la précarité, voire pour certaines dans la pauvreté, on peut demander aux personnes les plus privilégiées - ce sont elles qui sont visées par cette proposition d'augmentation d'impôts - un petit effort financier supplémentaire, qui relève, à notre sens, de la solidarité la plus élémentaire.
On parle véritablement de contribuables qui ont de très hauts revenus: plus de 259 000 francs imposables par année, avec effectivement une augmentation via une tranche d'impôts supplémentaire pour les personnes qui, par année, touchent un revenu de plus de 1 million de francs imposables. Il s'agit des très très hauts revenus. Cela concerne quelques milliers de contribuables dans notre canton, qui, à notre sens, ont tout à fait les moyens, dans une période de crise, quand on a des phénomènes de précarisation massive de la population, de payer quelques milliers de francs d'impôts supplémentaires de façon temporaire.
Effectivement, la crise du covid - on l'a mentionné - est passée. Oui, c'est juste, la crise en tant que telle est passée, mais la précarité qu'elle a engendrée, elle, demeure et est absolument criante. Elle est en plus de cela renforcée par une autre crise qui ne s'est pas fait attendre à la fin du covid: c'est évidemment la terrible inflation galopante que nous connaissons depuis quelques mois, qui appauvrit les ménages de la classe moyenne et des classes populaires, sans que le Conseil d'Etat ait eu - d'après ce qu'il nous dit lors de chaque débat budgétaire - les moyens de mettre en place des prestations publiques renforcées pour répondre à ces nouveaux besoins et pour éviter que les ménages de la classe moyenne et des classes populaires s'enfoncent encore un peu plus dans la précarité voire, pour certaines personnes, dans la pauvreté.
Or, aujourd'hui, ce qu'on vous propose, c'est de tenir compte de cette situation: les conséquences du covid ne sont pas réglées - loin de là -, et face à ce constat, on a besoin de ressources supplémentaires afin de mettre en place un certain nombre de mesures d'aide aux personnes, de prestations financières pour les soutenir dans cette situation extrêmement délicate. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons d'accepter ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, c'est le mois de janvier, les jours s'allongent, on voit des pâquerettes dans les jardins - j'en ai vu hier -, c'est également le mois du Forum de Davos. Vous le savez sans doute, en tout cas je l'espère, Oxfam sort son rapport annuel. Oxfam est une confédération d'ONG qui s'occupe de questions relatives aux inégalités socioéconomiques à différentes échelles. Les trois derniers rapports d'Oxfam concernent précisément les effets du covid sur les inégalités, à différentes échelles. Ces trois derniers rapports sont absolument sans appel: la classe moyenne, qui est évidemment la classe la plus démunie, quelle que soit l'échelle démographique que l'on considère, s'est considérablement paupérisée au cours des trois, quatre dernières années, alors que la classe la plus aisée, au contraire, a vu son pouvoir d'achat se renforcer considérablement. Je vous invite à prendre connaissance de ces rapports, parce qu'ils sont extrêmement bien établis et documentés.
Un des outils qu'Oxfam propose pour régler, pour résorber, pour résoudre ce problème, c'est évidemment la fiscalité, qui, tendanciellement, dans toutes les démocraties occidentales, au cours des dernières décennies, a été diminuée, en particulier pour la classe la plus aisée et la plus fortunée de la population. Nous voyons effectivement - M. Desfayes y a fait allusion - des projets qui se succèdent pour diminuer cette fiscalité. Evidemment, cela est extrêmement problématique par rapport au contrat social et même à la gouvernance: on voit que dans certains cas (pas encore chez nous, mais peut-être que ça arrivera ici demain), cette concentration extrême, inacceptable, des richesses dans un nombre très restreint de poches ou de mains (cela a été évoqué), qui correspond à la pyramide fiscale que vous dénoncez, pose un vrai problème de gouvernance et de démocratie.
C'est pour ça que ce projet de loi, même s'il est un petit peu décalé - mais certains l'ont dit, si la crise covid est terminée sur le plan sanitaire, elle est loin de l'être sur le plan socioéconomique -, est tout à fait proportionné et doit être soutenu. Il est prévu sur un temps limité, il propose effectivement une hausse tout à fait modeste de la fiscalité sur le revenu, sans commune mesure avec la hausse réelle des revenus de la majorité de la population considérée.
Et pour terminer mon intervention avec un esprit taquin - vous commencez peut-être à me connaître ! -, j'invoquerai ou ferai semblant d'invoquer, comme l'a fait hier un de nos collègues, qui est d'ailleurs absent actuellement, l'article 24 de la LRGC, en engageant les personnes qui, dans ce parlement, sont concernées par ce projet de loi, c'est-à-dire celles bénéficiant d'un revenu supérieur à 259 000 francs, à ne pas prendre part au vote ! Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Encore un texte d'Ensemble à Gauche qui veut trucider les riches et faire la chasse à ces horribles multimillionnaires qui appauvriraient Genève, alors qu'apparemment, c'est quand même eux qui sont une manne pour nos finances cantonales. Nous sommes bien contents de les avoir et de pouvoir disposer de ces moyens. Hélas, hélas, malgré son départ, Ensemble à Gauche n'en finit pas de laisser quelques remugles législatifs. (Remarque.) J'aurais bien voulu écrire un sonnet comme l'a fait M. Julien Nicolet-dit-Félix, malheureusement, c'est vrai que ce projet est plutôt démoralisant, comme tous les autres d'Ensemble à Gauche. Je vais quand même laisser la paternité de cette initiative parlementaire. Je crois que ça nous a bien amusés... Malheureusement, ce n'est pas très amusant.
Présidence de Mme Céline Zuber-Roy, présidente
On se retrouve toujours avec le même principe: tuer la poule aux oeufs d'or, enlever la prospérité, alors que ce qu'il faudrait faire, au contraire, selon le groupe MCG, c'est bien évidemment augmenter les moyens de l'Etat. Nous avons besoin d'augmenter les moyens de l'Etat, mais comment est-ce qu'il faut le faire ? En renégociant la péréquation intercantonale, en renégociant la rétrocession à la France. Je vous rappelle que ce sont des centaines de millions de francs. Au final, ce sont des milliards quand on additionne toutes ces sommes sur des dizaines d'années, on se retrouve avec des montants gigantesques dont nous pourrions disposer et qui nous éviteraient d'avoir ces discussions stériles, d'autant plus que c'est suicidaire !
Malheureusement pour lui - je le regrette également -, le groupe Ensemble à Gauche s'est un peu autodétruit via une sorte de suicide collectif - malheureusement pour eux ! On voit qu'ils nous proposent ici un suicide collectif fiscal. Il faut refuser cet objet avec détermination. Je crois qu'il n'y a pas grand monde dans la salle qui croit à ces textes, malgré les postures des uns et des autres. Que dire, si ce n'est: hélas, hélas ! Merci, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Vincent Subilia pour une minute cinquante.
M. Vincent Subilia (PLR). Merci, Madame la présidente. Ce sera amplement suffisant pour tenir un propos conclusif à l'issue des interventions que j'ai pu entendre. Si M. Nicolet-dit-Félix soulignait, je le sens un peu optimiste, l'arrivée du printemps - j'ai l'impression que nous sommes encore bien ancrés dans l'hiver -, il a raison de rappeler que nous sommes en début d'année, c'est donc l'heure des bonnes résolutions. J'invite cette assemblée à en respecter certaines. L'une d'entre elles est le principe de la bonne foi, qui devrait guider nos actions. La bonne foi commande de rappeler ici un certain nombre de paramètres objectifs, notamment lorsqu'on évoque l'étude d'Oxfam. Le premier de ces paramètres, c'est de rappeler que, contrairement à ce qui peut être énoncé ici, la Suisse est un pays globalement très égalitaire, et l'indice de Gini, que l'on utilise pour faire cette mesure, n'est pas distendu ou distordu, à la différence de ce qu'on peut observer dans de nombreux pays effectivement stigmatisés, comme vous le disiez, par cette étude - qui a le mérite d'exister.
Vous le savez aussi bien que moi, il est bon de le rappeler, s'il y a bien une injustice dans le paysage fiscal genevois, cette dernière tient à la pyramide inversée, qui veut que seul un très petit nombre de contribuables soient imposés de la façon la plus massive de Suisse; c'est l'impôt sur la fortune, qui atteint ici des niveaux qu'aucun autre canton suisse ne connaît. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) La bonne foi commanderait donc aussi de considérer, dans une perspective de réalisme politique - qui malheureusement fait défaut à une partie de cet hémicycle -, que dans un monde concurrentiel, il ne faut pas prendre le risque de voir partir cette même population, qui nourrit une fonction publique par ailleurs pléthorique.
Et puis le dernier élément de bonne foi, j'en termine par là, porte sur la temporalité. Mesdames et Messieurs de la gauche, combien de fois nous avez-vous expliqué que ces mesures n'avaient pas vocation à être poursuivies ?
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Vincent Subilia. On se souvient tous de l'impôt fédéral direct, qui, lorsqu'il a été institué, ne devait être qu'une mesure temporaire; on sait bien que si l'on adopte un impôt, il est très difficile de revenir en arrière.
La présidente. Merci.
M. Vincent Subilia. Sous ce double angle, je vous invite à rejeter ce texte. (Le micro de l'orateur est coupé.)
M. Jacques Jeannerat (LJS). Mesdames et Messieurs les députés, les partis de gauche ont raison, il faut prendre l'argent là où il est, c'est-à-dire auprès des riches, mais ils se trompent sur la forme: il ne faut pas prendre plus d'argent auprès de chaque riche, mais prendre de l'argent auprès de plus de riches. Ce projet de loi va à l'encontre de ce que je viens de dire et représente un petit jeu dangereux.
Les riches ont la capacité d'aller déposer leurs papiers dans d'autres cantons ou dans d'autres pays, c'est plus facile à faire quand on gagne beaucoup d'argent que quand on en gagne très peu. Vous allez me dire: «Bien sûr, ils ne vont pas tous partir !» On est d'accord qu'ils ne vont pas tous partir, mais il suffit que deux ou trois très gros riches mettent les baskets, et le château de cartes est en danger. Il faut donc faire attention avec ce genre de petit jeu. Le mouvement LJS vous propose de rejeter ce projet de loi.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Romain de Sainte Marie pour une minute vingt.
M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je souhaite juste préciser qu'en effet, il y a une concurrence fiscale internationale, mais malheureusement, la droite cède à cette concurrence fiscale en abaissant, année après année, les taux d'imposition.
Il y a aussi une concurrence internationale en matière d'attractivité, d'infrastructures, de qualité de vie. C'est vrai que si aujourd'hui nous souhaitons attirer des grandes fortunes, attirer des entreprises, eh bien il s'agit également de garantir une formation de qualité pour attirer ces entreprises, un système de santé de qualité pour soigner les personnes les plus âgées - à savoir ces grandes fortunes qui viennent en Suisse notamment pour cette qualité de vie -, des infrastructures de qualité en matière de transport et également de sécurité. Et ça, la droite, Mesdames et Messieurs, l'oublie. Elle ne voit que cet aspect fiscal en disant: «Il faut baisser toujours un peu plus les rentrées d'imposition, les recettes fiscales», ce qui réduit toujours la taille de l'Etat - c'est en effet la ligne doctrinaire de la droite, réduire la taille de l'Etat, réduire, comme on a pu le voir lors du budget 2024, le nombre de fonctionnaires dans le canton de Genève et les prestations à la population. C'est bien ça: vous êtes en train, Mesdames et Messieurs de la droite, de scier la branche sur laquelle nous nous trouvons, c'est-à-dire la qualité de vie des Genevoises et des Genevois. Je vous invite donc à accepter ce projet de loi. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Nicolet-dit-Félix pour cinquante secondes.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Merci, Madame la présidente. J'aimerais rectifier rapidement des faits: effectivement, la Suisse n'est pas le pays le plus mal classé pour l'indice de Gini, qui est donc ce rapport entre la courbe de Lorenz et la diagonale d'un graphique, vu qu'elle présente un taux de 32 - plus le taux est élevé, plus l'inégalité est forte -, mais je vous invite à prendre connaissance des valeurs officielles. Les taux de l'ensemble des démocraties du nord de l'Europe se situent entre 20 et 25; toutes les démocraties de l'est de l'Europe sont autour de 25. Alors certes, il y a des pays moins bien classés que la Suisse, comme les Etats-Unis, l'Australie, également le Venezuela ou encore la Sierra Leone; si c'est à ce genre de modèle que vous vous référez, ce n'est pas notre cas, et c'est pour cela que nous vous invitons à entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
La présidente. Merci. Il n'y a plus de demande de parole de députés. Je cède donc le micro aux rapporteurs, en commençant par M. Eckert. Vous avez une minute trente à disposition.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de troisième minorité. Merci, Madame la présidente. Mantra contre mantra: la droite nous ressert en permanence le mantra de la fuite de ces personnes qui ont des revenus élevés, qui ont de grandes fortunes; or, ce n'est pas du tout ce que l'on constate. On remarque qu'il y en a finalement de plus en plus et qu'en réalité, les inégalités à la fois salariales et de fortune dans le canton de Genève ne font qu'augmenter. Nous n'avons pas vu ces personnes disparaître. Il y a peut-être des cas ponctuels, mais il y a toujours plus de personnes qui arrivent que de personnes qui s'en vont.
J'ai essayé de vous démontrer dans mon introduction que finalement, pour des revenus élevés, à savoir de plus de 1 million, on n'était de loin pas le canton qui taxe le plus ces contribuables, contrairement à ce qui a pu être dit. Allez donc regarder les statistiques sur le site de l'Office fédéral de la statistique et venez en discuter avec moi. Je continue à vous proposer d'entrer en matière sur ce projet de loi.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Wenger pour quarante-cinq secondes.
M. Thomas Wenger (S), rapporteur de première minorité. Merci, Madame la présidente. Je souhaite juste reprendre l'indice de Gini - vous transmettrez à M. Subilia -, qui montre effectivement - en comparaison avec les Etats-Unis, où il y a peut-être une personne qui vit le rêve américain et des millions d'autres qui sont dans la pauvreté - que si l'on se base sur une comparaison intercantonale, Genève est le champion suisse des inégalités. C'est bien pour ça que nous faisons ces propositions politiques. Il en va de la cohésion sociale de notre canton: d'un côté, on a des personnes extrêmement riches, que ce soit en fonction du revenu ou de la fortune, et de l'autre, des personnes dans la précarité. (Remarque.) Et tant mieux ! Pas pour la précarité, mais pour les personnes extrêmement riches ! Je réagis, excusez-moi, aux propos de mon collègue qui me trouble !
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Thomas Wenger. Oui, je vais conclure. Pour nous, l'impôt est un moyen de redistribuer cette fortune et ce revenu, c'est pour ça que nous vous enjoignons de voter ce projet de loi solidaire et responsable.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Ivanov pour cinq minutes.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Ah, j'ai du temps, c'est bien ! Merci, Madame la présidente. Je ne vais pas prendre les cinq minutes, mais j'aimerais quand même revenir sur certains points. D'abord, je souhaite rappeler que ce projet de loi avait été déposé pendant la période du covid, qu'il concernait les années entre 2021 et 2023: il est donc obsolète.
Je souhaite ensuite répondre à mes préopinants en ce qui concerne la précarité, la pauvreté. J'aimerais quand même dire qu'à Genève, le filet social et la solidarité sont certainement les plus importants de Suisse. En effet, l'an dernier, il me semble que ce Grand Conseil a voté 100 millions de plus pour l'Hospice général, ce qui prouve bien qu'en matière de solidarité, la droite n'a pas de leçons à recevoir sur la base des mantras idéologiques de la gauche ! Le gros problème, et cela a été dit, c'est que nous avons une pyramide inversée sur le plan fiscal et que de cette manière, le système est quasi, je dirais, pervers.
Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission fiscale vous demande de refuser l'entrée en matière sur le PL 12791. Je vous remercie.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous recommande de refuser ce projet de loi. Il a déjà eu l'occasion de l'indiquer, il n'est pas favorable à une augmentation de l'impôt, en particulier s'il s'agit d'une augmentation qui se base sur des faits passés, à savoir une crise sanitaire que nous avons surmontée. Le Conseil d'Etat est conscient qu'il y a aujourd'hui dans le canton une précarité qui croît. Il a d'ailleurs pris des mesures à cet égard en augmentant le niveau des prestations sociales, en augmentant les prestations complémentaires pour la population, aussi en subventionnant l'association Partage de façon à s'assurer que les populations qui en ont besoin puissent bénéficier d'une aide.
J'aimerais rappeler que le canton de Genève est déjà celui qui impose de la façon la plus lourde les hauts revenus, et que par ailleurs les personnes qui seraient visées par cette augmentation représenteraient le 1,9% des contribuables, mais que leur taux d'imposition augmenterait entre 7,5% et 9%. Mesdames et Messieurs, si cela peut paraître anodin à certains, c'est une source d'inquiétude, c'est une source d'instabilité en matière d'imposition dans notre canton. Ces sources d'instabilité, ces sources d'inquiétude sont susceptibles de faire partir des contribuables. Ce dont ont besoin nos contribuables - et l'ensemble d'entre eux -, c'est de prévisibilité. Cela est rappelé lors de chaque séance au cours de laquelle nous rencontrons des contribuables, quels qu'ils soient, et le Conseil d'Etat vous le redit: nous en avons assez de voir ces projets de lois qui, au fond, polluent un canton où il fait bon vivre et où l'imposition est extrêmement élevée.
Ces projets de lois et ces initiatives qui se succèdent viennent provoquer des craintes et une instabilité auprès de nos contribuables, et le Conseil d'Etat vous recommande vivement de refuser celui-ci. Je vous remercie, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. Nous votons à présent sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12791 est rejeté en premier débat par 64 non contre 28 oui.