Séance du
vendredi 24 novembre 2023 à
18h
3e
législature -
1re
année -
6e
session -
39e
séance
PL 12718-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
La présidente. Nous continuons avec les PL 12718-A et 12719-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à M. Christo Ivanov, rapporteur de majorité sur les deux projets de lois.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous traitons ici deux projets fiscaux extrêmement importants. Le PL 12718 demande la suspension du bouclier fiscal et le PL 12719 vise la suspension de l'imposition d'après la dépense.
Je parlerai d'abord du PL 12718. Il faut rappeler qu'à Genève, le taux d'imposition sur la fortune - 1% - est le plus élevé de Suisse, cela a été dit plusieurs fois aujourd'hui. Le bouclier fiscal permet d'éviter les effets néfastes de ce taux élevé. C'est un instrument correcteur visant à ce que personne ne se retrouve face à un impôt confiscatoire. Ce terme, «confiscatoire», est retenu par le Tribunal fédéral, selon qui l'imposition ne doit pas l'être. En vertu de la législation fédérale, tous les cantons sont tenus de prélever un impôt sur la fortune, mais ils peuvent décider du taux appliqué. A Genève, le bouclier fiscal permet de corriger un impôt sur la fortune trop élevé, mais seulement dans le cas où les impôts cantonaux et communaux sur le revenu et la fortune dépassent 60% du revenu net imposable. Il faut aussi tenir compte de l'IFD, dont le taux maximal s'élève à 11,5%. Cela veut dire que celui qui bénéficie du bouclier fiscal paie déjà entre 60% et 71,5% d'impôts par rapport au revenu net imposable. Ce taux est déjà très important.
Si on suspend le bouclier fiscal, les contribuables fortunés qui peuvent en bénéficier risquent de quitter le canton - nous en avons déjà parlé cet après-midi. Il faut relever que les recettes de l'impôt sur la fortune proviennent pour la plupart de ces contribuables. Les commissaires ont pu voir lors de leurs travaux la pyramide fiscale inversée qui existe à Genève, comme cela a été dit tout à l'heure par le député Desfayes. C'est ainsi une minorité de contribuables qui versent une majorité de l'impôt. Si ces contribuables quittent le canton, la perte de recettes fiscales causée par leur départ ne pourra être rattrapée. La suspension éventuelle du bouclier fiscal conduirait sans aucun doute à une diminution du nombre de contribuables suite aux départs de certains. Ceux-là ne manqueraient pas non plus de déposer des recours pour se prévaloir de la jurisprudence du Tribunal fédéral sur l'aspect confiscatoire de l'impôt. Vous l'aurez compris, il convient de refuser le PL 12718.
Madame la présidente, est-ce que j'enchaîne sur le deuxième projet de loi ? (La présidente acquiesce.) Alors en ce qui concerne le PL 12719, ce texte vise à supprimer l'imposition d'après la dépense. En préambule de son audition par la commission, Mme Fontanet a présenté l'évolution de cette imposition...
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Christo Ivanov. En 2001, le droit genevois prévoyait que la dépense ne devait en principe pas être inférieure à 300 000 francs. En 2012, un seuil minimal de 400 000 francs a été fixé pour l'IFD. En 2014, le Grand Conseil a refusé l'IN 149 «Pas de cadeaux aux millionnaires» visant la suppression des forfaits fiscaux et a adopté un contreprojet qui mettait en oeuvre la disposition fédérale sur l'imposition d'après la dépense avec un seuil de dépense minimale de 600 000 francs. Le 30 novembre 2014, le peuple a refusé tant l'initiative que ce contreprojet. On en est donc resté à 300 000 francs de dépense. En 2015, le Grand Conseil a adopté la loi 11683 pour qu'au niveau de l'impôt cantonal et communal le seuil de la dépense minimal soit de 400 000 francs. En 2015, un référendum a été lancé contre la loi. Le 1er janvier 2016, cette loi est entrée en vigueur. Compte tenu du référendum, le Conseil d'Etat avait adopté un règlement provisoire, dans l'attente du résultat du référendum. Le 5 juin 2016, cette loi a été acceptée en votation populaire et son entrée en vigueur a donc été confirmée.
Vous voyez qu'il s'agit d'un long serpent de mer. Depuis cette date, c'est le nouveau droit qui s'applique, aussi bien pour l'impôt fédéral direct que pour l'impôt cantonal et communal pour les personnes physiques imposées d'après la dépense au moment de l'entrée en vigueur du nouveau droit. L'impact de cette révision des forfaits fiscaux à Genève avait été estimé à 18,4 millions de francs pour les recettes cantonales.
Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous demande de bien vouloir refuser l'entrée en matière sur le PL 12719.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à la rapporteure de première minorité sur le PL 12718-A, Mme Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, que serait un traitement des projets de lois qui concernent le département des finances sans un débat sur le bouclier fiscal ? Je vous le demande ! En l'occurrence, le dépôt de ce projet de loi s'inscrit dans un contexte particulier, celui de la crise du covid. Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors d'un débat précédent, cette crise a considérablement aggravé la situation de précarité d'un grand nombre de personnes dans notre canton, creusant au passage très fortement les inégalités. Ces conséquences pas forcément très visibles sont toutefois bien présentes et extrêmement durables.
Aux yeux de la minorité, si nous nous félicitons des solutions apportées par les autorités pour résoudre la problématique sanitaire liée au covid, mais aussi pour surmonter les problèmes économiques créés par cette pandémie à travers la délivrance d'un nombre important d'aides et de prestations - à l'intention en particulier des entreprises et des petits commerces, qui étaient très fortement impactés par les mesures de semi-confinement -, les réponses qui ont été apportées à la crise sociale qui a commencé dans le cadre de la pandémie et qui perdure aujourd'hui ont été largement insuffisantes, à notre sens, pour faire face aux enjeux de précarisation et de creusement des inégalités que je viens de mentionner.
Une nouvelle fois, ce sont des crises qui se succèdent, qui surtout s'accumulent dans leurs effets et qui renforcent, aggravent, accentuent les phénomènes de précarisation et de creusement des inégalités. Les personnes qui ont été fragilisées par la crise du covid sont aujourd'hui celles qui sont une nouvelle fois touchées de plein fouet par l'inflation et l'augmentation des primes, des loyers et des coûts de l'énergie, ce qui conduit notre canton à vivre une véritable situation d'urgence sociale, face à laquelle nous ne pouvons pas simplement détourner le regard et faire la sourde oreille. C'est dans ce contexte que nous appelons à voter ce projet de loi: il s'agit de délier les cordons de la bourse de l'Etat afin de soutenir cette population en souffrance et de dégager les moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre de ces prestations qui doivent lui apporter le soutien de l'Etat.
Ce projet de loi propose de suspendre de manière temporaire - et j'insiste sur le caractère temporaire - le bouclier fiscal, qui n'est ni plus ni moins qu'une niche fiscale ayant pour vocation de protéger les très hautes fortunes. Pour le parti socialiste, plutôt que de protéger les très hautes fortunes, il convient de protéger les plus vulnérables à travers un renforcement des prestations et des aides financières, ce qui permet de renforcer également les mécanismes de solidarité. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à adopter ce projet de loi.
La présidente. Je vous remercie. La parole est au rapporteur de seconde minorité sur le PL 12718-A, M. Pierre Eckert.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, évidemment, on est sorti de cette situation du covid - enfin, pas totalement - mais il faut quand même replacer ce débat sur le bouclier fiscal dans l'actualité. Les débats budgétaires, et même le dernier que nous avons eu, montrent en permanence la difficulté de pouvoir fournir à la population les prestations qu'elle attend tout en traitant la fonction publique de façon respectueuse, par exemple en matière d'indexation des salaires. Il est donc justifié de trouver quelques autres sources de revenus. Mais le bouclier fiscal génère en lui-même divers autres problèmes que je vais essayer d'énumérer ici.
Le bouclier fiscal a justement été introduit pour essayer d'éviter cet impôt prétendument confiscatoire, mais il faut bien relever que depuis qu'il a été mis en place, le dispositif a engendré des mécanismes d'optimisation fiscale, notamment par la multiplication de l'utilisation de titres dont le rendement ne s'ajoute pas au revenu, comme chacun le sait: les plus-values ne s'ajoutent pas au revenu, ce qui abaisse le revenu imposable et augmente les effets du bouclier fiscal. La réduction de charges due au bouclier fiscal se montait à 76,2 millions de francs en 2011 puis à 172,4 millions de francs en 2018. Je ne me suis pas amusé à chercher les chiffres des années précédentes, mais je tiens à dire à M. Zweifel, que vous saluerez de ma part, Madame la présidente, que cela représente quand même un facteur multiplicatif de 2,26. Dans le même temps, le nombre de bénéficiaires du bouclier fiscal est passé de 1729 à 6643, soit une multiplication par un facteur 3,84. Il est clair que l'utilisation du bouclier fiscal a largement dérivé de son objectif initial et que les mécanismes d'optimisation que je viens de mentionner ont été abondamment activés. La situation a encore empiré du fait que le Tribunal fédéral a étendu le déploiement du bouclier fiscal en 2017, le rendant ainsi accessible à un plus grand nombre de contribuables, avec la possibilité de faire des déductions supplémentaires.
Il est donc clair qu'on peut remettre en question ce principe de bouclier fiscal. On pourrait l'adapter. Il y a passablement de contribuables qui possèdent de grandes fortunes, voire de très grandes fortunes, qui déclarent des revenus faibles, voire nuls, ce qui ne se justifie pas du tout à notre sens. Une suspension du bouclier fiscal pendant trois ans donnerait le temps de la réflexion et permettrait d'aménager ce dispositif pour préserver notamment d'autres personnes qui pourraient être touchées, par exemple des retraités possédant un bien immobilier ou les indépendants.
Encore quelques éléments pour montrer que les grandes fortunes ne manquent pas de moyens liquides, comme on cherche à nous le faire croire: le segment du luxe se porte très bien, comme le constate SPG One, société de courtage spécialisée dans l'immobilier de prestige et affiliée à Christie's. De plus, comme cela a déjà été mentionné cet après-midi, selon le rapport d'Oxfam, 1% des plus riches sont responsables de 16% des émissions mondiales, liées à leur consommation. Les grandes fortunes consomment beaucoup et ont par conséquent des liquidités à faire valoir.
On mettra bien entendu ces faits en relation avec la précarité croissante d'une partie de la population genevoise. On voit donc une fois de plus que la fumeuse théorie du ruissellement ne fonctionne pas et qu'une redistribution de la part de l'Etat est plus que jamais nécessaire.
La présente minorité, représentant les Vertes et les Verts, soutiendra en conséquence le projet de loi 12718 avec l'amendement que j'ai déposé, qui consiste à reporter la validité de la disposition sur les années 2024, 2025 et 2026. Je vous remercie.
La présidente. Merci. La parole est au rapporteur de minorité sur le PL 12719-A, M. Thomas Wenger.
M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames les députées, Messieurs les députés, Madame la présidente, je demanderai une suspension de séance pour qu'on ait le temps d'aller à la buvette se prendre un verre de champagne - ou de Baccarat pour avoir le soutien d'AgriGenève -, car nous devons fêter quelque chose: nous avons l'homme le plus riche de Suisse qui vit aujourd'hui sur le territoire genevois. L'homme le plus riche de Suisse, comme nous le dit le magazine Bilan, est copropriétaire de Chanel, il a une fortune estimée entre 41 et 42 milliards.
Une voix. Seulement ?
M. Thomas Wenger. Sauf que le problème, c'est qu'il est français, donc au lieu de payer ses impôts comme toutes les Genevoises et les Genevois, il est au forfait fiscal. Le magazine «Bilan» nous apprend que les trois cents plus riches de Suisse cette année ont une fortune cumulée de 795 milliards. Et puis nous avons un autre rapport que j'aime bien citer dans ces débats fiscaux, c'est celui de Henley & Partners, un consultant anglo-saxon, qui nous dit que le canton de Genève abrite 345 fortunes de plus de 100 millions de francs et 16 milliardaires.
Alors tout ça, c'est très bien pour le canton de Genève. Et comme l'a dit mon collègue Vert tout à l'heure, nous les accueillons les bras ouverts, bien entendu ! Par contre, nous leur demandons de s'acquitter des impôts qu'ils devraient payer équitablement avec les Genevoises et les Genevois. Or, ils ne paient pas équitablement, et la question qu'on doit se poser, c'est combien ces forfaitaires fiscaux paient d'impôts aujourd'hui sur la base de leur dépense.
On avait une petite indication, un exemple qui nous avait été donné par Bloomberg: un ancien gros contribuable que vous connaissez peut-être, qui habitait dans le canton de Vaud, en dessus de Morges, et qui vendait des meubles en pièces détachées - je ne sais pas si ça vous dit quelque chose - dont le montage vous rend complètement fou... (Rires.) ...avait une fortune estimée à l'époque à 47 milliards de francs, et puis on a appris, par des indiscrétions, qu'il payait des impôts de quelques centaines de milliers de francs. Pour 47 milliards de fortune estimée !
Pendant ce temps-là, vous, vous avez ouvert la lettre qui vous annonce que vous aurez une augmentation de loyer l'année prochaine, que vous avez encore cinq jours pour changer de caisse maladie pour vous prendre une hausse des primes de 6% au lieu de 10%, et puis les SIG vous ont augmenté votre électricité et vous n'avez du coup plus assez d'argent pour vous acheter une belle armoire pour votre enfant - vous courez donc dans ce magasin qui fait des meubles démontables; vous y allez bien sûr en bus, parce que votre voiture est en panne mais vous n'avez plus le temps ni l'argent pour aller au garage. Vous mettez le carton dans lequel se trouve votre armoire dans le bus, vous changez à Bel-Air - je ne vous explique pas -, ensuite, vous vous engueulez pendant six heures avec votre femme pour savoir pourquoi il manque encore une vis pour finir de monter cette fameuse armoire. Eh bien pendant ce temps-là, votre forfaitaire fiscal, lui, il paie quelques centaines de milliers de francs sur ses 47 milliards de fortune !
Je terminerai, Madame la présidente, en vous disant que bien entendu, pour les socialistes, les possesseurs de ces immenses fortunes - et de nouveau, ils sont les bienvenus à Genève - doivent être taxés équitablement, d'une part par égalité de traitement avec tous les autres contribuables genevoises et genevois et d'autre part, bien entendu, pour contribuer davantage, vu les moyens importants dont ils disposent, au financement des services publics, des prestations à la population. Nous l'avons dit toute la journée, les besoins de la population sont grandissants suite à la crise du covid, qui était une crise sanitaire, économique, sociale et dont les effets sont encore aujourd'hui malheureusement trop criants. Merci, Madame la présidente. (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (LC). L'heure avance et la gauche radote. (Rires.) Les rapports de minorité qu'on a entendus étaient quasiment calqués sur le PL 12656-A, que nous avons traité il y a deux heures et demie à peu près. Je vais donc vraiment essayer d'être très bref, parce que je n'ai pas envie de me répéter.
Il y a quand même une petite variante ici, c'est qu'on arrive à prendre la gauche en flagrant délit d'hypocrisie: c'était cette même gauche qui était venue en commission, la bouche en coeur, nous dire que c'était simplement pour le covid, pendant deux ans, entre 2021 et 2023, et qu'ensuite, bien entendu, ces mesures s'éteindraient. On est aujourd'hui à la fin de l'année 2023 et ils ont envie que ces mesures soient instaurées pour 2024 et 2025, quand bien même les effets du covid, enfin, le covid lui-même a disparu. Donc vraiment, l'hypocrisie de la gauche qui nous dit: «Mesure fiscale provisoire, deux ans, pas plus»... C'est un peu le même coup que celui de 1914, le fameux impôt fédéral direct, qui existe toujours aujourd'hui. Voilà pour cette brève parenthèse.
Si on a un budget de plus de 10 milliards, c'est parce qu'on a des contribuables qui paient des impôts, et de riches contribuables. Si on s'attaque à ces gens-là, comment fera-t-on face aux charges de l'Etat ? Simplement, c'est la classe moyenne qui passera à la caisse. En s'attaquant aux plus riches, indirectement, on s'attaque à la classe moyenne, parce que si ces gens-là, ces rares contribuables, devaient quitter le canton, on aurait à affronter une crise économique terrible.
Face à la gloutonnerie - on va dire - de la gauche, j'aimerais ajouter un dernier point sur le forfait fiscal. Souvent, la gauche vient nous parler de la volonté populaire. Par exemple, par rapport au PAV, combien de fois on nous a sorti: «On a voté il y a sept ans là-dessus, vous ne pouvez pas revenir avec vos projets de lois.» Je vous rappelle que nous avons voté en 2014 sur le forfait fiscal au niveau fédéral et que la population genevoise s'est exprimée à hauteur de 70% à peu près - 68,2% pour être plus précis - pour le maintien du forfait fiscal. La population, contrairement à la gauche, n'est pas dupe, elle connaît les effets bénéfiques: le ruissellement de la fortune, qui profite à l'ensemble du canton. Les musées, les orchestres, le monde sportif, le monde culturel savent les effets bénéfiques du forfait fiscal.
Alors j'espère qu'on n'aura pas encore à traiter trop de textes de ce type à la commission fiscale. J'espère vraiment que c'était de la poussière de comète, mais j'ai l'impression que pour flatter une toute petite partie de son électorat, la gauche surenchérit en la matière. Pour Le Centre, c'est très simple: la liquidation pure et simple de ces deux projets de lois. C'est la fin des soldes ! Merci beaucoup.
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Le covid étant passé, tout comme les années auxquelles il est initialement fait référence dans ces projets de lois, ceux-ci n'ont plus lieu d'être. Cela dit, et puisqu'ils n'ont pas été retirés par leurs auteurs - ce qui aurait sans doute été la manière la plus élégante de procéder, au lieu de déposer un amendement sur les années de référence, ce qui en dit long sur la prétendue volonté du parti socialiste de venir temporairement en aide pendant le covid -, permettez-moi de m'exprimer brièvement sur le fond.
A Genève, le taux d'imposition sur la fortune - on l'aura, je pense, compris cet après-midi - est le plus élevé de Suisse. Le bouclier fiscal permet d'éviter les effets néfastes de ce taux extrêmement élevé. En effet, cumulé à l'impôt fédéral direct, ce taux élevé de l'impôt sur la fortune fait que les bénéficiaires du bouclier paient jusqu'à 71,5% d'impôts. Genève est donc déjà à l'extrême limite de ce qui peut être fait en la matière. Au lieu de vouloir supprimer le bouclier fiscal, on serait bien avisé de dire merci aux contribuables qui paient ces impôts, dont les recettes reviennent à la collectivité. Ces personnes ont très largement contribué à financer les dépenses extraordinaires que l'Etat a dû consentir pendant la crise covid pour venir en aide à celles et ceux qui en avaient le plus besoin.
Cet après-midi, la gauche a essayé de nous dépeindre Genève comme un enfer de précarité. Pourtant, certaines personnes aux revenus plutôt modestes et avec charges de famille, qui habitent, par exemple, le canton de Vaud, font le choix de venir - ou de revenir, bien souvent - s'établir à Genève pour justement profiter d'un impôt clément, voire pour ne pas payer d'impôts. En effet, dans notre canton, 36% des contribuables ne paient pas d'impôts sur le revenu et l'immense majorité n'en paie pas sur la fortune. Si le canton peut compenser ce manque de recettes fiscales et offrir les prestations nécessaires à l'ensemble des contribuables, c'est bien grâce au fait que d'autres contribuables mieux nantis paient beaucoup, vraiment beaucoup d'impôts.
Concernant l'imposition d'après la dépense, qui fait l'objet du PL 12719, je rappelle que les forfaits sont établis sur plusieurs années. Les suspendre abruptement reviendrait à casser la bonne foi de l'administré envers l'administration. Modifier le système des forfaits fiscaux ne peut décemment se faire sans mesures transitoires, complètement absentes de ce projet de loi. Il n'est donc pas applicable en l'état.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe PLR vous propose de refuser l'entrée en matière sur ces deux projets de lois. Je vous remercie, Madame la présidente. (Applaudissements.)
La présidente. Merci. La parole est à M. Romain de Sainte Marie pour deux minutes trente-cinq.
M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, j'entends dire tout au long de la journée que c'est aujourd'hui le «Black Friday» à propos des projets de lois en matière de justice fiscale. Par contre, c'est vrai que grâce à la droite, c'est toute l'année le «Black Friday» pour les contribuables les plus riches de ce canton, puisque toute l'année, ce sont de véritables cadeaux fiscaux qui leur sont octroyés. Ils le leur sont par deux moyens: par le bouclier fiscal et par les forfaits fiscaux. Ces deux moyens sont des outils d'attractivité fiscale.
En effet, à la base, les forfaits fiscaux ont été créés prétendument pour de riches contribuables à la retraite et n'exerçant plus d'activité lucrative. Vous avez compris via les très bons exemples donnés par M. Wenger que la notion de contribuable à la retraite n'ayant plus d'activité lucrative est assez discutable quand on voit tous les patrons d'entreprises au bénéfice de forfaits fiscaux dans notre canton.
L'autre outil, le bouclier fiscal, avait été octroyé prétendument pour pouvoir aider de petites fortunes qui seraient dans une situation difficile, et on voit que le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter. Là encore, on constate qu'il s'agit d'un outil d'attractivité fiscale, et malheureusement ce Grand Conseil, surtout cette majorité de droite, s'est toujours basé sur la fiscalité pour attirer les grandes fortunes. C'est un raisonnement faux: les grandes fortunes viennent notamment du fait de la fiscalité, mais aussi du fait des infrastructures. A force de scier la branche sur laquelle nous sommes, c'est-à-dire de scier les dépenses publiques en diminuant les rentrées fiscales, petit à petit, nous détériorions ces infrastructures. Petit à petit, nous renverrons en effet ces personnes qui sont venues dans le canton de Genève pour les infrastructures et pas seulement pour une fiscalité attractive.
Pourtant, on le constate depuis des années, depuis des décennies, la droite menace par la peur, comme on a pu l'entendre tout à l'heure, en disant: «Attention, ces contribuables vont partir. Attention, les pauvres aujourd'hui ne paient pas d'impôts. Regardez ce que ces riches contribuables peuvent apporter.» (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Déjà, ces contribuables qui ne paient pas d'impôts aimeraient en payer: ils ne peuvent pas parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Aujourd'hui, les contribuables les plus fortunés devraient payer davantage. Pourquoi ?
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Romain de Sainte Marie. Parce que c'est un principe de justice fiscale - Zurich l'a montré lors d'une votation populaire et les finances zurichoises se portent toujours extrêmement bien s'agissant des recettes fiscales. Pour ces raisons, nous vous invitons à accepter les amendements et à voter ces deux projets de lois. (Applaudissements.)
M. Jacques Jeannerat (LJS). La gauche a raison sur le fond: il faut prendre l'argent là où il est, donc auprès des riches. Simplement, elle se trompe sur la méthode. Il ne faut pas prendre plus d'argent chez les riches, mais plus d'argent auprès de plus de riches. Il faut bien, Monsieur de Sainte Marie, avoir un outil attractif pour que les gens viennent payer des impôts à Genève. Le mouvement LJS s'opposera à ces deux projets de lois. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
La présidente. Je vous remercie. La parole n'est plus demandée dans la salle. Monsieur Eckert, il vous reste deux minutes dix-sept.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Madame la présidente. Cela a été relevé, on a passé une partie de cet après-midi à dire que les effets sociaux de la crise du covid n'ont pas vraiment disparu. Cette précarité qui existe depuis un certain temps existait probablement déjà avant cette crise. Malgré les délais de traitement de ce Conseil, nous n'avons pas voulu retirer ces projets de lois parce que nous estimons qu'ils sont toujours actuels.
J'ai essayé de mettre en avant les problèmes du bouclier fiscal, qui a été largement dévoyé. Pour ma part, je veux bien qu'on adapte une fois le mécanisme du bouclier fiscal; pour l'instant, nous soutenons ce projet d'une suppression temporaire. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous proposons de revenir sur cette suppression à un moment donné.
J'aimerais encore revenir sur certaines affirmations qu'on a entendues tout au long de l'après-midi. Sur le fait que les grandes fortunes sont les bienfaiteurs de Genève pour le soutien culturel ou autre: pour moi, c'est un soutien qui existe - on ne va pas le nier -, mais c'est un peu le fait du prince quand même et je préférerais que ces personnes paient leur juste part d'impôt et que les projets élaborés avec cet impôt soient décidés de façon démocratique à travers les instances cantonales et communales plutôt que par le fait du prince.
La présidente. Je vous remercie. Je salue à la tribune nos anciens collègues députés M. Ivan Slatkine, M. Daniel Zaugg et Mme Elisabeth Chatelain. (Applaudissements.) Monsieur Wenger, vous n'avez plus de temps de parole. Il reste à M. Christo Ivanov une minute vingt - qui sera peut-être un peu arrondie, étant donné que vous aviez trois contradicteurs.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente, pour votre mansuétude à mon égard. En effet, cela a été dit par mes préopinants, ces périodes fiscales sont écoulées - les deux projets de lois parlent des impôts pour la période 2020, 2021 et 2022. Par conséquent, le seul amendement déposé par la gauche - qu'il conviendra d'ailleurs de refuser - est celui visant le déplacement des périodes fiscales. Je me permets de rappeler par ailleurs qu'aucune mesure transitoire n'est prévue dans ces deux projets de lois. Grâce au bouclier fiscal, le taux de prélèvement n'est que de 60% pour les contribuables, auquel s'ajoutent 11,5% pour l'IFD, ce qui représente quand même un impôt confiscatoire puisqu'on arrive à un taux assez hallucinant de 71,5%.
J'aimerais relever enfin - et cela a été dit par Mme la conseillère d'Etat au sujet d'autres projets de lois que nous avons traités cet après-midi - que les gros contribuables, comme les entrepreneurs, dont je fais d'ailleurs partie, ont besoin de visibilité, de transparence et de sécurité. Il faut arrêter de faire peur. Je sais bien qu'aujourd'hui, c'est «vendredi noir», mais il ne faut quand même pas exagérer. Aujourd'hui, de gros contribuables quittent notre canton et sont remplacés par d'autres, c'est vrai, mais ces derniers ont moins de fortune et moins de moyens financiers. In fine, ce sont également de grands philanthropes, qui donnent énormément d'argent dans les domaines du social, de la culture et du sport. Par conséquent, il convient de refuser l'entrée en matière sur ces deux projets de lois.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est curieux, ces débats qui reviennent, j'ai envie de dire, année après année et où l'on ressent quand même, avec cette désignation précise des personnes fortunées, une forme de détestation, une forme d'envie, une forme de stigmatisation. Mesdames et Messieurs, ces personnes sont fortunées, peu importe ! Et tant mieux pour elles, et surtout tant mieux pour nous ! Et tant mieux pour celles et ceux qui le sont moins. Certains se plaignaient que nous n'avons de bouclier fiscal ou d'imposition d'après la dépense que pour attirer certains contribuables fortunés dans notre canton, mais heureusement, parce que les autres y sont attirés tout court et ils viennent dans notre canton: celles et ceux qui ne sont pas fortunés, celles et ceux qui ont des besoins sociaux et que nous sommes en mesure d'aider parce que nous bénéficions de ces contribuables fortunés qui, dans notre canton, sont déjà imposés plus lourdement qu'ailleurs.
Puis, Mesdames et Messieurs, je rappelle ce qu'est le bouclier fiscal. Certains parlent d'un «cadeau fiscal», mais le bouclier fiscal permet d'éviter une imposition confiscatoire. (L'oratrice insiste sur ce dernier mot.) C'est une définition qui a été validée et adoptée par la jurisprudence: ainsi, lorsqu'on a une imposition qui se situe entre 60% et 71,5% du revenu net imposable, on bénéficie du bouclier fiscal parce qu'au-dessus, Mesdames et Messieurs, c'est considéré comme confiscatoire. Alors réjouissons-nous d'avoir ce système ! Si ce n'était pas le cas, avec notre taux d'impôt sur la fortune si élevé, nous n'aurions plus de gros contribuables dans notre canton. Plutôt que de chaque fois les pointer du doigt, les mettre au pilori - à nouveau, j'ai déjà eu l'occasion de le dire au nom du Conseil d'Etat -, nous pouvons remercier ces contribuables qui nous permettent d'assurer les dépenses. Nous remercions d'ailleurs tous les contribuables qui paient leurs impôts. Il est évident que c'est une obligation, un devoir et que nous les remercions, mais c'est évidemment grâce à celles et ceux qui en paient beaucoup, beaucoup plus que d'autres que nous arrivons à avoir le train de vie que l'Etat a actuellement et à financer les prestations publiques. Le Conseil d'Etat vous recommande donc de refuser ces deux projets de lois.
Une voix. Bravo. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 12718 est rejeté en premier débat par 56 non contre 32 oui.
Mis aux voix, le projet de loi 12719 est rejeté en premier débat par 55 non contre 33 oui.