Séance du vendredi 24 novembre 2023 à 16h15
3e législature - 1re année - 6e session - 38e séance

PL 12656-A
Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de Pierre Bayenet, Jean Burgermeister, Jocelyne Haller, Pierre Vanek, Christian Zaugg, Pablo Cruchon modifiant la loi générale sur les contributions publiques (LCP) (D 3 05) (Pour un doublement de l'impôt immobilier complémentaire sur les logements et locaux commerciaux vides et sur les résidences secondaires)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 26, 27 janvier, 2 et 3 février 2023.
Rapport de majorité de M. Sandro Pistis (MCG)
Rapport de minorité de M. Jean Batou (EAG)

Premier débat

La présidente. Nous passons au PL 12656-A, classé en catégorie II, trente minutes. Etant donné que le groupe Ensemble à Gauche ne siège plus parmi nous, le rapport de minorité de M. Jean Batou ne sera pas présenté. Monsieur Pistis, vous avez la parole.

M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. La commission fiscale, qui a traité ce projet de loi, s'est très rapidement rendu compte que la pratique qu'il vise à mettre en oeuvre n'est pas viable - à tel point d'ailleurs, vous pouvez le constater, que le groupe qui a déposé ce projet de loi fiscal ne se trouve plus dans notre enceinte ! Cet objet est assez farfelu: il prévoit, de manière arbitraire, un doublement de l'impôt qui n'est basé sur quasiment rien. La commission fiscale a donc assez rapidement abrégé son étude, puisqu'il n'était pas fondé, et elle invite ce Grand Conseil à refuser le projet de loi.

M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, comme l'a dit le rapporteur de majorité, ce projet de loi prévoit de doubler l'impôt immobilier complémentaire sur les logements et les locaux commerciaux vides et sur les résidences secondaires. J'aimerais rappeler ici que nous avons voté, par le passé, un projet de loi de notre ancien collègue Ronald Zacharias qui prévoyait la transformation de locaux commerciaux vides en logements. Cette loi existe donc, il suffit qu'elle soit appliquée pour résoudre une grande partie des problèmes. Je ne vais pas m'épancher longuement, mais le présent texte pose évidemment d'autres problèmes en lien avec les normes sur les droits à bâtir, entraîne des frais élevés, des complications administratives, etc. Pour toutes ces raisons, il convient de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie, Madame la présidente.

M. Alexandre de Senarclens (PLR). Ce projet de loi, déposé par un groupe affamé de hausses d'impôts, qui, cela a été dit, a disparu de notre hémicycle, vise à augmenter - à le doubler - l'impôt immobilier complémentaire, tant sur les logements et locaux commerciaux vides et vacants depuis deux années consécutives que sur les immeubles et logements utilisés en tant que résidences secondaires; il s'agit donc d'une hausse d'impôt très importante. L'impôt immobilier complémentaire touche à hauteur de 0,1 point les habitations, les locaux commerciaux et les logements.

Il faut savoir, et vous le savez, que nous avons l'imposition la plus élevée de toute la Suisse. Il y a d'abord l'impôt sur la fortune, et aussi l'impôt immobilier complémentaire, qui n'est pas pratiqué dans beaucoup de cantons. Vous n'êtes pas sans ignorer par ailleurs que les gens ne laissent pas leurs locaux, leurs appartements vides pour le plaisir: c'est en général qu'il y a des rénovations, qu'il convient de retaper ces appartements. Si des locaux commerciaux, des arcades sont vides, c'est parce qu'il y a un problème au niveau de la demande, et il faut plutôt faciliter la conversion de ces locaux commerciaux en logements ! C'est ce que veut la droite et ce qu'elle a fait voter, malgré l'opposition de la gauche. Et puis il faut savoir aussi que lorsque des locaux commerciaux sont vides, ce n'est pas pour autant que le propriétaire ne paie pas d'impôt. Il paie même un impôt sur un revenu qu'il n'a pas, puisque l'évaluation de la charge locative reste en vigueur pour ces logements bien qu'ils soient vides.

Il y a par ailleurs une autre problématique très importante à mettre en lien avec ce projet de loi: c'est qu'il nécessiterait une myriade de fonctionnaires pour aller contrôler - presque pour aller dénoncer ! - les personnes qui laissent leurs logements et leurs locaux vides. Ce serait totalement inefficient et, objectivement, ce serait une atteinte à la liberté. Pour tous ces motifs, le groupe PLR vous invite à refuser ce projet de loi. Je vous remercie, Madame la présidente.

Mme Caroline Renold (S). Mesdames et Messieurs les députés, je ne vous apprends rien, il y a une grave pénurie sur le marché de l'habitation à Genève, le taux de vacance étant de 0,37% en 2022. Comme vous le savez, la pénurie a un effet direct à la hausse sur les loyers. Rappelons que quasi 80% de la population genevoise est locataire et que le loyer est le premier poste de dépense des ménages. Il constitue en moyenne 20% de leur budget, voire 25% pour les ménages dont le revenu se situe entre 4000 et 6000 francs. Les loyers sont massivement trop chers: ils auraient dû baisser au cours des quinze dernières années, mais ils ont au contraire augmenté, totalisant, selon une étude de l'ASLOCA Suisse, 78 milliards de trop-perçu par les bailleurs à l'échelle du pays sur quinze ans !

Dans ce contexte, il est scandaleux que des appartements puissent être laissés délibérément vides par leurs propriétaires sans être remis à la location. Et, n'en déplaise à mon préopinant, ce n'est pas seulement pour faire des travaux que des appartements sont laissés vides: c'est souvent à titre spéculatif, parce qu'il est intéressant pour le propriétaire d'un immeuble de rendement de ne pas baisser le loyer afin de ne pas diminuer la valeur locative de l'immeuble, ce qui lui permet de valoriser son bien lors d'une vente ou d'un emprunt bancaire.

En tout état de cause, le projet de loi prévoit une exception, en indiquant que si un appartement est laissé vide en raison de travaux, les dispositions proposées ne s'appliquent pas.

Le projet de loi prévoit également une taxation augmentée pour les résidences secondaires inutilisées, qui totalisent jusqu'à 20% des logements en ville de Genève - 20% de résidences secondaires, c'est 20% de logements qui ne bénéficient pas aux Genevois et aux Genevoises alors qu'ils ont besoin de se loger.

Le présent projet de loi prévoit donc de doubler l'impôt immobilier complémentaire sur les logements et locaux commerciaux vides et sur les résidences secondaires dans le but d'inciter à utiliser tout le parc immobilier pour loger des personnes qui en ont besoin; pour inciter à construire des logements plutôt que des bureaux; et pour décourager les résidences secondaires - tout en laissant la possibilité aux propriétaires de faire des travaux si tel est leur besoin. Certes, nous ne pensons pas que les dispositions de ce projet de loi seront en elles-mêmes suffisantes pour enrayer la crise du logement genevoise. Certes, il existe d'autres dispositions utiles, par exemple le fait que la LDTR permette de procéder à une expropriation temporaire pour les appartements locatifs laissés libres ou l'interdiction de louer plus de nonante jours sur Airbnb. C'est peut-être parce que ces dispositions ne sont pas suffisamment utilisées par le Conseil d'Etat et le département du territoire que le groupe Ensemble à Gauche a choisi de déposer ce texte.

En tout état de cause, il s'agit d'un pas dans la bonne direction, et le parti socialiste vous encourage à voter pour ce projet de loi afin de lutter contre l'aberration qui consiste à avoir des logements vides alors que nous vivons une grave pénurie du logement: plus de huit mille personnes sont sur liste d'attente pour un logement social et tous les Genevois et Genevoises rencontrent de grandes difficultés pour se loger. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le groupe des Vertes et des Verts va soutenir ce projet de loi, essentiellement pour son caractère incitatif et non pour sa faculté à produire des recettes fiscales. Mesdames et Messieurs, à Genève, non seulement il existe énormément de locaux commerciaux vides, mais aussi - et c'est beaucoup moins connu - de très nombreux lits froids. Cette problématique que l'on pensait réservée aux stations de montagne est également présente ici, avec un taux de résidences secondaires approchant les 20% suivant les communes - et pas seulement en ville de Genève -, ce qui est la limite autorisée par la fameuse lex Weber.

Le projet de loi qui nous est présenté ici n'est pas très ambitieux puisqu'il prévoit de doubler l'impôt immobilier complémentaire dans ces deux types de situations. Pour ce qui est des locaux commerciaux, cela incitera les propriétaires à louer leur bien plutôt que de le laisser inoccupé en spéculant sur la seule prise de valeur lors d'une revente plus ou moins lointaine. Et, croyez-moi, c'est très courant ! Pour ce qui est des résidences secondaires, deux effets peuvent être envisagés. Premièrement, on peut attendre de cette incitation que les appartements ou villas soient temporairement loués, voire vendus à des propriétaires qui les occuperont comme résidence principale. C'est l'effet qui a notamment été obtenu en Valais en application de cette fameuse lex Weber. Deuxièmement, cela permettra de diminuer le nombre de fausses déclarations de résidence secondaire, les personnes concernées habitant tout de même une bonne partie du temps à Genève bien qu'elles déclarent leur résidence principale dans un autre canton ou pays. Une déclaration correcte de ces résidences permettrait de ramener quelques contributions dans les caisses de l'Etat à titre d'impôt, et pas seulement de l'impôt immobilier.

Le doublement de l'impôt immobilier complémentaire nous paraît de nature à améliorer - quoique sans les résoudre totalement, cela a été dit - les situations problématiques présentées. Ainsi, nous soutiendrons ce projet de loi et nous vous incitons à en faire de même.

M. Sébastien Desfayes (LC). Nous avons l'immense chance, cet après-midi, de traiter, de nous débarrasser des dernières scories d'Ensemble à Gauche - nous pensons bien sûr très fort à eux aujourd'hui ! Il faut refaire un peu d'histoire, c'est important: l'impôt immobilier complémentaire date de 1923. Il avait été introduit parce que beaucoup de propriétaires, à l'époque, avaient un endettement supérieur à la valeur de leur bien et ne payaient pas d'impôt sur la fortune. C'est une situation qui n'existe plus aujourd'hui, de sorte que l'on peut s'interroger sur l'opportunité ou non du maintien de l'impôt immobilier complémentaire.

Ce qui est intéressant avec ce projet de loi, c'est que son auteur, Pierre Bayenet, soutenait en commission qu'il n'avait pas envie d'augmenter les impôts - même s'il doublait l'impôt immobilier complémentaire -, mais de lutter contre les résidences secondaires et les lits froids. S'agissant des résidences secondaires, il faut savoir que leur taux, dans le canton, est légèrement inférieur à la moyenne suisse. J'ai par ailleurs entendu une députée socialiste, je crois, nous dire que les propriétaires, ou certains d'entre eux, ont tout intérêt à ne pas louer leur bien et à le laisser vide. C'est totalement aberrant de soutenir une telle thèse, sachant que le propriétaire va payer des impôts sur l'état locatif même si un immeuble est vide. Il a donc tout intérêt à louer ce bien et à générer du «cash flow» ! J'ai aussi entendu le député Eckert - vous transmettrez, Madame la présidente - dire que c'était un projet de loi incitatif. Non ! Il est au contraire coercitif, vu qu'il vise à doubler un impôt qui est déjà injuste dans son principe.

Nous avons, nous, trouvé une solution à la question des locaux vacants, des immeubles vacants: tout simplement de diminuer drastiquement, de 85%, l'impôt immobilier complémentaire pour ceux qui occupent leur logement; je suis persuadé que cette diminution va porter ses fruits. Et puis, le député de Senarclens l'a souligné, alors même que des propriétaires ont des difficultés à louer leurs arcades, il est tout simplement absurde de vouloir les pénaliser encore plus. En fait, ce projet de loi prévoit - ou annonce - un enfer bureaucratique, un enfer fiscal, mais il est vrai que cet enfer-là correspond au paradis de ses auteurs ! Merci, Madame la présidente.

M. Stefan Balaban (LJS). Il est vrai que nous subissons une pénurie de logements: vous-mêmes, nous, le peuple, nous avons tous des difficultés à trouver un appartement, un logement. Aujourd'hui, le peuple n'a malheureusement plus le luxe de choisir l'appartement dans lequel il souhaite vivre: il est contraint d'opter pour le premier qui lui passe sous la main. C'est donc vrai qu'il faut faire quelque chose pour aider les résidents genevois à accéder plus facilement à des logements.

Parmi les options que nous avons à disposition, mon préopinant, M. Ivanov, a évoqué la possibilité de transformer les biens commerciaux en logements, ce qui est une excellente idée. C'est l'un des projets que nous avons portés durant notre campagne. Une autre option, qui est envisagée dans ce projet de loi, est de doubler l'impôt immobilier complémentaire. Mais je tiens tout de même à rappeler que le calcul qui permet de définir l'impôt immobilier complémentaire prend comme base l'état locatif fiscal ! Par conséquent, que votre logement ou votre arcade commerciale soient vides ou non, cet impôt est de toute manière dû ! L'effet incitatif existe donc déjà et ce texte ne résout en rien la problématique des biens immobiliers vides. Dès lors, nous ne soutenons pas ce projet de loi. Merci.

La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons à la procédure de vote.

Mis aux voix, le projet de loi 12656 est rejeté en premier débat par 55 non contre 30 oui.