Séance du
vendredi 13 octobre 2023 à
16h
3e
législature -
1re
année -
5e
session -
28e
séance
PL 12556-A
Premier débat
La présidente. Nous passons au PL 12556-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Le PL 12556 demande que l'espace public soit débarrassé des publicités sexistes. Ce projet de loi se base sur une bonne intention. Malheureusement, il est absolument inapplicable. L'une des difficultés est que le droit fédéral ne fixe pas de règle, ce qui créerait une situation où des affiches interdites à Genève seraient autorisées partout ailleurs.
La composition de la commission, décrite à l'article 5A, alinéa 4, pose également des problèmes: ses membres proviendraient d'associations féminines et d'experts en études du genre.
Une voix. Oh là là !
M. André Pfeffer. De plus, le cadre, le mode de fonctionnement et les procédures semblent très complexes et lourds. Bref, le champ d'application est vaste, sujet à interprétation, et surtout, les critères retenus pourraient être arbitraires.
Pour la majorité, le cadre et le champ d'application de cette loi sont absolument inappropriés. Un tel projet de loi pourrait même déraper dans un militantisme. L'objectif dans ce domaine devrait être l'éducation des annonceurs et du public, plutôt que de tout axer sur l'interdiction et les sanctions. Encore une fois, la majorité vous demande de refuser ce projet de loi. Merci pour votre attention.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de minorité. Merci à M. Pfeffer d'avoir donné ces explications, qui m'ont permis de comprendre enfin pourquoi la majorité s'était opposée à cet objet. Vous avez lu le rapport de majorité: des auditions ont lieu et ensuite la commission vote la non-entrée en matière, pour des raisons qui m'avaient échappé jusqu'ici.
J'aimerais juste rappeler les objectifs de ce projet de loi: on ne vise pas forcément des interdictions, on cherche à limiter les publicités sexistes dans l'espace public. Il ne s'agit bien entendu pas de pudibonderie - je veux juste le rappeler -, on pourra continuer à placarder des publicités arborant des slips et des dentelles, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Les publicités sexistes et leur caractère dégradant sont définis à l'article 9, alinéa 4, du présent projet de loi. Je vous invite à le lire. Le texte propose aussi d'instaurer une commission consultative sur les procédés de réclame. En cas d'entrée en matière, je proposais d'ailleurs - c'est un des points auxquels le rapporteur de majorité est opposé - que cette tâche ne soit pas attribuée à une nouvelle commission mais à un organe existant, à savoir la commission consultative de l'égalité, ainsi que cela a été proposé par le BPEV.
Quelle est l'utilité de disposer d'une commission en la matière ? Il s'agirait d'une commission consultative, dont le but ne serait pas forcément de prononcer des interdits. Je vous rappelle que la publicité est régulée par les Conseils administratifs, puisqu'elle est du ressort communal: ceux-ci ont souvent des doutes, les publicitaires étant assez habiles dans l'utilisation du deuxième degré, ce qui rend relativement difficile d'évaluer si une publicité est sexiste ou pas. Je pense qu'il est donc judicieux de disposer de cette commission pour fournir des indications en la matière.
J'aimerais encore dire que depuis la discussion sur ce projet de loi, une autre loi a été adoptée par ce parlement, la LED-Genre (A 2 91), dont l'article 16 parle des procédés de réclame et se réfère à la loi sur laquelle porte cet objet; je pense qu'il est bien d'assurer une compatibilité entre ce projet de loi et la LED-Genre.
Je vais plutôt parler des aspects formels, je laisserai mon groupe présenter plus spécifiquement les effets délétères des publicités sexistes. On constate qu'il y a passablement de plaintes concernant ce type de publicités. Pour l'instant, on peut déposer plainte auprès d'une commission nationale, la Commission suisse pour la loyauté. En 2019, il y a eu 97 plaintes auprès de cette commission, dont la moitié ont été approuvées. Vous voyez donc que le problème existe; mais pour l'instant, on n'a que cette commission nationale à disposition. Il y a également le fait que les cantons peuvent légiférer dans le domaine - on voit dans l'audition du conseiller d'Etat que le Tribunal fédéral l'a confirmé. Celui-ci indique que la loi choisie par les signataires, à savoir la loi sur les procédés de réclame, est la bonne pour adopter cette modification. Vous constatez donc que le canton a tout à fait la possibilité de légiférer en la matière.
La dernière chose que j'aimerais dire est que pour ce projet de loi, on s'est totalement inspiré de ce qui se fait dans le canton de Vaud, un canton qui n'est pas spécialement révolutionnaire. (Rires.) Je vous invite donc à entrer en matière sur ce projet de loi. (Applaudissements.)
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les images sont porteuses de sens, elles véhiculent des messages, imprègnent les esprits de représentations qui se retrouvent dans les rapports humains et constituent in fine une norme sociale acceptable. Une étude publiée en 2020 par l'Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod à Lyon montre que dès l'âge de 4 ans, les enfants associent pouvoir et masculinité.
Pour en donner une illustration récente, prenons l'exemple d'une marque de vêtements pour enfants dont la campagne de promotion de la collection de rentrée pour les petites filles a pour slogan «Toutes en rose», alors que le slogan pour les petits garçons est «La polyvalence au pouvoir»: tout un programme !
Je le rappelle, les stéréotypes de genre perpétuent les inégalités entre les femmes et les hommes. Laisser passer des images sexistes dans la publicité affichée dans nos rues constitue - on l'a mentionné - un terreau fertile pour les discriminations et les violences, entre autres, envers les femmes. Ce projet de loi ne vise pas à interdire la publicité, comme cela a été discuté dans nombre de nos communes; il vise à donner un cadre permettant de traiter les images problématiques par la mise en place d'une commission consultative spécialisée, ou par la commission égalité, comme proposé par notre rapporteur de minorité, Pierre Eckert. Il propose un mécanisme pour appliquer de façon adéquate l'article 14 de la loi générale sur l'égalité et la lutte contre les discriminations et aussi l'article 9, alinéa 3, de la loi sur les procédés de réclame, qui interdisent les représentations discriminatoires perceptibles depuis le domaine public. Finalement, le projet de loi ne prive pas les communes d'une de leurs prérogatives: il les dote au contraire d'une base légale cantonale qui soutient et facilite leurs travaux. Le rapport précise que les auditions conduites ont sensibilisé la commission à l'ampleur du phénomène - apparemment, au vu de la manière dont cela semble se profiler, pas suffisamment, et c'est regrettable, car ce projet de loi est raisonnable et important. Nous vous invitons donc à entrer en matière et à étudier cette proposition. Merci. (Applaudissements.)
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, le rapporteur de minorité s'est étonné du fait qu'il n'y ait pas eu de prise de parole des groupes avant le vote au sein de la commission: c'est vrai que c'est assez rare, mais cela peut arriver. J'ai remarqué en relisant l'ensemble des procès-verbaux que personne au sein de la commission n'avait demandé à s'exprimer, lui non plus d'ailleurs. La régulation de la publicité est possible sur le plan cantonal, d'après un arrêt du Tribunal fédéral, mais il faut aussi se rappeler que la majorité, si ce n'est la totalité, des campagnes de publicité se concoctent généralement sur le plan fédéral et qu'on arriverait avec ce texte à une espèce d'îlot de moralité propre à Genève uniquement.
D'aucuns au sein de la commission, notamment dans la minorité, ont critiqué le fonctionnement de la Commission suisse pour la loyauté en matière de publicité, mais celle-ci a peu de pouvoir et intervient généralement après la publication des publicités, ce qui n'a pas beaucoup d'effet. La commission consultative proposée par ce projet de loi n'aurait pas plus de pouvoir, puisqu'elle serait, comme son nom l'indique, uniquement consultative. Le dernier mot appartient aux communes, cela a été rappelé, et je crois que les communes, qui ont déjà fort peu de compétences, sont contentes d'assumer celle-ci, qu'elles le font avec du bon sens et qu'il n'y a pas de problème pour gérer ce secteur.
L'autre problème posé par ce projet de loi, c'est qu'il ne touche pas les pubs qui paraissent dans les médias, en particulier dans les médias électroniques. Je me référerai, comme l'ont fait plusieurs avant moi, à la loi 12843 sur l'égalité et la lutte contre les discriminations liées au sexe et au genre, et notamment à son article 16, qui réprime expressément le sexisme dans les procédés de réclame. Je rappelle que cette loi a été adoptée le 23 mars dernier par notre Grand Conseil et qu'elle constitue une base légale suffisante pour toute intervention qui serait nécessaire. Le groupe du Centre vous recommande dès lors de refuser l'entrée en matière sur le présent projet de loi. Je vous remercie.
Mme Sophie Demaurex (S). Mesdames et Messieurs les députés, comme le député Guinchard vient de le rappeler, ce projet de loi a pris de l'avance sur la loi sur l'égalité et la lutte contre les discriminations liées au sexe et au genre, dite LED-Genre. Le but de cette modification de la loi sur les procédés de réclame est en effet de créer une commission consultative sur les procédés de réclame et d'interdire l'affichage de publicités sexistes. L'article 16 de la LED-Genre est clair quant à l'interdiction de la réclame sexiste, en renvoyant à la fameuse loi sur les procédés de réclame. Cet objet a l'avantage de reprendre ces nouvelles bases légales, parce qu'il y a encore du travail en matière de publicité et de représentations sexistes - je vous invite à aller voir le compte Instagram «pépites sexistes», qui en recense de nombreuses. Je vous remercie pour votre attention.
Mme Ana Roch (MCG). Les questions éthiques dans le domaine de la publicité sont indéniablement importantes, chaque individu apportant sa propre sensibilité à cette discussion. Nous pouvons tous convenir que l'éducation du public sur le caractère sexiste de certaines représentations publicitaires est un objectif louable, objectif que le projet de loi tente d'atteindre en proposant des interdictions. Cependant, il est essentiel de noter que la création d'une commission pour trancher des questions éthiques n'est pas une solution optimale. Actuellement, nos communes gèrent efficacement ce domaine, démontrant ainsi leurs compétences et des valeurs et sensibilités locales.
Il est crucial de faire la distinction entre les publicités clairement choquantes, que nos autorités prennent déjà en compte, et les publicités sournoises qui nécessitent une intervention. Cela souligne la vaste portée d'une telle loi. L'objectif premier de cette loi n'est pas de sanctionner des abus évidents, mais d'éduquer les annonceurs et le public pour promouvoir une publicité plus éthique et plus respectueuse; mais elle le fait de manière moralisatrice.
Par ailleurs, nous sommes surpris du dépôt d'un tel projet de loi. En effet, lorsqu'on regarde les dernières vidéos faites par les représentants des jeunes Verts genevois, Damian et Margot, à travers les réseaux sociaux et la presse, cela interpelle. «Toi aussi, tu aimes qu'on te fasse mal ?» lancé par Damian d'une voix suave, avec un regard coquin; Margot, quant à elle, dit avoir «chaud, chaud, très chaud», et arbore une tenue - jupe léopard et cravache à la main - évoquant la provocation et invitant à des rencontres torrides. Cela soulève tout de même des interrogations sur la pertinence du message du groupe des Verts, qui plus est après la déclaration faite aujourd'hui par sa cheffe de groupe.
Dans l'état, le MCG refusera donc l'entrée en matière. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
La présidente. Je vous remercie. Madame Bayrak, il n'y a plus de temps de parole pour les Verts. Monsieur le rapporteur de majorité, vous souhaitez vous exprimer ?
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Oui, merci, je souhaite reprendre la parole très brièvement. Les principaux éléments ont été mentionnés: il existe déjà une régulation et elle fonctionne. La problématique quant au droit fédéral a aussi été soulignée. Le risque lié à la complexité ainsi que le risque d'arbitraire ont également été relevés. Je rappelle simplement ici que pour la majorité, au lieu de surréglementer, il vaudrait mieux axer notre action sur l'éducation des annonceurs et du public. Pour ces raisons, je vous recommande de refuser ce projet de loi. Merci.
Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, là encore, nous sommes face à un texte dont la pertinence est atténuée par l'écoulement du temps et l'avancée de vos travaux, puisque - un certain nombre de préopinants l'ont dit - l'article 16 de la LED-Genre prévoit l'interdiction de publicités à caractère sexiste. Le but premier du projet de loi dont nous discutons ce soir a donc été atteint par un autre biais.
Je tiens néanmoins à corriger un certain nombre d'éléments, notamment sur le fait que ce sont les communes qui examinent les publicités: je souhaite rappeler qu'en réalité, les communes octroient des concessions d'affichage à des entreprises privées qui, elles, doivent les gérer en conformité avec la loi. Un certain nombre de publicités sont interdites par le droit fédéral, on peut penser notamment à celles sur l'alcool et le tabac, et d'autres le sont par le droit cantonal, c'est le cas des publicités à caractère sexiste ou d'autres. Les publicités doivent donc respecter le cadre légal fédéral et cantonal.
J'attire votre attention sur le fait que ce contrôle est déjà très bien exercé par vous et moi, Mesdames et Messieurs les députés, par les citoyens. Pas plus tard que cet été, nous avons eu droit à un article dans la «Tribune» qui informait qu'une entreprise d'escort girls dont la publicité se trouvait non pas sur une concession d'affichage mais sur un véhicule avait été condamnée par la justice à une amende relativement salée, 5600 francs, parce que la publicité en question était pornographique ou touchait à l'image de la femme. Je mentionne ce cas pour vous dire que notre corpus législatif permet d'appréhender cette question et que, finalement, le meilleur moyen de s'assurer que le cadre est respecté, c'est nos yeux, c'est vos yeux, ce sont notre vigilance et les éventuelles dénonciations d'entreprises qui font commerce de publicités et qui pourraient ne pas respecter le cadre légal.
Je ne peux donc que vous inviter à ne pas voter ce projet de loi, parce qu'il est redondant par rapport à nos lois actuelles. Merci, Mesdames et Messieurs les députés.
La présidente. Je vous remercie. Nous procédons au vote d'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12556 est rejeté en premier débat par 57 non contre 29 oui et 2 abstentions.