Séance du
vendredi 1 septembre 2023 à
14h
3e
législature -
1re
année -
3e
session -
18e
séance
PL 12698-A
Premier débat
La présidente. Le prochain objet qui nous occupe est le PL 12698-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à M. François Baertschi, rapporteur de majorité.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Ce projet de loi, qui a fait l'objet de longues discussions en commission, demande qu'il y ait une sécurité s'agissant des ordonnances et que des mesures soient prises pour empêcher le développement des fausses ordonnances, qui sont problématiques pour l'état général de la santé des habitants, également pour les patients, qui n'ont pas de garanties suffisantes.
Pour cette raison, le Conseil d'Etat avait déposé un projet de loi, qui a été nettement amendé en commission afin de répondre aux craintes de nombreux députés. Il est certain que la pratique en matière d'ordonnances est une question très sensible, avec la difficulté que représente le fait de se trouver face à des clientèles un peu délicates, par exemple des toxicomanes ou autre. Les objections ont donc été prises en compte par l'amendement. Une majorité de la commission de la santé vous propose le projet de loi amendé pour aller vers une meilleure sécurité sanitaire et une garantie générale que les fausses ordonnances soient clairement poursuivies. Je vous remercie, Madame la présidente.
M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de minorité ad interim. Chères et chers collègues, j'avais peur que vous pensiez que j'allais m'incruster comme rapporteur de majorité à cette table ! C'est pourquoi je change de casquette et je présente un rapport de minorité.
Ce projet de loi a pour but de lutter contre la fraude aux ordonnances médicales, qui est un problème important - je rejoins mon collègue M. Baertschi sur ce point. C'est un domaine dans lequel les toxicomanes sont extrêmement imaginatifs et arrivent à faire de véritables prouesses.
Il s'agit de régler deux cas de figure précis. Le premier, c'est lorsqu'un prescripteur, pour contourner la loi, morcelle ses ordonnances et les multiplie afin que le bénéficiaire puisse se faire remettre dans une ou plusieurs pharmacies des doses importantes de médicaments addictifs, ce qui est contraire aux consensus de traitement usuellement pratiqués.
Le deuxième cas de figure, c'est lorsqu'un patient dérobe ou falsifie des ordonnances de médecin afin de se faire remettre des médicaments en quantité supérieure à celles qui lui ont été prescrites ou que le médecin refuse de lui prescrire. Il faut dire que les progrès réalisés en informatique à l'heure actuelle permettent de travestir assez facilement des ordonnances.
Dans le premier cas de figure, la minorité que je représente a proposé un amendement visant à supprimer l'article 113, alinéa 4 (nouveau), proposé par le département. Je le cite: «La délivrance par un prescripteur de plusieurs ordonnances médicales à un même patient pour un même médicament, dans le but d'éluder les règles de la présente loi, est interdite.» L'alinéa 3 existant de ce même article précise déjà que «les professionnels de la santé sont tenus de contribuer à la lutte contre l'usage inadéquat et dangereux des produits thérapeutiques». Cet alinéa 3 existant permet déjà aux organes de surveillance de dénoncer et de réprimander tout praticien qui enfreindrait cette législation.
Toutes les bases légales sont déjà présentes pour sanctionner des prescriptions abusives de médicaments, et la minorité de la commission n'a pas vu en quoi cet alinéa permettrait de bloquer un éventuel contournement de la loi. On peut d'ailleurs raisonnablement se demander s'il ne serait pas utile, sur la base de la législation actuelle, de cibler la source, à savoir les émetteurs de ces ordonnances multiples, plutôt que de mettre en route un système de contrôle lourd et compliqué.
La direction générale de la santé tient absolument à cet alinéa 4 supplémentaire afin d'éviter le contournement de la loi et de faciliter le travail de contrôle du pharmacien cantonal. La minorité de la commission ne représentera pas en plénière son amendement visant à supprimer ce nouvel alinéa 4 de l'article 113, vu qu'elle n'a pas été suivie lors du vote en commission. Elle questionnera toutefois à l'avenir l'autorité quant à l'efficacité de cette nouvelle loi et à ses effets sur la répression de ce type de fraude.
J'ajouterai deux choses. Au sein de la commission, il y avait deux pharmaciens, qui ont bien décrit le travail supplémentaire et la complication de l'administration que ces deux nouveaux articles introduiraient dans leurs officines, mais ils n'ont pas été écoutés, et pourtant, ce sont des professionnels aguerris. La deuxième chose, c'est que, plutôt que d'aller vers cet arsenal répressif, il faut, comme je l'ai rappelé hier, avancer beaucoup plus vite dans les échanges de données entre professionnels de santé, notamment grâce au dossier électronique du patient et au système CARA. Je vous remercie.
M. Léo Peterschmitt (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, pour les Verts, il faut donner une base légale concernant les fausses ordonnances médicales. C'est important pour la confiance envers le système de santé, mais aussi pour la sécurité sanitaire. Ce projet améliore les possibilités de coopération et de communication entre la pharmacienne cantonale et les professionnels de pharmacie. Nous saluons donc la volonté de préciser que faire en cas de fausses ordonnances, tout en n'imposant pas de contraintes trop sévères. C'est pourquoi le groupe des Vertes et des Verts votera ce projet de loi. Merci.
M. Philippe Morel (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, contrairement à ce que vient d'affirmer le rapporteur de minorité, si le Conseil d'Etat propose ce projet de loi, c'est bien qu'il y a un vacuum juridique dans la détection, l'identification et le suivi des fausses ordonnances.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de protéger un certain nombre de patients dépendants de drogues psychoactives et qui utilisent, cela a été dit, tous les moyens pour se les procurer. Il y a deux versants: celui du patient, qui peut bien sûr falsifier l'ordonnance lorsqu'elle est écrite par un médecin, lorsqu'elle est envoyée par mail, et bien entendu si elle est envoyée par WhatsApp, comme cela est encore malheureusement le cas. Le patient peut également - cela me paraît relativement rare - voler des ordonnances dans le bureau de son médecin (je dois dire que l'imprudence du médecin est condamnable) et, à partir de ce vol, rédiger une ordonnance qui, bien sûr, est parfaitement illégale. Les patients ont donc certaines techniques pour arriver chez le pharmacien avec une ordonnance et se faire délivrer essentiellement des benzodiazépines, mais aussi d'autres drogues psychoactives.
Le deuxième versant est celui des médecins peu scrupuleux qui rédigent, cela a été dit, plusieurs ordonnances pour le même médicament et pour le même patient. Cela est fait évidemment de manière délibérée, volontaire - peut-être que le médecin a eu un «incentive» financier pour le faire, mais quoi qu'il en soit, c'est un fait totalement répréhensible, illégal. Il doit également être identifié par le pharmacien, qui est finalement la clé du problème, parce que c'est lui qui reçoit les ordonnances, qu'elles viennent d'un patient qui les a falsifiées ou d'un médecin qui les a multipliées. Le pharmacien a déjà aujourd'hui le devoir d'identifier ces ordonnances et de ne pas délivrer les médicaments, lorsqu'il suspecte qu'elles sont fausses.
Ce projet de loi permet simplement aux pharmaciens d'informer le pharmacien cantonal, non seulement sur le fait, mais aussi sur l'identité du patient et, bien sûr, du médecin. Le pharmacien cantonal a ensuite la liberté de décider de son action. Il doit d'abord bien sûr s'assurer de la véracité des faits - souvent, ces alertes viennent de plusieurs pharmacies - et ensuite, bien entendu, prendre les mesures qui s'imposent pour pouvoir interrompre ce circuit nocif, encore une fois, pour le patient. Ce projet de loi doit donc être soutenu pour protéger les patients qui se rendent eux-mêmes victimes de ce type d'abus et aussi, évidemment, pour sanctionner les médecins qui se livrent à ce type de pratique en matière de prescription d'ordonnances. Nous vous recommandons donc de l'accepter. Merci.
Une voix. Bravo !
M. Michael Andersen (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, le contexte a bien été rappelé par les rapporteurs de majorité et de minorité. Il y a bien entendu des points favorables au fait de centraliser les identités des usagers de fausses ordonnances ou d'ordonnances multiples auprès du pharmacien cantonal. Certaines bases légales sont déjà existantes, comme cela a été rappelé par le rapporteur de minorité.
Ce projet de loi présente également des points défavorables, notamment le risque de violence envers les pharmaciens, qui pourraient faire face à des personnes psychologiquement fragiles et dans un état second et qui devraient jouer le rôle de policiers en confisquant physiquement les ordonnances afin de les transmettre au pharmacien cantonal - le projet de loi a été amendé dans la mesure du possible, on verra donc ce que les pharmaciens peuvent faire.
Ce projet de loi ne répond pas à un réel problème, à savoir le modèle d'ordonnance, qui aujourd'hui n'est pas assez cadré et défini; parfois, les ordonnances circulent de manière électronique, ce qui permet à un patient de transférer la leur à plusieurs pharmacies et d'obtenir ainsi plusieurs fois la même prescription de manière totalement illégale.
Compte tenu de ce qui précède, l'UDC est persuadée qu'il faut légiférer dans le domaine, mais que le projet n'est pas abouti et que la réflexion n'a pas été menée de manière assez large. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de renvoyer cet objet en commission. Je vous remercie, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. Monsieur le rapporteur de minorité, voulez-vous vous exprimer sur le renvoi en commission ?
M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de minorité ad interim. Oui, merci, Madame la présidente. J'ai intégré récemment - au début de la nouvelle législature - la commission de la santé et j'ai constaté qu'il y avait pas mal de nouveaux membres; peut-être que le renvoi de ce projet de loi dans cette commission permettrait de le traiter de façon plus complète tel qu'il vous a été présenté.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Etant donné l'importance de la question et vu qu'il y a effectivement de nouveaux députés, il est vrai qu'il pourrait être judicieux de renvoyer cet objet en commission pour un examen.
La présidente. Merci. Nous procédons au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12698 à la commission de la santé est rejeté par 56 non contre 32 oui.
La présidente. Nous continuons le débat avec M. Marc Saudan.
M. Marc Saudan (LJS). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je me permettrai de répondre à la question des nouveaux députés face à ce projet de loi. Je pense que le renvoi en commission n'était pas nécessaire. En effet, en tant qu'ancien membre de la commission de surveillance des professions de la santé, je peux vous dire qu'il y a malheureusement à Genève un certain nombre de médecins qui délivrent trop d'ordonnances, profitant de la vulnérabilité de ces patients. Il convient absolument d'avoir un contrôle. Cela pourrait passer par des ordonnances contenant un code QR - et je pense que cela devra être ainsi à l'avenir. Cependant, la mise en application de ce type d'ordonnance va prendre beaucoup de temps: transitoirement, je pense que ce projet de loi peut pallier un manque de contrôle. Il est important de l'accepter, raison pour laquelle le groupe LJS votera en sa faveur. Merci.
M. Jean-Charles Rielle (S). Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, je suis content que l'on n'ait pas voté un renvoi en commission, parce qu'un travail a été effectué sur six séances, avec une série d'experts incontestés, puisqu'ils occupent tous des fonctions qui leur permettent de savoir ce qu'ils disent. Au cours de ces six séances, les socialistes ont surtout essayé de comprendre les différents éléments, au fur et à mesure que ces experts amenaient de petites (ou grandes) nuances, pour finalement adhérer au texte.
Je suis quand même surpris d'une chose: il y a eu un rapport de minorité du Centre et celui-ci dit qu'il n'a pas été entendu. S'agissant des deux principaux amendements, pour ce que j'ai pu lire (je ne siégeais pas dans cette commission à ce moment-là), on leur a donné raison: ils ont été acceptés. Je suis donc surpris d'entendre dire que le Centre n'a pas été écouté, alors que les deux principaux amendements ont été acceptés.
Par ailleurs, une députée a relevé que «dans l'accompagnement des personnes qui présentent des toxicodépendances, quand elles [en arrivent] à falsifier les ordonnances, c'est qu'elles sont déjà bien avancées dans le processus, et c'est souvent le fait qu'elles se fassent freiner dans leur délit qui les amène à entrer dans un processus de soin». Il est important de voir qu'un contrôle n'est pas seulement répressif, mais est bel et bien là pour aider un certain nombre de personnes en difficulté. Légiférer dans ce sens-là permet justement d'aider ces personnes qui peuvent être parfois fort dépendantes. Les socialistes, vous l'aurez compris, voteront ce projet de loi et vous encouragent à faire de même. Je vous remercie, Madame la présidente.
M. Pierre Nicollier (PLR). Pour rappel, ce projet de loi est une proposition du Conseil d'Etat qui doit permettre de fixer un cadre afin de pouvoir débusquer les fraudes aux ordonnances. Le travail a été extrêmement bien fait. Nous avons entendu la DGS, le Conseil d'Etat bien entendu, le médecin cantonal, le service juridique, la pharmacienne cantonale, son adjointe, l'AMG, les HUG, le GREA, Première Ligne, PharmaGenève, PharmaSuisse, l'Association des pharmaciens indépendants de Genève, le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence et les syndicats des assistants en pharmacie. Le travail a donc été fait. Il n'y a pas besoin de renvoyer ce projet de loi en commission.
La loi, actuellement, est claire: pour être valable, une ordonnance doit être un document original avec une signature et un tampon; sous certaines formes, les ordonnances électroniques peuvent être approuvées, tout le reste ne doit pas l'être. S'il faut un cadre légal pour permettre de s'assurer qu'il n'y ait pas de fausses ordonnances en circulation et, surtout, que les médicaments ne soient pas vendus sous réception de ces fausses ordonnances, nous avons changé la loi - enfin, nous allons changer la loi, j'espère - pour résoudre ce problème. Je vous invite donc à voter ce projet de loi et vous remercie d'avance.
La présidente. Je vous remercie. La parole est à M. Pierre Conne pour une minute trente.
M. Pierre Conne (PLR). Merci, Madame la présidente. J'apporterai une brève précision à ce qui a été dit. Effectivement, le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence est venu nous expliquer qu'il était nécessaire d'avoir une base légale, qui sera obtenue avec l'adoption de ce projet de loi, pour permettre justement, d'une part, aux pharmaciens de communiquer entre eux l'identité et les dates de naissance des personnes concernées par ces fausses ordonnances et, d'autre part, au pharmacien cantonal de donner les signaux d'alerte aux autres pharmaciens. Le potentiel de résolution du problème entre les pharmaciens existe, mais nous avons maintenant besoin d'une base légale pour faire en sorte que les pharmaciens puissent le réaliser. Il ne s'agit évidemment pas, avec ce projet de loi, de régler le volet pénal de l'utilisation de fausses ordonnances, qui constitue vraiment un tout autre chapitre que n'aborde pas ce projet de loi. Merci de votre attention.
La présidente. Je vous remercie. La parole n'étant plus demandée, nous passons au vote sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12698 est adopté en premier débat par 80 oui contre 7 non et 1 abstention.
Le projet de loi 12698 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12698 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 79 oui contre 5 non et 2 abstentions (vote nominal).