Séance du
vendredi 23 juin 2023 à
18h10
3e
législature -
1re
année -
2e
session -
12e
séance
M 2932
Débat
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous entamons l'urgence suivante, la M 2932, dont nous débattons en catégorie II, trente minutes. (Brouhaha.) Est-ce que je pourrais avoir un peu de silence ? Je cède la parole à M. Fazio.
M. Jean-Louis Fazio (LJS). Merci, Madame la présidente. Chers collègues, la proposition de motion que je présente au nom du groupe Libertés et Justice sociale vise à améliorer la situation économique et financière d'artisans, d'entrepreneurs et de PME qui ont affronté difficilement la pandémie de covid-19. En votant ce texte, vous demanderez au Conseil d'Etat d'établir un règlement pour soulager les problèmes pécuniaires que rencontrent actuellement ces acteurs économiques. Il permettra de trouver plus rapidement des solutions pour ceux-ci.
Je m'explique. Lors de la pandémie de covid, voyant un risque important de faillites, la Confédération a accordé des prêts avec un intérêt à 0%, mais - et là se trouve un «mais» auquel je vous rends attentifs - il avait été stipulé que ce taux pouvait évoluer en fonction de celui adopté par la BNS. Face à l'urgence et vu l'absence de lourdeurs administratives et l'attrait sans doute trompeur du taux d'intérêt à 0%, les entreprises ont été contraintes de signer. (Brouhaha.) Si je pouvais avoir un peu de silence...
La présidente. S'il vous plaît ! Vous pouvez aller discuter à la salle des Pas-Perdus. Ici, on écoute l'orateur ! Allez-y, Monsieur.
M. Jean-Louis Fazio. Merci, Madame la présidente. Oui, chers collègues, pour revenir à ce «mais», le diable est dans les détails. Le 29 mars dernier, le Conseil fédéral a relevé avec effet immédiat les taux d'intérêt des prêts covid, évolution du taux directeur de la BNS oblige. Résultat: dès le 1er avril, le taux d'intérêt des crédits allant jusqu'à 500 000 francs a grimpé à 1,5% et celui des crédits supérieurs à 500 000 francs est passé à 2%. Dans la période actuelle, celle de l'après-covid, les entreprises se remettent difficilement. Or, voilà qu'une tuile de plus leur tombe dessus, qui s'ajoute à d'autres tuiles: prix de l'énergie, crise des matières premières et guerre en Ukraine qui dopent l'inflation.
Chers collègues, durant la campagne électorale, vous avez presque toutes et tous souligné les difficultés rencontrées par nos artisans, entreprises, restaurateurs et PME durant la période du covid et de l'après-covid. Je suis sûr que vous ne sauriez être amnésiques aujourd'hui. C'est pourquoi je vous demande, en mon nom et au nom du groupe Libertés et Justice sociale, de voter cette proposition de motion qui demande de prolonger la durée du cautionnement du crédit en cas de situation exceptionnelle, conformément à la LAE, et de cautionner cet intérêt. Il en va de la survie de nombreux artisans, commerçants et PME ! Vous devez dépasser les clivages politiques habituels, assurer un avenir plus serein à ces acteurs économiques indispensables au pays et penser au maintien de l'emploi. Merci de votre écoute.
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste demandera le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'économie. En effet, le fond de cet objet est intéressant. Il est vrai que les questions relatives à l'emploi sont aujourd'hui primordiales, et le dispositif de prêts covid a véritablement permis, depuis la pandémie, de faire face à des faillites probables et d'éviter une augmentation du chômage dans le canton de Genève.
D'ailleurs, je n'ai pas connu de clivages politiques au sujet de ces différentes aides et fonds. Ça a permis à bon nombre d'entreprises d'obtenir des aides à fonds perdu de la part de l'Etat et des prêts dans le cadre d'un mécanisme fédéral. Je suis un peu surpris quand même, et j'espère que le groupe LJS soutiendra cette demande de renvoi, après avoir demandé le renvoi en commission de deux projets de lois qui ont été travaillés pendant plusieurs années.
Cette motion est tout à fait intéressante, mais elle doit tout de même être étudiée à la commission de l'économie. En effet, plusieurs questions se posent. On parle de cautionnement, oui, mais à quel coût ? Quel coût probable, puisque le cautionnement veut dire que l'Etat s'engage à cautionner si l'entreprise ne peut rembourser la part du taux d'intérêt qui fait l'objet d'une demande de cautionnement ? Se pose aussi la question du nombre d'entreprises potentielles. Tout cela ne figure pas dans le texte. Cela demande au département de pouvoir fournir différents chiffres à la Fondation d'aide aux entreprises également et de faire le point sur le mécanisme et sur la manière dont la FAE pourrait cautionner un mécanisme qui est fédéral.
Le groupe socialiste est particulièrement intéressé par la problématique de l'emploi et du soutien aux entreprises et, pour toutes ces raisons, souhaiterait que nous puissions étudier cette proposition à la commission de l'économie, comme je l'ai indiqué au début de ma prise de parole, Madame la présidente.
La présidente. Je vous remercie. J'ai pris acte de votre demande de renvoi en commission. Comme c'est un nouvel objet, nous voterons à la fin du débat. Monsieur Jean-Marc Guinchard, vous avez la parole.
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, cette proposition de motion est intéressante et soulève un problème réel et important, eu égard à l'intérêt que nous portons aux entreprises qui constituent le tissu économique de notre canton. Celles-ci, en effet, créent des emplois et essaient de les maintenir à tout prix.
Dans le cadre de la crise du covid, de nombreuses entreprises ont été obligées de revoir leur plan d'action, de réaliser des économies et parfois de procéder à des restructurations avec, malheureusement, des licenciements éventuels; elles ont dû négocier avec leur banque ou leur bailleur des situations différentes. Dans certains cas, les succès ont été particulièrement mitigés. Ces entreprises ont établi leur budget notamment en fonction de leurs prêts covid et en comptant sur un taux d'intérêt de 1%, voire de 0%. Un passage brutal, immédiat à 1,5% ou même à 2% bouleverse leurs prévisions, place ces entreprises dans des situations parfois inextricables et peut mettre leur existence en péril. Tout cela sans compter la hausse des charges et des coûts des matières premières.
Malheureusement, ce secteur est régi par des dispositions fédérales, en particulier, sur le plan opérationnel, par le Secrétariat d'Etat à l'économie. Malgré le risque d'allongement des délais, pause estivale oblige, le groupe du Centre également préconise un renvoi à la commission de l'économie. Charge à elle de traiter cette proposition de motion avec célérité, si possible sans audition, avec pour objectif notamment d'examiner l'ensemble des possibilités de cautionnement, ainsi que, le cas échéant, de rédiger une résolution à l'intention de l'Assemblée fédérale. Je vous remercie.
M. André Pfeffer (UDC). Comme cela a déjà été dit, certaines de nos PME avaient été très durement touchées et les crédits covid ont permis - heureusement ! - à des milliers d'entre elles de survivre. Presque 11 000 crédits covid avaient été accordés aux entrepreneurs genevois, comme le relève l'un des considérants, et la moyenne des prêts covid est d'environ 124 000 francs.
Pour rappel, les crédits covid se montaient jusqu'à maximum 10% du chiffre d'affaires et leur remboursement est prévu sur une période de huit ans, avec une dérogation de deux ans maximum en cas de difficulté. Les taux d'intérêt étaient à l'origine de 0% pour les prêts inférieurs à 500 000 francs et de 0,5% pour ceux qui excédaient cette somme. Comme le premier signataire l'a dit, à la fin du mois de mars, ces taux ont été augmentés pour atteindre respectivement 1,5% et 2%; surtout, ils seront réajustés chaque année en fonction du marché.
Evidemment, la principale charge financière de nos PME n'est pas les intérêts, même s'ils ont progressé de 0% à 1,5%, mais la lourde charge d'amortissement, qui est d'environ 12%. La plupart des entreprises concernées sont hélas actives dans des domaines à la productivité assez faible. Pour être clair, les marges annuelles ou les bénéfices bruts de ces sociétés sont inférieurs à 10% par année; de facto, des années et des années de travail seront nécessaires à ces entreprises pour qu'elles puissent rembourser ces prêts covid.
Les conditions exigées pour le remboursement sont effectivement très lourdes et vont mettre certaines de ces PME en grande difficulté. Quoi qu'il en soit, ces entreprises - il faut le rappeler - avaient été durement touchées. Il faut aussi rappeler qu'elles ne sont absolument pas responsables de leur situation et que le remboursement de ces charges est très, très lourd. Le groupe UDC soutiendra donc cette proposition de motion, recommande de l'accepter aujourd'hui et refusera le renvoi en commission. Merci de votre attention et merci de votre soutien à ce texte.
La présidente. Merci. Monsieur Pierre Eckert, vous avez la parole.
M. Pierre Eckert. Je renonce, Madame la présidente, au profit de mon collègue de groupe.
La présidente. Merci. Madame Véronique Kämpfen, vous avez la parole.
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Merci, Madame la présidente. Comme il l'a dit lors de sa séance du 29 mars 2023, le Conseil fédéral a décidé de relever au 31 mars 2023, soit deux jours après, les taux d'intérêt des crédits covid-19 octroyés; il a en effet décidé de soumettre les crédits d'un montant jusqu'à 500 000 francs à un taux de 1,5% au lieu de 0% et ceux d'un montant supérieur à 500 000 francs à un taux de 2% au lieu de 0,5%.
Ce qui a particulièrement choqué les entreprises, c'est le délai de mise en oeuvre de cette augmentation, même si cette possibilité avait été expressément notée lors de la souscription des prêts. La nouvelle a été communiquée de manière abrupte aux entreprises, voire après l'entrée en vigueur de la mesure; cela est indigne d'une administration de qualité. Les milieux économiques et les associations professionnelles ont également exprimé leur déception de ne pas avoir été consultés.
Combien d'entreprises sont-elles touchées par cette augmentation ? Les données nationales font état d'un taux de remboursement complet des prêts covid de 40% et d'un solde moyen de 120 000 francs pour celles qui n'ont pas encore remboursé. On sait que les sociétés qui ont les sommes à rembourser les plus substantielles sont celles qui ont le plus souffert de la crise du covid, notamment dans la restauration et le commerce de détail. Un certain nombre de sociétés de ces secteurs peinent, encore aujourd'hui, à remonter la pente: elles doivent faire face à différentes autres augmentations et gérer la pénurie de main-d'oeuvre. Pour elles, tout intérêt non planifié peut s'avérer problématique.
Au vu de ces différents éléments, il semble important d'écouter les entreprises et les milieux concernés et d'analyser plus finement la situation qui prévaut à Genève. Le groupe PLR soutiendra donc la demande de renvoi à la commission de l'économie. Merci, Madame la présidente.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, la problématique des prêts covid et de ces intérêts qui tombent sur les entreprises assez subitement - cela vient d'être dit - est importante, d'autant plus que les prélèvements pour le remboursement des prêts sont faits... (Brouhaha.)
La présidente. Excusez-moi. Est-ce que l'UDC peut tenir son caucus à l'extérieur, s'il vous plaît ? (Remarque. Rire.) Alors est-ce que vous pouvez faire votre remarque à l'extérieur, s'il vous plaît ? (Remarque.) On vous remercie. Allez-y, Monsieur.
M. Daniel Sormanni. (L'orateur rit.) Merci, Madame la présidente. Les remboursements ont commencé il y a quelques mois et les prélèvements sont faits directement par les banques. C'est sûr que c'est assez difficile, surtout pour les petites entreprises, de se retrouver dans cette situation.
Je pense donc qu'il faut examiner cette possibilité. Cette proposition de motion, nous l'accueillons avec un préavis favorable, mais je pense qu'elle doit être renvoyée en commission. C'est pourquoi nous voterons le renvoi: cela permettra de mesurer les impacts et de décider de la manière d'agir. Si ça prend la forme d'une résolution aux Chambres fédérales - on connaît le sort de ces résolutions: généralement, elles vont directement à la poubelle -, ça ne sera pas très efficace. Par conséquent, il faudra peut-être envisager qu'il revienne au canton de cautionner et d'aider ces petites entreprises pour qu'elles ne disparaissent pas. Merci.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Chers collègues, le groupe des Verts, essentiellement sur la base des mêmes arguments que ceux qui ont été développés, va aussi soutenir le renvoi en commission de cet objet. Nous accueillons ce texte avec une certaine bienveillance, parce que l'annonce de l'apparition ou de la hausse des intérêts sur ces crédits covid a pu être mal vécue par les entreprises - cela, nous le comprenons tout à fait bien. Nous comprenons aussi que certaines entreprises se retrouvent en difficulté, même si, il faut le dire, ces montants restent relativement modestes: Mme Kämpfen l'a dit, la moyenne par crédit est d'environ 100 000 francs - mais les moyennes ne sont pas le tout.
Il vaut la peine de savoir de façon plus fine quels sont les montants crédités, quel est l'histogramme de ces montants, quelles entreprises peuvent être considérées comme étant mises en difficulté par le paiement de ces intérêts. Il vaut également la peine de réfléchir à l'outil proposé pour aider ces entreprises à faire face à cette annonce, à ce paiement d'intérêts; nous ne sommes en effet pas complètement persuadés que le cautionnement soit le meilleur outil, surtout que cela semble poser un problème de conformité du droit cantonal avec le droit fédéral. Pour toutes ces raisons, nous allons soutenir le renvoi en commission. Je vous remercie.
M. Vincent Canonica (LJS). Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'il y a urgence. Vous savez que le but des prêts covid était de combler un manque de liquidités. Or, comme les crises se succèdent, les entreprises font toujours face à des difficultés de trésorerie. Vous n'êtes pas sans savoir également que le paiement rétroactif correspondant au droit pour jours de vacances et jours fériés dans le cadre des indemnités dues au titre des RHT par la caisse de chômage n'a pas encore été exécuté.
On ne serait pas responsable si on cessait de soutenir les entreprises. A titre de comparaison, imaginez que vous êtes pris en charge par les soins intensifs des HUG et ensuite renvoyé chez vous sans accompagnement et sans suivi thérapeutique. Les entreprises doivent retrouver leur niveau d'activité et de trésorerie d'avant la pandémie. Cela doit arriver aussi vite que possible; il convient donc d'augmenter les intérêts sur les prêts covid aussi lentement que nécessaire. Pour ces raisons, le mouvement Libertés et Justice Sociale vous demande de voter la proposition de motion que nous vous présentons.
Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat est évidemment sensible au fond du problème posé par cette augmentation brutale des taux d'intérêt, notamment pour les petites entreprises. Sachez que le département de l'économie accompagne encore, au quotidien, des entreprises touchées par la crise du covid et qui peinent à s'en sortir, avec toute la bienveillance possible et une orientation vers des solutions.
Le Conseil d'Etat soutient la demande de renvoi en commission, car cette proposition de motion pose un problème de mécanisme. Il n'est en effet pas possible aujourd'hui pour le canton de cautionner un prêt octroyé par la Confédération. Elle pose aussi un problème de coût potentiel: si on ouvre une ligne de crédit de cautionnement, on n'est pas sûr que les entreprises effectueront leur remboursement. C'est quand même intéressant de se poser la question du coût. Je rappelle qu'il serait difficile d'appliquer ce mécanisme, parce que si une ligne de cautionnement est ouverte, cela veut dire qu'on demande un crédit à une banque pour rembourser les intérêts d'un crédit d'une autre banque.
Nous partageons le constat que le fond est juste, mais la forme peut être revue, et je me réjouis déjà, si le renvoi en commission est accepté, de travailler en collaboration avec la commission de l'économie pour évaluer la possibilité d'aider ces entreprises. Je vous remercie.
La présidente. Merci. Mesdames et Messieurs les députés, je lance le vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2932 à la commission de l'économie est adopté par 69 oui contre 1 non.