Séance du
vendredi 3 février 2023 à
14h
2e
législature -
5e
année -
9e
session -
57e
séance
M 2569
Débat
Le président. Le point suivant est la M 2569. Je précise qu'il s'agit d'un délai de traitement 2 dépassé. Madame Claude Bocquet, vous avez la parole.
Mme Claude Bocquet (PDC). Merci, Monsieur le président. J'ai déposé cette motion en juin 2019; elle n'a pas été travaillée en commission, car on l'a immédiatement gelée dans l'attente du dépôt du projet de loi sur l'égalité du Conseil d'Etat. Cela fait donc trois ans et demi que j'attends une réponse. Or aujourd'hui, nous allons devoir nous prononcer sur ce texte, puisqu'il s'agit du deuxième délai de traitement dépassé.
Je vais vous expliquer en très peu de temps ce qu'il en est. Cette motion demande l'instauration d'un label «Egalité salariale» pour les entreprises de 50 employés et plus, dont au moins 10 femmes. Ce sera un facteur de contrôle prépondérant pour l'attribution des marchés publics. Cette motion est souple, car elle permet aussi d'ajouter des points bonus. Elle demande en outre la tenue d'une liste publique afin que tout un chacun puisse favoriser les entreprises qui bénéficieront de ce label.
Quand j'ai déposé cette motion en 2019, l'«Equal Pay Day» était le 22 février. Cela signifie que, si un homme et une femme commencent à travailler le 1er janvier, l'homme est effectivement payé dès le 1er janvier, tandis que la femme doit quant à elle attendre le 22 février; elle travaille donc gratuitement pendant plus d'un mois et demi. Depuis trois ans, cette date s'est déplacée de deux jours: actuellement, l'«Equal Pay Day» est le 20 février, de sorte qu'à ce rythme-là, il faudra encore une cinquantaine d'années avant que les femmes obtiennent enfin l'égalité salariale.
Le canton du Jura a voté sur une initiative qui va dans ce sens, puisqu'elle demande de contrôler les entreprises de plus de 50 employés. Le texte a été accepté en 2021 avec un score impressionnant de 88,3%. Or l'année passée, en septembre, sous prétexte d'égalité, le peuple suisse a voté pour augmenter l'âge de la retraite des femmes d'une année. C'est assez incroyable, car cette égalité, on ne l'a pas. C'est donc inadmissible ! A Genève, l'objet en question a d'ailleurs été refusé. Les femmes en ont marre d'être les dindons de la farce, c'est pourquoi je vous invite à accepter cette motion, qui pourra peut-être aider le projet de loi du Conseil d'Etat à avancer. Par ailleurs, je demande le vote nominal. Merci. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Jean Burgermeister (EAG). Cette motion traite d'un sujet important, et je ne doute pas une seconde de la sincérité de sa première auteure - ou autrice.
Une voix. Auteure !
M. Jean Burgermeister. Néanmoins, le texte pose de vrais problèmes. D'abord - il faut quand même le rappeler - l'égalité salariale n'est pas une option: c'est une nécessité légale, inscrite dans la loi et dans la constitution aussi bien suisse que genevoise, mais elle n'est toujours pas appliquée. Le PDC, aujourd'hui, nous propose de féliciter, de remercier celles et ceux qui appliquent la loi et la constitution ! Mesdames et Messieurs, on peut imaginer que demain le PLR viendra avec une motion en faveur d'un badge pour les multimillionnaires qui paient leurs impôts sans faire de l'évasion fiscale... Evidemment, c'est grotesque ! (Exclamations. Rires.) Imagine-t-on un instant un label qui féliciterait celles et ceux qui n'ont pas commis de vol ou d'assassinat ? Non, Mesdames et Messieurs, on se contente de punir celles et ceux qui les commettent. Voilà ce qu'il faut pour l'égalité salariale.
Or pourquoi est-ce qu'on ne punit pas les entreprises qui ne respectent pas l'égalité salariale ? Eh bien, pour deux raisons. D'abord, il n'y a pas assez de contrôles. Pas assez de contrôles, parce que pas assez de moyens. L'ensemble de la droite, PDC compris, refuse de donner les moyens, que ce soit au niveau fédéral ou cantonal, pour véritablement contrôler l'égalité salariale. De plus, Mesdames et Messieurs, les contrôles ne suffisent pas; il faut aussi, vous le savez, des sanctions ! (Exclamations.) Or la majorité de droite au Parlement fédéral, y compris le PDC, a toujours refusé d'intégrer des sanctions réelles destinées aux entreprises qui ne respectent pas l'égalité salariale. On ne peut donc pas, Mesdames et Messieurs, voter la motion du PDC qui, à Genève, fait mine de s'intéresser à l'égalité salariale et, à Berne, fait tout pour l'empêcher. C'est pour cette raison que nous refuserons ce texte, non pas parce que nous sommes contre l'égalité salariale, mais parce que nous pensons qu'il convient de faire en sorte que l'Etat fasse appliquer la loi. Il faut des contrôles et des sanctions pour les entreprises qui ne l'appliquent pas. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je ne voudrais pas contredire Mme Bocquet, mais cet objet a été traité en commission. Il a été examiné avec deux autres motions. L'une - dont le premier signataire est M. Youniss Mussa - s'appelle «Label égalité femmes-hommes: encourageons les entreprises à s'engager sur la voie de l'égalité» et a été refusée par la commission; elle se trouve à l'ordre du jour de ce Grand Conseil et nous la traiterons à l'occasion. L'autre motion a été déposée par M. Yves de Matteis; elle propose un dispositif plus général - pas forcément un label, même si cela pourrait en être un - qui permet de reconnaître et de valoriser les entreprises actives en matière d'inclusion, de promotion de la diversité et de prévention des discriminations, l'inégalité salariale étant manifestement une discrimination. Ce texte a aussi été refusé par la commission.
Nous avons auditionné un certain nombre d'entités, je ne sais plus exactement combien; en revanche, je me souviens très bien que les trois motions ont été présentées ensemble, lors de la même réunion Zoom - puisqu'on se réunissait par Zoom à ce moment-là. Pour une raison étrange, la motion du PDC a été gelée, alors que les deux autres ont été refusées et se trouvent actuellement à l'ordre du jour.
Du côté des Verts, nous sommes favorables à l'instauration de plusieurs labels qui permettent de montrer qu'un certain nombre d'entreprises sont, entre guillemets, «vertueuses». Je suis d'accord avec mon collègue Burgermeister: c'est le minimum que nous devions faire, la loi doit être respectée. La motion que nous avions présentée - et que M. de Matteis pourra développer un peu, s'il lui reste du temps - portait sur les discriminations de manière plus large. Je pense que nous devons accepter un certain nombre de motions de façon à pouvoir renforcer le projet de loi sur l'égalité et la lutte contre les violences et les discriminations liées au genre déposé par le Conseil d'Etat et actuellement en traitement à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne). Je vous remercie.
M. André Pfeffer (UDC). Le groupe UDC ne soutiendra pas cette motion. L'établissement d'un label ne répond pas aux problèmes qu'il faut résoudre, c'est très coûteux et compliqué à réaliser, et l'efficacité des labels est très, très discutable. En outre, le label tel que le texte le mentionne a, je dirais, plusieurs objectifs: il ne vise pas seulement l'égalité entre hommes et femmes, il prévoit aussi la mise en place d'une liste des bons élèves. Il est par ailleurs recommandé de prendre des mesures contre le harcèlement, et il est également question d'établir des ratios équitables de cadres entre hommes et femmes dans les entreprises.
Il faut quand même rappeler que le bon moyen pour résoudre ce genre de problèmes - ou en tout cas un moyen efficace, connu et que personne ne met en doute -, c'est tout simplement le partenariat social: c'est par cette voie qu'il faut, selon nous, aborder et résoudre ce problème. En conclusion, je le répète, le groupe UDC ne soutiendra pas cette motion. Merci de votre attention.
M. Alexis Barbey (PLR). Une meilleure reconnaissance du travail des femmes est naturellement un but à poursuivre, et le PLR le poursuit. Toutefois, on peut remarquer deux choses. La constitution genevoise garantissant un salaire égal pour un travail égal date de 2012, soit dix ans déjà, et elle est quasi sans résultat. D'autre part, la loi fédérale sur l'égalité RS 151.1 a été votée sauf erreur en 1993, soit il y a trente ans, avec les mêmes résultats, c'est-à-dire très faibles.
Alors, à quoi cela tient-il ? On peut se demander plus largement, dans le cadre de cette motion, si le label est un bon système. C'est une méthode qui, certes, est à la mode, mais elle est malheureusement souvent utilisée comme un cosmétique sans énormément d'effets, qui se contente de mettre du baume là où ça fait mal. Le label n'est pas un bon système, car il est en fait très cher: c'est coûteux d'établir un label, c'est coûteux de le faire respecter par les entreprises, ça implique des normes, ça implique des contrôles, ça implique une fonctionnarisation peu souhaitable. Enfin, il faut dire qu'un label ne produit pas d'effets s'il n'est pas respecté, ce qui nuit assez largement à son efficacité.
Quelle est donc la solution, si on s'écarte de cette question du label ? Au sein du PLR, nous souhaitons des outils plus clairs, qui donnent des résultats concrets et rapides, comme le vote de certains quotas, à l'exemple du PL 12531-A. Nous souhaitons aussi, et surtout, stimuler l'action à l'intérieur des entreprises; on voit qu'à travers la certification «B Corp», beaucoup d'entreprises sont stimulées en vue d'atteindre ces résultats d'égalité salariale, et qu'elles n'ont besoin de personne ni d'une oreille de l'Etat pour parvenir à cet objectif. C'est pourquoi le PLR vous propose de refuser cette motion et d'agir directement sur le terrain. Je vous remercie.
Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, je rejoins certains de mes préopinants, notamment de gauche - cela ne vous étonnera pas. Bien entendu, l'égalité salariale doit être respectée, car nul n'est censé ignorer la loi. De plus, la certification «EQUAL-SALARY» existe déjà, et je me permets de citer le site internet en question:
«La certification EQUAL-SALARY est une procédure qui permet aux entreprises de vérifier et faire savoir qu'à travail égal, elles offrent un salaire égal à leur personnel féminin et masculin. Elle s'adresse aux entreprises de 50 employé-e-s ou plus (dont au moins 10 femmes) de tous les pays, de tous secteurs privés et publics, désireuses de promouvoir l'égalité salariale entre femmes et hommes.
«Cette certification vous donne l'occasion de mettre vos valeurs en pratique. De prouver votre engagement à rémunérer femmes et hommes de manière équitable. Elle confère une valeur ajoutée à votre entreprise, facilite le recrutement et la fidélisation des talents, apporte davantage de diversité au sein de votre équipe, renforce votre réputation, et bien plus encore. [...]»
L'égalité salariale est donc importante. D'ailleurs, ce label pourrait déjà être utilisé lors des appels d'offres. J'ajouterai encore qu'une loi autour des questions d'égalité est en traitement à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne); nous l'attendons depuis le début de cette législature et elle tarde. Alors, si le PDC et d'autres groupes souhaitent vraiment aller de l'avant sur ces questions, qu'ils s'impliquent dans le traitement de ce projet de loi et fassent en sorte que cette loi existe. En conclusion, le groupe socialiste ne soutiendra pas cette motion. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole revient à M. Yves de Matteis pour quarante secondes.
M. Yves de Matteis (Ve). Merci, Monsieur le président. Ce sera largement suffisant: je ne vais pas parler de la motion que j'ai rédigée - je le ferai lorsque nous la traiterons en plénière -, mais j'aimerais revenir sur l'un des éléments mentionnés par mon collègue M. Eckert. En effet, le projet de loi qui a été présenté devant ce parlement, à savoir le PL 12843, indique à son article 18 que pour soutenir l'égalité hommes-femmes l'Etat peut - je cite - «encourager des formations du personnel et des labels». Ce texte a fait l'objet de nombreuses consultations au sein de l'Etat et auprès de multiples associations. La notion de label n'a été remise en cause ni au sein de l'Etat ni par les associations. Le secret de commission m'interdit de dire si les partis y étaient favorables durant les débats menés en commission, mais je les laisse faire preuve d'une certaine cohérence en la matière ! Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Claude Bocquet pour trente secondes.
Mme Claude Bocquet (PDC). Ce sera court. Je remarque qu'à gauche on trouve que ça ne va pas assez loin et qu'à droite ça va trop loin. Alors je vous propose de voter au centre... (Rires. Applaudissements.) ...et que chacun fasse un pas afin de donner un élan au Conseil d'Etat pour mettre en place ce label et parvenir enfin à l'accélération de cette égalité salariale. Parce que s'il faut encore cinquante ans, moi je ne la verrai pas... Merci.
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la députée. La parole n'étant plus demandée, nous votons sur la prise en considération de cette motion.
Mise aux voix, la proposition de motion 2569 est rejetée par 56 non contre 22 oui (vote nominal).