Séance du
jeudi 2 février 2023 à
20h30
2e
législature -
5e
année -
9e
session -
56e
séance
R 1010
Débat
Le président. A présent, Mesdames et Messieurs, nous traitons notre dernière urgence, soit la R 1010, en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à son auteur, M. Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC). Oui, merci beaucoup, Monsieur le président. Chers collègues, le suicide d'un jeune est toujours inacceptable, qu'il s'agisse d'une personne qui vit ici normalement ou d'un réfugié. Le problème des requérants d'asile mineurs non accompagnés, dits RMNA, est grave: ces jeunes gens arrivent sans famille, souvent après de longs voyages passés dans des conditions terribles, avec des passeurs, avec de la violence, et quand ils parviennent à Genève, ils espèrent retrouver un certain équilibre.
Alors on les protège très bien jusqu'à l'âge de 18 ans. En effet, la législation et surtout les recommandations européennes font que ces jeunes sont encadrés, on ne peut pas les renvoyer sauf s'il y a la possibilité d'un regroupement familial. Cependant, quand ils atteignent l'âge de 18 ans, c'est fini, plus aucune protection: ils risquent d'être renvoyés soit vers le pays d'entrée en Europe (la Grèce, par exemple), soit dans leur pays d'origine.
Notre parlement a déjà discuté de cette question: en 2019, nous avons voté la motion 2524 de Mme de Chastonay, qui demandait que les jeunes réfugiés soient pris en charge jusqu'à l'âge de 25 ans. Pourquoi ? Sachant qu'ils arrivent en moyenne à 16 ans à Genève, il faut leur donner le temps d'apprendre la langue, d'acquérir une formation. Les jeunes que nous avons rencontrés à la commission des affaires sociales déployaient vraiment de grands efforts pour s'intégrer dans notre canton, ils méritent de suivre une formation. Il faut savoir que si, après l'âge de 18 ans, on leur refuse le droit de rester en Suisse, ils doivent interrompre immédiatement leur cursus. Nous avons trouvé cela choquant et réclamé qu'on change cette pratique, que les jeunes soient pris en charge jusqu'à 25 ans; c'était en 2019.
La Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales a formulé la même remarque, demandant sur le plan fédéral que les jeunes requérants puissent rester jusqu'à la fin de leur formation, qu'ils puissent à tout le moins achever leur parcours avant qu'on décide s'ils ont ensuite le droit de rester en Suisse ou non.
Le cas du jeune homme qui s'est jeté dans le Rhône est purement révoltant, parce que ce parlement avait pris ses responsabilités, avait décidé qu'on ne pouvait plus procéder de la sorte. Or la Confédération et le service responsable au niveau fédéral n'ont pas tenu compte des certificats médicaux, lesquels indiquaient pourtant clairement qu'il y avait un risque pour la santé de cette personne, et c'est un vrai scandale. Nous voulons qu'il y ait une discussion à ce sujet à Berne, et c'est pour cela que nous adressons une résolution cantonale à l'Assemblée fédérale, il faut permettre à ces jeunes de rester chez nous au moins jusqu'à 25 ans et de terminer leur formation. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, pour commencer, j'utiliserai un instant sur mes trois minutes de temps de parole afin de demander le silence pour Yemane, 20 ans, mort en 2018, Alireza H., 18 ans, mort en 2019, et son homonyme Alireza R., 18 ans, mort plus récemment, en 2022. (L'assemblée observe un moment de silence.) Merci pour eux. Alireza, on ne t'oublie pas !
Mais comment en est-on arrivé là ? Comment les autorités fédérales ont-elles pu notifier un renvoi vers la Grèce à ce jeune Afghan malgré un certificat médical faisant état d'un risque élevé de passage à l'acte suicidaire ? Comment se fait-il que les autorités cantonales n'aient pas réussi à faire pression ? Cette politique migratoire ainsi que les conditions d'accueil et de vie sont indignes.
Et pourtant, ce sont des jeunes. Et pourtant, comme l'a relevé M. Buchs, ce Grand Conseil a voté la motion 2524 que j'avais déposée en 2019 et qui demandait précisément une prise en charge des jeunes adultes relevant de l'asile jusqu'à l'âge de 25 ans. Ensuite, malgré les belles paroles et la réponse du Conseil d'Etat, j'ai à nouveau interrogé le gouvernement à ce sujet en 2022; c'était ma question écrite urgente 1710 qui faisait le lien avec la guerre en Ukraine et la générosité du peuple suisse.
Notre système montre des carences. Même l'Hospice général a tiré la sonnette d'alarme concernant le manque de personnel éducatif et de santé. Quand ce malheureux dispositif va-t-il s'améliorer ? Combien de morts, combien de suicides avant que l'accueil et l'accompagnement soient plus humains, plus dignes de Genève, comme l'a d'ailleurs déjà exigé notre parlement à plusieurs reprises ? Tout jeune réfugié non accompagné a le droit d'être protégé par la Convention relative aux droits de l'enfant. Selon la CDAS (la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales), les requérants entre 18 et 25 ans doivent bénéficier des prestations prévues par les politiques publiques de l'enfance et de la jeunesse.
Bien évidemment, les Vertes et les Verts soutiennent cette proposition de résolution qui demande simplement à l'Assemblée fédérale de protéger les jeunes réfugiés jusqu'à l'âge de 25 ans. Cela étant, nous défendons également toutes les revendications de la Coordination asile.ge: de vrais permis pour une vie normale, un accès à la formation et au travail, une alternative vivable au foyer de l'Etoile. Et nous disons stop aux abris PC, stop aux renvois ! Merci.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, en 2019, comme l'indique l'exposé des motifs de la proposition de résolution 1010, ce Grand Conseil avait adopté la motion 2524 qui poursuivait le même objectif que le présent texte; il devrait donc, par souci de cohérence, créditer celui-ci de la même manière, à plus forte raison en considérant le contexte dans lequel il a été déposé, à savoir suite au xième et dramatique suicide d'un requérant d'asile mineur non accompagné.
Nous ne pouvons plus continuer à occulter le désespoir de ces personnes, mineures ou pas, jetées sur les chemins de l'exil, constamment confrontées à la violence, à la torture, à l'extorsion, trop souvent à la mort. Nous ne pouvons plus continuer à nous donner bonne conscience en nous cachant derrière les accords de Dublin. Il est établi que les conditions de vie dans les camps de réfugiés aux frontières de l'Europe, les premiers pays dans lesquels celles et ceux qui espèrent sauver leur vie sont contraints de poser le pied, sont contraires à la dignité humaine.
Pire encore, il s'y exerce de manière systémique des violences et des violations des droits humains que l'Europe et nos propres autorités devraient condamner. Ce n'est malheureusement pas le cas, et elles s'en rendent coupables. Le Secrétariat d'Etat aux migrations continue à renvoyer les réfugiés dans ces enfers et ces zones de non-droit. C'est sans doute en grande partie cette perspective qui a conduit Alireza à cette terrible extrémité qu'est le suicide.
Nous ne réglerons pas l'épineuse question des accords de Dublin dans ce parlement, mais nous pouvons alerter les autorités fédérales à ce propos et leur faire savoir que nous ne sommes plus dupes de la faillite et de l'inhumanité de ceux-ci. Nous pouvons, par cette proposition de résolution, leur demander de respecter la Convention relative aux droits de l'enfant afin d'éviter que le couperet tombe à 18 ans sur des jeunes gens qui sont venus ici demander protection et de faire en sorte que ceux-ci puissent tenter de se réparer des violences affrontées et subies, qu'ils puissent terminer des processus de formation et, ainsi, se construire enfin un autre avenir.
C'est pourquoi il est impératif de les protéger contre les expulsions de notre territoire jusqu'à l'âge de 25 ans. A cet égard, la Cour européenne des droits de l'homme vient une fois de plus de décréter la nécessité d'encadrer jusqu'à 25 ans les jeunes requérants d'asile passant le seuil de la majorité. Aussi, le groupe Ensemble à Gauche vous recommande vivement de soutenir la proposition de résolution 1010. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Deonna (S). Mesdames et Messieurs les députés, ainsi que mes collègues l'ont relevé, la décision à l'origine de cette proposition de résolution, celle qui occasionne également les travaux de la commission de contrôle de gestion, est indigne. Le Secrétariat d'Etat aux migrations et le Tribunal administratif fédéral n'ont pas tenu compte de l'avis des médecins: ils ont choisi de renvoyer Alireza, le jeune réfugié qui s'est suicidé juste après l'annonce de son renvoi, ce qui est honteux.
Cette décision est révoltante, parce qu'elle viole la jurisprudence du tribunal elle-même, laquelle interdit expressément les renvois vers la Grèce, en particulier s'agissant de personnes dont la santé psychique est gravement affectée. A quoi sert la jurisprudence, Mesdames et Messieurs les députés, si elle n'est pas appliquée par l'autorité même qui l'a prononcée ? Le SEM et le TAF portent une responsabilité directe dans le suicide du jeune Alireza.
Malheureusement, ce n'est pas un cas isolé. Depuis bien trop longtemps, les autorités utilisent tous les expédients à leur disposition pour renvoyer des personnes dont la vulnérabilité est systématiquement ignorée. Mes préopinants l'ont rappelé et «Le Temps» se faisait également l'écho de ce phénomène récemment dans ses colonnes: les rapports médicaux sont constamment écartés par les autorités fédérales. Je le répète: le SEM et le TAF portent une lourde responsabilité dans ce drame.
Cependant, les autorités cantonales ne sont pas exemptes de critiques: elles ont fait preuve d'un manque de courage politique flagrant, elles se sont réfugiées derrière une prétendue absence de marge de manoeuvre, marge de manoeuvre dont elles disposent pourtant. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat a pour devoir de se positionner clairement contre tout renvoi vers des pays où les personnes courent un danger de mort; le Conseil d'Etat doit prendre position contre tout renvoi vers des pays où les conditions de vie réservées aux personnes en exil sont notoirement dénoncées par la majorité des ONG et des instances internationales; le Conseil d'Etat doit s'opposer à l'exécution des renvois prononcés sans prise en compte des situations individuelles et de la vulnérabilité, que ce soit vers la Grèce, la Croatie, la Bulgarie ou d'autres pays.
Comme mes préopinants l'ont souligné, une série de drames se sont succédé. Il y a deux ans, un autre jeune Afghan, qui s'appelait lui aussi Alireza, s'est suicidé. Le foyer de l'Etoile et la prise en charge des RMNA ont fait l'objet d'assises cantonales, de recherches de la Haute école de travail social, d'un rapport de la Law Clinic de l'Université de Genève, d'un rapport de la Cour des comptes. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Or, visiblement, ces différentes démarches n'ont pas eu les effets escomptés. Trois ans plus tard, les résultats ne sont pas du tout à la hauteur des attentes des experts du domaine et des associations spécialisées, il n'y a pas de mesures d'intégration réelles. Les années passent sans que l'on puisse constater de changement...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Emmanuel Deonna. ...dans l'encadrement et l'accompagnement des jeunes. C'est pourquoi le groupe socialiste vous invite à approuver cette proposition de résolution qui se base sur les recommandations de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales ainsi que de la Cour des comptes...
Le président. Merci, Monsieur le député...
M. Emmanuel Deonna. Ces institutions préconisent de maintenir un accompagnement réel et digne...
Le président. C'est terminé !
M. Emmanuel Deonna. ...des réfugiés non accompagnés sur notre territoire jusqu'à 25 ans en respectant la Convention relative aux droits de l'enfant. Je vous remercie.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, il est vrai que ce suicide est tragique. Chaque suicide est tragique, mais il ne faut pas oublier qu'à Genève, il y avait au moins deux suicides par semaine dans le passé - je ne connais pas les statistiques actuelles -, deux suicides par semaine ! Alors j'ignore si les chiffres ont augmenté ou diminué, mais on devrait aussi s'intéresser aux autres personnes qui mettent fin à leur vie, et ce ne sont pas des demandeurs d'asile déboutés, ce sont des gens qui sont en général bien dans leur vie - mais apparemment pas dans leur peau. On ne sait pas les motifs profonds qui poussent les individus à se donner la mort.
En tout cas, ce ne sont certainement pas les épreuves qui les y conduisent. En général, les épreuves renforcent les gens, donc ce n'est pas ça, il y a sans doute autre chose. Je pense qu'on ne peut pas tout de suite incriminer ceci ou cela, dire que c'est la faute d'untel ou d'untel, que c'est parce qu'ils se sont fait renvoyer... Non, des milliers de personnes se font renvoyer chaque année, et elles ne se suicident pas toutes. La vie est un combat, il faut arrêter d'infantiliser les gens et de dire: «C'est parce qu'on les a renvoyés qu'ils se suicident.» (Commentaires.) Je suis désolé, c'est tragique, oui, mais il y a des cas de suicide toutes les semaines à Genève, alors qu'on se penche là-dessus aussi.
Par rapport à la problématique des réfugiés mineurs non accompagnés, je rappelle que la commission des Droits de l'Homme a traité une proposition de motion intitulée «Genève, république sanctuaire pour les mineurs et les jeunes adultes non accompagnés» à dix-sept reprises précisément afin de trouver des solutions pour ces jeunes, mais c'est compliqué, ils sont nombreux à être indisciplinés, ce n'est pas aussi facile qu'on l'imagine de les garder jusqu'à 25 ans. Certains refusent d'aller à l'école, ils se montrent un peu rebelles, ce n'est pas si simple que ça. Nous avons également rédigé une proposition de motion de commission, la M 2770 «Jeunes non accompagnés, changeons d'approche». Donc voilà, un travail de fond a été effectué par la commission des Droits de l'Homme dans ce domaine.
Je ne sais pas ce que vous voulez faire avec cette proposition de résolution, s'il faut la renvoyer directement, mais par pitié, ne la transmettez pas à la commission des Droits de l'Homme, parce que nous avons déjà traité le sujet et essayé de trouver des solutions sans dogmatisme, sans frictions entre la gauche et la droite, nous avons vraiment réalisé un travail intéressant et constructif.
Pour conclure, je regrette qu'on accuse toujours les autres, qu'on dise que c'est la faute d'untel ou d'untel si quelqu'un se suicide. Les personnes ont quand même une certaine responsabilité, elles doivent assumer leur vie. La vie est difficile, on pourrait tous se suicider ! Si on connaissait les épreuves qu'affrontent les gens, on conclurait que chacun pourrait se suicider ! Merci beaucoup.
M. Cyril Aellen (PLR). Après les propos que je viens d'entendre, il est difficile de dire autre chose que ceci: le PLR n'est pas du tout d'accord. Ce ne sont pas les suicides commis au sein du reste de la population qui permettront d'expliquer ce geste, qui nous empêcheront d'éprouver de la compassion s'agissant de ce drame en particulier. Les souffrances ne se comparent pas, elles doivent être traitées avec sérénité et humanité dans chacun des cas.
Le PLR avait voté - après une hésitation, il faut le dire, néanmoins avec conviction - la motion 2524, trouvant important qu'un accompagnement sociopédagogique et socio-éducatif de qualité soit mis en place pour les ex-RMNA jusqu'à l'obtention d'une formation certifiante, jusqu'à l'âge de 25 ans; il considérait, et c'est ce qui avait prévalu dans sa réflexion, qu'à partir du moment où ces jeunes étaient accueillis chez nous, qu'ils soient en procédure ou dans l'impossibilité d'être renvoyés dans leur pays, il était fondamental qu'ils puissent suivre le parcours le plus humain possible et le plus inséré dans notre république.
La proposition qui nous est soumise aujourd'hui met mal à l'aise un certain nombre de membres du PLR - eu égard à la solution, pas au constat. Nous observons que les partisans de ce texte sont mus par des objectifs qui ne sont pas toujours identiques et qui, surtout, se fondent sur des faits variables. Nous avons entendu «stop aux abus», «stop aux renvois», qu'il ne faut plus renvoyer personne, qu'il faut dénoncer les accords de Dublin; c'est parfois la faute du SEM, d'autres fois celle du tribunal ou encore des autorités cantonales.
Le PLR signale que si on s'adresse à l'Assemblée fédérale, il conviendrait, de notre point de vue, de dresser un bref historique, d'expliquer ce qui s'est passé, de déterminer la responsabilité de chacun, d'analyser les avis des médecins, de définir comment les autorités, chacune à leur stade, se sont prononcées. Par voie de conséquence, le PLR souhaite que nous renvoyions cette proposition de résolution en commission afin d'accomplir ce travail avant de revenir en plénum avec un certain nombre d'indications qui nous permettront, si le texte est validé, de le renvoyer à Berne sur la base d'un travail concret, et pas simplement d'un vote émotionnel.
A défaut, le PLR offrira une liberté de vote, regrettant, si le renvoi en commission n'est pas accepté - à la commission des affaires sociales ou à celle des Droits de l'Homme, peu importe, mais je préconiserais celle des affaires sociales en premier lieu -, que le travail ne soit pas réalisé correctement.
Mme Patricia Bidaux (PDC). On peut dire qu'il s'agit d'un débat émotionnel ou on peut tout simplement considérer la souffrance. La souffrance ressentie par tous ces jeunes qui forment le panel des jeunes Genevois reste, en un mot, de la souffrance. De notre côté, nous avons choisi de la regarder en face; nous avons choisi de la regarder en face également à la commission de contrôle de gestion, qui s'est penchée sur la problématique et a indiqué qu'il y avait là quelque chose qui ne fonctionne pas.
Tout semble avoir été dit. Cependant, Mesdames et Messieurs, il y a encore de l'espace pour tous ceux que nous n'avons pas nommés; il y a encore de l'espace pour dire de manière forte ce soir, dans notre assemblée, qu'à travers cette proposition de résolution, nous portons auprès de notre Parlement fédéral la voix du silence, la voix de celles et ceux qui sont restés silencieux. Le groupe PDC-Le Centre ne souhaite pas voir ce texte retravaillé, tout est dit. Nous vous engageons dès lors à l'accepter, et de manière massive. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je repasse la parole à Mme Jocelyne Haller pour vingt secondes.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Notre groupe s'opposera au renvoi en commission. Nous avons passé particulièrement beaucoup de temps à la commission des affaires sociales à traiter ce sujet, donc il n'y a plus grand-chose que nous puissions retravailler. Il ne s'agit pas d'un vote émotionnel, mais d'un vote de cohérence avec ce que nous avions décidé en 2019.
De plus, Mesdames et Messieurs, soutenir que nous serions finalement indifférents aux autres suicides, c'est vraiment peu nous respecter; vous savez à quel point nous sommes sensibles à ce genre de question. J'aimerais juste vous rappeler le courage et la résilience de ces gens...
Le président. Il vous faut conclure, Madame...
Mme Jocelyne Haller. ...qui ont affronté des épreuves dramatiques, et aujourd'hui...
Le président. C'est terminé...
Mme Jocelyne Haller. ...on leur dit que l'adversité vous renforce.
Le président. Merci...
Mme Jocelyne Haller. Non: elle vous pousse aux confins de vos forces. Ce que nous demandons...
Le président. Merci.
Mme Jocelyne Haller. ...c'est simplement de protéger ces personnes. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. La parole retourne à M. Bertrand Buchs pour une minute quarante.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Il ne faut pas renvoyer le texte en commission, le travail a été fait. En 2019, nous avons auditionné ces jeunes à la commission des affaires sociales, nous nous sommes déplacés au foyer de l'Etoile. Nous avons effectué le travail et nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait les soutenir jusqu'à l'âge de 25 ans.
Et nous ne sommes pas les seuls à parvenir à ce constat, il y a aussi la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales au niveau national, tout le monde est d'accord pour dire que ces jeunes doivent pouvoir achever une formation. Après, on peut discuter pour déterminer s'ils peuvent rester en Suisse ou non, mais qu'ils acquièrent au moins une formation.
Nous avons été impressionnés par la résilience de ces jeunes. Ecoutez, Mesdames et Messieurs, mettez-vous dans leur peau, imaginez que vous venez d'Afghanistan, que vous avez traversé l'Iran, la Turquie, que vous avez eu affaire à des passeurs qui vous ont sûrement maltraités, volés, il y a eu des viols; vous arrivez en Europe et tout recommence. Qu'un jeune qui a pensé: «Ah, je suis enfin en Suisse, je suis protégé» soit renvoyé à un endroit où il a souffert, c'est inadmissible. C'est inadmissible et c'est incompréhensible. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Très bien.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes saisis d'une proposition de renvoi à la commission des affaires sociales, que je soumets aux votes de l'assemblée.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 1010 à la commission des affaires sociales est rejeté par 41 non contre 32 oui.
Le président. Pour conclure le débat, je cède la parole à M. le conseiller d'Etat Thierry Apothéloz.
M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, juste avant que vous vous apprêtiez à voter cette proposition de résolution, permettez au gouvernement de présenter quelques éléments en lien avec cette situation, laquelle nous préoccupe à différents titres. Votre message, fort, et votre engagement dans le cadre de la motion 2524 donnaient des orientations claires que nous avons suivies.
Hélas, nous avons été dépassés par un afflux majeur que nous n'avions jamais connu à Genève ni en Suisse en général s'agissant des réfugiés mineurs non accompagnés. En matière d'asile, notre pays s'attend pour 2023 à l'arrivée de près de 50 000 personnes, qu'elles relèvent du permis S, donc venant d'Ukraine (environ 19 000 selon le scénario du Secrétariat d'Etat aux migrations), ou de l'asile dit ordinaire (30 000 demandes estimées par le SEM). Lorsqu'on reporte ces chiffres dans une répartition intercantonale, ce sont environ 2800 individus qui sont attendus dans notre canton.
Notre préoccupation est double, je dirais même plurielle. Il s'agit évidemment d'offrir à chacune et chacun un toit ainsi que les meilleures conditions de vie possibles à Genève et, à travers les différents engagements que nous avons pris à l'échelle intercantonale, mais aussi simplement d'un point de vue humain, de permettre à ces jeunes de bénéficier d'une formation et/ou de trouver un travail. Or aujourd'hui, la législation fédérale ne le permet pas, instaurant des conditions qui mènent à des situations paradoxales: les gens sont tiraillés entre la volonté absolue de s'insérer dans le tissu genevois et, d'un autre côté, une incertitude quant à la durée de leur séjour dans notre pays.
J'en viens à la question des requérants d'asile mineurs non accompagnés. Au quatrième trimestre 2022, soit celui que nous venons de dépasser, 800 RMNA sont arrivés en Suisse; c'est davantage que durant l'année 2021 dans son entier. Pour le premier trimestre 2023, c'est le même chiffre: plus de 800 jeunes sont attendus. Il y a dès lors une pression extrêmement forte sur la qualité de l'accueil, et c'est la raison pour laquelle nous développons des dispositifs au plus près des besoins des mineurs en collaboration avec la Fondation officielle de la jeunesse. Il est par exemple nécessaire de déplacer le centre de l'Etoile ailleurs, un ailleurs qui doit répondre à leurs besoins.
On utilise volontiers l'acronyme RMNA pour faire simple, mais on oublie que dans ce sigle, le «M» correspond au terme «mineurs», des jeunes qui ont traversé des épreuves difficiles. Nous le savons, car la Berne fédérale a mis en place un système de vérification de l'âge.
Avec l'Hospice général, nous avons créé des milliers de places d'accueil: 1650 places supplémentaires rien qu'en 2022. Au premier semestre 2023, 420 places de plus sont prévues, et au deuxième semestre 2023, 400 places également. Cela ne suffira pas pour faire face aux besoins. Nous sommes donc dans l'urgence, une urgence absolue, double: celle d'une part d'accueillir ces jeunes, d'autre part de les intégrer à l'école, de leur offrir un accompagnement socio-éducatif, sportif, culturel et des loisirs.
La situation terrible d'Alireza a été évoquée, qui démontre toutes les difficultés que nous rencontrons à gérer des cas individuels pour lesquels une réponse positive est délicate à donner au regard du droit fédéral. S'agissant de ce jeune en particulier, il avait été reconnu réfugié en Grèce et n'était donc pas considéré comme un ressortissant au titre des accords de Dublin. Cela nécessite une réflexion complète quant à la façon dont nous devons réagir ensemble, parce que la Confédération se range derrière la législation fédérale, qui a été votée par le Parlement fédéral; il est vrai qu'un certain nombre de changements sont nécessaires.
Nous faisons de la politique, donc nous savons que les démarches que nous entreprenons auprès du Secrétariat d'Etat aux migrations ne donnent pas de résultats aujourd'hui, en tout cas pas suffisamment. Peut-être pouvons-nous formuler l'hypothèse que l'échéance des élections fédérales ne nous y aide pas; dans ce cas, nous pouvons alors espérer qu'à partir de cet automne, nous bénéficierons d'une écoute différente s'agissant des réponses dont nous avons besoin pour permettre aux jeunes de se construire une vie scolaire, professionnelle, personnelle, affective, culturelle, sportive, en tout cas pour celles et ceux qui souhaitent rester dans notre pays; d'autres manifesteront peut-être l'intérêt ou la volonté de se rendre dans d'autres contrées ou de rentrer dans la leur.
Nous avons le devoir d'instaurer un accueil de qualité. Le message que vous envoyez ce soir au travers de cette proposition de résolution pourrait, nous l'espérons, contribuer à faire prendre conscience de l'importance des décisions prises tant au niveau individuel que collectif. Nous y serons particulièrement attentifs, comme nous le sommes pour répondre non seulement à l'urgence, mais aussi à la motion 2524 que votre parlement a adoptée en 2019. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de voter.
Mise aux voix, la résolution 1010 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 57 oui contre 25 non et 8 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)