Séance du
jeudi 2 février 2023 à
20h30
2e
législature -
5e
année -
9e
session -
56e
séance
IN 188 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. J'appelle le second point fixe, à savoir l'IN 188, qui est liée au rapport du Conseil d'Etat IN 188-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et la parole revient à M. André Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. Cette initiative poursuit plusieurs objectifs, dont la sauvegarde de nos terres agricoles, en interdisant l'enfouissement de mâchefers et de matériaux bioactifs sur le territoire cantonal. A cet effet, l'alinéa 1 de l'article 161A propose de proscrire l'implantation de toute nouvelle décharge visant au stockage de mâchefers d'incinération et d'autres matériaux bioactifs dans le canton de Genève. Le second alinéa prévoit de prendre toutes les mesures visant au recyclage ou à la valorisation des mâchefers d'incinération.
Par arrêté du 18 janvier 2023, le Conseil d'Etat n'a retenu que le deuxième alinéa, mais un avis de droit commandé par les initiants confirme que les deux dispositions satisfont aux conditions du droit supérieur ainsi qu'au principe de clarté. Les initiants sont des agriculteurs, des gens qui connaissent le terrain et leurs besoins. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, nous espérons que vous réserverez un bon accueil à cette initiative. Merci de votre attention.
Mme Patricia Bidaux (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le travail en commission nous permettra de clarifier les choses. Le PDC-Le Centre ne remet pas en question le fait que les mâchefers soient limités ou valorisés, puisque c'est tout simplement ce que prévoit déjà le droit fédéral. Les terres agricoles ne peuvent pas faire office de poubelle pour ce type de déchets. Cependant, l'initiative ne présente aucune plus-value pour les agriculteurs, bien au contraire.
Je rappelle qu'une motion déposée par le groupe PLR a fait l'objet d'un large travail sur ce sujet à la commission de l'environnement et de l'agriculture; elle demandait que les nouvelles techniques permettent la mise en valeur de ces détritus. La problématique des mâchefers est importante, des mâchefers produits en majorité par les litières pour chats.
Au-delà de cela, le PDC-Le Centre questionne à ce jour le fait que la constitution devrait se charger de rappeler à l'Etat «de prendre toutes les mesures visant au recyclage ou à la valorisation des mâchefers d'incinération et d'autres matériaux bioactifs, en veillant au respect de la santé de la population et de l'environnement», alors que la loi sur les déchets cadre déjà ce type de résidus. Vous l'aurez compris, le groupe PDC-Le Centre mènera le travail nécessaire en commission. Je vous remercie.
Une voix. Bravo.
Mme Françoise Nyffeler (EAG), députée suppléante. L'initiative s'intitule «OUI au recyclage des déchets non biodégradables». Comment pourrions-nous dire non ? La problématique des mâchefers est lourde, l'abondance de nos déchets pose problème. Certes, les résidus après incinération (les mâchefers) sont volumineux, et il faut bien les stocker quelque part, mais pas chez les autres ou carrément hors de nos frontières. Ce n'est pas possible ! Le transport des déchets et, plus généralement, les déplacements autour des décharges, c'est encore plus de pollution et de bruit.
Nous avons regretté et regrettons toujours les amendements de la droite qui ont été acceptés par la commission de l'environnement concernant la loi sur les déchets votée en septembre dernier. Ces modifications ont eu comme effet de limiter les mesures concrètes pour diminuer les détritus - et c'est bien là que se situe le problème -, de renoncer à une vraie taxe sur les déchets de chantiers, notamment sur les excavations qui servent surtout à construire des parkings. Nous déplorons également que les délais pour appliquer les mesures aient été repoussés par les mêmes membres de cette commission.
Il y a urgence. Le Conseil d'Etat lui-même reconnaît que c'est la résistance des communes et des riverains en 2016 qui a poussé le canton à lancer de nouveaux essais pour mieux assainir les mâchefers et les valoriser. Il faut donc résister pour avancer; merci, le Conseil d'Etat ! Dans ce sens, l'initiative 188 est utile.
En attendant qu'on progresse vraiment, que de temps perdu ! On ne peut que regretter la trop longue insouciance qui a régné et qui règne encore pour beaucoup. Aujourd'hui, cette insouciance confine à l'irresponsabilité. Nous croulons sous nos déchets. Il est temps d'évoluer, de prendre réellement des mesures pour diminuer leur quantité, de résister aux amendements systématiques de la droite de ce parlement. Peut-être qu'une décharge à Cologny modifierait la perception de certains ! Il y a d'ailleurs un golf sur cette commune qu'on pourrait utiliser à cet effet. Le Conseil d'Etat soutient cette initiative, et nous aussi.
M. Philippe Poget (Ve). Chers collègues, cette initiative nous amène à réfléchir à notre manière de gérer nos ressources et les déchets que nous produisons dans le cadre de notre mode de vie actuel; elle met l'accent sur un problème créé lors de l'incinération de nos détritus, car les mâchefers sont actuellement difficiles à valoriser et ainsi destinés à finir dans une décharge. Cela entraîne une pression sur les terres agricoles ou forestières qui, bien sûr, est inacceptable. Dans leur exposé des motifs, les initiants évoquent des principes tout à fait essentiels: sauvegarde des terres agricoles, de la biodiversité, des eaux et du paysage, développement de l'économie circulaire.
Malheureusement, le texte est mal formulé. Le premier alinéa prévoit l'interdiction de toute nouvelle décharge pour le stockage des mâchefers et matériaux bioactifs sur le territoire cantonal, disposition qui a été invalidée par le Conseil d'Etat au motif qu'elle est contraire au droit supérieur. Par ailleurs, cela irait dans le sens d'un tourisme de nos déchets. Si les résidus que nous n'arrivons pas à valoriser ne peuvent pas être stockés dans le canton, il faudrait alors les exporter. Or si nous refusons nos propres déchets, quels autres cantons voudront bien les prendre en charge ? Rappelons à cet égard que dans notre propre nouvelle loi sur les déchets, nous avons décidé de ne pas accepter les mâchefers provenant d'autres cantons. Soyons donc un peu logiques.
Le second alinéa demande que l'Etat prenne toutes les mesures pour mieux recycler ou valoriser ce type de déchets. Sur ce point, nous ne pouvons qu'être d'accord, et la nouvelle loi sur les déchets va d'ailleurs déjà dans ce sens. Nous soutiendrons donc cette initiative ainsi tronquée, même si elle ne va rien révolutionner. C'est vraiment bien de faire croire aux électeurs que l'on se préoccupe de notre environnement, mais une telle initiative ne prend en compte qu'un seul aspect; le parti qui la lance devrait développer une vision plus large, une vision holistique.
Nous avions la possibilité, lors de la définition de la nouvelle loi sur les déchets, d'aller beaucoup plus loin et d'aboutir à une diminution plus radicale de nos déchets et donc des mâchefers à la source, mais évidemment, ç'aurait été une stratégie moins électoraliste. Comme l'a relevé Mme Nyffeler, introduire par exemple une taxe sur l'évacuation des déchets d'excavation, voilà une mesure qui aurait permis d'éviter la pression sur les surfaces agricoles.
Le groupe des Vertes et des Verts vous invite à soutenir cette initiative gentillette, disons, qui ne fera pas progresser notre politique de gestion des ressources, mais qui va au moins dans le sens d'une meilleure valorisation des mâchefers. Je vous remercie.
Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais souligner encore une fois que l'initiative 188, en plus d'avoir été partiellement invalidée par le Conseil d'Etat, est redondante par rapport au cadre législatif existant, tant fédéral que cantonal. En effet, celui-ci intègre une obligation stricte de valorisation qui, soit dit en passant, est déjà mise en oeuvre par notre canton.
Depuis 2016, Genève cherche des solutions, et les membres de la commission de l'environnement et de l'agriculture qui examineront ce texte ont déjà eu l'occasion de faire une visite et d'obtenir une présentation détaillée des actuels essais innovants en la matière, lesquels ont pour objectif d'obtenir une qualité résiduelle de mâchefers suffisamment propres pour valoriser ceux-ci dans la construction dans le respect de la loi, ce qui n'est pas encore possible pour l'instant.
Je rejoins mes préopinants de gauche: si vraiment l'UDC souhaitait améliorer la gestion des ressources, elle aurait pu, lors du traitement de la nouvelle loi sur les déchets, suivre nos propositions pour renforcer encore son action, mais cela n'a pas été le cas.
Cette initiative vient donc un peu comme la grêle après les vendanges, et le groupe socialiste n'y voit pas de plus-value; elle donnera toutefois l'occasion au département de nous faire un point de situation sur les avancées de son projet de valorisation et n'empêchera pas de trouver des solutions à long terme pour stocker les mâchefers dans notre canton. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Stéphane Florey pour une minute trente.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Tout d'abord, vous transmettrez à M. Poget que notre démarche n'a rien d'électoraliste. Ça lui en bouche simplement un coin que l'UDC ait déposé ce type d'initiative, au contraire de son parti qui, année après année, s'efforce de détruire notre substance agricole.
Cela étant dit, Mesdames et Messieurs, je voulais surtout vous informer qu'un recours a été déposé et devrait bientôt être transmis à qui de droit. Voilà ce qui nous a fait déposer ce recours - je vous en lis rapidement un extrait: «L'invalidation partielle se fonde sur l'arrêt du Tribunal fédéral du 20 août 1991 (ATF 117 Ia 147)» - qui est mentionné dans l'avis de droit que nous avions demandé quant à la validité de cette initiative - «à teneur duquel une initiative ne peut pas interdire la construction de nouvelles décharges. Depuis lors, le Tribunal fédéral a toutefois jugé qu'il n'existe pas d'obligation de construire une décharge dans un canton, mais que la collaboration cantonale pouvait être admissible. C'était également l'avis des offices fédéraux sur cette initiative.»
On voit dès lors que l'argument du Conseil d'Etat est un peu «bout de bois». Pour notre part, nous avons confiance dans notre recours et estimons que nous avons toutes les chances que notre initiative soit réhabilitée à 100%. A son grand dam, le Conseil d'Etat devra bien accepter que cette initiative soit soumise dans son entier à la population. Je vous remercie.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, parlons politique avant de faire du juridisme, laissons les juges effectuer leur travail. Quel message fait passer un canton qui dit à ses voisins: «Nous ne nous occupons pas de nos déchets, c'est à vous de les stocker» ? Qu'est-ce que cela implique pour le fédéralisme ? Qu'est-ce que cela implique pour le respect de nos compatriotes ? Que voulez-vous que fasse le Conseil d'Etat ? Qu'il se rende du côté de Neuchâtel, du Jura, du Valais, de Vaud ou plus loin encore pour dire: «Ecoutez, nous avons des déchets comme tout le monde, mais ah, vous savez, nous sommes Genevois, nous n'allons tout de même pas les enterrer chez nous, c'est à vous de les prendre !» C'est une atteinte au fédéralisme ! C'est...
Une voix. En zone agricole !
M. Antonio Hodgers. En zone agricole ou ailleurs, le droit fédéral stipule qu'on ne peut stocker ces déchets que dans des périmètres accessibles. Si on ne peut pas les enfouir en zone agricole, on ne peut les enfouir nulle part, et c'est ce que vise votre texte. On ne peut pas les enterrer sous les immeubles, on ne peut pas les stocker sous les zones industrielles, le droit fédéral l'interdit.
L'objectif de cette initiative est de faire porter la responsabilité de nos propres déchets sur nos voisins. D'un point de vue éthique, d'un point de vue du respect du fédéralisme, c'est un pur scandale. Et le fait que ce soit le premier parti de Suisse qui dépose ce type d'attaque contre le fédéralisme est vraiment problématique. Pas plus tard qu'il y a quelques semaines, j'en parlais avec mon homologue du canton de Berne chargé de l'environnement, un élu UDC, et il me disait: «Il est hors de question» - Berne est le seul canton qui dispose encore de quelques réserves en matière de stockage des mâchefers - «que notre canton prenne en charge les déchets genevois de manière définitive. C'est insultant, nous ne sommes pas la poubelle de Genève !» Or c'est précisément cela que propose l'UDC au reste de la Suisse. Ce que vous sollicitez de nos concitoyens, c'est que nous disions aux autres cantons: «Vous êtes la poubelle de Genève.» C'est un pur scandale !
Bien sûr que nous devons nous efforcer de réduire les mâchefers, bien sûr que nous devons minimiser leur impact, mais en matière de déchets, il appartient à chaque collectivité et à chaque canton de faire sa part. Le droit fédéral indique qu'il doit y avoir une coordination entre les cantons, et c'est ce qui se passe aujourd'hui: des cantons voisins ou plus lointains, compatriotes, prennent nos mâchefers provisoirement. Il y a quelques réserves jusqu'en 2024, je négocie péniblement pour prolonger le délai jusqu'en 2025. Mais pensez-vous sincèrement que nos homologues députés et conseillers d'Etat des autres cantons vont valider un principe selon lequel nos déchets doivent être stockés chez eux pour toujours - parce que cela figurerait dans la constitution genevoise ? S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs ! C'est absurde ! C'est absurde et choquant ! Cette initiative cristallise vraiment la quintessence de l'égoïsme cantonal.
Nous devons engager des efforts collectivement pour réduire ces résidus. Je vous en prie, ne faites pas de Genève la risée de la Suisse, ne rendez pas les Genevois encore plus arrogants... (Commentaires.) Ne rendez pas les Genevois encore plus arrogants que l'image qu'on se fait déjà de nous au niveau national. J'ai soumis cette initiative à tous mes homologues romands, ils ont été scandalisés ! Scandalisés qu'on puisse débattre de ce genre de texte. Mesdames et Messieurs, allons de l'avant avec cette proposition d'invalidation. J'apprends ce soir que les juges en décideront; bien, nous reprendrons cas échéant le débat politique, mais il y a quelque chose de grave dans le fait de penser que c'est aux autres de gérer nos responsabilités. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo, Antonio !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat.
L'initiative 188 et le rapport du Conseil d'Etat IN 188-A sont renvoyés à la commission de l'environnement et de l'agriculture.