Séance du vendredi 24 juin 2022 à 17h
2e législature - 5e année - 2e session - 17e séance

P 2121-B
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition contre la décharge de la Place Verte
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 23 et 24 juin 2022.
Rapport de majorité de Mme Christina Meissner (PDC)
Rapport de première minorité de M. Sylvain Thévoz (S)
Rapport de deuxième minorité de M. Alexis Barbey (PLR)

Débat

Le président. Nous continuons notre ordre du jour avec le traitement des pétitions, en commençant par la P 2121-B. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. (Brouhaha.) Quelqu'un peut-il fermer la porte ? Merci, Monsieur Eckert ! Je passe la parole à Mme Christina Meissner, rapporteure de majorité.

Mme Christina Meissner (PDC), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Je me demande si on a le quorum, juste là ! (L'oratrice rit. Remarque.)

Pour rappel, nous parlons d'une décharge située en zone agricole à Veyrier. Elle est traversée par un corridor biologique et se trouve en plein milieu d'une zone habitée; il s'agit de la seule décharge du plan directeur cantonal ainsi située.

Le retour en commission a permis de procéder à des auditions complémentaires à celle des habitants pétitionnaires de la commune et du service cantonal de géologie, sols et déchets - GESDEC. Nous avons en effet entendu l'exploitant de la décharge, l'exploitant agricole, l'office cantonal de l'agriculture et de la nature ainsi que les associations Pro Natura et WWF. A l'issue de toutes ces auditions, la majorité de la commission considère toujours qu'il y a un clair manque de dialogue. Les pétitionnaires et associations n'ont jamais été entendus par les services du département du territoire et n'ont jamais reçu de réponse de leur part à leurs questions, observations ou propositions. Lors du premier examen de la pétition, les représentants des plus de 1500 habitants pétitionnaires nous avaient déjà informés qu'aucune concertation n'avait eu lieu. L'audition des associations environnementales a révélé que même Pro Natura, qui est propriétaire d'une grande parcelle adjacente, n'a jamais été consultée, ne serait-ce qu'à ce titre.

Le WWF et Pro Natura nous ont rappelé qu'ils s'opposent à ce projet. Celui-ci ne prévoit en effet aucune compensation écologique, alors que le terrain se trouve sur un corridor biologique transfrontalier faisant partie du contrat corridors signé en 2012 par le canton, qui avait entre autres buts la restauration et la pérennisation de ces liaisons écologiques majeures et l'inscription des mesures prises en leur faveur dans toutes les planifications. Cet engagement est par ailleurs repris dans le plan d'action biodiversité du canton de Genève, qui a été validé par notre Grand Conseil en 2020.

Dès lors, ne croyez pas sur parole le rapporteur de minorité, mon cher collègue Sylvain Thévoz - dont je salue l'arrivée -, qui prend ses espoirs pour des réalités. Il écrit dans son rapport: «L'objectif du projet est de donner une pente à ce sol, ce qui améliorera la qualité d'absorption des pluies. Le développement des zones humides notamment au bois Marquet sera meilleur. Cela permettra le maintien des crapauds sonneurs et autres amphibiens qui y trouveront refuge. Il y aura également des réaménagements paysagers, de la promotion des éléments naturels [...]. Cela préservera l'environnement, la nature ainsi que la qualité de vie des habitants.» Ah, j'aimerais bien qu'il ait raison, mais je n'ai pas entendu ça ! Il n'y a aucune garantie que ces objectifs en lien avec la décharge soient atteints, ni même visés, et encore moins actés. Au contraire, l'OCAN nous a dit que les éventuelles compensations seraient traitées au moment de l'autorisation de construire. Cette déclaration est pour le moins surprenante, car les études ou notices d'impact sont toujours examinées en parallèle ou en amont d'un projet, et non lors de sa finalisation, ne serait-ce que pour identifier les impacts et évaluer la nécessité de mesures environnementales. Des mesures environnementales, l'exploitant agricole en a même prévu, et elles sont de qualité, mais elles n'ont pas été liées au projet de décharge et aucune garantie n'est donnée quant à leur réalisation, ce qui est regrettable.

Dans son rapport de minorité, le député Barbey - que je salue également - conclut qu'il s'agit «d'assumer enfin notre politique de croissance immobilière et de permettre à la rénovation thermique des bâtiments de trouver une destination pour les inévitables déchets qu'elle engendrera». Permettez-moi de questionner cette conclusion sur les déchets liés à la rénovation énergétique. Pourquoi y en aurait-il ? Il est plus qu'urgent - comme l'ont rappelé d'ailleurs le WWF et Pro Natura - de rénover plutôt que de détruire, de réemployer les matériaux dans un cercle vertueux de recyclage et d'utiliser le train plutôt que les camions pour transporter les déchets que l'on ne peut vraiment pas recycler. Renvoyer la pétition au Conseil d'Etat ne signifie en aucun cas être d'accord avec l'exportation des déchets en France voisine par camion, car cette pratique impacte évidemment les milieux ailleurs et le climat. Les alternatives existent !

En conclusion, toutes ces auditions ont révélé l'absence de réponses aux questions pertinentes posées par les associations et l'absence de dialogue, alors que de bonnes propositions sont émises par les habitants, l'exploitant agricole et les associations environnementales. Il est urgent que le dialogue s'instaure, et c'est ce message que la majorité de la commission vous propose de faire passer en renvoyant cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité. Les auditions complémentaires n'ont pas foncièrement changé la position du parti socialiste. Nous préconisons toujours le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Pourquoi ? Parce qu'il ne faut pas opposer agriculture et environnement. Or il s'agit là d'un projet qui permet de réhabiliter un terrain agricole et de régler une partie du problème des remblais que - vous le savez - Genève a de la peine à traiter, dans le respect de la nature et de l'environnement. C'est donc un bon projet, et il n'est pas aussi nocif que le prétendent les pétitionnaires. Il y a en effet un certain nombre d'erreurs, notamment la surévaluation de la noria des camions.

Pour répondre à Mme Meissner, ce n'est pas moi qui parlais de l'impact sur l'environnement, mais le directeur de l'office cantonal de l'agriculture et de la nature. Il a du reste rappelé que ce projet est de nature réversible, avec à terme une qualité du site identique. Celui-ci vise même à une amélioration de la situation avec l'ajout d'éléments végétaux permettant de consolider le corridor végétal. Alors, oui, les travaux vont avoir des impacts, mais le directeur de l'OCAN a également rappelé que le déplacement des espèces ne sera pas entravé: le projet se développera par étapes et la faune pourra continuer à se déplacer.

Mesdames et Messieurs, veut-on continuer à exporter nos matériaux de remblai jusqu'à Grenoble, ou au-delà, en faisant parcourir des centaines de kilomètres à des camions ou veut-on identifier un lieu à Genève qui permettra de réhabiliter un terrain agricole aujourd'hui en partie inondé, de réaménager des cheminements dans l'environnement immédiat pour les usagers et, à terme, de développer l'agriculture afin de cultiver à Genève même des aliments de première nécessité ? Pour le parti socialiste, la réponse est claire, et nous sommes en faveur du dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci.

M. Alexis Barbey (PLR), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je vous pose la question: qu'y a-t-il de moins attirant au monde qu'une décharge ? Notre société produit cependant des tonnes de déchets, dont ceux liés à la construction et à la transformation immobilières. De nombreux citoyens, pourtant de bonne foi, prônent le principe «tout, mais pas dans mon jardin», et il faut dire qu'à la commission des pétitions on a vu passer des gens qui, avec les meilleures intentions du monde, trouvaient que les décharges étaient une très bonne chose, pourvu qu'elles ne soient pas situées devant leurs fenêtres. Il convient de dépasser cette attitude égocentrée pour évaluer l'intérêt général.

La décharge de la Place Verte est un exemple emblématique d'un recyclage intelligent. Située à un endroit actuellement peu favorable à la culture, elle permettra en cinq ans de réhabiliter le site et de le rendre aux plantations. A ce moment, la déclivité de la pente sera rectifiée pour favoriser le ruissellement des eaux. La couche superficielle permettra à nouveau de labourer le lieu, requalifiant ces surfaces en surfaces d'assolement, si rares et nécessaires à notre canton. Moins de marécages pour plus de pâturages.

Bien sûr, ces travaux entraîneront quelques désagréments pour les riverains. En particulier, un mouvement de camion aura lieu toutes les dix minutes dans les environs. Mais il s'agit de préciser que ce chantier sera traité en quatre tranches distinctes; ce ne seront donc pas toujours les mêmes abords qui seront dérangés. D'autre part, ces camions passeront par des routes où les niveaux sonores dépassent déjà largement ceux desdits camions. Il n'y aura dès lors pas de bruit additionnel pour les riverains. Enfin, pendant les travaux, un corridor faunique sera déplacé de quelques dizaines de mètres. Sans être spécialiste, on peut penser que les animaux sauront s'adapter à ces changements pour emprunter un trajet légèrement différent pendant ces quelques mois. L'office cantonal de l'aménagement et de la nature nous l'a d'ailleurs confirmé.

Les désagréments mis à part, qu'est-ce qui justifie de faire une décharge pour matériaux inertes à cet endroit ? En premier lieu, cette décharge permettra d'éviter l'envoi de camions chargés de graviers à plus de cent kilomètres de Genève. Nous devons en effet à l'heure actuelle exporter nos déchets jusqu'à Grenoble, ce qui entraîne des nuisances et une pollution qui pourraient être évitées. D'autre part, il faut bien admettre que traiter soi-même ses déchets pour les mettre en décharge relève d'un sens de la responsabilité propre à notre fonctionnement démocratique. Ne faisons pas faire aux autres ce que nous ne voulons pas faire nous-mêmes. Idéalement, ce devrait être un motif de fierté pour les citoyens que de traiter ces décharges de manière domestique. D'ailleurs, des mesures de compensation sont prévues pour améliorer encore la parcelle, avec la plantation d'une haie et de six chênes.

En conclusion, on peut dire que si l'on ne profite pas d'un endroit favorable comme la Place Verte pour créer une décharge inerte et temporaire, on ne pourra faire cette décharge nulle part. Et cela ne correspond pas au sens des responsabilités de notre Etat et de nos citoyens. Il s'agit donc de déposer la pétition 2121 sur le bureau du Grand Conseil, d'assumer enfin notre politique de croissance immobilière et de trouver un lieu où entreposer les inévitables déchets engendrés par la rénovation thermique des bâtiments. Je vous remercie.

M. Jean Batou (EAG). J'aimerais commencer par souligner que cette question, qui a occupé la commission des pétitions pendant de nombreuses séances, a révélé tout de même un défaut de consultation de la population concernée. D'autre part, je ne suis pas convaincu de l'absence d'effets sur la faune. A une époque où l'on parle de surfaces pour promouvoir la biodiversité, vous avez vanté les pâturages en dévaluant les marécages. Un tout petit peu de marécages, c'est utile pour les batraciens ! Enfin, il est également question d'une circulation massive de camions dans la région et des probables effets à long terme du chlorure de calcium qui sera déversé pour éviter les poussières. Le bilan du point de vue micro-environnemental et sur le plan politique communal n'est donc pas très bon.

Ensuite, j'aimerais évoquer un aspect qui est plus important pour moi; il n'est pas thématisé dans la discussion, mais il a été révélé par les auditions. Aujourd'hui, nous avons 2,5 millions de mètres cubes de déchets non polluants, qu'il faut, disons, relocaliser. Cela représente 150 000 camions par an. Je crois que si l'on n'en prend pas conscience de manière à agir en amont et à réduire la production des déchets - mais cette question dépasse l'objet de cette pétition -, eh bien on va se mettre à remodeler les sols pour combler des creux, créer des vallonnements, et on va transformer la nature afin de pouvoir stocker les déchets. Si chaque année on produit un volume de déchets équivalent à celui de la pyramide de Khéops - ce qui est à peu près le cas -, imaginez combien de pyramides de Khéops il va falloir relocaliser s'agissant de la reconstitution des paysages et de la nature, avec tous les effets induits, qui sont imprévisibles !

C'est la raison pour laquelle, par prudence, je me suis convaincu au fil de ces auditions qu'il fallait d'une part refuser cette décharge et donc envoyer un message au Conseil d'Etat pour qu'il s'empare de ce dossier, et d'autre part lancer une réflexion sur la réduction impérative de la production de déchets dans notre canton. Merci.

M. David Martin (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, le groupe des Vertes et des Verts est divisé sur la manière d'interpréter cette pétition. D'un côté, nous sommes en effet inquiets quant aux impacts environnementaux de ce projet, notamment sur un important corridor écologique qui se déploie à cet endroit, mais aussi concernant certains aspects évoqués en lien avec le ruissellement des eaux et d'éventuels problèmes d'inondation. Les auditions n'ont malheureusement pas permis d'apaiser les craintes au sujet de la préservation de ce corridor. L'OCAN a effectivement indiqué que les compensations seraient précisées un peu plus tard dans la procédure. Le WWF et Pro Natura n'ont jamais reçu de réponse à un courrier envoyé dans lequel ils demandaient à être entendus. Néanmoins, je souligne qu'ils ont dit n'avoir pas pris position sur la question de faire recours. Il est donc faux de dire qu'à terme ils feront opposition à ce projet. Toujours est-il qu'ils n'ont pas été entendus, et nous regrettons amèrement ce manque de dialogue autour du projet, car cela ouvre la porte à la critique. Ce projet est probablement imparfait, mais tout n'est pas à jeter. Nous voulons qu'il apporte une compensation significative en faveur de la biodiversité et que ces mesures soient détaillées sans attendre. Il faut aussi que le phasage du projet permette, cela a été dit, le maintien du corridor.

D'un autre côté, il nous semble important d'appuyer l'engagement de notre parlement, qui a soutenu à une quasi-unanimité - en 2011 lors du changement de la loi puis en 2017 - ce projet d'intérêt cantonal autour de l'élaboration du plan directeur des décharges de type A. Il s'agit de décharges, il faut le préciser, pour des matériaux non pollués. Ce sont des déblais, et non pas, comme dit précédemment, des déchets de démolition liés à la construction. En gros, c'est de la terre, ce sont des déblais qu'on met sous la terre végétale. Le plan directeur des décharges de type A prévoyait déjà en 2017 l'emplacement de la Place Verte comme site prioritaire, et il est de notre responsabilité - on l'a indiqué - de gérer ces déblais à l'échelle du canton. Il n'est pas simple d'avoir un projet faisant l'objet de peu d'oppositions, or ici nous sommes en présence d'une commune avec un exécutif et un Conseil municipal qui ne sont certes pas complètement emballés, mais qui ne s'opposent pas au projet. Je pense qu'il est important de le relever.

En conclusion, nous avons différents points de vue au sein de notre groupe. Certains soutiendront la pétition afin que ce projet soit revu et amélioré, tandis que d'autres la refuseront pour que ledit projet soit poursuivi, tout en étant amélioré, de sorte qu'on le rende absolument magnifique. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je vais mettre aux voix les conclusions de la majorité de la commission, c'est-à-dire le renvoi au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2121 au Conseil d'Etat) sont rejetées par 39 non contre 31 oui et 2 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Le président. Je vous invite maintenant à vous prononcer sur les conclusions de la minorité de la commission, soit le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Mises aux voix, les conclusions de la minorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2121 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 43 oui contre 23 non et 9 abstentions (vote nominal).

Vote nominal