Séance du vendredi 3 juin 2022 à 14h
2e législature - 5e année - 1re session - 8e séance

M 2453-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Bertrand Buchs, Jean-Luc Forni, Olivier Cerutti, Delphine Bachmann, Marie-Thérèse Engelberts, Anne Marie von Arx-Vernon, Jean-Marc Guinchard, François Lance, Guy Mettan, Xavier Magnin : Pour un projet pilote de création de microentreprises !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 29 et 30 août 2019.
Rapport de majorité de M. André Pfeffer (UDC)
Rapport de minorité de M. Jean-Marc Guinchard (PDC)

Débat

Le président. Nous enchaînons avec la M 2453-A, classée en catégorie II, trente minutes. Monsieur André Pfeffer, à vous le micro.

M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Le présent objet vise à créer un concours pour projets de micro-entreprises, à soutenir les vainqueurs par le biais d'une aide dont la valeur est à déterminer, à leur garantir un revenu sur deux à trois ans et à trouver un partenaire privé pour financer au moins 50% des projets. Il s'agit d'une proposition louable, mais irréaliste. Quel privé assurerait 50% d'une tâche mal définie ? Sur quelle base faudrait-il rémunérer les gagnants durant deux à trois ans ? Et surtout, le terme «concours» est inapproprié: la désignation de vainqueurs ne figure pas dans le texte, ni les critères ni les gains ne sont définis. Bref, ce projet est flou et utopique.

Cela étant, il a le mérite de nous avoir rappelé les dispositifs qui existent déjà. Actuellement, les personnes au chômage, en fin de droit ou à l'aide sociale peuvent bénéficier de diverses prestations. Premièrement, des cours pour créer une société, préparer un projet et accompagner les entrepreneurs. Deuxièmement, une évaluation du marché et du projet par des spécialistes de la Fondetec, de la FAE, de GENILEM et du SMPE. Troisièmement, 90 jours d'indemnités de chômage pour mettre en place un projet de création d'entreprise. Quatrièmement, une garantie contre le risque pour un montant de 100 000 à 200 000 francs. Cinquièmement, un microcrédit jusqu'à 30 000 francs ainsi qu'un coaching sur une année grâce à une loi fédérale. Sixièmement, une mesure de l'aide sociale pour obtenir un prêt de 15 000 francs, un suivi ou un coaching durant un an et des prestations sociales pendant douze mois.

A ce titre, la proposition de motion 2453 constitue purement et simplement un doublon qui, de surcroît, serait très difficile à mettre en vigueur. L'encadrement demeure flou. Accorder un salaire durant deux à trois ans risquerait d'encourager les gens à développer des projets pas forcément viables et durables. Il n'y a aucun cadre clair s'agissant du financement, eu égard notamment à un éventuel engagement des avoirs de retraite; dans cette dernière éventualité, les gagnants de ce pseudo-concours se transformeraient en perdants lourdement endettés. Après étude en commission et différentes auditions, Mesdames et Messieurs, treize commissaires sur quatorze vous recommandent de rejeter ce texte. Merci de votre attention.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de minorité. Je vais me sentir un peu seul sur cet objet ! Rappelons que cette proposition de motion invitait le Conseil d'Etat à mettre en place un projet pilote lui permettant de faire l'inventaire de toutes les mesures existant dans notre canton susceptibles de soutenir celles et ceux qui, ayant épuisé leur droit au chômage et bénéficiant des prestations de l'Hospice général, souhaiteraient, par la création d'une activité indépendante, ne plus émarger à l'aide sociale et acquérir un statut de travailleur indépendant.

Nonobstant que la presque totalité des commissaires ont estimé le texte inutile et superfétatoire, ceux-ci ont toutefois reconnu que son examen avait eu le mérite de mettre à plat l'ensemble des dispositifs proposés dans notre canton, à la fois les mesures du chômage et celles de l'aide sociale. A cet égard, les membres de la commission ont apprécié les données détaillées fournies tant par l'Hospice général que par le magistrat en charge et l'OCE. Les auditions, intéressantes et riches, leur ont permis de se faire une idée plus précise de la situation.

Malheureusement, à la quasi-unanimité, la commission n'a pas osé - et c'est à déplorer - passer à un stade supérieur et évoquer la possibilité offerte au Conseil d'Etat d'envisager d'autres formes d'aide, en particulier en faveur des indépendants. Leur situation, en effet, n'est pas satisfaisante: s'ils sont à l'Hospice général et dans la mesure où la notion de gain intermédiaire n'existe pas dans ce contexte, ils doivent choisir entre l'aide sociale complète ou la reprise d'une activité. En adoptant ce texte, notre parlement pourrait donner un mandat clair au Conseil d'Etat et permettre à une personne dépendant de l'assistance de l'Etat de s'en libérer, non pas de façon abrupte comme c'est le cas à l'heure actuelle, mais progressivement.

Par le passé, notre Grand Conseil a choisi des solutions innovantes et audacieuses dans les domaines de l'aide sociale et du droit du travail; cet enthousiasme est manifestement retombé, et je le regrette. Même si faire changer les fronts constitue une mission probablement impossible, je souhaite vivement qu'une majorité de la plénière revoie la position des commissaires et accepte de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

M. François Lefort (Ve). Cette proposition de motion part d'une bonne idée - comme souvent, notamment dans ces rangs-là -, une bonne idée qui, au cours des travaux, s'est révélée non seulement compliquée, mais surtout déjà réalisée - c'est généralement le cas des bonnes idées. En bref, les auteurs demandent au Conseil d'Etat, cela a été indiqué, de mettre en place un projet pilote consistant à ouvrir un concours pour projets de micro-entreprises à destination des personnes en fin de droit ou bénéficiaires de prestations de l'Hospice général et de soutenir financièrement dix projets. Comment ? Par un revenu de base de deux à trois années.

Bon an mal an, 4000 personnes sont en fin de droit à Genève et finissent par se retrouver à l'aide sociale. Or quand on est dans cette situation, il est quasiment impossible de se lancer dans une activité en tant qu'indépendant. Ce ne sont pas dix projets qui feront la différence par rapport au nombre de bénéficiaires potentiels. Actuellement, dépendre de l'Hospice général, c'est se trouver dans un carcan duquel il est difficile de sortir sans aide extérieure. Face à ce constat, des voies d'amélioration sont possibles, mais elles consistent à laisser les gens se réintégrer progressivement sur le marché sans les priver du soutien financier de l'Hospice ni soustraire leurs gains de travail partiel de leur allocation. C'est la situation actuelle ! En fait, il faudrait agir via une modification de la LIASI, et à l'époque des travaux sur cet objet, on nous a signalé qu'une révision de cette loi avait justement débuté; il serait donc intéressant de savoir si cette possibilité a été intégrée à la réforme, parce que l'urgence, c'est de réinsérer les personnes sans voler leurs gains de travail partiel.

Enfin, les motionnaires sont partis de l'idée qu'il n'existait aucune mesure au lieu de faire l'inventaire de celles déjà en place. Ce recensement, nous l'avons effectué en commission, et cela nous a permis de mettre en lumière les nombreuses solutions d'aide à la création d'entreprise. Nous sommes ainsi arrivés à la conclusion que l'offre existante, pour ceux qui peuvent monter une affaire et sollicitent un soutien, était largement suffisante et n'avait pas besoin d'être complétée par un système pilote producteur de dix projets seulement et consommateur de ressources mieux utilisables dans les dispositifs actuels. Pour ces raisons, le groupe Vert ne soutiendra pas cette bonne idée démocrate-chrétienne. Merci.

M. Vincent Subilia (PLR). Je serai bref, Mesdames et Messieurs. L'enfer est pavé de bonnes intentions, et je viens ici au secours de nos cousins de l'Entente - dans une vision tout à fait oecuménique du débat politique - pour dire, cela a été indiqué - chrétiennement, d'ailleurs -, que cette proposition de motion a les mérites qu'on lui sait, au nombre desquels le champ qu'elle a ouvert pour investiguer ou, plus exactement, cartographier les mesures de soutien actuellement disponibles dans notre république en faveur des entreprises, en particulier des micro-entreprises qui, chacun en a conscience, jouent un rôle déterminant dans l'écosystème genevois. C'est ainsi que nous avons découvert les systèmes qui existent, qui connaissent leurs limites, qui sont perfectibles - lequel ne l'est pas ? -, et cela nous a ouvert les yeux sur un certain nombre de réalités. Mais cela nous a également permis de prendre la mesure des difficultés d'application du dispositif qui nous est proposé, et au final, le bon sens a conduit une majorité très large - treize sur quatorze commissaires, c'est un euphémisme de le signaler - à considérer que, le travail étant effectué, il s'agissait de concentrer nos efforts sur d'autres dossiers législatifs. Je vous remercie.

Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce texte partant d'une idée proche des expériences «Territoires zéro chômeur» menées en France rejoint également, sur le fond, les objectifs d'un projet pilote sur le revenu de base inconditionnel que nous avons travaillé à la commission de l'économie - mais que nous aurions peut-être dû, au vu des observations de mes préopinants, traiter à celle des affaires sociales eu égard aux apprentissages qui se font lors des débats et aux compétences de celle-ci. Malheureusement, il ressort des auditions que cette proposition de motion n'est pas aboutie. Dès lors, je rejoins ici mon préopinant Vert.

A la commission des affaires sociales, nous examinons actuellement le nouveau projet de loi sur l'aide sociale et la lutte contre la précarité qui, à terme, devrait remplacer la LIASI. Ce texte répond à deux préoccupations de l'auteur de la M 2453: il réitère d'une part les options d'aide à la création d'une activité indépendante qui figurent déjà parmi les mesures offertes aux bénéficiaires de l'Hospice général, ainsi que cela nous a été indiqué en commission, il inscrit d'autre part noir sur blanc la possibilité de développer des projets pilotes - je cite - «adapt[és] à de nouveaux besoins, destin[és] à favoriser durablement l'intégration sociale et l'insertion professionnelle des personnes se trouvant à l'aide sociale». Les deux buts de la présente proposition de motion sont donc, pour autant que la révision que nous traitons à la commission des affaires sociales soit adoptée avec ces articles, déjà mis en oeuvre. C'est pourquoi le parti socialiste ne soutiendra pas cet objet. Merci. (Applaudissements.)

M. Jean Burgermeister (EAG). Une fois encore, je ne remets pas en doute la sincérité et la bonne volonté de la personne qui a écrit cette proposition de motion ni de celui qui la défend - ça tombe bien, c'est le même que tout à l'heure -, mais tout de même, Mesdames et Messieurs, il faut faire attention: encourager les bénéficiaires de l'aide sociale à se lancer dans des projets de micro-entreprises peut avoir des conséquences dramatiques, cela peut donner lieu à une réalité extraordinairement brutale pour ces personnes qui ont déjà connu des parcours difficiles, qui ont besoin, cela a été souligné par M. Lefort, d'un vrai travail de réinsertion, d'un accompagnement. Bref, les pistes existent.

Les solutions, nous les connaissons. Il s'agit avant tout d'octroyer des effectifs à l'Hospice général pour permettre un suivi personnalisé des gens à l'aide sociale en vue d'une réinsertion, parce que c'est ça qu'ils et elles souhaitent, et nous avons les capacités, nous devrions avoir les moyens à Genève de faire ce travail dans un premier temps. Ensuite, il faut déployer une véritable politique économique qui crée des emplois, publics notamment, répondant aux besoins sociaux, aux nécessités environnementales ainsi qu'au savoir-faire présent dans le canton, et mettre en place des formations correspondant également aux métiers que nous avons à Genève.

Il conviendrait de mener une réflexion beaucoup plus générale plutôt que d'essayer de pallier un problème structurel par le biais de micro-entreprises, car même si on a la chance d'être né sous la bonne étoile financièrement parlant, d'avoir le bon entourage, eh bien on risque fortement de se casser la figure en se lançant dans ce genre de projet. Leur situation de base est déjà difficile, mais en cas d'échec, les personnes à l'aide sociale pourraient se sentir vraiment en bout de course, c'est à mon sens quelque chose d'un peu délicat, trop délicat en tout cas pour que ce parlement affirme qu'il s'agit là d'une solution crédible vers laquelle l'Etat doit avancer.

Mesdames et Messieurs, nous avons des connaissances, nous savons ce qu'il faut entreprendre pour permettre la réinsertion des bénéficiaires de l'Hospice général; encore une fois, cela passe par un meilleur encadrement. En amont, évidemment, il faudrait encore limiter les licenciements de celles et ceux qui se font congédier en fin de carrière, des femmes notamment, sans possibilité de retrouver un travail. Toute une série de causes structurelles peuvent amener les gens à se retrouver en fin de droit ou à l'assistance, et je regrette que cette baguette magique qu'on tente d'inventer ici constitue une fausse piste et ne serve que de prétexte pour nous détourner des solutions qui existent et qui, à mon avis, sont à portée de main. Je vous invite par conséquent à rejeter cet objet.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, si cette proposition de motion part d'un bon sentiment, sa réalisation pose problème. Comme l'a souligné un préopinant tout à l'heure, il faudrait plutôt passer par une révision de la LIASI; celle-ci est en cours. Tout de même, devoir choisir entre rester à l'aide sociale ou l'abandonner pour se lancer dans un projet de micro-entreprise ou d'entreprise tout court constitue un dilemme difficile pour le demandeur. Il faudrait prévoir une progressivité dans ce processus. A terme, cela sera bénéfique pour tout le monde, pour la personne d'abord, mais aussi pour les finances de l'Etat, et je pense qu'on devrait travailler dans cette direction. Malheureusement, le texte ne le permet pas; ce n'est pas à travers un dispositif pilote qu'on doit s'atteler à la tâche, mais par le biais d'une révision de la LIASI.

Je relève que pendant la crise du covid, suite aux dispositions prises par la Confédération et à un arrêté du Conseil d'Etat - dont je n'ai pas les références en tête, il est à la maison -, il existait précisément une possibilité de mener cette transition, et un certain nombre de bénéficiaires de l'Hospice général ont disposé d'une aide durant cette période pour créer une société sans sortir du système d'assistance. Il faudrait aller dans ce sens, donc je communiquerai à mes collègues de la commission qui s'occupe de la réforme de la LIASI cet arrêté publié par le gouvernement pendant le covid. Le système a permis à plusieurs personnes de percevoir un revenu mensuel afin de monter leur affaire tout en continuant à toucher les prestations de l'Hospice général.

Compte tenu de ces différents éléments, le Mouvement Citoyens Genevois ne soutiendra pas cette motion, mais restera attentif à trouver des solutions permettant d'opérer cette transition. Merci.

M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Je répète que de nombreuses prestations existent déjà et que ce projet pilote n'apporterait pas grand-chose de neuf, mais serait par contre excessivement coûteux et très difficile à mettre en place. Je rappelle encore que treize commissaires sur quatorze ont refusé cette proposition de motion. Merci.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de vous prononcer sur cet objet.

Mise aux voix, la proposition de motion 2453 est rejetée par 62 non contre 8 oui (vote nominal).

Vote nominal