Séance du
jeudi 2 juin 2022 à
17h
2e
législature -
5e
année -
1re
session -
6e
séance
PL 12064-A
Premier débat
Le président. Nous poursuivons avec le PL 12064-A dont le débat est classé en catégorie II, quarante minutes. Je passe la parole à M. Jacques Béné.
M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Oui, merci, Monsieur le président. On va revenir à des choses un peu plus terre-à-terre avec ce projet de loi. Je regrette que M. Deneys ne siège plus dans ce parlement...
Une voix. Moi pas !
M. Jacques Béné. ...car j'aurais aimé... (L'orateur rit.) ...lui demander s'il s'est vraiment déjà rendu dans un commerce avec des caisses automatiques. En effet, à l'époque - il y a de ça quelques années -, il avait débuté sa présentation en commission en soutenant que «les consommateurs ne sont pas demandeurs de cette prestation et sont mis devant le fait accompli». Mais enfin, quel fait accompli ? Cette prestation n'est pas obligatoire, les consommateurs peuvent en faire usage s'ils le souhaitent, et on en a bien vu l'utilité dans le cadre de la crise covid, puisque les caisses en libre-service étaient totalement prises d'assaut dans la plupart des surfaces de vente offrant cette possibilité à leurs clients.
Nous avons reçu en commission non pas pléthore, mais disons plusieurs des acteurs concernés, notamment les partenaires sociaux. Par exemple, la CGAS estime qu'il est totalement inconcevable de prévoir une redistribution du produit de la taxe ainsi que ce texte le prévoit et prône le rejet de celui-ci. Idem en ce qui concerne l'UAPG, qui évoque un mécanisme totalement surréaliste. La NODE, qui représente les petites PME, trouve que les entrepreneurs n'ont pas à être subventionnés s'ils ne disposent pas de caisses automatiques et s'oppose fermement à cet objet.
Lors de son audition, le Trade Club, qui est directement touché, nous a parlé de la qualité du service que toutes les entreprises et tous les commerces souhaitent apporter à leur clientèle et a condamné une méconnaissance du fonctionnement du système ainsi que du terrain. Quant à la FRC, attendu qu'un client qui choisit une machine plutôt que de se rendre vers une caissière fournit une prestation - c'est ainsi que c'est interprété -, elle préférerait à la rigueur que celui-ci bénéficie d'un rabais, mais de façon générale, la fédération rejette très clairement le principe d'une taxe dont le coût serait inévitablement répercuté sur le prix d'achat et, partant, sur le consommateur.
La seule personne auditionnée en commission à s'être prononcée en faveur du projet de loi, c'est une représentante de la Fédération européenne des travailleurs des transports qui, eux, n'ont strictement rien à voir avec les caisses automatiques, qui ne sont pas affectés par le sujet. Alors on est heureux de savoir qu'ils sont pour, mais en l'occurrence, je ne vois pas très bien ce que cette opinion a pu apporter au débat.
Mesdames et Messieurs, l'enjeu pour les commerces à l'heure actuelle, c'est de fournir le meilleur service à la clientèle, et ce n'est pas pour rien que même quand ils proposent des caisses automatiques, du personnel est toujours présent pour aider les gens qui les utilisent. M. Deneys - je devrais plutôt dire M. Déni, car il y a déni complet de la réalité - est contre la position exprimée tant par le patronat que par les syndicats. Pour nous, il s'agit d'un pur effet d'annonce; ce dispositif est totalement inutile, ne créerait strictement aucun emploi supplémentaire et ne pourrait que péjorer la qualité du service au sein des magasins genevois.
La majorité de la commission ne veut pas d'une économie planifiée, comme la connaissent certaines contrées pas si lointaines et dont on voit aujourd'hui encore les dégâts sur les populations concernées; on sait bien que c'était l'objectif de M. Deneys au moment de présenter ce texte. La majorité vous recommande dès lors de ne pas voter l'entrée en matière. Je vous remercie.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai l'honneur de remplacer notre ancien collègue et excellent député Roger Deneys, auteur du projet de loi et - hélas - rapporteur de minorité. Rappelons certains éléments: le but du texte est d'instaurer une taxe sur les caisses automatiques dont les recettes seraient reversées à une fondation de droit privé, laquelle poursuivrait quatre objectifs. Je les cite ici: celle-ci viserait «à préserver l'emploi dans le secteur du commerce de détail; à stimuler un commerce de qualité et de proximité, basé sur des relations humaines; à soutenir l'économie par le développement d'un secteur du commerce de détail orienté vers les clients; à promouvoir la formation et la reconversion professionnelle du personnel de vente au détail».
Je commence avec ce dernier point. En effet, 30% du produit de la taxe serait destiné à la Fondation pour la formation professionnelle et continue - la FFPC - afin d'agir sur le plan de la reconversion professionnelle. On le sait, la tendance qui s'observe depuis quelques années - cet objet a déjà cinq ans - consiste à remplacer les caisses dites traditionnelles, alors occupées par des humains, par des caisses automatiques, c'est-à-dire des robots. Ce changement d'organisation du travail implique des pertes d'emplois, et il s'agit aujourd'hui d'aider les personnes à se réorienter professionnellement. Or la reconversion représente non seulement un coût pour la collectivité, mais surtout une responsabilité, celle d'offrir des formations, d'apporter de nouvelles qualifications aux gens pour qu'ils puissent pratiquer d'autres métiers.
L'autre part des recettes issues de la taxe, soit les 70% restants, serait tout simplement redistribuée aux commerces de détail qui ne possèdent pas de caisses automatiques. Il ne s'agit absolument pas d'une inégalité de traitement, bien au contraire, il s'agit précisément de limiter les disparités induites par l'usage des machines vis-à-vis de la main-d'oeuvre humaine, ce personnel qui devient toujours plus coûteux pour les entreprises par rapport à une automatisation de l'outil de travail.
En effet, une caisse automatique n'est pas taxée, elle ne fait que dégager des recettes. L'imposition a lieu à la fin sur le bénéfice, certes, mais aucune ponction n'est effectuée pour financer la retraite, le chômage, l'assurance-maternité - une caisse automatique ne fait pas d'enfants. Tout cela occasionne des frais, naturellement, ce qui signifie que le personnel est aujourd'hui plus cher que les appareils en libre-service. Voilà l'inégalité que vise à réduire ce projet de loi, il s'agit de combattre le fait que la main-d'oeuvre humaine devient toujours plus coûteuse.
Puisqu'elle devient toujours plus chère, les entreprises, en l'occurrence ici les surfaces de vente, font le choix d'adopter des systèmes automatiques plutôt que de garder leurs employés. Si ce calcul peut sembler intéressant et profitable à court terme, en revanche, à moyen et long terme, le coût pour l'ensemble de la société est extrêmement élevé: cela se mesure en pertes d'emploi, en taux de chômage, en recours à l'aide sociale, c'est-à-dire des dépenses directes pour notre canton. Le dispositif qui vous est soumis ici a véritablement pour vocation de lutter contre la diminution des emplois, de maintenir les postes et, plus généralement, de promouvoir un commerce de détail basé sur l'humain.
Ce projet de loi a quelques années, puisqu'il a été déposé il y a cinq ans. A l'époque, M. Deneys indiquait que les consommateurs n'ont pas le choix face au déploiement des caisses automatiques, et force est de constater qu'il avait entièrement raison. Je conteste les propos du rapporteur de majorité, car en cinq ans, nous avons assisté à leur développement massif, et les clients n'ont pas véritablement eu leur mot à dire, on ne les a pas consultés. Vous savez très bien comme moi que, année après année, le nombre de caisses dites traditionnelles ne fait que diminuer - une, voire deux, grand maximum, d'où la file d'attente derrière celles-ci - alors que pléthore de machines sont installées. Ce n'est pas ce que j'appelle un libre choix, non, c'est un choix orienté par les acteurs du commerce de détail, qui dirigent les clients vers les caisses automatiques.
Par conséquent, cette main-d'oeuvre automatique, qui n'est pas imposée, qui coûte bien moins cher que le personnel humain, devrait être taxée afin de garantir davantage d'emplois dans notre canton. C'est la raison pour laquelle la minorité vous invite à adopter ce projet de loi. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie.