Séance du
vendredi 8 octobre 2021 à
14h
2e
législature -
4e
année -
4e
session -
25e
séance
PL 12886-A
Premier débat
Le président. Le prochain objet qui nous occupe est le PL 12886-A. La parole est sollicitée par M. Jean Batou.
M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Cette subvention me fait un peu penser à ce qui est arrivé avec la Cité de la musique, c'est-à-dire qu'on est dans le cadre d'un partenariat public-privé en matière de culture, l'Etat offre un droit de superficie et verse près de 400 000 francs par an tandis que les mécènes qui vont mettre la main au portefeuille, à savoir quelques personnalités de la banque privée genevoise, bénéficient de déductions fiscales. Et tout ça pour quoi ? Pour une Maison Jean-Jacques Rousseau.
C'est assez piquant quand on sait que Jean-Jacques Rousseau était orphelin, a vécu un apprentissage misérable, a fui Genève à l'âge de seize ans, que ses oeuvres ont été brûlées quelque trente années plus tard, en particulier son «Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes» - que certains dans ce Grand Conseil devraient d'ailleurs relire ! - et que sa statue érigée sur l'île Rousseau a dû être défendue par les partisans de James Fazy contre la haute ville et la banque genevoise, lesquelles ne voulaient pas entendre parler d'une statue Rousseau à Genève.
Alors on s'amuse aujourd'hui de voir qu'un partenariat public-privé culturel va être mis en place aux frais de l'Etat sous prétexte que quelques banquiers obtiennent par là des déductions sur leurs impôts; une représentante de la banque est même venue à la commission des finances pour défendre cette entreprise ! Notre groupe s'abstiendra ou votera contre le projet de loi. Il est temps de sonner l'alarme face à cette généralisation des partenariats public-privé en matière de culture, qui sont une manière d'orienter la culture en fonction des décisions des mécènes...
Une voix. C'est pas vrai !
M. Jean Batou. ...et non en fonction de l'intérêt public. Merci. (Applaudissements. Commentaires. Le président marque un long temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je suis complètement abasourdi par les propos tenus par Ensemble à Gauche, c'est vraiment incroyable ! En aucun cas les mécènes privés n'influent sur le projet culturel de la Maison Rousseau, il se trompe complètement à ce sujet.
Je vous rappelle que cette maison a été entièrement rénovée aux frais de donateurs, l'Etat n'a pas versé un seul centime. Du côté de l'extrême gauche, on est toujours enclin à taper sur les banquiers, mais en revanche, quand il s'agit de les ponctionner, alors vous êtes bien présents ! Pour demander de payer, vous êtes là ! Mais dès qu'ils financent quelque chose, on leur reproche d'influencer les projets.
Ce projet culturel est parfaitement équilibré, il n'est pas du tout orienté par les mécènes et on devrait plutôt remercier ceux-ci d'avoir déboursé plusieurs millions pour la rénovation de la Maison Rousseau dont l'Etat ne voulait pas se charger, il s'est contenté de mettre à disposition le droit de superficie du terrain sur lequel l'immeuble est érigé. Bien évidemment, nous accepterons ce texte avec enthousiasme. Merci.
M. Bertrand Buchs (PDC). Pour replacer les choses dans leur contexte, Mesdames et Messieurs, je vous propose simplement d'aller visiter la nouvelle Maison Rousseau, d'aller admirer la magnifique exposition permanente qui se trouve au premier étage, et vous verrez que c'est un endroit très important pour le canton de Genève, très utile pour découvrir qui était Rousseau, pour comprendre l'énorme influence qu'ont eue ses écrits et sa philosophie sur l'évolution des idées en Europe. Lorsqu'on a la chance de disposer d'une telle structure, on ne cherche pas d'excuses en parlant de «bonne culture» quand elle est subventionnée par l'Etat et de «mauvaise culture» quand d'affreux banquiers privés y mettent de l'argent. Merci.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Je me permets d'intervenir à ce stade, car en tant que membres de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport, nous avons eu l'occasion - vous transmettrez à notre collègue Jean Batou, Monsieur le président - de visiter la Maison Rousseau et de la littérature grâce à notre président Olivier Baud, qui avait organisé cette sortie, et il faut dire que l'exposition est d'une grande qualité pédagogique pour les jeunes et les moins jeunes. Le programme - j'espère que vous le recevez, Mesdames et Messieurs - fait la part belle à la culture et s'adresse à des publics extrêmement différents, avec des auteurs tant confirmés qu'émergents. Pour ma part, je préférerais souligner qu'il s'agit d'un bon programme culturel, programme que la Ville de Genève a d'ailleurs toujours soutenu, et on ne peut que se réjouir que le canton participe également, parce que ça augure d'une politique culturelle commune entre la Ville et l'Etat. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Jean Romain (PLR). Je suis un peu déçu d'entendre que, sous couleur de querelles économiques - elles peuvent bien entendu exister -, on n'insiste pas plus sur ce qui, pour nous, à Genève, est extrêmement important. On a retracé brièvement le parcours de Jean-Jacques Rousseau, évoqué le fait qu'il ait dû quitter Genève et s'exiler dans un premier temps à Confignon - imaginez la distance ! -, qu'il ait ensuite été malgré tout attaché à Genève.
Pour une fois qu'on met l'accent sur la littérature ! On peut dire ce que l'on veut de la statue qui a en effet quelque chose d'immobile, d'infini - «tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change» - mais, de manière générale, c'est la littérature qui compte dans ce qu'elle a de dynamique, dans ce qu'elle offre de promesse, dans ce qu'elle peut faire pour une société obsédée par la vie périphérique, à savoir renvoyer à une vie intérieure.
Il est important que le canton de Genève reconnaisse Rousseau, et il le fait: je rappelle que nous avons un collège Rousseau, de nombreuses personnes ont passé par là et ont sans doute été marquées par celui qui fut le plus grand styliste - le plus grand styliste ! - du XVIIIe siècle en français. Je trouve normal que le public et le privé s'unissent pour exprimer combien nous, Genevois, nous, Européens, lui sommes redevables, parce qu'en définitive, il s'agit quand même de l'auteur du «Contrat social». Je vous remercie.
Le président. Merci bien. Je lance la procédure de vote.
Mis aux voix, le projet de loi 12886 est adopté en premier débat par 67 oui contre 5 non et 1 abstention.
Le projet de loi 12886 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12886 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 68 oui contre 5 non et 2 abstentions.