Séance du
vendredi 30 avril 2021 à
14h
2e
législature -
3e
année -
11e
session -
68e
séance
P 2010-A
Débat
Le président. Nous passons à la P 2010-A, classée en catégorie II, trente minutes. (Un instant s'écoule.) Je cède la parole au rapporteur de majorité, M. Murat-Julian Alder.
M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la pétition 2010 a été déposée au Grand Conseil le 8 juin 2017, soit il y a bientôt quatre ans. Comme l'a relevé à juste titre le rapporteur de minorité des Verts, notre collègue Boris Calame, un délai de traitement aussi long pour une pétition est parfaitement inacceptable. Il s'agit là d'un droit fondamental, et la commission des finances reconnaît unanimement que ce texte aurait mérité une réponse dans un délai beaucoup plus court; c'est pourquoi, par la plume de son président, elle a présenté ses excuses aux auteurs.
Néanmoins, la raison pour laquelle la majorité de la commission vous propose de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil a trait à d'autres motifs. Il faut tout d'abord constater que la question de la recapitalisation de la caisse de pension des employés de l'Etat de Genève a déjà été tranchée par le peuple en 2019; par conséquent, la première demande de cette pétition est devenue sans objet. Quant à la deuxième demande, qui veut remettre en question les choix opérés par le canton de Genève en matière d'âge pivot et revenir à 64 ans, il convient de rappeler ici que nous avons traité une autre pétition, à la fin du mois de mars dernier, qui demandait rigoureusement la même chose: la P 2089.
Lors des débats, la députation PLR a aussi constaté - et le directeur général des finances de notre canton l'a confirmé - que le retour à un âge pivot à 64 ans engendrerait des dépenses d'au minimum 400 millions de francs suisses. Mesdames et Messieurs les députés, c'est pour cette raison-là que la majorité de la commission vous invite à déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil et à ne la renvoyer ni au Conseil d'Etat ni à la CPEG. Je vous remercie de votre attention.
Présidence de M. François Lefort, président
M. Jean Burgermeister (EAG), rapporteur de première minorité. Le rapporteur de majorité l'a dit, la première demande est effectivement caduque: il s'agissait de «prendre rapidement toute mesure nécessaire afin de capitaliser la caisse en conformité avec le droit fédéral qui lui est imposé en lui transférant notamment des terrains constructibles et des immeubles pour un montant significatif», etc. Cela a été réglé grâce à la victoire en votation populaire du projet de loi défendu par la gauche et le MCG, mais aussi par le Cartel et l'ASLOCA - et cela l'a été malgré le rapporteur de majorité et son parti, le PLR, qui s'y est opposé. Il n'y a par conséquent pas lieu d'en débattre maintenant.
La deuxième demande - faire passer l'âge pivot de 65 à 64 ans - est en fait tout à fait raisonnable. Le passage de l'âge pivot des femmes de 64 à 65 ans, opéré en 2018 par la CPEG, visait à faire payer aux femmes l'immobilité totale du Conseil d'Etat sur le front de la recapitalisation de cette caisse, qui avait beaucoup trop tardé. Et c'est aux femmes que l'on a demandé de supporter ces mesures structurelles d'économie - c'est quand même ça, Mesdames et Messieurs, le constat de base -, malgré le fait que l'âge légal de la retraite pour les femmes, en Suisse, est de 64 ans.
La CPEG compte une nette majorité de femmes puisque les chiffres du 31 décembre 2016 indiquaient que 29 444 des 47 340 assurés sont des femmes. Or le système de deuxième pilier a tendance à renforcer les inégalités entre femmes et hommes: on apprend par exemple dans mon rapport de minorité - mais aussi dans le document que le rapporteur de troisième minorité, M. Baertschi, a annexé à son rapport - que la prime moyenne pour les assurés, entre février 2014 et décembre 2015, était de 2194 francs pour les femmes alors qu'elle s'élevait à 3240 francs pour les hommes. Il y a donc des inégalités très fortes, y compris dans la caisse de pension publique. Cela, Mesdames et Messieurs, c'est évidemment parce que les femmes sont surreprésentées par rapport aux hommes dans les emplois moins valorisés; c'est aussi, comme le montre une étude faite en 2016 par l'Université de Lausanne et la HETS, parce que le temps partiel est bien souvent la solution privilégiée par les ménages pour concilier vie de famille et vie professionnelle. Or, dans la grande majorité des cas, ce sont les femmes qui réduisent leur taux de travail.
Mesdames et Messieurs, l'Etat de Genève et la CPEG ne peuvent pas se permettre de rester aveugles à cette question et de continuer à renforcer ces inégalités entre femmes et hommes. D'autant plus, il faut le rappeler, que le projet Prévoyance 2020, qui projetait justement un relèvement de l'âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans au niveau fédéral, a été très nettement refusé par la population suisse, qui a voté non à 52,7%. Mais à Genève, ce non était encore plus massif puisque plus de 60% de la population a refusé de repousser l'âge de la retraite des femmes. Or ce que le peuple a refusé en s'exprimant démocratiquement, eh bien la CPEG, obligée qu'elle était par l'inaction du Conseil d'Etat, l'a fait d'une certaine manière: elle a contourné la volonté populaire en relevant de facto l'âge de la retraite des femmes puisque les femmes sont forcées soit à travailler un peu plus, soit à renoncer à une part de leur retraite. Et ce alors même que, je vous l'ai montré, les retraites des femmes sont en moyenne significativement plus basses que celles des hommes.
En conséquence, je vous invite à renvoyer cette pétition non pas à la CPEG, comme cela avait été le cas pour une précédente pétition similaire, parce que cela n'aurait pas beaucoup de sens, mais au Conseil d'Etat ! Mesdames et Messieurs, c'est avant tout une décision politique que nous devrons prendre ici et c'est l'exécutif que nous devons interpeller à ce sujet. Le rapporteur de majorité l'a dit - je ne suis pas sûr de ses chiffres, je ne sais pas vraiment d'où il les tient: c'est vrai qu'il y aurait un coût à cet abaissement de l'âge pivot et c'est par conséquent une question que nous devons nous poser en tant que parlement et sur laquelle nous devons travailler avec le gouvernement. Non seulement renvoyer la pétition à la CPEG serait simplement une manière de se délester de la patate chaude, Mesdames et Messieurs, mais la CPEG a de toute façon déjà reçu l'autre pétition. Il y a un sens bien réel à ce que, celle-ci, nous l'envoyions sur le bureau du Conseil d'Etat ! Je vous remercie.
M. Boris Calame (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Je ne ferai pas un long discours. Je suis surtout interpellé par le délai de traitement de cette pétition, qui est restée 45 mois au sein de la commission des finances: ce n'est absolument pas acceptable pour l'instrument qui constitue le premier droit démocratique de la population. Je voudrais par ailleurs dire aussi que la P 2089 a effectivement été adoptée par notre Grand Conseil en mars de cette année. Elle traite également de l'âge pivot et la cohérence aurait voulu que la P 2010 soit transférée de même façon soit à la CPEG, soit au Conseil d'Etat, mais le texte précédent, c'est-à-dire la P 2089, est effectivement en traitement et je pense que, aujourd'hui, cela suffit. Je vous remercie.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de troisième minorité. C'est vrai qu'une pétition semblable a été renvoyée à la CPEG; c'est une bonne chose. Cette pétition-ci, les diverses minorités vous proposent en revanche de la renvoyer au Conseil d'Etat pour une raison très claire: le Conseil d'Etat s'intéresse à l'égalité hommes-femmes et en fait même un de ses chevaux de bataille. Je ne vous cacherai pas que je suis moins enthousiaste quand il s'agit de défendre une posture. Par contre, nous découvrons qu'il y a des inégalités économiques très importantes entre les personnes qui touchent une pension de la CPEG - c'est ce que nous révèle justement cette pétition et qui doit être transmis - et il faut que le Conseil d'Etat se positionne sur cette question.
Nous voyons qu'il y a des différences excessives; nous voyons que les moyennes des pensions sont étrangement basses et ne correspondent pas du tout aux maximums - ces fameux maximums dus au fait qu'une personne qui a perçu un certain revenu pendant un certain laps de temps touche des montants qui peuvent paraître considérables. Or nous avons une autre réalité: la réalité du terrain. C'est la réalité des pensionnés, qui touchent des montants parfois ridicules, très souvent beaucoup trop bas. Nous le voyons au travers de ces moyennes et il nous faut une explication. Il nous faut une explication, mais pas sur la posture quant à l'égalité hommes-femmes, parce que c'est bien gentil - «oui à l'égalité hommes-femmes», c'est comme la posture «non à la guerre» ! Ce que nous voulons, c'est du concret ! C'est pour cela que nous avons annexé au rapport les chiffres qui figurent dans «CPEG Info» de 2017: ils démontrent une certaine réalité - une réalité inquiétante, où on voit, comme l'a très bien dit mon collègue Jean Burgermeister, qu'il peut y avoir une différence d'environ 1000 francs par mois entre les hommes et les femmes, ce qui est considérable ! Il y a pourtant des salaires équivalents; cela signifie que les carrières sont différentes et que, au final, pour vivre, les gens ont des rentes dont la différence est véritablement excessive.
Je ne suis pas un égalitariste, et je le précise parce que c'est important de l'indiquer. Néanmoins, quand on voit qu'il y a un dysfonctionnement général - alors on nous dira que c'est le système du deuxième pilier, mais je pense qu'il est... C'est vrai que je conteste également la réalité de ce système du deuxième pilier: je pense qu'il faudrait une réforme globale du système, mais cela ne nous concerne pas, ça concerne la Confédération. Nous devons en revanche avoir une réflexion sur cette question parce qu'elle est bien réelle, et c'est pour cela qu'il est utile de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, afin d'avoir du concret de sa part. Ça s'inscrit tout à fait dans la période que nous traversons, au moment où on s'interroge quant à une loi qui donne de grands principes. Quittons le principe, voyons la réalité de ce que vivent les habitants de Genève - voyons cette réalité et essayons de trouver des solutions autant que faire se peut: personne n'a de baguette magique, c'est évident, et je le comprends. Nous avons cependant, il me semble, l'obligation de réfléchir sur ces questions et il nous faut pour cela des réponses du gouvernement, réponses que nous espérons recevoir. C'est pour cela que nous pensons qu'il est tout à fait pertinent de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président.
M. Alberto Velasco (S). Je voudrais tout d'abord dire que j'avais déposé mon rapport de minorité, mais la grande ouverture d'esprit du Bureau a fait qu'on ne l'a pas accepté. C'est vrai que je l'avais déposé un peu en retard, mais c'était du fait de ma santé. Je salue donc ici l'ouverture et l'humanité du Bureau du Grand Conseil !
Je voudrais ensuite vous dire, Mesdames et Messieurs, que c'est bizarre, on parle d'un âge pivot pour les femmes à 64 ans au lieu de 65. La logique aurait pourtant voulu - pour des raisons d'égalité - que les hommes s'arrêtent à 64 ans. Mais non, on demande que les femmes aillent jusqu'à 65 ans ! C'est quand même un sens de l'égalité et de la justice sociale incroyable.
Nous avons entendu que ça nous coûterait 400 millions, mais est-ce que la justice a un prix, chers collègues ? Est-ce que la justice a un prix ? La justice, c'est la justice ! Pourquoi est-ce que je parle de justice ? Parce que les femmes subissent sans arrêt des injustices depuis un siècle et demi. En 1870, la Commune de Paris a décidé de l'égalité hommes-femmes à tous les niveaux. Un siècle et demi plus tard, à Genève, ville riche, on n'y est toujours pas ! Et puis on critique, disons, les bolcheviks, mais ils avaient eux aussi décrété l'égalité hommes-femmes ! Même la République espagnole - vous savez, un pays arriéré - a établi l'égalité hommes-femmes en 1932 ! Et à Genève, aujourd'hui, on discute du fait que l'âge pivot des femmes doit rester à 65 ans; c'est quand même assez hallucinant.
Mais prenons les 400 millions, chers collègues, parce que l'histoire est politique. Ces 400 millions, les femmes les ont largement payés depuis un siècle, voire deux ! De par l'injustice qui leur a été faite - mes collègues l'ont dit tout à l'heure, elles ont toujours occupé des travaux sous-payés -, elles ont effectivement sous-cotisé. Par conséquent, l'injustice sociale qui leur a été faite a été largement payée par les 400 millions, et je dirai même qu'il leur manquerait encore quelques centaines de millions, vous voyez ! Franchement, nous dire aujourd'hui qu'on ne peut pas satisfaire cette pétition - la deuxième demande - parce que ça nous coûterait 400 millions, ce n'est que rajouter à l'injustice qui leur a été faite tout au long de l'histoire. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
C'est la raison pour laquelle je m'associe au discours de M. Burgermeister: je suis totalement d'accord. Cette pétition doit effectivement être envoyée au Conseil d'Etat pour qu'on rétablisse une certaine justice. Enfin, c'est quand même incroyable qu'on demande aux femmes de rester jusqu'à 65 ans alors qu'elles ont payé ! Elles ont largement payé, disons, le fait d'être... de revenir à l'âge pivot...
Le président. Merci.
M. Alberto Velasco. Merci à vous.
Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau a bien entendu votre complainte un peu acerbe, mais je vous rappelle que le Bureau n'est pas le bureau des indulgences ni celui des privilèges. Vous n'étiez pas un peu en retard, vous étiez en retard et vous êtes donc, à ce titre, un des rapporteurs de cryptominorité ! La parole va maintenant à M. le député Murat-Julian Alder pour quarante-cinq secondes, puis il passera sur le temps de son groupe.
M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Je voulais juste donner une réponse à notre collègue Jean Burgermeister concernant ce chiffre de 400 millions. Il figure dans le rapport sur le PL 12228, à plusieurs endroits, et c'est notamment notre collègue M. Jean Batou qui évoque ce montant. Ce projet de loi a été déposé par différents représentants des partis de la gauche et du MCG; ce n'est donc pas un chiffre que le groupe PLR ou ses commissaires aux finances ont inventé. C'est une estimation bien réelle, Mesdames et Messieurs, et je vous invite dès lors à prendre cela en considération.
Il ne s'agit pas ici de débattre de l'âge légal de la retraite: il est fixé par la Confédération en marge des discussions qui ont actuellement lieu sur le projet AVS 21 ! Ici, il est question de l'âge pivot dans le domaine du deuxième pilier et lier toute cette discussion à l'âge légal de la retraite est par conséquent un faux débat. Je vous remercie donc de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je pense que tous les partis politiques sont concernés par ce long délai de traitement à la commission des finances. J'aimerais simplement rappeler ici que nous avons traité les différents projets de lois sur la réforme de la CPEG et que le point dont il est question a été relativement exploré à ce moment-là. Nous aurions dû prendre position et voter sur cette pétition dans le même temps; dont acte.
Avons-nous les moyens de nos ambitions ? C'est la réelle question qui est posée aujourd'hui ici, dans ce parlement. Moi, Mesdames et Messieurs, j'aimerais simplement rappeler que nos fonds propres sont négatifs pour 2,2 milliards - dont acte aussi, Monsieur le président. Le parti démocrate-chrétien prend position pour le dépôt de cette pétition. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, la parole n'étant plus demandée, je vous fais voter en premier lieu sur les conclusions de la majorité.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des finances (dépôt de la pétition 2010 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont rejetées par 51 non contre 44 oui.
Mises aux voix, les conclusions de la minorité de la commission des finances (renvoi de la pétition 2010 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 51 oui contre 46 non.