Séance du
vendredi 26 mars 2021 à
16h20
2e
législature -
3e
année -
10e
session -
64e
séance
PL 12310-A
Premier débat
Le président. Nous avons terminé les urgences et reprenons notre ordre du jour ordinaire: il appelle le traitement du PL 12310-A, classé en catégorie II, quarante minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. le député Jean-Marc Guinchard.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le travail de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil, qui a duré près de trois ans, a été assez conséquent et approfondi. Ce PL 12310, traité parallèlement au PL 12215 sur la transparence, soulève en effet des questions importantes sur le financement des campagnes électorales, le plafonnement des budgets de campagne, la provenance étrangère des fonds et l'information du corps électoral quant à ces différents aspects. Plusieurs entités auditionnées l'ont qualifié de novateur et d'original sur le plan suisse: aucun autre canton, à l'exception de Fribourg, n'a encore légiféré sur un tel objet alors même que l'OCDE a pointé du doigt la Suisse à plusieurs reprises quant à son retard dans ce domaine.
Ces différents aspects positifs ont été reconnus par l'ensemble des commissaires, puisque ceux-ci ont voté à l'unanimité l'entrée en matière, certains rappelant toutefois que ce vote ne préjugeait pas de la décision finale. La commission a par ailleurs souhaité que la sous-commission chargée de l'étude du PL 12215 se saisisse également, et en parallèle, du présent projet de loi. Si le PL 12215 a fait l'objet d'une adoption quasi unanime en commission, il n'en a pas été de même pour le PL 12310. D'aucuns ont regretté cette situation et le fait que la sous-commission ait consacré vingt séances de travail à ces deux textes; les majorités très serrées au sein de la sous-commission auraient certes pu sensibiliser les commissaires à l'équilibre très fragile des positions exprimées.
Le PL 12310 comporte trois défauts majeurs. Premièrement, le système de contrôle institué porte sur le budget de la campagne électorale pour le Grand Conseil et le Conseil d'Etat, en fixant un plafond. Or un budget de campagne est une projection, un schéma attendu qui ne correspond pas forcément aux résultats finaux des comptes, ceux-ci étant d'ailleurs produits quelques mois après les élections. Selon les auteurs du projet de loi, la référence au budget permettrait aux citoyens et citoyennes d'élire leurs représentants en sachant quelles étaient les sources de financement des partis. Deuxièmement, ce système de contrôle préélectoral nécessiterait l'engagement de forces de travail sporadiques, une fois tous les cinq ans, ce qui n'est pas possible, tant pour la chancellerie ou pour le service des votations et élections que pour la commission électorale centrale, faute de ressources humaines disponibles. En revanche, l'on doit à la vérité de signaler que la Cour des comptes aurait pu, selon ses dires, se charger de ce contrôle. Enfin, au-delà de son aspect inconstitutionnel quasi certain, la sanction proposée - enlever un certain nombre de sièges au parti pris en faute - présenterait le désavantage majeur, sur le plan démocratique, de trahir la volonté de l'électeur.
S'ajouterait à cela un travail administratif conséquent et lourd, particulièrement intrusif, dont la valeur ajoutée demeure incertaine. Ce projet de loi - et son auteur l'a clairement signifié à plusieurs reprises - est la conséquence directe des montants spectaculaires annoncés de façon tonitruante par le parti Genève en Marche, avec un résultat très inversement proportionnel dans les urnes, ce qui démontre bien que la population n'est pas dupe et que tout ce qui est excessif est finalement insignifiant.
Enfin, partant du principe qu'il n'est pas souhaitable de légiférer en raison d'un seul événement, qui ne s'est produit qu'une fois en deux siècles, je vous recommande, Mesdames les députées, Messieurs les députés, de refuser ce PL 12310 avec la même majorité que celle enregistrée en commission. Je vous remercie.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de première minorité. Je regrette que le rapporteur de majorité ait évoqué la suppression d'un certain nombre de sièges pour les partis qui ne respecteraient pas les dispositions prévues comme un exemple d'inconvénient résultant de ce projet de loi, puisque cette mesure n'existe plus dans le texte issu des travaux non seulement de la commission des droits politiques - elle a voté à l'unanimité l'entrée en matière - mais également de la sous-commission. Celle-ci lui a consacré des dizaines d'heures de travail qui ont abouti à un projet de loi - on le trouve aux pages 119 et 120 du rapport de minorité - bien éloigné de la proposition initiale de Pierre Vanek, qui était certes fougueuse et enthousiaste. Celle-ci avait quelques défauts, assurément, mais ces défauts ont été corrigés, limés: le projet de loi a été amélioré et il est de ce fait absurde d'invoquer les défauts du texte original, après des dizaines et des dizaines d'heures de séance, pour dire qu'il ne faut pas voter cet objet ! C'est pour ça que le rapporteur de minorité que je suis considère qu'il doit être renvoyé en commission: la fin en queue de poisson des travaux - à travers un refus du projet un peu en queue de poisson - mérite d'être corrigée par un renvoi en commission.
Ensuite, le rapporteur de majorité a dit, ce qui est tout à fait faux, que ce projet de loi serait un objet ad hominem, concernant une seule affaire: les dépenses excessives d'Eric Stauffer au début de cette législature - enfin, aux dernières élections - avec des fonds d'origine douteuse. Bien sûr que non ! L'article 29A de la loi sur l'exercice des droits politiques, qu'un autre projet de loi entend perfectionner, est issu des travaux de ce Grand Conseil au siècle dernier, sur la base d'un texte de l'Alliance de gauche déjà. Et déjà, nous avions alors envisagé l'introduction d'un plafonnement et l'amélioration de la transparence comme deuxième étape. A l'époque, des partisans du plafonnement se trouvaient aussi sur les bancs de l'Entente: Bernard Lescaze, rapporteur de minorité radical, était intervenu sur ce point en disant - je le cite, c'est dans le Mémorial: «A titre personnel, je regrette d'ailleurs que ce projet n'ait pas prévu d'ores et déjà la possibilité d'introduire un plafond [...].» Un député démocrate-chrétien avait également proposé qu'on aille dans le sens d'un plafond.
Ce projet de loi présente évidemment des avantages décisifs du point de vue de la transparence, qu'il veut instaurer au moment de la campagne électorale. Considérons la manière dont les choses se passent à l'heure actuelle, s'agissant de l'élection au Grand Conseil de 2023: les comptes effectivement consultables au moment de l'élection seront les comptes annuels des partis, déposés dans le délai légal de juin 2022 pour l'année 2021 - il y a donc un énorme décalage. Là, les comptes à rendre lors d'une campagne électorale sont plus ciblés: il y a l'obligation de déclarer un budget de campagne et de le respecter - une marge d'erreur peut être admissible - afin que les citoyens, au moment de l'élection, soient informés sur l'origine des fonds et sur les montants dépensés par les uns et par les autres. Il ne s'agit pas d'une proposition surprenante ou...
Le président. Vous parlez maintenant sur le temps de votre groupe.
M. Pierre Vanek. ...d'une élucubration gauchiste. C'est le Conseil de l'Europe, notamment son groupe de travail contre la corruption, le GRECO, qui a évoqué cette hypothèse: c'est l'un des moyens de lutter contre la corruption en politique et l'influence excessive de l'argent dans les campagnes électorales. Dans cette optique, le fait de dire «circulez, y a rien à voir», de vouloir jeter à la poubelle ces dizaines d'heures de travaux et les propositions faites sous le contrôle - du point de vue légistique, bien sûr - du directeur des affaires juridiques de la chancellerie pousse à se demander qui veut cacher quoi et pourquoi cet effort de transparence, cette avancée de la démocratie genevoise devraient être écartés.
Mesdames et Messieurs, mon rapport de minorité conclut sur le fait que le refus de ce projet de loi en commission était un dérapage qui peut être corrigé par un renvoi en commission. Certes, le texte contient sans doute encore des défauts qui peuvent être améliorés - quelqu'un voudrait élever le plafond, et d'autres propositions existent -, je vous propose donc formellement, Mesdames et Messieurs, de renvoyer ce projet de loi à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil pour terminer le travail: il a été bien commencé, mais il doit être mené à terme.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de première minorité. Vous avez été entendu et je vais donc demander l'avis des autres rapporteurs sur le renvoi en commission, en commençant par M. Jean-Marc Guinchard.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, les travaux ont été conséquents; cela a été rappelé tant par le rapporteur de minorité que lors de ma première intervention ! Plus de vingt heures y ont été consacrées en sous-commission, sans compter les heures passées en commission. Je pense qu'on ne peut pas reprocher à la commission d'avoir mal fait son travail: tous les aspects ont été évoqués. Je m'étonne d'ailleurs que les déclarations actuelles de M. Vanek ne correspondent pas tout à fait à celles qu'il a rédigées dans son rapport de minorité. Je m'oppose donc au renvoi en commission. Je vous remercie.
M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs, je vais uniquement me prononcer, dans un premier temps, sur le renvoi en commission. Je soutiens tout ce qui a été dit par le rapporteur de première minorité; j'ajouterai juste deux éléments nouveaux, apparus depuis que le rapport a été déposé. Le premier, c'est qu'on a renvoyé le PL 12215 à la commission des droits politiques pour refaire un peu les travaux. Comme vous le savez, les problématiques sont liées: le PL 12215 concerne le financement général des partis et leur transparence alors qu'ici, avec ce projet de loi, on se prononce sur le financement des campagnes politiques. Je pense que les deux éléments sont imbriqués et que c'est mieux de les considérer ensemble.
L'autre aspect nouveau que j'ai relevé, je l'ai trouvé dans «Le Courrier» du jeudi 4 mars, dans un article extrêmement intéressant, dont le chapeau est: «Une majorité, alliant la gauche au PLR et au PVL, veut faire la lumière sur le financement de la politique.» Et qu'est-ce qu'on y lit ? Qu'on veut aussi faire la lumière, à Berne, sur le financement des campagnes politiques: «Les comités menant une campagne de votation ou d'élection en feraient de même, dès que leur budget dépasse 50 000 francs.» Vous voyez donc que...
Le président. Sur le renvoi, s'il vous plaît !
M. Pierre Eckert. ...le financement des campagnes intéresse aussi au niveau fédéral. C'est pourquoi, au vu de ces éléments nouveaux, je recommande le renvoi de ce projet de loi à la commission des droits politiques.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat ne s'exprimant pas sur cette demande de renvoi en commission, nous passons au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12310 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 50 oui contre 46 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)