Séance du jeudi 1 octobre 2020 à 20h30
2e législature - 3e année - 5e session - 24e séance

PL 12783
Projet de loi du Conseil d'Etat sur l'aide financière extraordinaire de l'Etat destinée aux établissements nocturnes contraints à la fermeture dans le cadre de la crise sanitaire du coronavirus (COVID-19)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 1er et 2 octobre 2020.
M 2676
Proposition de motion de Mmes et MM. Youniss Mussa, Nicolas Clémence, Léna Strasser, Diego Esteban, Thomas Wenger, Glenna Baillon-Lopez, Grégoire Carasso, Badia Luthi, Cyril Mizrahi, Salika Wenger, Sylvain Thévoz, Romain de Sainte Marie, Jean-Charles Rielle, Yves de Matteis, Didier Bonny, Marjorie de Chastonay, Adrienne Sordet, David Martin pour une aide urgente aux actrices et acteurs de la vie nocturne : A bout de souffle !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 1er et 2 octobre 2020.

Premier débat

Le président. Notre première urgence est classée en catégorie II, trente minutes. La parole est demandée par l'auteur de la proposition de motion, M. Youniss Mussa.

M. Youniss Mussa (S). Merci, Monsieur le président. Chères et chers collègues, le 2 septembre dernier, les actrices et acteurs de la vie nocturne ont publié une lettre ouverte décrivant les grandes difficultés financières immédiates auxquelles se retrouvent confrontés les divers établissements concernés. «A bout de souffle», ce sont les mots des entrepreneurs et professionnels de la nuit: barmen et barmaids, agents et agentes d'accueil, nettoyeurs et nettoyeuses, cuisiniers et cuisinières, techniciens et techniciennes, artistes, graphistes, comptables, imprimeurs et imprimeuses, pour n'en citer que quelques-uns. Le monde de la nuit est aujourd'hui en train de mourir sans qu'aucun plan d'indemnisation ne soit mis en place; un véritable plan de sauvetage doit débuter immédiatement car, une fois les établissements en faillite et leurs centaines d'employés licenciés, il sera malheureusement trop tard !

L'aide exceptionnelle prévue dans ce projet de loi pour ce secteur particulier est justifiée, sachant que les perspectives de relance demeurent encore très incertaines à long terme. Les actrices et acteurs de la vie nocturne offrent un véritable service public à la collectivité en garantissant notamment la sécurité de notre jeunesse. Celle-ci peut se retrouver dans des espaces sécurisés et surveillés permettant de danser et de se divertir. Le rôle important du monde de la nuit est d'autant plus clair alors que nous observons aujourd'hui une recrudescence des délits mineurs dans l'espace public et une mauvaise utilisation de celui-ci, notamment les soirs de week-end.

Nous ne pouvons pas nous passer des lieux culturels nocturnes. Je n'ai malheureusement pas le temps de citer individuellement ces associations et établissements qui le mériteraient largement. Je sais qu'ils ont parfois le sentiment d'être abandonnés voire, pour certains, d'être les boucs émissaires de cette crise. Ce soir, nous avons la possibilité de leur dire: l'Etat ne vous laissera pas tomber; l'Etat reconnaît votre importance et sait ce que vous représentez pour les divertissements et la culture, pour la sécurité et pour les emplois. Ce projet de loi, négocié avec les établissements concernés, prévoit notamment à l'article 8, alinéa 5, que les bénéficiaires de l'aide exceptionnelle s'engagent à ne pas licencier des employés en raison de la crise sanitaire. Ce sont des garanties claires en faveur de l'emploi et contre la précarité.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste soutiendra avec force ce projet de loi, qui répond directement aux attentes des établissements nocturnes, ainsi que la proposition de motion 2676 que nous avons déposée à ce sujet. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole échoit à M. le député Boris Calame. (Un instant s'écoule.) Quand c'est vert, c'est bon ! (Rires.)

Une voix. C'est un jeu de mots ?

M. Boris Calame (Ve). Je vous remercie, Monsieur le président. Chères et chers collègues, nous traitons d'une loi de soutien à une quarantaine d'établissements nocturnes: ne devrions-nous pas plutôt parler d'institutions de la nuit au sujet de ces lieux sociaux, de vie, de loisirs et de culture que sont par exemple le Chat noir, le Village du soir, l'Usine, le Moulin rouge ou encore Motel Campo ?

Une voix. Pas de pub !

M. Boris Calame. Il faut souligner ici que la culture n'est pas unique, mais bien multiple. Nous votons ce soir sur la survie ou la disparition de ces institutions - ces mêmes institutions qui ne peuvent disparaître car un jour prochain, post-covid, nous aurons toutes et tous besoin de nous retrouver dans des lieux qui nous rassemblent, des lieux qui nous ressemblent. Le groupe des Verts plébiscitera ce projet de loi pour que la nuit de demain soit meilleure que celle d'hier. (Applaudissements.)

Mme Françoise Sapin (MCG). Monsieur le président, pour le MCG, il est important de soutenir les acteurs du monde de la nuit. En effet, la crise sanitaire les met vraiment à mal et il s'agit d'un cas de force majeure puisque les restrictions ont été ordonnées par les autorités et non décidées par eux-mêmes. Il s'agit encore d'un geste de solidarité comme on en a fait dans d'autres cadres. Le MCG soutiendra également la proposition de motion présentée par le Conseil d'Etat ce soir dans les urgences. Nous voterons donc le PL 12783 et la M 2676.

M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons reçu à la commission des finances une délégation du monde de la nuit. Je ne suis pas un oiseau de nuit, mais je vais défendre avec conviction le dispositif mis en place. J'aimerais simplement rappeler ici à l'ensemble de la population de notre canton que ce dispositif prévoit une participation financière de l'Etat à certaines charges vraiment incompressibles des établissements nocturnes touchés par la fermeture ordonnée par les autorités. Vous voyez qu'on n'est pas là pour contribuer au chiffre d'affaires de ce monde de la nuit, on est juste là pour le soulager dans ses charges ! Quand on parle de charges incompressibles, on entend par là les loyers, le personnel de maintenance et les stocks périssables qui sont restés. Cet effort est tout à fait logique et nécessaire, quand une décision unilatérale est prise par nos institutions. Le parti démocrate-chrétien soutiendra donc ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Murat-Julian Alder (PLR). Monsieur le président, le groupe PLR se réjouit de l'accord conclu entre le Conseil d'Etat et la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève, le Grand Conseil de la nuit, le syndicat Culture nocturne. Il salue ce projet de loi, tant dans son contenu que dans la forme. Depuis deux mois et pour encore un mois et demi, c'est tout un secteur économique de notre canton qui se trouve à l'arrêt alors qu'il n'a pas été démontré qu'il portait une responsabilité prépondérante dans la diffusion du covid-19. Ce projet de loi propose donc une application du principe de responsabilité de l'Etat. Le PLR s'en réjouit d'autant plus que ce texte a été adopté suite à une concertation rudement menée. Ce projet permettra de sauver un millier d'emplois, tout en prenant en charge des frais incompressibles de manière effective et non pas de manière forfaitaire.

Mesdames et Messieurs, nous avons appris aujourd'hui que pour la première fois depuis de très, très nombreuses années, les festivités de l'Escalade ne pourront pas avoir lieu. Nous savons aussi qu'aujourd'hui sont entrées en vigueur les nouvelles mesures fédérales autorisant la tenue de grandes manifestations. Permettez-moi cette réflexion: nous ne pourrons pas indéfiniment tenir dans cette situation-là ! Le monde de la nuit non plus: il ne pourra pas éternellement rester sous perfusion étatique ! C'est donc aussi une sortie de crise que nous attendons de la part de nos autorités en veillant à ce que soit aussi appliqué le principe de responsabilité. Les établissements nocturnes qui peuvent garantir les conditions sanitaires - port du masque et traçage - doivent pouvoir rouvrir à partir du 16 novembre, si la situation sanitaire l'autorise.

Enfin, Monsieur le président, permettez-moi encore un mot sur la proposition de motion du parti socialiste. Le parti libéral-radical considère que le projet de loi du Conseil d'Etat constitue la réponse directe à ce texte socialiste, de sorte que ladite proposition de motion devient sans objet. Le PLR la votera, si le parti socialiste n'a pas l'élégance de la retirer dans l'intervalle.

M. Eric Leyvraz (UDC). Monsieur le président, nous avons reçu à la commission des finances le président de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers ainsi que deux exploitants de boîtes de nuit et dancings. Ils nous ont expliqué avec beaucoup de calme, beaucoup de dignité et beaucoup de professionnalisme combien ils étaient désorientés par le fait que l'Etat les force à fermer leur entreprise du jour au lendemain, sans préavis, deux heures avant que la fermeture devienne obligatoire. Ils ont expliqué combien il était difficile pour eux de survivre après plusieurs mois sans activité. Quand vous êtes entrepreneur, vous vous donnez toute la peine du monde pour mener votre société et la développer; c'est ce qu'ont fait ces gens et, tout d'un coup, à cause d'une décision d'Etat, il n'y a plus rien qui tombe dans les caisses ! Des centaines d'emplois sont menacés si nous ne les aidons pas de façon définitive. Or, nous avons clairement aidé d'autres secteurs.

L'UDC va soutenir ce projet de loi. Espérons que très prochainement, nous retrouverons une situation normale ! Parce que si ce soutien ne dure que jusqu'au mois de décembre, il ne sera certainement pas suffisant, au cas où la situation ne s'améliorerait pas. J'espère donc pour vous tous, tous les entrepreneurs qui sont ici, qu'on aura des mesures un peu moins contraignantes pour pouvoir relancer notre économie. J'espère que les dancings pourront prospérer encore longtemps; ce sont eux qui font que nos jeunes qui ont besoin de sortir peuvent le faire dans des conditions décentes et sécurisées ! C'est pour ça que l'UDC soutiendra ce projet de loi.

M. Jean Burgermeister (EAG). Monsieur le président, Ensemble à Gauche soutiendra aussi ce projet de loi. Evidemment, c'est un secteur complètement sinistré par la crise. Sans entrer dans le débat de savoir si les mesures imposées étaient justes ou pas, ce qui est une certitude, c'est qu'en l'état, le milieu de la nuit ne peut pas fonctionner, et on ne sait pas encore combien de temps durera la situation. Par conséquent, il est absolument nécessaire et urgent... (Brouhaha.) Monsieur le président, je ne m'entends plus très bien parler... Il est absolument nécessaire et urgent d'amener des aides à ce secteur !

Cependant, le but de la loi est aussi de soutenir l'emploi dans le canton, puisqu'un certain nombre d'emplois sont concernés dans le secteur. Or, Ensemble à Gauche a trouvé que le texte qui nous est soumis proposait un dispositif assez faible ou en tout cas pas satisfaisant en la matière puisqu'il n'est pas contraignant. Les personnes signataires de l'accord s'engageant sur l'honneur à ne pas licencier au motif de la crise économique et sanitaire actuelle, je pense qu'il est utile d'introduire dans ce texte une réglementation stricte concernant les licenciements. C'est la raison pour laquelle le groupe Ensemble à Gauche a déposé un amendement qui vise à interdire aux établissements qui bénéficient de cette aide de procéder à des licenciements durant toute la période de l'aide, bien sûr, mais aussi pendant les six mois suivants. N'exagérons rien, mais il est facile de promettre sur l'honneur qu'on ne procédera pas à de tels licenciements et de trouver ensuite d'autres raisons pour le faire ! Quoi qu'il en soit, on sait que le secteur va continuer à souffrir, et je pense que pour soutenir l'emploi, il est urgent et utile de mettre des garde-fous un peu plus stricts !

Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Monsieur le président, le groupe socialiste a entendu la demande du PLR concernant la proposition de motion socialiste, mais il propose de garder ce texte et de le voter sur le siège, simplement pour montrer notre préoccupation à toutes et tous ici. La question de la vie nocturne correspond à une politique publique voulue dans le plan directeur cantonal: je vous le rappelle, nous avons voté une fiche - la fiche A21 - qui donne les compétences au canton d'appuyer avec force une politique de la vie nocturne, des lieux de vie culturels et festifs.

Par conséquent, nous pensons que, si le Conseil d'Etat pourra avec légitimité dire qu'il a déjà répondu à cette proposition de motion, il est bon d'acter notre prise en compte anticipée des besoins des acteurs culturels. C'est un soutien que nous leur devons et je pense que nous pouvons voter ce texte sur le siège tout en acceptant le projet de loi du Conseil d'Etat, que nous remercions d'ailleurs d'avoir mené ces négociations avec l'ensemble des acteurs culturels, tous milieux confondus. (Applaudissements.)

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, merci pour le bon accueil réservé à ce texte. Vous voyez que le Conseil d'Etat se met en quatre pour vous proposer des projets de lois répondant à des propositions de motions avant que celles-ci ne soient même votées ! Plus sérieusement, vous l'avez bien compris, notre responsabilité - le terme a été prononcé par le député Alder tout à l'heure - est de répondre à une situation tout à fait exceptionnelle: celle qui a vu le Conseil d'Etat prendre une décision le 31 juillet dans l'après-midi, décision immédiatement exécutoire qui a eu un impact fort pour ce qu'il faut ici considérer avant tout comme des entités économiques, même si elles ont une forte dimension culturelle. C'est de ce point de vue que nous avons négocié.

Je souligne l'importance de la concertation entre les trois entités mentionnées, à savoir la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève, le syndicat Culture nocturne et le Grand Conseil de la nuit - l'autre, serais-je tenté de dire ! Nous avons négocié dans ce contexte quelques cautèles que je me plais à souligner parce qu'elles sont strictes - elles engagent sur l'honneur - et je peux vous dire ici que les signataires de l'accord tiendront et respecteront cet accord parce qu'il était urgent de pouvoir le signer. Ces cautèles sont d'abord celles de s'en tenir aux charges fixes incompressibles, vous l'avez bien compris: il ne s'agit pas d'indemniser pour un manque à gagner ou la perte de gain. Ce soir, avec le vote de ce projet de loi, vous donnez un signe clair d'entrée en matière, sans aller trop loin non plus.

Ensuite, il s'agit d'un engagement extrêmement fort sur l'emploi, et c'est peut-être le point le plus important - le signal le plus important - que vous donnez ce soir, Mesdames et Messieurs les députés, pour réussir à sanctuariser les emplois d'un domaine d'activité économique précis à un temps T. On a recensé ces emplois très précisément; il s'agit des emplois directs. Je m'adresse en particulier au groupe Ensemble à Gauche: l'amendement de ce groupe est intéressant, mais je pense qu'on aura de la peine à l'appliquer et sa portée juridique me semble très relative. Le problème de cet amendement est qu'il ne tient pas compte du deuxième cercle des emplois qu'il s'agit de protéger. Mesdames et Messieurs les députés, en votant cet objet ce soir, vous soutenez les quelque mille emplois - un peu moins, mais environ mille - directement concernés dans ce secteur et vous soutenez aussi les centaines d'emplois indirectement concernés. Je pense ici à des producteurs de boissons, par exemple. Je pense ici aux taxis: Dieu merci, un certain nombre de clients utilisent les taxis plutôt que leur propre voiture pour rentrer ! Je pense à tout un système existant autour des boîtes de nuit qui va également profiter des effets bénéfiques de ce projet de loi lorsque l'activité pourra reprendre.

Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous remercie par avance du soutien à ce texte; il fera évidemment bon accueil à la proposition de motion, mais si vous nous la renvoyez, la réponse sera dans le projet de loi et le Conseil d'Etat vous avertit quand même que ce n'est sans doute pas le dernier texte de cette nature - nature propre à un plan de sauvetage, pas à un plan de relance. Il s'agit de sauver un secteur et ce n'est pas le dernier texte de cet acabit que nous vous présenterons ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote d'entrée en matière sur le projet de loi 12783.

Mis aux voix, le projet de loi 12783 est adopté en premier débat par 84 oui et 1 abstention.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les art. 1 à 7.

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement de M. Jean Burgermeister à l'article 8, alinéa 5. Il s'agit de la nouvelle teneur suivante: «Les établissements bénéficiaires de l'aide ne peuvent pas licencier leur personnel durant la durée de l'aide et les six mois suivants, sauf en cas de faute grave et avérée.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 74 non contre 9 oui.

Mis aux voix, l'art. 8 est adopté, de même que les art. 9 à 11.

Le président. Nous nous prononçons à présent sur l'article 12 «Clause d'urgence». Je rappelle que selon l'article 142 de la LRGC, pour être adoptée, la clause d'urgence doit être votée par le Grand Conseil à la majorité des deux tiers des voix exprimées, les abstentions n'étant pas prises en considération, mais au moins à la majorité de ses membres.

Mis aux voix, l'art. 12 est adopté par 87 oui et 1 abstention (majorité des deux tiers atteinte).

Troisième débat

Mise aux voix, la loi 12783 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 84 oui et 2 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Loi 12783

Le président. Nous passons au vote de prise en considération de la proposition de motion 2676.

Mise aux voix, la motion 2676 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 65 oui contre 15 non et 3 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2676