Séance du
jeudi 25 juin 2020 à
20h30
2e
législature -
3e
année -
3e
session -
12e
séance
PL 12723-A
Premier débat
Le président. Nous passons à notre urgence suivante, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. La parole est à la rapporteure de majorité, Mme Helena Verissimo de Freitas.
Mme Helena Verissimo de Freitas (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Chères et chers collègues, la commission des affaires sociales s'est réunie à deux reprises afin d'étudier en urgence le PL 12723 portant sur l'indemnisation pour perte de revenus liée aux mesures de lutte contre le coronavirus. Lors de la séance du 9 juin 2020, le dispositif de mise en oeuvre de la loi a été présenté à la commission par le département de la cohésion sociale, l'Union des associations patronales genevoises, la Communauté genevoise d'action syndicale, le Centre social protestant et Caritas. Ces partenaires sociaux ont travaillé en amont avec d'autres départements à la réalisation de ce projet de loi. La séance du 16 juin a été entièrement consacrée aux amendements déposés - il y en a eu un certain nombre, ils sont tous présentés dans le rapport de majorité, je ne vais pas m'y attarder maintenant.
La majorité de la commission a voté ce projet de loi qui vise à soutenir les personnes qui ne sont pas protégées et qui passent à travers les mailles du filet social, comme des personnes qui ont cotisé moins d'un an à l'assurance-chômage, qui ont un taux d'activité inférieur à 20% ou encore qui ont cotisé valablement à l'assurance-chômage sans pouvoir bénéficier de ses prestations car elles n'ont pas de titre de séjour valable, sont de faux indépendants, des travailleuses et travailleurs du sexe ou encore des étudiantes et étudiants pratiquant ponctuellement de petits jobs. (Brouhaha.) Ça discute pas mal derrière moi, je vous remercie de faire un peu de silence ! Monsieur le président, vous pouvez demander le silence derrière moi, s'il vous plaît ?
Le président. Un instant, Madame la députée. (Rire. Commentaires.) Monsieur Bavarel, je vous remercie. Monsieur Bavarel demande le silence dans cette salle !
Mme Helena Verissimo de Freitas. La commission est tombée d'accord sur un projet de loi qui fixe une indemnisation unique par bénéficiaire à 80% de la perte du revenu pour la période allant du 17 mars au 16 mai 2020, plafonnée à 4000 francs. Ce n'est donc pas une aide pérenne, c'est bel et bien une aide urgente et unique.
Une partie de la commission ne soutient pas ce projet de loi, sous le prétexte qu'elle ne veut pas cautionner le travail au noir. Pourtant, l'adoption de cet objet ne cautionnera en rien le travail au noir, mais apportera une aide essentielle et nécessaire ainsi qu'une reconnaissance des travailleuses et travailleurs de l'ombre. De plus, ce projet de loi s'adresse à 70% à des personnes résidant légalement à Genève. C'est pourquoi la majorité de la commission souhaite mener la lutte contre le travail au noir en parallèle à ce projet de loi. Nous attendons toutes les forces vives pour combattre le travail au noir - on est prêts ! L'Etat a déjà commencé une campagne d'information et de sensibilisation pour lutter contre cela. Tout non-respect des usages professionnels sera communiqué à l'UAPG et à la CGAS, comme il est inscrit dans le projet de loi. En réalité, chères et chers collègues, nous ne ferons qu'appliquer notre constitution. Elle est d'ailleurs citée en préambule: les articles 14, alinéa 1 - «La dignité humaine est inviolable» - l'article 39, alinéa 1 - «Toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux afin de favoriser son intégration sociale et professionnelle» - ainsi que l'article 113 sur l'état de nécessité.
Sortons la lutte contre le travail au noir de ce projet de loi et engageons-nous ensemble contre ce fléau avec d'autres outils. Ce projet de loi, je le répète, est une aide urgente, essentielle et unique pour tout un pan de la population qui vivait, jusqu'à l'apparition du virus, dans des conditions déjà très précaires. Si aujourd'hui nous ne le votons pas, l'aide sociale explosera d'ici quelques semaines. C'est pourquoi la majorité de la commission vous invite à le soutenir tel qu'il est sorti de ses travaux.
Ironie du sort, la rapporteure de majorité est fille d'une femme de ménage qui a travaillé au noir en Suisse dans les années 80 pour certaines familles représentées dans cette salle. Je vous remercie. (Longs applaudissements.)
Le président. Merci. La parole est à M. Patrick Dimier, qui remplace le rapporteur de minorité Florian Gander.
M. Patrick Dimier (MCG), rapporteur de minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Le PL 12723 prévoit de rémunérer des travailleurs illégaux à hauteur de 80% de leurs gains prétendus au prétexte qu'ils ont perdu leur emploi, bien qu'illégal, durant la pandémie, entre le 17 mars et le 16 mai 2020. Ce qui est aujourd'hui la minorité imaginait, certainement avec naïveté, que les élus de la république ne pouvaient procéder qu'à un examen qui tienne compte du facteur de l'illégalité, importantissime lorsqu'il s'agit de déverser des millions, des dizaines de millions, à la place d'employeurs pour le moins indélicats.
A ce stade, il convient donc de revenir sur la définition de ce qu'est le travail au noir. C'est un travail rémunéré, exercé en tant qu'employé ou indépendant en dehors des dispositions légales. Cela veut dire, en termes clairs, des emplois non déclarés aux assurances sociales obligatoires, non déclarés au fisc, non déclarés à la TVA, etc. Cela veut surtout dire le contournement de la loi sur le séjour des étrangers. Or, que dit la loi, Mesdames et Messieurs de la majorité ? La loi sur le travail au noir, LTN, du 17 juin 2005, et l'ordonnance afférente, OTN, prévoient différentes mesures visant à contribuer à ce que les obligations en matière d'annonce et d'autorisation liées au travail et relevant du droit des assurances sociales, du droit des étrangers et du droit fiscal, notamment du droit de l'impôt à la source, soient dûment remplies. Le constat que nous devons faire ici, c'est que tout cela n'a pas été respecté. Les employeurs qui n'ont pas respecté cette législation font l'objet de poursuites judiciaires; une fois condamnés, la condamnation entrée en vigueur, ils sont exclus des marchés publics, ce qui est marginal pour le cas qui nous occupe. Ce qui est important, c'est que cette sanction intervient en dessus des sanctions prévues par le droit des assurances sociales et le droit des étrangers. En toute logique, il y a lieu de considérer qu'elle s'applique, mutatis mutandis, à tout employeur privé ayant pratiqué de l'embauche illicite.
J'aimerais surtout dire ici qu'il ne faut pas partir de l'idée que la minorité n'est pas consciente des cas sociaux qui se sont déclarés par cette crise. Au contraire, nous en sommes très préoccupés. Simplement, si on ne met pas maintenant...
Le président. Vous parlez sur le temps de votre groupe, Monsieur Dimier.
M. Patrick Dimier. Oui, merci. Si on n'aborde pas maintenant cette question, on ne l'abordera jamais. Demain est toujours plus joli, le jardin d'à côté est toujours plus vert que celui dans lequel on est. Nous dire qu'on va s'occuper du travail au noir demain, c'est vraiment nous prendre pour des naïfs. Merci. (Applaudissements.)
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Je rigole en lisant le rapport à la page 25. Le conseiller d'Etat nous répond: «Par rapport à ce PL, il peut identifier les employeurs malhonnêtes»... (L'orateur marque une pause.) ...«si les personnes les dénoncent; [...]» C'est magnifique ! Qu'on apprenne ça dans ce rapport tel quel, je pense que c'est un peu déplacé.
Il dit aussi que «la lutte contre le travail au noir est une préoccupation, raison pour laquelle il existe des lois fédérales sur la question». Est-ce que vous avez lu ces lois fédérales ? Je m'y suis attardé, notamment à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration, du 16 décembre 2005. Au chapitre 16, «Dispositions pénales et sanctions administratives», j'invite les députés à lire les articles 115, 116, 117, 118, etc., où l'on trouve les comportements frauduleux, le séjour illégal, l'incitation à l'entrée, à la sortie ou au séjour illégaux. Dans le chapitre 18, «Dispositions finales», article 124, «Surveillance et exécution», alinéa 1, on lit: «Le Conseil fédéral surveille l'exécution de la présente loi.» Alinéa 2: «Les cantons édictent les dispositions d'exécution.» Je suis désolé, mais face à un tel rapport sur un projet de loi concernant le travail au noir, personnellement, je suis choqué en tant que Genevois qui paie mes impôts, qui travaille de manière déclarée. Je pense que le travail au noir est une chose, mais il y a le séjour, il y a beaucoup d'autres éléments. Vous allez vers une Genferei totale en acceptant ce projet de loi, vous devez vous en rendre compte. Je vous remercie de ne pas le voter.
M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi propose une allocation pour perte de gain pour clandestins et travailleurs au noir. Cette prestation compenserait des travaux et salaires illégaux à hauteur de 80%. Les demandes pour ces travailleurs au noir seraient instruites par les associations et en l'absence de justificatifs, l'Etat validerait la requête sur la simple base d'une déclaration écrite du bénéficiaire. Ce texte, sous cette forme, n'est rien d'autre que la légalisation du travail au noir. En plus de nous proposer un projet de loi qui ne respecte ni la loi sur l'immigration ni celle sur le travail au noir, notre Conseil d'Etat mélange aussi l'aide d'urgence, l'assistance sociale et le chômage.
Les queues pour recevoir un colis alimentaire aux Vernets ont choqué tous les Genevois. Mais il n'a pas été distribué que des cornets avec de la nourriture: les personnes présentes pouvaient aussi s'inscrire pour un chèque alimentaire de 50 ou 150 francs, chèque payable par semaine. Pour une personne avec un enfant, cette aide exceptionnelle est de 600 francs par mois. Au 31 mars, il y avait 2726 bénéficiaires; au début du mois de juin, il y en avait déjà 14 030. Cette progression gigantesque appelle une réflexion. Si le nombre des personnes qui venaient aux Vernets restait relativement stable et constant et que le taux des personnes sans papiers variait semaine après semaine de 60% à 25% et inversement, il est clair que l'objectif était surtout de s'inscrire aux chèques alimentaires.
Pour combattre le travail au noir, Genève ne fait strictement rien. Après l'opération Papyrus, le Conseil d'Etat avait promis de s'attaquer à ce problème. Non seulement il ne respecte pas ses engagements, mais Genève ne contrôle pas les titres de séjour, ni pour la remise d'un numéro AVS ni lors de contrôles sur les chantiers. Aucun autre canton suisse n'est aussi laxiste. Il est tout aussi choquant que les contribuables genevois doivent assumer les défaillances d'employeurs irrespectueux et qui n'appliquent pas la loi ainsi que de locataires sous-louant - souvent avec un bénéfice - un logement à ces personnes sans papiers.
Notre groupe acceptera l'amendement du PLR, et après seulement, nous arrêterons notre position. Merci pour votre attention.
M. Pierre Eckert (Ve). Je vois que personne n'a écouté ce qui a été dit à la commission des affaires sociales. Je vous rappelle que nous avons eu cette discussion lors de la précédente plénière, que le projet de loi a été renvoyé dans cette commission où passablement d'explications ont été données.
Non, Mesdames les députées, Messieurs les députés, tous les employés concernés par ce projet de loi ne travaillent pas au noir; tous les employeurs et employeuses concernés par ce projet de loi ne sont pas des crapules. Il en existe, certes, mais ce n'est pas la majorité. Ici comme ailleurs, il est nécessaire de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. En tout état de cause, il serait injuste de faire payer aux personnes bénéficiaires de ce texte les pratiques indélicates de certains employeurs et employeuses. Lors de la précédente plénière, le débat s'est déjà cristallisé sur les personnes en statut illégal travaillant au noir, et c'est dommage. Alors, dans un objectif pédagogique, il faut rappeler quelles sont les personnes concernées.
Tout le monde n'a pas un emploi avec un contrat de travail fixe et des horaires réguliers. Celles et ceux qui sont concernés sont celles et ceux qui ont perdu un emploi déjà précaire, qui ne donne pas droit à une prestation de chômage et encore moins à une allocation pour perte de gain. On peut mentionner les personnes qui ont cotisé moins d'un an à l'assurance-chômage, et il y en a beaucoup; celles et ceux qui ont un taux d'activité faible et travaillent pour plusieurs employeurs, des femmes et hommes de ménage, par exemple; celles et ceux qui ont des activités intermittentes et flexibles. Souvent, cela concerne aussi le travail au gris de personnes sans permis d'établissement, dont les employeurs utilisent les chèques-emploi, dont le nombre a fortement augmenté ces dernières années. On peut encore mentionner des étudiants pratiquant de petits jobs ponctuels. Bref, il s'agit d'un ensemble d'emplois atypiques: on ne parle pas du tout ici de travail au noir. Les sans-papiers et les travailleurs au noir ne constituent d'ailleurs, d'après l'évaluation, que 20% à 30% des bénéficiaires de ce projet de loi.
L'Union des associations patronales genevoises et la Communauté genevoise d'action syndicale se sont mises d'accord sur un certain nombre de principes sur lesquels le présent projet de loi est basé. Cette union sacrée est suffisamment rare pour être relevée ici.
A la commission des affaires sociales, nous avons pu éclaircir les points sur lesquels la précédente plénière s'était achoppée. Les procédures de demande et de remboursement ont été précisées. Une clause sur le remboursement des salaires versés a posteriori a été introduite... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...et le plafond de la prestation a été fixé à 4000 francs par mois. Ce qui semble causer un problème est la dénonciation des employeurs directement. Cette demande a été refusée en commission et le PLR souhaite la réintroduire: nous allons refuser l'amendement du PLR, car la chose ne nous convient pas. Nous ne soutenons pas du tout le travail au noir...
Le président. Merci, Monsieur le député, c'est terminé.
M. Pierre Eckert. ...mais nous estimons que ce n'est pas à travers ce projet de loi...
Le président. C'est terminé !
M. Pierre Eckert. ...que nous devons résoudre cette question. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, si la majorité de la commission des affaires sociales a été sensible à la détresse de ces personnes et à la grave détérioration de leur situation économique, les débats se sont polarisés sur l'opportunité de se référer à une aide forfaitaire plutôt qu'au revenu objectivement perdu par ces travailleurs, et enfin, pour certains, surtout sur le fait que parmi ces gens sévèrement touchés par les incidences des mesures sanitaires se trouvait un certain pourcentage de personnes sans statut légal. La commission s'est donc trouvée confrontée à la réalité de l'économie grise et du travail au noir, qui fait partie intégrante de l'économie genevoise, n'en déplaise à certains; car l'économie grise, beaucoup s'en accommodent en cas de beau temps, mais ne sont pas prêts à en assumer les conséquences en cas de crise. Rappelons, pour faire bonne mesure, que bon nombre de travailleurs au noir paient bel et bien des charges sociales.
D'aucuns soumettaient leur soutien à ce projet de loi à la condition de mesures de lutte contre le travail au noir: or, si un consensus sur la nécessité de combattre l'exploitation des travailleurs et le travail au noir a rencontré une forte adhésion au sein de la commission, une majorité de celle-ci s'opposait à ce que ce combat se fasse aveuglément, au détriment des travailleurs sans statut légal ou au noir, et ne conduise finalement qu'à les pénaliser et à leur faire perdre leur emploi.
Au sortir des travaux de la commission, le plafond des montants indemnisés a été abaissé à 4000 francs, soit, pour certains, une somme largement inférieure à la perte subie; à plus forte raison si l'on considère que l'indemnisation ne porte que sur deux mois, alors que la suspension de l'activité s'est le plus souvent étalée sur une période plus longue.
A propos de ce projet de loi, il faut encore relever non seulement le travail d'élaboration commune qui a permis d'obtenir le consensus évoqué par M. Eckert, mais aussi l'engagement sans faille des partenaires syndicaux et associatifs qui se sont mis à disposition pour aider les potentiels requérants à entreprendre leur démarche et à construire leur dossier. Ce projet de loi est indispensable aux gens qui, s'ils ont objectivement survécu à la perte de leur revenu, ont dû néanmoins souvent contracter des dettes pour ce faire ou pour payer leurs charges, loyer, assurance-maladie, etc. Il s'agit donc de leur donner la possibilité de se maintenir à flot, autant que faire se peut, et d'éviter qu'ils ne sombrent dans la spirale de l'endettement. Rappelons encore que 80% de pas grand-chose, ça fait encore moins que pas grand-chose.
Divers dispositifs d'aide ont été mis en place pour pallier les conséquences de la crise du covid-19. Celui-ci s'adresse précisément à ceux qui ne peuvent y avoir accès. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Il est donc indispensable. Si le groupe EAG déplore que le projet ait été revu à la baisse durant les travaux de la commission, il est conscient qu'il y a un impératif à ce qu'il soit voté et, plus urgent encore, à ce qu'il soit mis en application. C'est pourquoi il l'acceptera et vous invite à en faire autant. Il est important, en outre, que la clause d'urgence soit adoptée. A défaut, notre groupe vous invitera à voter l'amendement proposé par Mme Strasser. Enfin, concernant l'amendement PLR, qui exige que le requérant à cette indemnité soit tenu, entre autres, d'indiquer le nom de son employeur, à défaut de quoi il ne pourra pas prétendre à la prestation, il est inacceptable et nous vous invitons à le rejeter.
Le président. Merci, Madame la députée.
Mme Jocelyne Haller. J'aimerais juste dire encore...
Le président. Non, c'est terminé. La parole est à Mme la députée Léna Strasser.
Mme Jocelyne Haller. ...que quand on veut sincèrement lutter contre le travail au noir, on commence par pourvoir en suffisance les organes... (Le micro de l'oratrice est coupé.)
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Madame la députée, vous êtes déjà à moins dix-sept secondes. Madame la députée Léna Strasser, vous avez la parole.
Mme Léna Strasser (S). Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi est loin d'être anodin, on l'entend parmi nos rangs. Pour certains et pour certaines, il permettra de reprendre pied après plusieurs mois à gérer le quotidien avec des bouts de chandelles, de respirer à nouveau un peu plus sereinement. Mesdames et Messieurs les députés, le texte que nous nous apprêtons à voter est le fruit d'un travail intense entre le Conseil d'Etat, le département impliqué, les syndicats, les représentants patronaux et les nombreuses associations présentes sur le terrain, puis de discussions approfondies en commission avec plusieurs amendements. Il est temps que cette loi entre en vigueur comme d'autres aides essentielles déjà votées et en vigueur suite à la crise.
Je le rappelle encore une fois, ce texte touche une population variée. Unique point commun de tous ces gens: ils et elles travaillent tout au long de l'année dans des conditions qui sont loin d'être des conditions de rêve, mais pas forcément au noir ou sans permis de séjour. Vous transmettrez à nos collègues de l'autre bord, Monsieur le président: dans notre canton, nombreux sont les contrats avec lesquels il est difficile de survivre, même hors de situations catastrophiques telles que celle du coronavirus que nous avons vécue.
Nous regrettons les amendements proposés ce soir par le PLR. Ils font porter aux travailleurs et aux travailleuses le poids du travail au noir, alors qu'ils et elles ont juste besoin actuellement d'être soutenus et que ces amendements ferment la porte à nombre d'entre eux. Est-ce qu'on peut, s'il vous plaît, repositionner le curseur ? Lutter contre le travail au noir, certes, tout comme lutter contre les marchands de sommeil; mais pas ce soir: ce soir, il est temps de prendre en compte le fait que les travailleuses et travailleurs de l'ombre - qu'on oublie lorsqu'ils et elles sont invisibles, qui ont par ailleurs aussi des enfants qui vont à l'école - et les personnes au bénéfice de contrats précaires font partie comme vous et moi de notre économie et ont le droit eux aussi, elles aussi, à être indemnisés pour les revenus qu'ils n'ont pas touchés. Nous vous invitons donc toutes et tous à voter ce projet de loi avec la clause d'urgence ou du moins l'amendement qui permet de rallonger quelque peu les délais de dépôt des dossiers. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur le député François Baertschi, vous avez la parole pour cinquante-six secondes.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Le travail au noir est indigne: il favorise le dumping salarial et la misère à long terme. C'est pourquoi le MCG a déposé une résolution proposant une alternative humaine, efficace, qui permet de ne pas subventionner et indemniser le travail au noir. Nous refuserons donc avec détermination ce dispositif qui est contraire à toute notre tradition démocratique, à toute notre tradition d'Etat de droit, à tout ce qui fait Genève. Nous vous demandons instamment de refuser ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le député Marc Falquet, l'UDC n'a plus de temps de parole. Monsieur le député Cyril Aellen, vous avez la parole.
M. Cyril Aellen (PLR). Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi vise à offrir une aide ponctuelle à ceux qui en ont réellement besoin. Il concerne à 70% des gens qui séjournent ici légalement et à 30% des gens qui séjournent ici illégalement. Tous sont légitimes et admissibles aux prestations prévues par ce texte. La dignité doit être accordée à tous indépendamment du statut.
Cela étant, cette application uniforme cause aussi un problème. Deux cas. Isabelle, employée de maison avec un permis B, est engagée aux conditions du contrat type. Elle paie, comme son employeur, des cotisations sociales et elle paie, certes modestement, des impôts, comme son employeur. Pendant la période de mesures contre le covid-19, elle a perçu son salaire, son employeur ayant rempli ses obligations contractuelles. Elle n'aura droit à rien, mais cela est normal.
Jacqueline, employée de maison sans papiers, n'est pas soumise aux conditions du contrat type, a un salaire inférieur au minimum vital, ne paie pas de cotisations sociales, ne paie pas d'impôts, et, durant la même période, n'a rien touché, parce que son employeur n'a pas rempli ses obligations contractuelles. Elle aura droit à des prestations découlant de cette loi, grâce aux impôts d'Isabelle et de son employeur - mais pour le PLR, c'est toujours normal.
Cela étant, pour éviter cette situation un peu choquante malgré tout, un amendement est proposé, inspiré d'un amendement proposé par la CGAS, lui-même inspiré de la loi sur l'assurance-chômage. On demande au bénéficiaire de donner le nom de son employeur et à l'Etat de faire payer, par l'employeur, les cotisations sociales et les salaires non réellement payés.
J'entends bien qu'on ne veut pas faire cela; et pourquoi ? Pour que les employés concernés puissent retourner chez leur employeur. Non, le PLR ne souhaite pas que Jacqueline puisse retourner chez son employeur pour continuer d'être exploitée sans contrat type, avec un salaire inférieur à la norme, sans payer ses cotisations sociales, sans payer d'impôts, et avoir à nouveau un employeur qui ne respecte pas ses obligations contractuelles. C'est pourquoi nous souhaitons que ce projet de loi soit voté avec l'amendement proposé. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais qu'on revienne au sens de ce projet de loi. Le sens de ce projet de loi, c'est d'aider ceux qui passent à travers les mailles du filet social. On voit très bien que des gens n'ont aucune réserve financière, et quand ils perdent leur emploi, ils n'ont rien dans leur compte bancaire. Ces gens vont emprunter de l'argent à des taux probablement usuraires, demander à gauche et à droite qu'on les aide, car ils ont besoin d'argent tout de suite. On peut faire toutes les déclarations possibles et imaginables, avoir bonne ou mauvaise conscience, déclarer des positions philosophiques sur le travail au noir: ici, on parle de quelque chose de réel, de solide. Ces gens ont besoin d'argent maintenant, pendant deux mois. Ils ne peuvent pas attendre la fin du mois de septembre pour obtenir leur argent.
Nous avons voté des tas de lois pour aider tout le monde: je suis fier de ce pays qui a permis immédiatement de donner de l'argent aux gens qui en avaient besoin. Mais ceux qui en ont le plus besoin, on va leur dire non ce soir, parce qu'on veut afficher des postures sur le travail au noir ? C'est purement scandaleux ! Nous devons aider ces gens-là ! (Applaudissements.) Si vous voulez faire des lois sur le travail au noir, bossez, présentez-les, ces lois ! Et battez-vous pour qu'elles passent ! Ce n'est pas ce soir ni demain, ce n'est pas à travers ce projet de loi que vous allez changer quelque chose au travail au noir. On vous rappelle que 80% des gens visés ne travaillent pas au noir, paient des charges sociales, mais n'ont droit à rien du tout ! Ces gens-là ont besoin d'argent, nous devons voter ce projet de loi, et surtout pas l'amendement du PLR qui est un appel à la délation ! Je n'ai jamais vu un projet de loi, dans n'importe quelle démocratie, qui appelle à la délation ! C'est dans les pays totalitaires qu'on appelle à la délation. Je vous remercie. (Vifs applaudissements et nombreuses approbations.)
Le président. Merci. Monsieur Baertschi, vous n'avez plus de temps de parole. Monsieur Aellen, vous avez la parole pour cinquante-huit secondes.
M. Cyril Aellen (PLR). Merci, Monsieur le président. Vous transmettrez à M. Buchs que quand un citoyen demande des prestations auxquelles il a droit, il fournit un certain nombre de documents qui lui sont demandés. Ce n'est pas dans une dictature ou un pays totalitaire; ça s'appelle un Etat de droit. (Applaudissements.)
Le président. Merci. Monsieur Cerutti, le MCG n'a plus de temps de parole, comme je l'ai dit précédemment à M. Baertschi. La parole est maintenant à M. le conseiller d'Etat Thierry Apothéloz.
M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, qu'on le veuille ou non, notre société est basée sur le travail. Que se passe-t-il lorsqu'on perd ses revenus issus du travail ? Dans une situation ordinaire, nous avons droit à l'aide sociale, nous avons droit à des assurances sociales fédérales telles que le chômage, ou alors on peut vivre quelque temps encore sur ses économies. Les gens dont nous parlons aujourd'hui, celles et ceux qui n'ont pas pu cotiser suffisamment pour obtenir le droit au chômage, celles et ceux qui n'ont pas été déclarés par leurs employeurs ont perdu des revenus du jour au lendemain, par SMS, par un silence coupable. Pour faire face au loyer, aux frais des enfants et du ménage, à l'achat de nourriture, le Conseil d'Etat a proposé une loi qui vise à réparer quelque chose d'une injustice crasse.
Le texte proposé par le Conseil d'Etat ne vise pas à réparer les trous de l'aide sociale; il s'en occupera avec un projet de nouvelle LIASI, la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle. Le présent objet vise à indemniser une perte de revenu sur deux mois d'une manière unique, à hauteur de 80% du revenu déterminé. Vous l'avez dit, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est le fruit d'un compromis, d'un équilibre fragile. Ce compromis, c'est ce que nous connaissons bien en Suisse, ce noyau dur de la concordance. Ce projet de compromis est remarquable à tous points de vue: il souligne l'engagement des syndicats, des associations patronales, des associations et du Conseil d'Etat. Il a été réalisé dans l'urgence, parce que celles et ceux qui ont perdu leur revenu sont dans l'urgence de leur quotidien.
J'aimerais également souligner le travail intelligent et collaboratif fort mené en commission lors de la dernière séance: nous avons pu reprendre l'ensemble des amendements, les travailler, discuter, argumenter à leur propos, et in fine, prendre des décisions.
Dire que ce projet de loi doit également lutter contre le travail au noir, c'est ne pas le comprendre. Il s'agit d'une indemnité unique versée à celles et à ceux qui n'ont plus eu de revenu durant la période mentionnée. Le Conseil d'Etat a mené une première campagne visant à rappeler les devoirs des employeurs et des employeuses. Par ailleurs, il soutiendra la M 2651 signée par un large panel de partis, qui vise à accompagner le processus de lutte contre le travail au noir. D'ailleurs, Genève n'a pas attendu cette proposition de motion: depuis de nombreuses années, notre canton a été précurseur dans la lutte contre le travail au noir. Preuve en est notamment la masse salariale sous gestion de l'office cantonal des assurances sociales ou de Chèque service.
On peut jouer à l'autruche et dire qu'au fond, ce projet de loi vise malheureusement à ne pas répondre à l'objectif que certaines et certains députés souhaitent, c'est-à-dire lutter contre le travail au noir. En acceptant ce texte, Mesdames et Messieurs, vous allez, je le sais, faire preuve d'un courage politique important. Un courage qui implique en effet qu'on reconnaisse que des personnes ont tout perdu, des personnes que nous croisons quotidiennement dans nos rues, ici et là, et qui travaillent pour la prospérité de notre canton. Ce sont des personnes qui contribuent à notre richesse et sont exclues à tous les niveaux des fruits qu'elles nous offrent.
Mesdames les députées, Messieurs les députés, la dignité n'a pas de papiers, la dignité n'a pas de passeport. L'article 12 de notre Constitution fédérale nous enjoint, à vous et à nous, de faire en sorte que chacune et chacun, sur notre territoire, puisse mener une vie digne. Aujourd'hui, nous devons le constater et le partager, cette dignité est bafouée. Il est de notre devoir, à nous, autorités, de corriger cette anomalie, qui est une honte pour Genève. Cette honte, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez le pouvoir de l'effacer dans un moment en votant ce projet de loi tel qu'il est sorti de commission. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous procédons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12723 est adopté en premier débat par 78 oui contre 18 non.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les art. 1 à 10.
Le président. A l'article 11, nous sommes saisis d'un amendement présenté par M. Cyril Aellen:
«Art. 11, al. 2 et 3 (nouveaux)
2 Le bénéficiaire doit impérativement donner le nom et les coordonnées des employeurs dont le salaire donne droit à l'indemnité financière prévue par la présente loi; à défaut, il ne peut prétendre à aucune indemnité.
3 Le bénéficiaire doit impérativement communiquer les éléments essentiels du contrat de travail donnant droit à l'indemnité financière prévue par la présente loi, soit notamment la date de son entrée en fonction, son taux d'activité et le montant du salaire convenu.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 49 non contre 48 oui. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Mis aux voix, l'art. 11 est adopté.
Le président. A l'article 12, nous sommes saisis d'un amendement de Mmes Léna Strasser et Jocelyne Haller:
«Art. 12 Délai (nouvelle teneur)
La demande d'indemnité financière unique par bénéficiaire doit être déposée auprès du département au plus tard 90 jours après l'entrée en vigueur de la présente loi. Le Conseil d'Etat règle les exceptions.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 51 oui contre 46 non.
Mis aux voix, l'art. 12 ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 13 est adopté, de même que les art. 14 à 18.
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement de M. Cyril Aellen visant à la création d'un article 18A:
«Art. 18A Subrogation (nouveau)
1 Si le département a des indices sérieux que le bénéficiaire a droit, pour la durée de l'indemnisation, au versement par son employeur d'un salaire, ou que ces prétentions soient satisfaites, il verse l'indemnité financière prévue par la présente loi.
2 En opérant le versement, le département se subroge au bénéficiaire, dans tous ses droits jusqu'à concurrence du montant correspondant versé par le département. Le département doit faire valoir les droits dont il a obtenu la subrogation, sous réserve des cas d'extrême rigueur.»
Monsieur Cyril Aellen, maintenez-vous cet amendement ?
M. Cyril Aellen. Oui.
Le président. Très bien, nous procédons au vote.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 48 oui.
Mis aux voix, l'art. 19 est adopté, de même que l'art. 20.
Le président. L'article 21 concerne la clause d'urgence. Pour que celle-ci soit acceptée, le résultat du vote doit être la majorité des deux tiers moins les abstentions, mais au moins de 51 oui.
Mis aux voix, l'art. 21 est rejeté par 51 oui contre 47 non (majorité des deux tiers non atteinte).
Le président. La clause d'urgence est refusée, l'article 21 est donc biffé.
Troisième débat
Le président. Nous sommes saisis de deux amendements présentés par M. Cyril Aellen. Il s'agit des mêmes que ceux sur lesquels nous avons voté au deuxième débat. Nous nous prononçons d'abord sur celui portant sur l'article 11, alinéas 2 et 3 nouveaux.
Mis aux voix, cet amendement recueille 49 oui et 49 non.
Le président. Je tranche en défaveur de l'amendement.
Cet amendement est donc rejeté par 50 non contre 49 oui.
Le président. Nous passons à l'amendement sur l'article 18A nouveau.
Mis aux voix, cet amendement recueille 49 oui et 49 non.
Le président. Je tranche en défaveur de l'amendement.
Cet amendement est donc rejeté par 50 non contre 49 oui.
Mise aux voix, la loi 12723 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 51 oui contre 47 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)