Séance du
jeudi 12 mars 2020 à
17h
2e
législature -
2e
année -
11e
session -
57e
séance
M 2426-A
Débat
Le président. L'ordre du jour appelle la M 2426-A, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de Mme Marjorie de Chastonay, à qui je passe la parole.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, la commission de l'enseignement a étudié cette motion durant quatre séances, entre le 27 février et le 8 mai 2019. Lors des travaux, M. Baud, premier signataire, a présenté le texte: il invite premièrement le Conseil d'Etat à étudier des scénarios afin, d'une part, de corriger les disparités existant entre le cycle élémentaire et le cycle moyen et, d'autre part, d'optimiser l'utilisation des ressources tout au long des huit années de l'enseignement primaire; deuxièmement, à présenter une étude sur les moyens qui seraient nécessaires; et enfin, troisième point de la motion, à prévoir des dispositions concrètes propres à établir davantage d'équité et à garantir les meilleures conditions d'apprentissage au cycle élémentaire, surtout pour les 1P, qui débutent.
Selon le premier signataire, il est nécessaire de réserver davantage de moyens au 1er degré. Tel n'est cependant pas le cas dans la réalité: en matière de taux d'encadrement, il n'y a pas de réelle différenciation entre un élève de 4 ans et un élève de 12 ans, c'est-à-dire entre la 1P et la 8P. Pire, le taux d'encadrement des élèves les plus jeunes est moins bon que celui des élèves plus âgés. L'auteur de cette motion propose par exemple des classes de douze élèves pour les enfants de 4-5 ans, avec comme objectif de réduire les inégalités scolaires.
Durant les quatre séances, la commission a notamment auditionné le département. Pour le DIP, cet objet a du sens car, premièrement, les choses se jouent effectivement au plus jeune âge. Deuxièmement, les classes de 1P sont souvent très hétérogènes. Troisièmement, il ne s'agit pas de comparer les deux cycles - cycle élémentaire et cycle moyen - et donc de comparer les taux d'encadrement, mais plutôt de regarder les moyennes d'élèves par classe, ce qui n'est pas la même chose et constitue un autre débat. Le département souligne aussi qu'en comparaison intercantonale, Genève n'est pas particulièrement bon s'agissant du taux d'encadrement. Enfin, il ne pense cependant pas que la motion va régler les problématiques liées aux élèves à besoins extrêmement complexes ou à l'augmentation des violences chez les tout petits.
La commission a également auditionné la SPG, l'association des enseignants, qui signale que Genève fait partie des six cantons ayant la moyenne la plus élevée du nombre d'élèves par classe. Pour la SPG, l'article 50 de la LIP n'est pas appliqué; la loi n'est pas respectée ! Il y a un manque de ressources crasse en primaire - encore plus dans un contexte d'école inclusive. La SPG relève en outre que les enseignants sont peu formés pour gérer le comportement des élèves violents.
Enfin, la commission a également auditionné la FAPEO - la Fédération des associations de parents d'élèves de l'enseignement obligatoire - qui soutient la motion et affirme qu'avoir moins d'élèves dans des classes des petits degrés serait une bonne chose pour l'apprentissage. A long terme, il serait moins coûteux d'investir dans les petits degrés.
Mesdames et Messieurs, la commission a mené des discussions autour du questionnement suivant: augmentation des moyens ou réallocation des ressources ? Plusieurs possibilités ont été évoquées telles que les AIS, le co-enseignement, le transfert des ressources d'un cycle à l'autre ou encore les équipes pluridisciplinaires. D'un autre côté, plusieurs difficultés ont été mises en avant, comme la question des locaux, le retard dans la construction d'écoles, les postes de soutien ECSP - c'est-à-dire le soutien à la lecture notamment - l'école inclusive, etc.
La majorité de la commission pense qu'il faut effectivement renforcer les moyens à disposition du cycle élémentaire, car il s'agit d'un investissement pour l'avenir. En outre, l'augmentation démographique ne va pas améliorer la situation; il est nécessaire d'avoir des équipes pluridisciplinaires mais aussi de former les enseignants. Cette motion est souple, le département conserve sa liberté pour trouver des solutions. Au nom de la majorité, je vous recommande donc d'accepter la motion telle qu'amendée. Merci.
M. Charles Selleger (PLR). A l'heure des restrictions budgétaires - que notre parti essaye de promouvoir - à l'heure où la commission des finances n'accorde des postes supplémentaires au DIP qu'au compte-gouttes, vous ne serez pas étonnés que le PLR ait décidé de s'opposer à cette proposition de motion. Il y a peut-être une redistribution des effectifs d'enseignants à réaliser, au niveau du primaire, entre le cycle élémentaire et le cycle moyen - et pourquoi ne pas envisager, sur le long terme, de redistribuer les effectifs des enseignants entre le primaire et le secondaire I au fil des départs et des nouveaux engagements. On pourrait ainsi avoir de meilleurs taux d'encadrement au primaire, là où ils semblent insuffisants, et on diminuerait un petit peu celui du secondaire I, qui paraît être l'un des plus élevés de Suisse. En conclusion, nous nous opposerons à ce texte. Merci, Monsieur le président.
M. Stéphane Florey (UDC). Cette proposition de motion cache une certaine réalité; elle ne sert pour l'heure strictement à rien. Vous pouvez diminuer le nombre d'élèves tant que vous voulez: si la qualité de l'enseignement et des moyens d'enseignement n'y est pas - comme c'est actuellement le cas - on n'arrivera de toute façon pas à améliorer le niveau des élèves.
Deuxièmement, ce texte sert uniquement à cacher la réalité des chiffres, au niveau du budget, pour ne pas montrer ce que coûte réellement l'école inclusive. Et c'est là tout le problème: l'école inclusive nous coûte énormément depuis qu'elle est en place, mais les moyens à disposition manquent. Ça, c'est la réalité. En fait, on va diminuer le nombre d'élèves pour insidieusement «décharger», entre guillemets, les enseignants afin qu'ils aient plus de temps pour s'occuper des questions d'inclusivité.
C'est ça, la réalité de cet objet, et c'est pour ça que nous allons nous y opposer dans les grandes lignes. Non seulement il manque de réalisme, mais on n'aura de toute façon certainement pas le budget pour pouvoir l'appliquer correctement avant plusieurs années. C'est pourquoi nous proposons de refuser cette motion. Je vous remercie.
M. Grégoire Carasso (S). Quelle triste prise de position ! Vous transmettrez, Monsieur le président. Cette proposition de motion a fait l'objet de travaux sérieux en commission, de travaux documentés qui n'ont manifestement pas retenu l'attention de mon préopinant. Ceux-ci ont notamment montré que, bien avant même que le thème de l'école inclusive émerge ici ou ailleurs, le taux d'encadrement des élèves à Genève, et nous ne parlons là que du primaire - que du primaire ! - est statistiquement parmi les plus mauvais de Suisse, Monsieur le président, et pas depuis une législature ou deux mais depuis deux ou trois décennies. Nous rivalisons, si ma mémoire est correcte, avec Appenzell Rhodes-Extérieures dans les derniers chiffres qui nous ont été transmis, sachant que les enjeux de scolarisation ne sont peut-être pas rigoureusement les mêmes dans ces deux beaux cantons.
Le taux d'encadrement au primaire reste dans l'ensemble à améliorer, en particulier pour les enfants les plus jeunes âgés de 4-5 ans, en 1P et 2P, où le taux d'encadrement, le nombre d'élèves par classe, est trop élevé. Le message relativement consensuel sorti de commission appelait de ses voeux - et le département de l'instruction publique était presque raccord - une amélioration des conditions d'enseignement et d'encadrement pour les plus jeunes, au primaire, sachant que les besoins sont plus importants à 4-5 ans, lorsque l'hétérogénéité des élèves est grande entre ceux qui sont allés à la crèche et ceux qui n'y sont pas allés. Ces besoins semblaient être une évidence - évidence d'améliorer l'encadrement des plus petits au primaire au détriment des plus grands - ce d'autant plus que la motion n'aborde pas les enjeux financiers.
Ce texte, issu des rangs d'Ensemble à Gauche, évoque même l'optimisation des ressources: c'est dire s'il est timide et timoré dans ses intentions. Le groupe socialiste considère évidemment que des moyens supplémentaires doivent être alloués ! Mais nier qu'il faille améliorer l'encadrement pour les plus petits du primaire par rapport aux plus grands, c'est là quelque chose que nous trouvons absolument déprimant. Nous vous invitons donc à ne pas suivre ces oiseaux de mauvais augure UDC et PLR et à revenir au consensus dégagé en commission - large consensus - pour soutenir cette motion. Je vous remercie.
Mme Ana Roch (MCG). Comme l'ont signalé mes préopinants, Genève est le plus mauvais élève des cantons suisses au niveau du taux d'encadrement des petites classes. Il a aussi été relevé à plusieurs reprises, durant les travaux, que les choses se jouent dès le plus jeune âge: les classes les plus difficiles semblent bien être celles des tout petits, des 1P et des 2P.
Le département prône une deuxième personne dans les classes élémentaires plutôt qu'un nombre d'élèves réduit; les quelques essais menés dans le canton semblent donner raison à cette tactique. Les coûts d'une telle démarche sont très élevés et, connaissant nos finances, nous savons que cela reste utopique pour l'instant. Il est néanmoins important de renforcer les moyens accordés aux tout petits: bien qu'une diminution du nombre d'élèves ne semble pas suffire, nous pouvons déjà considérer cela comme une première mesure que le département pourrait mettre en place. Pour ces raisons, le MCG soutiendra cette motion. Merci.
M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion vise simplement à amorcer un changement - un changement de paradigme, un changement attendu. Je suis persuadé que toutes et tous dans cette salle, vous êtes convaincus de la nécessité d'accorder la plus grande attention aux élèves dès leur entrée à l'école, dès leur plus jeune âge, dès 4 ans. Tout le monde l'a dit et reconnu, mais ce constat est fait depuis des lustres, année après année, sans que rien ne change. Alors accepter cette motion donnera un signal, Mesdames et Messieurs, et on pourra peut-être enfin prendre en considération ce constat unanimement reconnu.
Pour celles et ceux qui s'inquiètent de l'aspect financier, pas vraiment abordé dans le texte, lisez les invites: il faut étudier quel scénario serait possible pour davantage d'équité entre les degrés, etc. Objectivement, il n'y a en effet pas de commune mesure entre une classe de 24 élèves de 4 ans et une classe de 24 élèves de 12 ans. Ce n'est pas du tout la même chose. Le pari fait avec cet objet, Mesdames et Messieurs les députés - il ne faut pas parler de ce qui n'y figure pas - c'est que les élèves qui seront bien encadrés dès leur plus jeune âge poseront moins de difficultés par la suite. Ainsi, au-delà du fait que cet encadrement renforcé bénéficiera bien entendu aux élèves et aux familles, une forme d'économie sera donc réalisée.
Je remercie, au nom d'Ensemble à Gauche, ceux de mes préopinants qui ont été assez clairs sur le fait que le travail en commission a été effectué, et bien effectué, et qu'il n'y a aucun risque à moins d'une certaine mauvaise foi crasse. On a évoqué les postes que la commission des finances n'a pas votés pour l'école: c'est une réalité, mais que les mêmes personnes qui les ont refusés fassent aujourd'hui semblant de le déplorer, c'est quand même un peu absurde.
Honnêtement, cette motion est rassembleuse et peut recevoir le vote de tout un chacun; laissons ensuite le département trouver des scénarios utiles pour l'école et qui bénéficieront à tout le monde. Crise ou pas crise, postes ou pas postes, il y a un changement, un tournant, à amorcer maintenant et je vous remercie de voter ce texte.
Mme Katia Leonelli (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, lors de la dernière plénière, nous avons discuté des notes de comportement comme un moyen potentiel de réduire les problèmes de discipline dans les classes trop turbulentes. Nous sommes arrivés à la sage conclusion, tous ensemble, que celles-ci ne seraient pas utiles à cet effet et que ce serait la réduction des effectifs qui permettrait véritablement d'éviter les classes avec trop de problèmes. Je l'ai dit la dernière fois et je le répète: augmenter le taux d'encadrement permet de meilleures conditions d'apprentissage, en particulier pour des élèves avec des difficultés et pour ceux à besoins particuliers.
Les disparités entre élèves sont extrêmement importantes lorsqu'ils arrivent en première primaire et c'est à ce moment-là que nous devons mettre tous les moyens à disposition afin d'investir pour leurs années scolaires à venir et de partir sur les meilleures bases possible. Même si vous ne vous souciez pas de la qualité de l'enseignement ou de l'apprentissage - ni d'ailleurs de l'école inclusive - il serait intéressant, rien qu'en termes financiers, d'évaluer, d'analyser une première possibilité pour investir dans l'encadrement des plus petits. Ces élèves auront ensuite moins de risques de doubler, tant dans le premier que dans le deuxième cycle de leur école primaire.
Le but de cet objet est donc simplement d'étudier les meilleures solutions qui permettraient d'aller dans cette direction, et ce de manière chiffrée, pour ensuite pouvoir envisager des propositions concrètes. Le texte laisse beaucoup de souplesse au Conseil d'Etat et représente surtout une simple première étape pour permettre de meilleures conditions d'apprentissage chez les plus petits, en particulier dans un contexte d'école inclusive. Ainsi, je vous encourage à voter en faveur de cette motion. Merci.
Mme Delphine Bachmann (PDC). Je me suis mise un peu en fond de classe, j'espère que ça ne pose pas de problème - il fallait bien se trouver une place. Mesdames et Messieurs les députés, le PDC s'est abstenu sur cet objet en commission: il trouvait son contenu assez peu convaincant, et ce pour plusieurs raisons. La première, c'est que le département nous a expliqué d'ores et déjà travailler sur la question du nombre d'élèves par classe. Il a par ailleurs mentionné qu'il ne faut pas seulement prendre en considération le nombre d'enseignants par rapport au nombre d'élèves: les locaux et les ressources à disposition jouent aussi un rôle dans le fait de pouvoir encadrer plus ou moins d'enfants.
Il est vrai que les disparités commencent chez les tout petits - les raisons ont déjà été citées - et qu'il est important de renforcer l'encadrement à cet âge. C'est pourquoi le PDC préfère quant à lui défendre une place d'accueil préscolaire pour chaque enfant: nous pensons - et nous en sommes convaincus - qu'on pourra faire une réelle différence si chaque enfant a droit au même accueil et au même encadrement à 3 ans. Dans un souci de cohérence avec les choix budgétaires que le parti démocrate-chrétien a faits et avec ses demandes réitérées auprès du département de privilégier la réallocation de ressources et les réformes structurelles, le PDC refusera cette motion.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je commencerai par quelques éléments d'explication à l'intention de celles et ceux qui ne sont pas au courant de la différence entre taux d'encadrement et moyenne d'élèves par classe. Je crois que tout le monde comprend ce qu'est la moyenne d'élèves par classe; le taux d'encadrement correspond au nombre d'adultes par rapport à un nombre d'enfants donné, c'est-à-dire combien on a d'adultes par enfant dans les classes.
Pourquoi y a-t-il une différence entre le cycle élémentaire et le cycle moyen ? Ce n'est pas, en réalité, parce qu'on met plus de forces par enfant au cycle moyen, mais tout simplement parce que le mercredi matin y a été rajouté: cela signifie que les élèves ont 32 périodes tandis que les enseignants en enseignent 28. Là est la différence, et pour comparer les deux cycles, il faut par conséquent ajouter l'équivalent du mercredi matin pour chaque élève du primaire. C'est donc la moyenne d'élèves par classe qu'il faut regarder pour comprendre la situation: on s'aperçoit alors qu'elle est meilleure au cycle élémentaire qu'au cycle moyen.
Par contre - par contre, et c'est là où je voulais en venir - ce qui est intéressant, et vous les demandez souvent, ce sont les comparaisons intercantonales. On nous dit fréquemment que Genève est plus généreux que les autres et qu'il en fait plus; sachez qu'à l'école primaire, que ce soit au cycle élémentaire ou au cycle moyen, nous sommes les mauvais élèves de Suisse s'agissant du nombre d'élèves par classe. Nous avons en général plus d'élèves par classe que les autres cantons suisses.
J'ai ici la dernière comparaison intercantonale, qui date de la rentrée 2017-2018 et englobe ce qu'on appelait auparavant les première et deuxième enfantines et les degrés suivants - ce n'est pas tout à fait le cycle élémentaire et le cycle moyen - mais aussi le cycle d'orientation. La moyenne en Suisse est de 18,6 élèves par classe pour les première et deuxième primaires, et à Genève de 19,5. Pour les degrés primaires trois à huit, la moyenne suisse est de 19,2 et la genevoise de 19,8. Au cycle d'orientation, la moyenne suisse est de 18,6 alors qu'elle est de 19,2 à Genève. Si je prends les chiffres actualisés de la dernière rentrée scolaire, nous étions en moyenne, pour l'ensemble de l'école primaire, à 19,94 élèves par classe en septembre et nous sommes passés à 20,11 en janvier puisque des élèves sont arrivés en cours d'année.
Mesdames et Messieurs les députés, le département ne peut que soutenir le fait que votre Grand Conseil accorde, sur le principe, des moyens suffisants à l'école primaire. Mais alors il faut un petit peu de cohérence ! On ne peut pas simplement voter une motion: il faut aussi que le budget soit accordé lorsqu'il est demandé ! Je rappelle que nous avions besoin de 55 postes supplémentaires pour l'école primaire; déduction faite des économies sur les élèves hors canton et sur les élèves du cycle, qui seront moins nombreux l'année prochaine, il en restait 36,5. Ces postes, vous ne nous les avez pas accordés et nous n'arriverons pas, sans économies, à faire une meilleure rentrée l'année prochaine que cette année.
Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs, je vous demande de vous prononcer sur cette proposition de motion.
Des voix. Vote nominal ! (Un instant s'écoule.)
Le président. Etes-vous soutenus ? (Plusieurs mains se lèvent.)
Des voix. Oui !
Le président. Oui, vous l'êtes. Nous passons au vote.
Mise aux voix, la motion 2426 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 47 oui contre 41 non et 2 abstentions (vote nominal).