Séance du vendredi 17 janvier 2020 à 14h
2e législature - 2e année - 9e session - 49e séance

P 2072-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Des moyens pour travailler, des moyens pour stopper la maltraitance envers le personnel et les personnes protégées
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 12 et 13 décembre 2019.
Rapport de M. Sylvain Thévoz (S)

Débat

Le président. Nous abordons maintenant les pétitions, dont les débats sont classés en catégorie II, trente minutes. Voici la première: la P 2072-A. La parole échoit au rapporteur, M. Sylvain Thévoz.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette pétition, qui émane des travailleurs du service de protection de l'adulte, demande trois choses simples mais vitales: d'une part l'octroi de renforts immédiats à travers l'engagement de personnel formé, d'autre part l'inscription au budget 2020 de vingt équivalents temps plein, enfin un bilan sérieux des réorganisations doublé d'un appui à la direction.

Nous avons traité cet objet en deux séances. La première a été dédiée à l'audition des pétitionnaires, la seconde à celle du conseiller d'Etat, M. Apothéloz, et de M. Aldo Maffia, directeur général de l'office de l'action, de l'insertion et de l'intégration sociales. Le constat dressé par les employés du SPAd a glacé le sang des commissaires: plus d'une vingtaine de démissions depuis 2015, sans compter les personnes priées de partir, des difficultés inhérentes au service récurrentes, des promesses non tenues, un manque de personnel, d'importants problèmes de management, une souffrance au travail extrêmement grave.

Entre 2004 et 2009, le nombre de dossiers a augmenté de 30% alors que l'effectif est resté constant - il y avait même des perspectives de diminution. En janvier 2019, la Cour des comptes a rendu un rapport préconisant l'engagement de quarante ETP supplémentaires. Les employés ont amplement relevé leur grande difficulté à oeuvrer dans un service en permanente réorganisation.

Aujourd'hui, selon les pétitionnaires, le SPAd ne répond plus aux obligations légales, les curateurs n'arrivent plus à assumer la charge de travail qui s'élève à environ 80 dossiers par personne. La souffrance est marquée, je l'ai dit, le taux d'absentéisme avoisine 20%, ce qui est énorme et proche de ce que l'on retrouve au SPMi. Comme vous le savez, les situations de vie et de logement des personnes suivies au SPAd sont de plus en plus complexes, et les réformes entreprises ont été mal comprises.

Le Conseil d'Etat a pris conscience de ces enjeux, M. Apothéloz a proposé des mesures; malheureusement, les vingt ETP demandés au budget 2020 ont été refusés par une majorité de ce Grand Conseil. La majorité que je représente aujourd'hui s'interroge: en octobre et en novembre 2019, tout le monde a voté cette pétition, à l'exception de l'UDC, et puis un mois après, au moment du budget, vous avez purement et simplement biffé les vingt postes ajoutés ! Il faudra que la droite nous explique comment elle peut faire le constat d'un SPAd qui dysfonctionne et ensuite refuser de lui attribuer des moyens pour qu'il s'en sorte.

La situation est extrêmement critique, et c'est pourquoi la commission vous enjoint non seulement de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, mais surtout de prendre acte du fait qu'il faut des postes en plus, qu'il faut des moyens en plus, faute de quoi ce service va tout bonnement sombrer. Merci.

M. Pierre Nicollier (PLR). Les bénéficiaires du SPAd font partie des citoyens les plus fragiles, mon préopinant l'a mentionné, ils ont besoin d'une protection de l'Etat, parfois même sans que cela relève de leur volonté. Malheureusement, ce service traverse des difficultés de gestion depuis plusieurs années, et le taux d'absence y atteint les 20%. L'Etat n'est plus en mesure de protéger ses concitoyens. Ces problèmes existent depuis trop longtemps, cela est indiqué dans le rapport de la Cour des comptes.

Le DCS nous a annoncé que des actions étaient en cours. Pour répondre au député Thévoz, nous espérons que le département sera capable de fixer des priorités et surtout de mettre en place les bonnes stratégies pour permettre à ce service, aux employés de l'Etat qui lui sont dévoués ainsi qu'aux bénéficiaires de trouver la sérénité. Peut-être devrions-nous nous inspirer des cantons voisins ? Nous nous réjouissons de prendre connaissance du rapport du Conseil d'Etat dans six mois et de découvrir les mesures qu'il aura entreprises. Merci.

Mme Adrienne Sordet (Ve). Cela a été dit, mais je pense qu'il est important de le répéter: le SPAd, en chiffres, c'est une augmentation des dossiers de 70% depuis 2011 contre une hausse du personnel de 30% seulement, c'est 78 dossiers par curateur ou curatrice contre 55 dossiers en moyenne dans les autres cantons, c'est un alourdissement de dix dossiers par curateur ou curatrice si nous ne prenons pas de mesures immédiates, c'est un taux de rotation de 14% et d'absentéisme de 40%, c'étaient aussi quinze postes prévus au budget 2020 qui ont été refusés - quinze postes qui, de toute façon, n'auraient pas été suffisants compte tenu de ceux dont le service a vraiment besoin. La Cour des comptes chiffre les manques de manière alarmante: il faudrait quarante postes supplémentaires pour que le service fonctionne correctement.

En bref, et pour reprendre les mots de mes nombreux et nombreuses collègues qui ont déjà abordé ce sujet, nous sommes face à un service en crise et à un personnel désemparé. Je le fus moi-même en rencontrant des pétitionnaires au bord du gouffre qui nous exposaient leur situation et qui, pourtant, refusent de baisser les bras, car iels savent que leur travail concerne la part la plus vulnérable de la population. C'est peut-être aussi cela que nous oublions; le SPAd, ce ne sont pas juste des chiffres, ce sont avant tout des personnes dans le besoin et des employés et employées désireux de bien faire qui souffrent de cette situation. Je souhaiterais sincèrement les remercier pour la démarche courageuse qu'iels ont entreprise en nous écrivant cette pétition, laquelle prend réellement une tournure d'appel à l'aide.

En commission, nous avons reçu M. Apothéloz qui nous a fait part de son inquiétude, mais aussi du sérieux avec lequel il considère cette situation. Il estimait à un peu moins de quatre ans le temps nécessaire à une réforme du service, notamment grâce aux quinze ETP inscrits au budget 2020. Tout à l'heure, mon préopinant parlait de stratégie et espérait voir le Conseil d'Etat en adopter une; Mesdames et Messieurs les députés, nous savons que ces quinze postes sont essentiels et, dès lors, lorsqu'une demande de crédit supplémentaire sera formulée, j'invite mes collègues de la partie droite de l'hémicycle à être cohérents et cohérentes, c'est-à-dire à voter ces crédits puisqu'iels soutiennent cette pétition aujourd'hui, et à ne pas nous faire faux bond comme iels l'ont fait lors du budget 2020.

La situation ne peut plus durer, notre parlement doit prendre ses responsabilités. Le groupe des Verts votera bien évidemment en faveur du renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat et espère que vous, Mesdames et Messieurs les députés, serez à la hauteur face à l'urgence de la situation. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Stéphane Florey (UDC). Cette pétition n'a plus d'objet, Mesdames et Messieurs, donc vous pouvez directement la classer. Lorsque nous l'avons traitée en commission, l'UDC l'a refusée pour deux raisons. D'une part, il ne revient pas à la commission des pétitions de se substituer à l'Etat. Ce n'est pas la première fois qu'on nous demande de fournir le travail que doivent effectuer l'Etat en tant qu'employeur et les syndicats en tant qu'employés, et la commission des pétitions a toujours refusé ce type de requête.

D'autre part, quand elle a été votée par une majorité des commissaires, nous savions déjà que la commission des finances avait biffé tous les postes sollicités par le Conseil d'Etat, ce qui fait qu'elle était déjà sans objet à ce moment-là. Ce que vous faites aujourd'hui est malhonnête: vous donnez de faux espoirs à ces employés en leur faisant croire que le vote de leur pétition va tout régler d'un coup de baguette magique. C'est totalement faux, c'est une illusion crasse, j'en ai presque honte pour vous.

Quoi qu'il arrive, l'UDC refusera cette pétition et vous invite à la déposer sur le bureau du Grand Conseil, voire à la classer, vu qu'elle est nulle et sans objet. Je vous remercie.

Mme Patricia Bidaux (PDC). Le PDC, tout comme l'ensemble de la commission, a voté le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. Pour répondre à mon collègue Florey - vous transmettrez, Monsieur le président - il est clair que les bénéficiaires du SPAd méritent une réponse. Nous espérons que le Conseil d'Etat pourra apporter les solutions nécessaires et qu'il ne pensera pas uniquement en termes d'augmentation du personnel, mais également en termes de structure. Nous remercions d'ores et déjà le Conseil d'Etat pour sa réponse, que nous souhaitons rapide, non seulement à la pétition, mais également aux recommandations de la Cour des comptes. Merci.

Mme Christina Meissner (PDC). Pour compléter les propos de ma préopinante, le parlement prend ses responsabilités, notamment à la commission des Droits de l'Homme où nous sommes également en train d'examiner la situation. Il ne s'agit pas uniquement d'une question de moyens, et nous ferons aussi notre travail en commission pour nous saisir de ce problème grave au SPAd. Merci.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de dire, en réponse aux propos de M. Florey, que ce n'est pas parce que la commission des finances a supprimé les postes indispensables au bon fonctionnement du service de protection de l'adulte que cela rend sans objet cette pétition du personnel, qui demande précisément davantage de moyens pour pouvoir remplir sa mission. Ceci est un premier point.

Quant à donner de faux espoirs, si le fait que ce parlement se préoccupe véritablement de ce qui se passe dans notre république, notamment d'un service qui n'est pas en mesure de remplir son devoir - celui de protéger un certain nombre d'adultes - si cela est un faux espoir, alors il est temps de nous alarmer.

J'aimerais revenir sur un autre aspect. Oui, cette pétition demande des ressources, mais cela fait des années que le SPAd en réclame, et comme l'a dit Mme Bidaux tout à l'heure, il ne s'agit pas uniquement d'une question de moyens, mais également de structure, et j'ajouterais même avant tout de définition d'un concept d'intervention qui ait du sens. A l'heure actuelle, l'organisation de ce service est problématique: il y a une différenciation entre intervention financière, suivi social et acquisition de l'autonomie, ce qui est un non-sens et mérite d'être réexaminé à la lumière de ce qui constitue réellement l'accompagnement social de personnes devant reprendre la maîtrise de leur vie. Cet objectif est impossible à atteindre si on ne vise qu'à s'assurer qu'elles aient simplement un logement et de quoi se nourrir, il faut également veiller à la qualité de leurs conditions de vie et à la manière dont elles gèrent leurs ressources.

Il y a une réflexion à mener à ce propos, et balancer cette pétition en considérant, comme certains l'ont fait tout à l'heure, qu'elle n'a pas de sens et qu'elle est sans objet relève d'une forme de mépris tant à l'égard des personnes qui font l'objet d'une curatelle que du personnel qui doit les accompagner, et cela n'est pas acceptable. Une majorité de la commission s'est prononcée en faveur de cette pétition, je vous invite aujourd'hui à réitérer cette adhésion, parce qu'elle est indispensable et qu'il s'agit véritablement d'une question de respect des droits humains. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, pour compléter les propos de ma préopinante, il s'agit effectivement d'une question de droits humains pour ces personnes qui sont privées de la possibilité de gérer elles-mêmes leur vie, et il est clair qu'avec les moyens actuellement à disposition, avec les structures telles qu'elles sont conçues aujourd'hui, il n'est pas possible d'autonomiser davantage ces gens. Mais ce n'est pas tout, cela va beaucoup plus loin: on se retrouve dans une situation telle que le SPAd ne peut plus procéder aux paiements courants !

J'entends ce qui est dit par certains, que les ressources ne suffisent pas et qu'il faut aussi changer la structure; des réformes sont en cours au sein du département de la cohésion sociale, mais elles ne vont pas se faire d'un claquement de doigts et, en tous les cas, elles ne suffiront pas tant le «gap» est important. La Cour des comptes demandait quarante ETP supplémentaires et le Conseil d'Etat s'est limité à en proposer quinze, c'est une requête très raisonnable mais qui sera nécessaire même si les réformes structurelles sont effectuées.

On voit quand même qu'il y a un problème de cohérence et à ce sujet, on peut rejoindre le député UDC, bien qu'il soit extrêmement cynique. Du reste, son collègue Marc Falquet est le premier à pointer du doigt la souffrance des bénéficiaires de ce service ! La réponse logique, c'est de faire preuve de cohérence, Mesdames et Messieurs du PLR et du PDC: il ne faut pas seulement renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat - ça, c'est bien joli - il faut aussi et surtout voter les crédits complémentaires, voilà la réponse qu'attendent les employés et les bénéficiaires du SPAd. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Pierre Nicollier (PLR). Pour clarifier notre propos, il ne s'agit pas de dire que le SPAd doit continuer à fonctionner avec le même nombre d'employés, mais simplement que le Conseil d'Etat, et nous soutenions déjà cette position lors de la discussion sur le budget, doit fixer des priorités et allouer les ressources aux bons endroits. Cela étant dit, nous sommes d'accord sur le fait qu'il faut plus de monde au SPAd. Merci.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, les problèmes au sein de SPAd sont sérieux, ils touchent les personnes parmi les plus fragiles de notre canton. On ne peut pas prendre cela avec distance, et si des réformes de fond sont effectivement indispensables, lorsque les collaboratrices et collaborateurs se trouvent dans une situation d'épuisement, il est également essentiel d'obtenir des renforts.

Cela fera partie des demandes de crédits que nous allons déposer de façon extrêmement urgente pour que ce service puisse se doter de personnel supplémentaire. J'entends bien ceux d'entre vous qui parlent de priorisation; or, une fois de plus, il s'agit de postes nécessitant des compétences spécifiques, une certaine spécialisation, et il nous sera difficile de déplacer des personnes d'un endroit à l'autre. Quoi qu'il en soit, je viendrai en commission vous parler des postes vacants qui seraient potentiellement disponibles, mais sachez que nous n'en avons pas beaucoup, malheureusement.

Il est important que votre Conseil prenne la mesure du danger que nous faisons courir aux personnes qui font l'objet d'une protection en ne prenant pas au sérieux la situation dans laquelle se trouve le service. Je vous encourage donc à accepter cette pétition. Merci, Mesdames et Messieurs.

Le président. Je vous remercie. Nous allons à présent nous prononcer sur les conclusions de la commission des pétitions, à savoir le renvoi au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2072 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 71 oui contre 5 non et 1 abstention.