Séance du
jeudi 16 janvier 2020 à
17h10
2e
législature -
2e
année -
9e
session -
47e
séance
PL 11772-A
Troisième débat
Le président. Nous reprenons nos travaux sur le PL 11772-A, dont le deuxième débat a été mené en novembre dernier. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à Mme la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous vous souvenez que le Conseil d'Etat avait refusé le troisième débat sur ce projet de loi, craignant une non-conformité avec le droit supérieur. Nous avons donc procédé à une analyse juridique, et je viens vous confirmer que l'article 3, alinéa 4, de la LTrait, tel qu'il a été voté - il prévoit de limiter l'accès au traitement hors classes en introduisant une obligation de domiciliation dans le canton de Genève - est manifestement, ou en tout cas très probablement, susceptible de se révéler contraire à la liberté d'établissement et à l'accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne, l'ALCP.
En effet, cet amendement que vous avez voté, Mesdames et Messieurs, qui conditionne l'accès à ce traitement à l'obligation d'un domicile sur le territoire du canton de Genève, est problématique pour différentes catégories de personnes, en particulier pour les fonctionnaires suisses qui résident dans un autre canton, par exemple Vaud, et cela au regard de la liberté d'établissement garantie par l'article 24 de la Constitution fédérale. Cet alinéa est également problématique pour les fonctionnaires suisses qui résident au sein des Etats parties à l'ALCP, notamment, bien sûr, la France voisine, au regard de l'interdiction de discrimination, consacrée par l'ALCP. Enfin, cet alinéa touche également les fonctionnaires ressortissants des Etats parties à l'ALCP au regard de l'interdiction de discrimination.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous recommande chaudement de revenir sur cet alinéa - j'ai cru comprendre qu'un amendement avait été déposé dans ce sens - car si cette disposition devait être appliquée, entraînant un refus de cette indemnité, l'application de cette loi serait susceptible de faire l'objet d'une procédure judiciaire impliquant aussi, le cas échéant - je pense que c'est le lieu de le rappeler - des coûts pour l'Etat, avec des chances extrêmement importantes, voire la quasi-assurance que le fonctionnaire faisant recours obtienne gain de cause. Voilà, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre écoute.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité ad interim. Pour toutes les raisons que Mme la conseillère d'Etat a expliquées, nous avons effectivement déposé, Monsieur le président, un amendement qui demande la suppression de l'alinéa 4 de l'article 3. Les raisons sont claires: il s'agit d'une inégalité de traitement crasse, et cet élément serait mis en cause devant n'importe quelle juridiction. Notre Grand Conseil ne devrait pas se ridiculiser et devrait accepter notre amendement qui demande d'abroger cet alinéa.
Je tiens à rappeler, Mesdames et Messieurs, qu'en réalité le projet de loi originel voulait tout simplement supprimer les traitements hors classes. Il s'agit d'une disposition que le Conseil d'Etat a utilisée pour contourner la suppression du fameux quatorzième salaire. C'était la raison pour laquelle nous avions déposé ce projet de loi. Il a été quelque peu modifié avec cette disposition émanant d'une proposition du MCG. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, je vous propose de supprimer cet alinéa 4. Merci.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Le groupe MCG refusera l'amendement proposé par le groupe socialiste. S'agissant de l'argumentaire sur l'obligation pour les fonctionnaires de résider dans le canton pour des postes clés, cela se pratique dans d'autres pays, comme la France, l'Italie, et j'en passe. Certains pays n'acceptent même pas que des étrangers travaillent dans la fonction publique. Cette pratique est aujourd'hui également appliquée par certains établissements bancaires. Si vous êtes cadre supérieur ou si vous accédez à des postes sensibles dans certains milieux bancaires, on vous oblige à être domicilié dans le canton dans lequel vous travaillez. Mesdames et Messieurs, je vous invite donc fortement à soutenir ce projet de loi tel qu'issu du deuxième débat.
M. Christo Ivanov (UDC). Nous avons déjà eu un débat sur cette question. Le groupe UDC campera sur ses positions en refusant le projet de loi et en défendant le maintien du statu quo. Je vous remercie.
M. François Baertschi (MCG). Pour le groupe MCG, la liberté d'établissement n'est pas en cause avec notre proposition. Avec ce projet de loi, chacun est libre de s'établir où il veut. Chacun est libre également de choisir un statut le plaçant dans les classes de salaires ordinaires ! C'est tout à fait logique: on veut habiter hors du canton de Genève, OK, on reste dans les classes de salaire qui concernent tout membre de la fonction publique. C'est la logique, la logique même ! D'ailleurs, je m'étonne que les socialistes ne nous suivent pas sur ce terrain-là ! Est-ce qu'ils défendent des privilèges ? Les privilèges des très hauts salaires qui devraient pouvoir s'établir de l'autre côté de la frontière ? Je ne sais pas, mais cet internationalisme des privilégiés fait un peu penser à la gauche caviar ! Je m'étonne, quand j'entends le député Velasco, que je connais, qui n'est pas dans une logique de gauche caviar, au contraire... (Rire.) ...et que je le vois, curieusement, rejoindre certaines rives où je ne l'attendais pas. Je m'en étonne ! Vous transmettrez, Monsieur le président, au rapporteur de minorité, sauf erreur - ou de majorité, je ne sais plus ! Les minorités et majorités ont changé entre-temps, donc vous m'excuserez de ces petites méprises.
Il n'y a pas de raison de pouvoir obtenir un traitement hors classes tout en habitant hors du canton. C'est vouloir le beurre et l'argent du beurre: c'est-à-dire recevoir de gros salaires et payer ses impôts hors de Genève. Non, le groupe MCG ne veut pas de ce genre de pratiques, et nous vous recommandons de voter le projet de loi tel que nous l'avons amendé et de refuser l'amendement du groupe socialiste.
M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, pour Ensemble à Gauche, la situation est assez claire. On l'a dit, mais on le redit: actuellement, rien ne justifie que des fonctionnaires puissent bénéficier d'un traitement hors classes, c'est-à-dire qui ne rentre dans aucune grille salariale et est donc fixé au bon vouloir du Conseil d'Etat. C'est absolument ahurissant dans une fonction publique. Si ces hauts fonctionnaires ont des qualités exceptionnelles, ils ont avant tout la volonté de travailler pour le service public et il doit y avoir une égalité de traitement, dans le sens où le traitement et le salaire de chacun sont fixés par une grille connue et validée par le parlement.
Le bon sens voudrait qu'on accepte ce projet de loi qui abroge cet article 3 de la B 5 15; du coup, cet amendement, on n'en parlerait même pas ! C'est ça qu'il faut garder à l'esprit ! Evidemment que cet amendement du MCG - ou de l'UDC, je ne sais plus - qui exige que les bénéficiaires de ces traitements hors classes habitent le canton de Genève est ridicule et sûrement illégal. Sur ce point, nous rejoignons bien entendu la conseillère d'Etat, Mme Fontanet. C'est donc évident qu'il faut le refuser et, ensuite, voter l'abrogation de cet article 3. Il doit être évacué de nos lois, Mesdames et Messieurs les députés. C'est important par rapport à l'image de l'Etat de Genève que les salaires des fonctionnaires soient connus de toutes et de tous. Merci.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le parti démocrate-chrétien est clairement opposé à ce projet de loi, qui n'est qu'un texte réactif et excessif. Pour notre groupe, le patron de la fonction publique, c'est le Conseil d'Etat, et il n'appartient pas au Grand Conseil de se mêler de la gestion des ressources humaines de l'Etat. Il n'y a aucun signe de gestion incorrecte et le Conseil d'Etat a besoin d'une marge de manoeuvre et de souplesse pour la gestion de ses ressources humaines. Le parti démocrate-chrétien lui fait confiance dans ce domaine. Pour toutes ces raisons, nous refuserons ce texte et nous vous remercions d'en faire de même.
M. Cyril Mizrahi (S). Monsieur le président, vous transmettrez à M. Baertschi que le réel privilège dans cette affaire, c'est simplement le traitement hors classes. Le parti socialiste, qui ne fait pas partie, lui, de la gauche caviar, se bat clairement contre ces traitements hors classes, pour qui que ce soit. La position de lutte contre les privilèges, Monsieur Baertschi, ce n'est pas simplement de restreindre le cercle de privilégiés, c'est de supprimer complètement ces privilèges ! Nous verrons tout à l'heure si les tartuffes du PLR et du PDC... (Commentaires.) ...continuent à soutenir cet amendement illégal du MCG dans le simple espoir de faire échec à ce projet de loi ou bien s'ils suivent l'avis juridique de la conseillère d'Etat et votent raisonnablement cet amendement proposé ici. Je vous remercie.
M. Christo Ivanov (UDC). Le groupe UDC refusera l'amendement socialiste. Si l'amendement est refusé, il acceptera le projet de loi. Merci.
Le président. Merci. La parole est à M. le député Baertschi, à qui il reste une minute.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Avec un traitement de plus de 280 000 francs - véritablement 280 000 francs par année, quand même ! - on peut attendre des personnes qui touchent cette somme qu'elles résident dans le canton de Genève. On est un peu fous, à Genève ! On se trouve dans une situation où on importe la pauvreté et exporte la richesse. Alors continuons ! Continuons à exporter la richesse ! Continuons à exporter la richesse des fonctionnaires hors classes, des fonctionnaires les mieux payés de l'Etat ! Faisons en sorte que nos impôts partent dans le canton de Vaud, en France voisine, pour une consommation dans les lieux où ces personnes vont habiter...
Le président. Il vous faut terminer, Monsieur Baertschi !
M. François Baertschi. Merci, Monsieur le président. (Commentaires.) C'est une question de politique générale. Il faut vraiment prioriser...
Le président. Je vous remercie.
M. François Baertschi. ...les résidents genevois. Le MCG vous remercie.
M. Cyril Mizrahi (S). Ce qui vient d'être dit est intéressant, Monsieur le président, et je tiens à souligner le sens des priorités du MCG, qui nous explique bien gentiment que la priorité est que des personnes résidant ici puissent toucher des salaires avoisinant les 280 000 francs par an. Ce n'est pas la priorité des socialistes et de la gauche, qui sont ceux et celles qui se battent ici véritablement contre les privilèges. Merci de votre attention.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité ad interim. Monsieur le président, vous transmettrez à M. Baertschi que ce n'est pas une question de privilèges. La question, pour nous, c'est l'égalité de traitement. Effectivement, il y a un privilège; mais l'égalité de traitement, dans le cadre d'un privilège, est importante ! Monsieur Baertschi, vous comprendrez que si une personne effectuant exactement le même travail qu'un résident genevois devait gagner moins pour la seule raison qu'elle est française ou autre et qu'elle habite de l'autre côté de la frontière, alors même qu'elle fait exactement le même travail, ce serait une inégalité de traitement crasse !
Nous, ce que nous voulons, c'est justement supprimer ce traitement hors classes. Nous voulions supprimer cela, tout simplement ! Maintenant, vous n'avez pas déposé un postulat ou un projet de loi demandant que tous les fonctionnaires de l'Etat de Genève habitent dans le canton. Ce n'est pas ça que vous avez demandé. Vous acceptez effectivement que des fonctionnaires - c'est notamment le cas des policiers, je crois - habitent en Valais, dans le canton de Vaud, ou ailleurs, en France voisine ! Est-ce que ces policiers qui habitent en France voisine devraient gagner moins que les policiers qui habitent à Genève ? La question que vous posez me semble extrêmement délicate ! Nous, nous sommes pour l'égalité de traitement. L'égalité de traitement ! Si vous voulez vraiment aller dans ce sens, comme nous, vous devriez accepter ce projet de loi qui veut justement supprimer ces privilèges. Voilà, Monsieur le président. Je vous remercie.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Je pense que le rapporteur de minorité se méprend s'agissant du but de ce projet de loi. Ces personnes qui travaillent à l'Etat occupent des postes clés et sensibles et sont bien rémunérées. Je ne vais pas entrer dans les détails, je pense que toutes celles et tous ceux qui ont un minimum de bon sens comprendront. Le but de ce projet de loi est que ces personnes - ainsi que cela se pratique dans certaines sociétés et dans certaines banques - résident dans le canton dans lequel elles travaillent, tout simplement. Il ne s'agit pas d'inégalité de traitement, c'est une question de bon sens et il s'agit de préserver l'intérêt du canton et des communes. Merci.
Le président. Merci bien. Nous allons passer au vote des amendements - je rappelle que nous sommes au troisième débat. Je mets aux voix en premier lieu la proposition de M. Baud, qui consiste à supprimer l'article 3 «Traitements "hors classes"» de la LTrait, revenant ainsi à la proposition initiale du projet de loi. Je rappelle que l'abrogation de cet article prévue par le projet de loi avait été annulée par l'amendement MCG accepté lors du deuxième débat en novembre dernier et que les trois alinéas de l'article 3 LTrait avaient donc été rétablis.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 55 non contre 38 oui.
Le président. Nous sommes saisis d'un deuxième amendement à l'article 3 déposé par M. Alberto Velasco, consistant à abroger l'alinéa 4. Je rappelle la teneur de cet alinéa 4, ajouté par l'amendement du MCG accepté lors du deuxième débat:
«Art. 3, al. 4 (nouveau)
Les bénéficiaires des traitements "hors classes" sont domiciliés sur le territoire du canton de Genève.»
L'amendement de M. Velasco que je soumets maintenant à vos votes propose donc de supprimer cet alinéa.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 48 non contre 45 oui.
Le président. Nous procédons maintenant au vote final de cette loi dans son ensemble.
Une voix. C'est oui, le PS ! C'est votre projet de loi ! (Rires.)
Une autre voix. Ouais ouais ouais, merci, hein ! (Rires. Commentaires.)
Mise aux voix, la loi 11772 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 51 oui contre 39 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)