Séance du
vendredi 22 novembre 2019 à
18h
2e
législature -
2e
année -
7e
session -
40e
séance
PL 12524-A
Premier débat
Le président. Nous terminons cette séance avec le PL 12524-A, classé en catégorie II, trente minutes. La parole est à M. Christo Ivanov, rapporteur de majorité.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. J'ai oublié mon écriteau, mais je pense que tout le monde me connaît, donc c'est bon ! (Rires. Commentaires.) Ce projet de loi déposé par le groupe Ensemble à Gauche veut supprimer l'imposition partielle sur les dividendes. (M. Jean Batou rit.) Qu'est-ce qu'il y a, Monsieur Batou, vous avez un problème ? (M. Jean Batou rit et l'orateur rit à son tour.)
M. Pierre Vanek. Aucun !
M. Christo Ivanov. Les revenus de la fortune doivent être taxés sur le même pied que ceux du travail. Je pense que là, on approche quasiment une forme de délire ! En effet, l'imposition partielle des revenus provenant des participations détenues dans la fortune commerciale touche bon nombre d'entreprises, de PME et de PMI. Le projet de loi prévoit d'abroger l'article 19B et l'article 22, alinéa 2, de la LIPP, pour également supprimer le rendement de la fortune immobilière.
Une voix. Mobilière !
M. Christo Ivanov. Le patron qui va au charbon tous les matins à 5h30 - c'est mon cas, n'en déplaise à certains - est généralement celui qui est un gros actionnaire de sa propre entreprise, notamment dans sa PME, ce qui est mon cas. Ceux que visent les auteurs de ce projet de loi, ce sont ceux qui ne mouillent pas leur chemise et qui sont justement les petits actionnaires en bourse ou les spéculateurs qui ne possèdent jamais 10% d'une entreprise. Celui qui n'a pas de participation qualifiée, c'est-à-dire le spéculateur visé par le premier signataire de ce projet de loi, est précisément imposé à 100% sur les dividendes qu'il reçoit. Or l'atténuation de la double imposition économique vise justement à soulager le petit patron qui travaille déjà dans son entreprise, qui verse des salaires et qui a une substance réellement doublement imposée. Si votre entreprise réalise par exemple 100 millions de francs de bénéfice... Non ! 100 000 francs, n'exagérons rien ! (Rire. Commentaires.) ...vous payez l'impôt sur le bénéfice à hauteur de 14% aujourd'hui...
Une voix. 24 !
M. Christo Ivanov. ...et de 13,99% demain suite au vote de la RFFA, ainsi que sur le solde qui est distribué à l'actionnaire. C'est le même montant. Celui-là est imposé sur son revenu. Il est ainsi imposé deux fois exactement sur le même substrat. C'est bien pour cela qu'aujourd'hui, beaucoup de patrons de petites entreprises ne versent pas de dividendes, parce que le taux d'imposition est trop élevé. A cela s'ajoute le fait d'être imposé sur son revenu malgré la RFFA. Les fiduciaires conseillent toujours aux patrons de se verser un salaire pour éviter la double imposition économique. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission fiscale vous demande de refuser ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Chers collègues, nous abordons une question tout à fait sérieuse. L'imposition des salariés et celle des retraités se fait sur 100% de leurs revenus. Or, il existe une catégorie de la population, soit 1600 contribuables à Genève, qui touchent un revenu important, celui de leurs dividendes, et qui sont imposés sur 60% à 70% de ce revenu, selon qu'il s'agit d'une fortune commerciale ou d'une fortune privée. Cela signifie qu'il existe une catégorie de contribuables qui, quand ils déclarent 1000 francs, ne sont imposés que sur 600 ou 700 francs. Ce serait un rêve pour tout le monde, pour l'ensemble de la population, d'être imposé de cette manière-là. (Commentaires.) On nous dit qu'il y a une double imposition économique, parce que l'entreprise est imposée sur le bénéfice et l'actionnaire sur son revenu. Eh bien, les actionnaires ont une chance inouïe ! Comme le disait François Mitterrand, et je m'excuse auprès du député de l'UDC qui est assis à côté de moi, les actionnaires sont ceux qui gagnent de l'argent en dormant.
M. Christo Ivanov. Il sait de quoi il parle !
M. Jean Batou. Evidemment, il ne s'agit sans doute pas de notre ami Christo Ivanov... (Commentaires.) ...mais d'une grande partie des actionnaires, des familles d'actionnaires qui gagnent des fortunes en dormant. Je voudrais prendre un exemple qui concerne en particulier l'UDC: c'est la famille Blocher.
M. Christo Ivanov. Aah !
M. Jean Batou. Voyez-vous, la famille Blocher - pas la cheffe d'entreprise, mais toute la famille - a empoché 293 millions de francs de dividendes en 2017... (Commentaires.) ...et 318 millions en 2018. Le parti des petites gens...
M. Christo Ivanov. 300 ?
M. Jean Batou. 318 millions en 2018.
M. Christo Ivanov. Je note !
M. Jean Batou. Moi, je fais un pronostic: avec la RFFA, bien sûr, les bénéfices nets des entreprises vont augmenter, puisque l'imposition va diminuer. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Or, comme la part du bénéfice net distribué en dividendes est aujourd'hui en Suisse de 70% - c'est-à-dire que 70% des bénéfices nets sont distribués en dividendes, contre 30% en 1990, vous voyez donc que la richesse créée par le travail et par les travailleurs vient en réalité pour l'essentiel aujourd'hui s'ajouter aux revenus des actionnaires - ces actionnaires devraient être imposés au moins sur 100% de leurs revenus. Je vais même dire plus: ils devraient participer aux cotisations sociales ! Il est inexplicable que les salariés soient imposés sur 100% de leurs revenus, en plus de cotiser à l'AVS, à l'AI, à leur caisse de deuxième pilier, etc. On serait donc autorisé à parler au sens large d'une double imposition des salariés, alors que l'argent que les actionnaires gagnent en dormant n'est pas imposé à 100% et qu'en plus, on ne cotise pas dans ce cas aux assurances sociales.
De surcroît, la Suisse est la championne du monde toutes catégories de la distribution de dividendes confondues: dans notre pays, on estime en effet les dividendes distribués par les entreprises suisses à environ 50 à 60 milliards, c'est-à-dire quasiment autant qu'en Allemagne ! Plus qu'en Italie ! En dépit de l'importance de la population et de la taille des économies, la Suisse est la championne du monde, et comme le dit Nicolas Bürki, de Mirabaud Asset Management, qui n'est pas un de mes amis intimes...
M. Christo Ivanov. Ah bon ?! (Commentaires.)
M. Jean Batou. ...dans «Le Temps» du 28 janvier 2018: «Dividendes: des actionnaires suisses choyés jusqu'au plafond». «Choyés jusqu'au plafond» ! Je ne sais pas si l'expression est belle, mais elle est parlante. Donc, en imposant simplement à 100% - justice la plus élémentaire - les revenus des gros actionnaires - ceux qui ont des participations qualifiées, donc au moins 10% du capital - comme on impose 100% du revenu des retraités à l'AVS ou des modestes salariés, d'après les simulations que la commission fiscale a reçues et en tenant compte de la toute petite modification introduite par la RFFA, le canton de Genève - communes et Etat réunis - pourrait encaisser environ 100 millions de francs de recettes supplémentaires. Voilà une bonne idée - parce que je crains que cette idée ne séduise pas une partie de ce parlement...
Une voix. Meuh non ! (Commentaires.)
M. Jean Batou. ...une partie significative de ce parlement - voilà une bonne idée d'initiative populaire ! Je suis sûr que la population serait heureuse d'apprendre qu'il existe une catégorie de 1600 personnes qui ne paient pas les impôts comme tout le monde sur l'ensemble de leurs gains, mais seulement sur 60% ou 70%, qu'elles ne cotisent pas aux assurances sociales sur ces gains, et que simplement en les traitant comme le reste de la population, on réduirait le déficit public d'une centaine de millions. Merci.
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Mes interventions aujourd'hui se suivent et se ressemblent. Je ne vais pas parler du fond, une fois de plus: c'est un sujet connu, archiconnu. Je me répète, mais après la RIE III, après le PF 17, après la RFFA, après l'initiative «Zéro pertes» traitée le 31 octobre, après le PL 12223 dont on vient de parler, voilà que l'on relance le sujet de l'imposition des entreprises. Le PLR refusera évidemment ce projet de loi, qui vise à créer une double imposition et qui ne laisse même pas à la RFFA le temps de déployer ses effets.
Ce que j'aimerais dénoncer, c'est la méthode, cette sorte de guérilla parlementaire qui nous est imposée par l'extrême gauche, cette sorte de flibuste. (Rires.) Certains pourraient en rire - Monsieur Batou, je vous vois rire - mais cela a d'énormes conséquences, tant sur le parlement, qui est tiré vers le bas, que plus globalement sur nos institutions, qui sont tout simplement détournées, qui sont bloquées. L'ordre du jour gonfle, les débats deviennent totalement inutiles, et Ensemble à Gauche, dans une stratégie perverse, voire machiavélique... (Rires.) ...entraîne avec elle, avec lui, les Verts ainsi que le PS qui a peur d'être dépassé par la gauche et qui se sent obligé de cautionner ces projets de lois.
Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les citoyens se détournent de la politique, qu'il soit difficile de motiver des personnes à s'engager, que des parlementaires démissionnent - je pense en particulier à l'une des dernières démissions au sein du PLR, un entrepreneur qui a fait le constat, après quelques années, qu'il avait une entreprise à faire vivre, des salaires à verser, et qu'il avait peut-être bien mieux à faire que de ressasser toujours les mêmes sujets: il s'est certainement lassé.
Le but de mon intervention n'est pas de vous convaincre, Monsieur Batou - vous transmettrez, Monsieur le président - ni même de convaincre l'extrême gauche, mais peut-être de sensibiliser des partis un peu plus raisonnables - je pense aux Verts et au PS - pour leur demander d'éviter de tomber systématiquement dans cette stratégie, dans cette... dans ce bateau ! (Rire.) Pour éviter un mauvais jeu de mots ! Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Yvan Rochat (Ve). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je vais devoir décevoir notre camarade Alexandre de Senarclens, vous transmettrez, Monsieur le président.
Une voix. C'est le mot: camarade ! (Rire. Commentaires.)
M. Yvan Rochat. Ainsi va la vie au sein de la majorité de ce Grand Conseil, la droite élargie, fiscalement aveuglée. Non contente de mettre en coupe réglée les revenus de l'Etat, elle s'oppose également aux principes d'égalité les plus élémentaires. Pour cette majorité-là, les revenus du capital doivent être protégés, imposés seulement partiellement, alors que les revenus du travail, les salaires de celles et ceux qui bossent, eux, subissent l'imposition entière. Quelle absurdité, quel cynisme de privilégier les dividendes plutôt que les salaires et de refuser une égalité de traitement entre ces deux sources de revenus !
Les Verts ne sont pas dupes. Derrière les arguments alambiqués - ici les PME, là la double imposition - il n'y a qu'une seule chose qui compte: les cadeaux à une minorité qui tire ses revenus des dividendes et la volonté d'appauvrir l'action de l'Etat, de creuser les déficits. Cette année, ils sont de 580 millions pour le budget de fonctionnement du canton. C'est donc pour ces raisons de responsabilité basique et de justice fiscale élémentaire que notre groupe votera l'entrée en matière sur ce projet de loi. Merci.
Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'il n'aura échappé à personne que la situation financière de notre canton est critique, notamment en raison de l'acceptation de la RFFA et de la modification du taux d'imposition sur le bénéfice des entreprises. Or aujourd'hui, si l'on veut permettre le fonctionnement de l'Etat, la pérennité des prestations, le renforcement des services publics, il va falloir réfléchir à de nouvelles recettes fiscales, et ce projet de loi s'inscrit dans cette logique, qui est celle de faire rentrer un certain nombre de revenus pour notre canton et pour l'assurance de nos prestations à la population. D'ailleurs, il s'attaque véritablement à une situation d'inégalité, cela a déjà été dit par certains de nos préopinants. Aujourd'hui, les dividendes n'étant que partiellement imposés alors que les revenus du travail le sont complètement, l'imposition sur le capital est minorée par rapport à l'imposition sur le travail. C'est une inégalité fiscale extrêmement claire. Enfin, pour répondre quand même à M. de Senarclens - vous lui transmettrez, Monsieur le président - le parti socialiste monte très volontiers dans le bateau qui veut lutter pour une justice fiscale. C'est la raison pour laquelle nous accepterons ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Juste une précision pour notre collègue de Senarclens, qui nous a dit que la population se détournait de la politique. Je crois qu'il confond.
Le président. Vous avez terminé !
M. Jean Batou. La population s'est légèrement détournée du PLR récemment, c'est tout.
Une voix. Voilà !
Le président. Merci. Je passe la parole au rapporteur de majorité, M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Il y a beaucoup de choses à dire. J'ai entendu que, avec ironie, on parle de François Mitterrand. Effectivement, un président collabo en France, qui défendait...
Des voix. Oooh !
M. Christo Ivanov. ...qui défendait le chef de la police de Vichy, son ami jusqu'à la mort, par fidélité... (Commentaires.) C'est la pure vérité, même si cela ne vous plaît pas, c'est la pure vérité ! (Remarque de M. Romain de Sainte Marie.) Il me semble que la Suisse n'a jamais été dans la collaboration, Monsieur de Sainte Marie, vous transmettrez, Monsieur le président ! (Commentaires.) Merci beaucoup.
En ce qui concerne les attaques contre la famille Blocher, je ne suis pas là pour la défendre, ni pour défendre l'entreprise Ems-Chemie, mais en l'occurrence, ils font travailler plus de six mille personnes dans le canton des Grisons et dans d'autres cantons suisses - ils ont notamment racheté l'entreprise industrielle de feu notre ancien collègue Georges Letellier, leader mondial dans le domaine du nettoyage industriel par ultrasons.
Je m'étonne toujours des attaques contre les entreprises; c'est toujours le même discours. Je le redis pour la millième fois et je le redirai encore et encore: nous nous levons tôt le matin, nous payons des salaires, nous payons des charges sociales avant de nous payer nous-mêmes ! (Commentaires.) Donc arrêtez de tirer sur l'économie, arrêtez de tirer sur les entreprises, car dans ce canton, sans les entreprises et sans les forfaitaires fiscaux, il n'y aurait pas de filet social et nous n'aurions pas les moyens de payer tout le social que nous payons, car Genève est le canton le plus généreux de Suisse pour les prestations sociales ! Pour toutes ces raisons, il convient de refuser ce projet de loi. Je vous remercie. (Remarque.)
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Oui, l'Etat a besoin de revenus fiscaux, mais il a surtout besoin, Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Mme Nathalie Fontanet. ...de conserver ses contribuables.
Une voix. Voilà !
Mme Nathalie Fontanet. J'ai pour habitude de rappeler devant votre plénum, et je ne vais pas manquer de le faire à nouveau, les pyramides fiscales dans notre canton et les chiffres y relatifs, en particulier le fait qu'à Genève, les pyramides fiscales reposent sur la pointe: 1,2% des contribuables paient 66,4% de l'impôt sur la fortune. 0,2% des contribuables paient 20,3% de l'impôt sur le revenu. Or, les contribuables - les personnes physiques - sont encore moins captifs que les entreprises et que les personnes morales.
Remodifier maintenant l'imposition sur les dividendes, alors que celle-ci a été augmentée dans le cadre de la votation sur la RFFA, que nous avons exploité largement la marge de manoeuvre qui était donnée aux cantons... Je rappelle que le droit fédéral nous indiquait un minimum et que nous sommes allés au-delà: nous sommes passés d'une imposition de ces dividendes de 60% à 70% dans la fortune privée et de 50% à 60% dans la fortune commerciale. Cela suffit, Mesdames et Messieurs. Maintenant, respectons les contribuables de notre canton, car ils paient et fournissent à l'Etat 82% de ses revenus. Cela nous permet de financer nos politiques publiques. Je vous encourage donc à refuser ce projet de loi. Merci.
Le président. Merci. Mesdames et Messieurs, je vous invite à vous prononcer sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12524 est rejeté en premier débat par 51 non contre 36 oui et 1 abstention.