Séance du
vendredi 22 novembre 2019 à
18h
2e
législature -
2e
année -
7e
session -
40e
séance
PL 12249-A
Premier débat
Le président. Nous traitons le point suivant en catégorie II, trente minutes. (Un instant s'écoule.) Vous voulez rester à votre place, Monsieur Guinchard ? Monsieur Guinchard ? Vous pouvez rester là, si vous voulez: vous êtes blessé ! (Commentaires.) Restez là, il n'y a aucun problème. (Remarque.) Il n'est pas blessé, il est malade, mais avec les béquilles... (Commentaires. Un instant s'écoule.) En attendant, je passe la parole au rapporteur de minorité, M. Jean Batou.
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Le rapporteur de minorité parle le premier, d'accord ! Merci, Monsieur le président. On nous soumet un projet de loi qui vise à instituer une nouvelle niche fiscale pour une catégorie de privilégiés, c'est-à-dire pour ceux qui disposent d'un troisième pilier B - la prévoyance individuelle non liée - à savoir d'une assurance-vie, de capitaux d'épargne, etc. Cette déduction, qui existe à Genève et à Fribourg et relève d'une décision cantonale, eh bien notre collègue Yvan Zweifel, spécialiste de l'optimisation fiscale, propose de la doubler !
Ce doublement fera perdre à l'Etat 7,2 millions - l'équivalent d'une cinquantaine ou d'une soixantaine de postes - au profit de qui ? Au profit d'une toute petite minorité de la population, probablement 5% des contribuables, qui va voir ses impôts diminuer. On nous avait annoncé que la RFFA - encore la RFFA - était la réforme fiscale majeure et qu'on allait rester sage sur les déductions accordées aux privilégiés, personnes physiques. Eh bien non ! Une fois la votation acquise, le travail de grignotage se poursuit et nous aurons des propositions de ce type tous les trois mois. C'est mon privilège de député de gauche à la commission fiscale d'assister tous les mardis à une séance qui commence par: à qui va-t-on faire un cadeau aujourd'hui parmi les privilégiés de ce canton ? (Remarque. Rire.) Et alors moi... Que dire devant ces questions ? Nous devrions avoir la décence d'arrêter de faire des cadeaux - cinq millions par-ci, dix millions par-là - toujours aux mêmes, c'est-à-dire aux privilégiés de ce canton.
Ce projet de loi aura pour conséquence d'introduire une sorte d'évasion fiscale légale. Tiens, en plus de mon troisième pilier A, je vais avoir un troisième pilier B et une partie de mes revenus sera donc systématiquement déduite de mes impôts ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Cela s'ajoute à tous les autres cadeaux fiscaux, beaucoup plus importants, dont bénéficient déjà les privilégiés de ce canton: le bouclier fiscal pour 150 millions et l'imposition partielle des dividendes pour une centaine de millions. Tout cela explique le manque de ressources des collectivités publiques.
Nous ne vivons pas une crise des dépenses mais une crise des recettes ! Parce que les inégalités se creusent, parce qu'il y a toujours plus de pauvres et toujours plus de riches, si nous voulons maintenir ces recettes à la hauteur des besoins de la population, n'en déplaise à Mme Bachmann - vous transmettrez, Monsieur le président - il faut prendre dans les poches de ceux qui n'arrivent plus à bourrer les leurs des ressources dont ils s'engraissent pour partager un peu la richesse avec ceux qui peinent. Ça me navre évidemment un peu de rappeler ça à un parti qui s'appelle non seulement démocrate mais aussi chrétien.
Des voix. Ah !
M. Jean Batou. Eh oui ! Le partage devrait être dans votre génome - le partage entre ceux qui ont trop et ceux qui n'ont pas assez. Ce qu'on nous propose aujourd'hui, c'est un cadeau et j'espère que vous aurez la décence de le refuser ! Après l'ensemble des cadeaux qui vous ont été accordés à vous et à vos milieux, j'espère vous aurez la décence de refuser une nouvelle déduction fiscale à hauteur de 7,2 millions en moins pour les finances publiques. Merci.
M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Le rapporteur de minorité soupçonne la droite de ce parlement, notamment les commissaires délégués à la commission fiscale, de se demander à qui elle va faire des cadeaux lorsque nous nous réunissons chaque mardi. Peut-être que le même rapporteur de minorité se demande quant à lui, avant chacune de ces séances, à quelle entreprise prédatrice - et bien entendu exploiteuse - il va s'attaquer ce jour-là. C'est systématiquement, ou du moins régulièrement, ce que la gauche et l'extrême gauche de ce Grand Conseil font.
Mesdames et Messieurs les députés, les travaux de la commission consacrés à ce projet de loi présenté par le PLR ont - comme d'habitude, je dirais - été fouillés et propices à un traitement rapide, approfondi et circonstancié du texte. Nous avons d'ailleurs obtenu de l'administration - et je l'en remercie - tous les renseignements pertinents nous permettant de prendre une décision. Il faut savoir qu'un certain nombre d'incertitudes planent sur notre deuxième pilier, et elles sont évidemment aggravées par les faibles rendements des placements que l'on constate aujourd'hui.
L'objectif du projet de loi - il est souhaitable et salutaire - est simplement de favoriser d'autres formes de prévoyance que l'AVS, qui se trouve maintenant consolidée par la RFFA pour un certain nombre d'années, et le deuxième pilier. C'est pour cela qu'on vous propose cet objectif: mieux valoriser les économies personnelles faites par le biais du troisième pilier. Certes, et le département l'a relevé à plusieurs reprises, cela entraînerait une perte de 7,2 millions pour notre canton et seuls 5% des contribuables seraient touchés - le rapporteur de minorité l'a mentionné et je dois avoir l'honnêteté de le reconnaître. Mais ce sont 5% des contribuables d'une classe moyenne que nous tenons à défendre et à laquelle nous essayons de permettre de mettre des économies de côté.
Je l'ai rappelé, le renflouement de l'AVS est un acquis solide mais qui ne va pas durer éternellement. Et puis avec l'échec en votation populaire de Prévoyance 2020, il est aussi utile de favoriser d'autres formes de prévoyance, et c'est bien dans ce sens-là que va cet objet. Je précise également, et si nécessaire je prendrai sur le temps de mon groupe, que les amendements déposés par le département - et d'ailleurs acceptés - sont de nature essentiellement technique et non politique. Sur cette base, je vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, d'adopter à la même majorité que celle enregistrée en commission le projet de loi qui vous est soumis.
M. Yvan Zweifel (PLR). Permettez-moi tout d'abord de remercier le rapporteur de minorité pour la publicité gratuite qu'il me fait en précisant que je suis - ou serais - un spécialiste de l'optimisation fiscale. Ce qui est loin d'être un gros mot, Mesdames et Messieurs: l'optimisation fiscale consiste tout simplement à faire en sorte que vous fassiez valoir sur votre déclaration fiscale toutes les déductions auxquelles vous avez droit au regard de la loi. En ce sens-là, si vous me traitez d'«optimiseur» fiscal, je vous en remercie. Vous auriez pu aller plus loin et donner aussi le nom de ma fiduciaire ainsi que le numéro de téléphone et l'adresse e-mail: ça m'aurait fait encore un tout petit peu plus de publicité ! Pour le reste, je suis à votre entière disposition, Monsieur le député, car je sais que vous faites partie de cette classe plutôt favorisée par la vie s'agissant du revenu, et je suis donc à votre entière disposition pour améliorer votre déclaration fiscale ! (Rires. Applaudissements.) Comme je ne suis pas sectaire, cette offre vaut évidemment pour l'ensemble de votre groupe. (Rires.)
Cela étant dit, Mesdames et Messieurs, que demande ce projet de loi ? Il demande un coup de pouce fiscal en lien avec la prévoyance. Vous le savez, en Suisse, la prévoyance est basée sur trois piliers: un pilier de solidarité, l'AVS, dont vous pouvez déduire l'intégralité des charges sur votre déclaration fiscale; un deuxième pilier, celui de la prévoyance professionnelle, dont l'intégralité des charges peut également être déduite sur la déclaration fiscale; et puis un troisième pilier de prévoyance individuelle. Vous pouvez aujourd'hui déduire 6826 francs au titre du troisième pilier A et, à Genève et à Fribourg, un certain montant - en l'occurrence 2200 francs pour un célibataire, 3300 pour un couple et 900 francs par enfant - pour un troisième pilier B.
Contrairement à ce que dit le rapporteur de minorité, le projet de loi ne propose pas une nouvelle niche fiscale puisque cette déduction existe déjà. Il vise simplement à augmenter le montant de la déduction de manière que les gens puissent mettre plus d'argent de côté pour leur prévoyance. Car on sait très bien aujourd'hui que ceux qui ont mon âge ou sont plus jeunes encore ne toucheront qu'une AVS très faible à leur retraite - quant à la LPP, on verra bien ce que ça donne - et qu'il est donc important de mettre également des moyens dans le troisième pilier, en faveur de la prévoyance. C'est ce que vise à favoriser ce projet de loi ! Et si cette déduction en faveur de la prévoyance ne coûte que 7,2 millions, il me semble que le montant est largement justifié puisqu'il est en faveur de la population.
Mesdames et Messieurs, certains l'ont dit, un budget est sorti de la dernière commission des finances. Il s'agit d'un budget conçu autour d'une majorité responsable et raisonnable, qui a voulu tenir compte des votes populaires mais aussi de la réalité budgétaire et financière de notre canton. Afin de préserver l'accord trouvé par la majorité de la commission des finances et par gain de paix, pour que cet objet ne soit pas imputé sur le budget 2020, je vous propose le renvoi en commission de ce texte. Je vous remercie.
Le président. Bien. Qu'en disent les rapporteurs - Monsieur Guinchard ?
M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Compte tenu des arguments développés par notre collègue député M. Zweifel, je ne suis pas opposé à un renvoi en commission.
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Nous sommes extrêmement hésitants... (Remarque. Rires.) ...parce que nous sommes prêts à lancer un référendum... (Remarque.) ...sans aucun doute victorieux, contre cette nouvelle niche fiscale en faveur de 5% de la population. Mais si le PLR recule devant la sanction populaire, eh bien nous sommes prêts à repousser ce référendum à la fois suivante.
Une voix. Bravo !
Le président. Bien, nous passons au vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12249 à la commission fiscale est adopté par 92 oui contre 1 non et 2 abstentions.