Séance du
jeudi 7 novembre 2019 à
17h
2e
législature -
2e
année -
6e
session -
35e
séance
PL 11414-B
Premier débat
Le président. Au point suivant de notre ordre du jour figure le PL 11414-B. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Monsieur Mathias Buschbeck, vous avez la parole.
M. Mathias Buschbeck (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Chères et chers collègues, il s'agit ici d'un très vieux projet de loi, déposé par M. Grobet le 30 avril 2014, et dans l'intervalle, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts; beaucoup d'eau a coulé aussi depuis le vote des commissaires en 2016 après un deuxième passage de ce projet de loi en commission, destiné à le sauver. Les rapports de force ont changé - les élections sont passées par là - la situation a évolué, notamment les directives de la FINMA à la suite des scandales qui ont secoué les banques «too big to fail», et donc les positions des uns et des autres ont été chamboulées. Les Verts eux-mêmes ont changé d'avis sur cet objet. J'ai demandé à un autre groupe de venir représenter la majorité sortie des travaux de commission, mais personne n'a souhaité reprendre le rapport, si bien que mon discours s'arrête là et que j'interviendrai plus tard dans la salle pour défendre notre point de vue. Il n'y aura ainsi pas de rapporteur de majorité sur ce texte. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
Le président. Bien, il en est pris note. Je passe la parole à Mme Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le PL 11414-A avait été renvoyé à la commission législative par cette plénière au motif qu'une modification de la loi sur la Banque cantonale de Genève était intervenue entre l'examen de cet objet en commission et son traitement au Grand Conseil. Cette démarche aurait pu avoir du sens si la révision de la loi opérée en janvier 2016 avait impacté la question de la composition du conseil d'administration de la BCGE, ce qui en l'occurrence n'est pas le cas. Dès lors, un tel renvoi constituait une mesure dilatoire supplémentaire dans ce dossier.
En commission, l'amendement du rapporteur de première minorité a été refusé, qui prévoyait la désignation, au sein du conseil d'administration, d'un membre par parti représenté au Grand Conseil. Une majorité s'est en revanche construite autour d'un amendement de pseudo-consensus ou plus exactement d'une fausse bonne idée, puisque au final, le texte tel qu'il ressort des travaux ne change quasiment rien à la situation actuelle. Ceux qui ont voté cet amendement dit de compromis croyaient sans doute trouver une voie du milieu, mais ils se sont juste retrouvés au point de départ. Un statu quo rapidement identifié par les partis de l'Entente qui, ne s'y trompant pas, ont approuvé avec enthousiasme les amendements proposés à l'article 13, alinéa 2, et 13, alinéa 3, tandis que d'autres semblaient y perdre leur latin. De fait, cette proposition revenait simplement à introduire une représentation proportionnelle excluant le mandat d'un membre par parti politique élu au Grand Conseil.
La nature des débats qui ont accompagné le second examen du projet de loi n'a pas été plus élevée que celle qui avait prévalu lors de sa première étude, chacun ayant déjà eu l'occasion d'expliciter sa position. On aurait pu espérer que les poncifs les plus grossiers ne trouveraient pas leur place dans nos travaux; que nenni, le rapport de majorité vous en offre un florilège que je ne vous infligerai pas ici.
Rappelons que la revendication d'une présence au sein des conseils d'administration d'un membre par parti représenté au Grand Conseil n'est pas nouvelle, elle est l'expression de la volonté des électeurs exprimée à deux reprises, en 2008 et 2012. Ce dispositif vise à garantir tant un contrôle démocratique de la BCGE qu'une prise en compte de toutes les sensibilités politiques au sein de l'organe qui détermine la direction et les orientations stratégiques de cet établissement bancaire.
A aucun moment il n'a été question, de la part des tenants du projet de loi, de galvauder les compétences nécessaires pour exercer la fonction de membre d'un conseil d'administration d'une banque telle que la BCGE. Il s'agit non pas d'ouvrir le conseil d'administration de la BCGE à une foule d'administrateurs, mais simplement de lui adjoindre deux membres supplémentaires de sorte à assurer une représentation de toutes les sensibilités politiques. Et que l'on ne vienne pas nous dire que gestion d'une banque et politique sont antagoniques, la réalité contredit régulièrement cette affirmation.
Les représentants de la FINMA que nous avons auditionnés ont clairement admis qu'une représentation des partis au conseil d'administration n'est en aucun cas contraire à la loi; ils ont relevé que la seule question qui prévaut est celle de la compétence des postulants, prérequis qui est intrinsèque à la fonction et de surcroît soumis à la surveillance de la FINMA.
Alors faut-il politiser ou dépolitiser ? Là est la question. A ce propos, les premiers signataires du projet de loi se positionnaient très clairement: le but n'est pas de politiser ces institutions, mais au contraire de les dépolitiser en évitant des changements de majorité, en représentant les groupes politiques indépendamment de leur importance numérique au Grand Conseil. Ainsi, ce texte opère une véritable déconnexion politique ou plutôt garantit une pluralité politique indissociable de la démocratie. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, la minorité vous invite à accepter ses amendements présentés à la fin du rapport, puis à adopter le projet de loi 11414. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Le PL 11414 a effectivement été amendé et largement modifié. Avec les nouvelles dispositions, il ne change quasiment rien au fonctionnement actuel de la Banque cantonale. Aujourd'hui, le conseil d'administration de la BCGE comporte déjà des membres nommés par les collectivités publiques et, de ce fait, le contrôle démocratique existe. Cela étant, je vais quand même expliquer pourquoi le texte initial, qui proposait des désignations politiques, n'aurait pas convenu et aurait même été dangereux pour cette institution.
Trois choses auraient posé d'énormes problèmes. D'abord, la législation fédérale vise à renforcer les exigences en matière de compétences et impose aux membres des conseils d'administration une expérience diversifiée qui se rapporte à toutes les activités des établissements bancaires. Sur ce point, la présence de certaines personnes sur une seule base politique est totalement non conforme. Ensuite, si on augmente le nombre d'administrateurs, cela risque de créer des indiscrétions et surtout un alourdissement des débats. Enfin, le fait de prolonger la durée des mandats, comme le proposait le texte d'origine, c'est-à-dire de les faire passer à cinq ans, va tout simplement à l'inverse de ce que stipule la législation fédérale et surtout de ce que défend la FINMA.
Celle-ci a été auditionnée et a très clairement indiqué que dans sa mouture d'origine, le projet de loi était très problématique - ses représentants étaient même prêts à intervenir. Mais avec les amendements apportés et votés en commission, le groupe UDC acceptera ce projet de loi. Merci. (Exclamation.)
M. Edouard Cuendet (PLR). Ce soir, le Grand Conseil peut faire un exercice grandeur nature d'application d'un principe très cher à certains: la durabilité dans la gouvernance. En effet, Mesdames et Messieurs, beaucoup semblent l'avoir oublié - ou du moins certains semblent l'avoir oublié - mais la durabilité fait partie des critères ESG, soit l'environnement, le social et la gouvernance. Je vais donc surtout vous parler de la gouvernance qui devrait gérer la Banque cantonale de Genève.
Une gouvernance moderne et efficace ne peut pas se fonder sur une structure politisée à outrance. Cette position très claire a été réaffirmée par la FINMA lors de son audition, c'est aussi le principe de base de l'OCDE et de tous les standards reconnus au niveau international. D'ailleurs, faut-il le rappeler, les dysfonctionnements dont a souffert la BCGE à la fin des années 90 sont principalement dus à une politisation débridée qui a conduit l'établissement bancaire à sa perte. Et depuis dix-huit ans que fonctionne sa nouvelle gouvernance, la BCGE a été une grande créatrice de valeurs, elle a joué son rôle de catalyseur de l'économie genevoise, elle a reversé des millions d'impôts - enfin, de rétrocessions sur son bénéfice - à l'Etat de Genève, elle a donc parfaitement rempli sa mission avec une gouvernance moderne et adaptée à ses besoins. Mais surtout, le contrôle démocratique que certains réclament - à juste titre ! - existe déjà de manière très étendue, puisque à l'heure actuelle, huit des onze membres du conseil d'administration sont nommés par des collectivités publiques.
Ce qui gêne Ensemble à Gauche - on l'a vu avec le projet de M. Grobet, qui était absolument inapplicable - ce sont deux choses. D'une part, le fait que le Grand Conseil et le canton n'aient pas le monopole des nominations; l'Association des communes genevoises est d'ailleurs montée au créneau pour dire à quel point elle était défavorable à ce texte. D'autre part, Ensemble à Gauche ne peut pas supporter, par doctrine, que les 13 000 petits actionnaires individuels privés de la BCGE aient droit à des représentants au sein du conseil d'administration. Voilà pourquoi le projet de loi initial de M. Grobet excluait de facto cette possibilité, ce qui est évidemment non conforme à toutes les règles de gouvernance.
Il est intéressant de constater que durant l'ensemble des débats à la commission législative - des débats qui ont été sereins et constructifs - les notions de durabilité et de bonne gouvernance ont largement fait l'unanimité, autant auprès du PDC, des Verts, du PLR que de l'UDC. Au final, c'est surtout le groupe de la rapporteure de minorité, Mme Haller, qui s'est arc-bouté sur une gouvernance totalement désuète, une gouvernance qui rime plus avec connivence qu'avec compétences. Je pense que ce système ne peut plus être d'actualité.
Un autre argument a été invoqué à tort par la minorité, à savoir que d'autres banques cantonales fonctionnent selon le système de la représentation politique. Non, aucune banque cantonale comparable à la BCGE n'applique ce type de gouvernance ! On cite souvent la Banque cantonale de Zurich, mais il s'agit d'une institution publique, pas d'une société anonyme, donc ce n'est pas la même chose; en outre, elle n'est pas cotée en bourse, contrairement à la BCGE. Autant vous dire que ces attaques incessantes contre la BCGE et sa gouvernance empêchent cette banque de fonctionner convenablement. C'est la raison pour laquelle je vous invite à rejeter l'entrée en matière sur ce projet. Merci. (Applaudissements.)
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs les députés, certains nous disent que le projet de loi tel qu'amendé ne change rien à la situation actuelle, d'autres - peut-être parmi ceux qui ont changé d'avis - vont probablement bientôt objecter que ça change tout. Bon, ce compromis n'est sans doute pas révolutionnaire, eu égard à ce qui se pratique maintenant... Encore que je n'en sois pas totalement certain, puisque actuellement, la représentativité de l'ensemble des sensibilités politiques au niveau du canton n'est pas assurée.
Toujours est-il que ce compromis vise à maintenir à la fois une direction ramassée - il n'y a pas d'augmentation du nombre de membres du conseil d'administration - et des compétences fondamentales au sein de cet organe, mais également - également ! - un équilibre des forces politiques, Mesdames et Messieurs, parce que nous parlons ici d'un service public. Ce n'est pas une banque comme une autre; c'est bien une société anonyme - je vous l'accorde, Monsieur Cuendet - mais une société anonyme de droit public; c'est un outil qui est garanti par notre constitution cantonale.
Beaucoup ont cité la FINMA, prétendant que les règles ont changé. Or, en réalité, Mesdames et Messieurs, est aujourd'hui applicable la «Circulaire 2017/1 Gouvernance d'entreprise - banques», entrée en vigueur le 1er juillet 2017 ! Je vous encourage à relire cette directive, notamment ses chiffres marginaux 23 et suivants qui stipulent ceci:
«Les membres de l'organe responsable de la haute direction de banques cantonales ou communales désignés ou élus par les cantons, communes ou autres corporations de droit public cantonales ou communales sont réputés indépendants au sens des Cm 18 à 22:
- s'ils n'appartiennent pas au gouvernement ou à l'administration du canton ou de la commune ni à une autre corporation de droit public communale ou cantonale, et
- s'ils ne reçoivent pas d'instructions de l'organe qui les a élus relatives à leur activité en tant que membres de l'organe responsable de la haute direction.»
Mesdames et Messieurs, c'est très clair: ce que nous vous proposons avec ce projet de loi amendé est parfaitement conforme à la directive de la FINMA et si, pour s'en convaincre, d'aucuns ont besoin de réétudier la chose, eh bien je vous encourage tout simplement, au nom du groupe socialiste, à renvoyer ce projet en commission. Je vous remercie. (Rares applaudissements.) Merci pour vos applaudissements, les gars !
Le président. J'imagine que vous demandez le renvoi à la commission législative ?
M. Cyril Mizrahi. Oui.
Le président. Bien, merci. Les rapporteurs ont-ils quelque chose à dire ? Enfin... plutôt la rapporteuse ?
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Oui, Monsieur le président, merci. Je ne vois pas ce qu'un retour en commission pourrait apporter, je pense que l'essentiel a été dit. Cela étant, au vu de l'opacité des débats qui ont eu lieu et du fait qu'un certain nombre de personnes au sein de la commission législative ont voté à l'époque en croyant ouvrir une porte alors qu'en réalité elles confirmaient simplement la situation actuelle, on se dit qu'il vaudrait mieux qu'elles aillent y regarder de plus près, d'une part pour se rendre compte de ce qu'elles ont soutenu, d'autre part pour déterminer comment elles pourraient se rapprocher de la position exprimée par les citoyens lors des votations référendaires de 2008 et 2012.
Le président. Merci. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission que je mets aux voix.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11414 à la commission législative est rejeté par 57 non contre 33 oui.
Le président. Nous poursuivons le débat, et je passe la parole à M. Daniel Sormanni.
M. Daniel Sormanni (MCG). Je redemande le renvoi, donc ? (Commentaires.) Ah oui, merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est vrai, à l'époque, le MCG s'était montré favorable au renvoi en commission. Il faut savoir que le projet qui nous est soumis aujourd'hui est complètement différent de celui que nous avions signé, il s'en écarte énormément. La seule chose qu'il introduit, c'est une sorte de proportionnalité pour permettre aux différentes sensibilités politiques d'être représentées au sein du conseil d'administration de la BCGE.
Ce texte ne nous satisfait pas vraiment, et je crois que nous avons meilleur temps de lui faire refaire un petit tour en commission de façon à bien clarifier les choses. J'ai entendu le député Mizrahi tout à l'heure nous expliquer - nous lire, même - la directive de la FINMA, ça montre qu'il est possible d'opérer certaines modifications, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire.
Enfin, on vient nous donner des leçons ici, d'aucuns prétendent qu'ils ne veulent pas d'un retour du politique dans la gestion de la BCGE, mais je rappelle que ni la gauche ni le MCG ne siégeaient au conseil d'administration à l'époque, la Banque cantonale était aux mains du PDC ! Alors venir aujourd'hui nous faire la leçon sur la connivence, c'est quand même sacrément déplacé ! En ce qui me concerne, je demande à nouveau le renvoi en commission de ce projet de loi.
Le président. Je vous remercie. Madame la rapporteuse, vous n'avez rien à ajouter sur cette proposition ? (Remarque.) Parfait, alors j'ouvre à nouveau le vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11414 à la commission législative est rejeté par 55 non contre 30 oui et 1 abstention.
Le président. La parole va à M. Marc Fuhrmann.
M. Marc Fuhrmann (UDC). Merci, Monsieur le président. Même si ce projet est différent de celui qui avait été proposé à l'origine, une banque - qui plus est une banque comme la BCGE - n'a en aucun cas besoin de l'intervention du politique au sein de son conseil d'administration; ce dont elle a besoin, c'est de compétences. Il s'agit d'une entreprise cotée en bourse, bien qu'elle soit détenue en grande partie par des actionnaires publics, et le politique n'a rien à y faire. Tout au long de l'histoire financière, chaque fois que des politiciens se sont immiscés dans les activités bancaires, ça s'est très mal terminé. Une banque se doit d'être au-dessus des discussions et des modes politiques, qu'elles soient vertes, de droite, de gauche, peu importe, elle doit voler plus haut que tout cela; une banque fonctionne selon un mécanisme complexe et fragile qui, comme je viens de le dire, a besoin de compétences, pas de débats politiques. C'est pourquoi l'UDC, Mesdames et Messieurs - et je corrige mon préopinant - va rejeter ce texte de toutes ses forces et vous invite à faire de même. Merci.
M. Mathias Buschbeck (Ve). Chères et chers collègues, contrairement à ce qui a été dit par la rapporteuse de minorité, que je tiens à corriger, les Verts sont attachés aux représentations politiques et à un fonctionnement citoyen des institutions de droit public, ainsi que la population l'a demandé lors des votations populaires sur les TPG, les établissements médicaux et les SIG. Mais en ce qui concerne la Banque cantonale, la situation est quand même sensiblement différente, certains ont un peu de peine à l'entendre.
Premièrement, la BCGE est une société anonyme cotée en bourse - on l'a dit - ses administrateurs sont donc soumis au droit, et c'est loin d'être un détail. Deuxièmement, il s'agit d'une banque, ce qui signifie qu'elle est placée sous le contrôle de la FINMA. C'est plutôt une bonne chose, vous me direz. Depuis les scandales au sein des banques «too big to fail» qui se trouvaient en grande difficulté, la surveillance des établissements bancaires a été renforcée. C'est une bonne chose, mais cela implique que le contrôle sur la Banque cantonale et la nomination de son conseil d'administration a été renforcé aussi. Enfin, troisième point, et pas des moindres, la BCGE évolue dans un univers concurrentiel, contrairement aux TPG ou aux SIG. Loin de moi l'idée de défendre une banque - ce serait vraiment dur ! - mais il faut admettre que la BCGE appartient aux collectivités publiques et que, partant, ses grands concurrents sont Credit Suisse et l'UBS. Il s'agit donc de la soutenir face à ces grandes institutions.
La gouvernance actuelle de la Banque cantonale a été introduite suite aux scandales du début du siècle, et elle fonctionne. Le conseil d'administration est composé de onze membres, ce qui est déjà le nombre le plus élevé qu'on puisse trouver aujourd'hui au sein des organes similaires des banques cantonales, qui sont normalement constitués de moins de personnes, et ce pour une raison fort simple: si vous instaurez davantage que onze membres, vous créez un comité de la banque, ce qui est moins démocratique et va à l'encontre des buts de ce projet de loi. En effet, c'est alors le comité de la banque qui prend les décisions, non plus le conseil d'administration. Ce nombre est donc le maximum utile pour la BCGE. Comme il a été dit, huit des onze membres sont actuellement nommés par les collectivités publiques selon un long processus qui vise à préserver l'équilibre des compétences - c'est quelque chose d'autre que la seule addition des nominations par les partis.
Siéger au conseil d'administration, c'est l'obligation de défendre les intérêts de la banque - contre ceux de son propre parti, s'il le faut - et de garder le secret bancaire, autant de choses qui n'existent pas dans les autres organismes de droit public. Et comme je l'ai dit, le contrôle de la FINMA n'est pas un détail, puisque chaque administrateur doit être validé par cette instance. Ce n'est pas juste qu'on lui transmet une liste et qu'elle la confirme, non. Je lis ce qui a été indiqué par le représentant de la FINMA lors de son audition: «Il faut [...] que, lorsqu'un administrateur part, la compétence particulière qu'il offrait au conseil d'administration soit remplacée par une personne compétente dans le même domaine.» Or comment faire pour garantir que la personne représentant le même parti ait les mêmes compétences ? Ce n'est pas possible, cette loi sera donc synonyme de blocages, cette loi sera synonyme de recours.
Aujourd'hui déjà, le Conseil d'Etat tout comme les entités publiques que sont l'ACG et la Ville de Genève tiennent compte des forces politiques présentes dans le canton lorsqu'ils nomment le conseil d'administration de la BCGE; des personnes de toutes les sensibilités, y compris de celle de Mme Haller, y ont été nommées. Cet équilibre est assuré par le fonctionnement actuel, Mesdames et Messieurs, et c'est la raison pour laquelle je vous enjoins de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)
M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs, la BCGE montre depuis quinze ans qu'elle fonctionne durablement et qu'elle rend des services à la population, ce qui est le plus important pour nous. A choisir entre politisation et dépolitisation, le parti démocrate-chrétien est plutôt en faveur d'une dépolitisation du système. Aujourd'hui, huit membres du conseil d'administration sont nommés par les collectivités publiques, ils représentent l'Etat, la Ville de Genève et les communes. D'ailleurs, l'Association des communes genevoises, la Ville de Genève et le canton sont pour le statu quo, ils ont demandé que les choses ne changent pas.
On pourrait même se demander s'il ne vaudrait pas mieux défendre les petits actionnaires, qui ne sont actuellement représentés qu'à hauteur d'environ 30% - désolé pour ce chiffre vague, je n'étais pas à la commission législative et je n'ai pas une connaissance du dossier aussi approfondie que celle de mes préopinants. En tout cas, je pense que la représentativité de l'actionnariat privé pourrait, elle aussi, être relevée.
Mesdames et Messieurs, il est nécessaire de conserver le statu quo pour que la banque puisse poursuivre sa mission, une mission qui s'inscrit dans la durabilité du monde financier, notamment de la place financière genevoise. Je vous remercie de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci. Je passe la parole à M. Guy Mettan pour deux minutes.
M. Guy Mettan (HP). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, j'ai bien écouté les différentes interventions et je constate, comme chacun d'entre vous, que même ceux qui proposent ce vague compromis n'en sont pas vraiment convaincus: je ne vois donc pas pour quelle raison on persévérerait dans ce sens. Les initiants eux-mêmes sont si peu sûrs d'eux qu'ils cherchent à renvoyer le projet de loi en commission !
Sur le fond, il me semble qu'on change la gouvernance d'un établissement, d'une entreprise ou d'un organisme quand les choses vont mal. Or les choses vont très bien pour la BCGE ! Au cours des quinze dernières années, elle s'est durablement rétablie. Le cours de l'action, c'est-à-dire la valeur de la banque, y compris pour les actionnaires publics, a doublé ces douze dernières années, donc l'établissement est très bien géré. Dans ces conditions, il n'y a aucune raison de changer quoi que ce soit. Le mieux est l'ennemi du bien: il n'y a pas lieu de modifier l'organisation actuelle et il convient de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de répondre à quelques remarques émises par certains d'entre vous, la première étant que la présence d'un membre par parti au sein du conseil d'administration entrerait en contradiction avec l'expérience requise pour les administrateurs; eh bien si le fait d'appartenir à un groupe politique exclut que l'on possède des qualifications, je m'inquiète très sérieusement pour le bilan de compétences de cette assemblée dont chaque membre est affilié à un parti ! (Applaudissements.) Quant au risque prétendument plus élevé de rupture de la confidentialité sous prétexte qu'il y aurait deux membres supplémentaires, j'avoue que je ne peux pas suivre la personne qui a tenu ces propos.
Ensuite, quelqu'un a pointé du doigt la durée des mandats: pourquoi cinq ans à Genève alors que partout ailleurs, ils sont de quatre ans ? Tout simplement parce que depuis l'adoption de la nouvelle constitution, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, tous les conseils d'administration et de fondation de notre canton sont désignés pour cinq ans, et dans l'intention des auteurs de ce projet de loi, il s'agissait d'aligner le conseil d'administration de la BCGE sur celui des autres établissements de droit public.
J'aimerais aussi revenir sur la question de la surpolitisation. Laissez-moi rire ! Avec la représentation actuelle des sensibilités, on ne ferait pas de politique, il n'y aurait pas de politisation des conseils ? Et il suffirait d'ajouter deux membres pour que cette neutralité saute, comme si le fait d'avoir une personne par parti conduisait à l'échec de tous les conseils d'administration ! Encore une fois, permettez-moi de m'interroger quant à la manière dont sont gérées aujourd'hui l'essentiel des institutions de droit public de notre canton, qui prévoient déjà ce type d'organisation - vous vous en souvenez certainement, puisque cela a fait l'objet de longs travaux dans notre parlement. Il faut encore relever que si les problèmes de la BCGE ont été mis à jour en leur temps, c'est parce que des membres du conseil ont levé le lièvre, et ils étaient plus proches de nos milieux que des vôtres.
Enfin, M. Cuendet - vous transmettrez, Monsieur le président - invoquait une gouvernance désuète qui rimerait davantage avec accointances qu'avec compétences; si c'est là la perception qu'il a du fonctionnement des entités de droit public de notre canton, alors je m'inquiète pour lui autant que pour ces organismes. En réalité, il s'agit d'un argument grossier pour écarter la proposition avancée par notre groupe.
Je le répète, Mesdames et Messieurs: cette proposition est inspirée par le résultat des différents référendums relatifs à la gouvernance des instituts de droit public; pour nous, c'est l'assurance que l'ensemble des sensibilités politiques soient représentées, et si on se montrait un peu honnête et qu'on sortait des arguties politiques de bas étage, on devrait reconnaître que garantir la pluralité au sein de ces instances permettrait d'en améliorer le fonctionnement démocratique. Je vous remercie de votre attention.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, malgré les amendements qu'il a subis, ce projet de loi va dans le mauvais sens. La BCGE fait ses preuves depuis de nombreuses années, plus précisément depuis l'instauration de sa nouvelle forme de gouvernance, et l'organisation actuelle de son conseil d'administration est tout à fait satisfaisante. Le développement de la banque est équilibré et la bonne tenue du titre sur les marchés sert directement l'Etat ainsi que d'autres collectivités publiques. Les dividendes ont augmenté, Mesdames et Messieurs, et nous en sommes bénéficiaires. J'ajoute que le Conseil d'Etat rencontre régulièrement les organes de la banque pour s'enquérir de la marche des affaires et que celle-ci, de son côté, en tient également le Conseil d'Etat informé.
La BCGE joue un rôle économique majeur pour notre canton, et nous ne pouvons pas lui imposer des contraintes supplémentaires qui la désavantageraient par rapport aux autres banques, nous devons nous assurer qu'elle continue à prospérer de la même façon. Son conseil d'administration remplit la tâche qui lui est dévolue. L'introduction d'influences politiques en son sein serait préjudiciable. Il est important de souligner - quelques députés l'ont fait - que selon certains observateurs, les dysfonctionnements de l'institution à la fin des années 90 relevaient justement de l'intrusion du politique dans le choix des administrateurs. Mesdames et Messieurs, ne commettons pas deux fois la même erreur !
Le Conseil d'Etat tient à rappeler que la Banque cantonale de Genève est une entreprise commerciale et non un monopole d'Etat. Contrairement à l'Aéroport international de Genève, aux Transports publics genevois, à l'Hospice général ou à certains établissements publics médicaux qui, eux, sont des instituts de droit public bénéficiant d'une situation de quasi-monopole, la BCGE est une entreprise commerciale, organisée sous forme de société anonyme de droit public, c'est vrai, et à qui une politique publique a été confiée, mais qui concerne le développement économique de Genève et de sa région. Le législateur cantonal doit impérativement veiller - il s'agit de votre responsabilité, Mesdames et Messieurs ! - à ne pas disqualifier la banque et diminuer sa compétitivité en lui imposant des contraintes organisationnelles supplémentaires par rapport à ses concurrents.
La surveillance des établissements bancaires relève de la compétence exclusive de la FINMA, elle n'appartient pas aux pouvoirs politiques - heureusement, d'ailleurs ! A chacun son rôle ! Il ne revient pas au pouvoir politique de s'emparer de ce contrôle en nommant des administrateurs dont la plus grande compétence sera d'appartenir à tel ou tel parti politique.
Une voix. Mais non !
Mme Nathalie Fontanet. La FINMA a d'ailleurs modifié un certain nombre de règles qu'elle avait émises visant à contrôler les compétences des administrateurs. Le réservoir d'administrateurs potentiels, s'ils devaient soudain répondre à l'ensemble des exigences posées par la FINMA, risque d'être mince, Mesdames et Messieurs, que cela vous plaise ou non, que cela interroge quant aux qualités des députés, que cela interroge quant à celles des conseillers et conseillères d'Etat. Nous souhaitons le meilleur pour notre canton, la BCGE est en droit d'attendre le meilleur également pour son conseil d'administration. Il faut faire en sorte qu'elle continue à jouer son rôle économique essentiel pour le canton, il faut l'encourager à créer des emplois, à soutenir sa clientèle.
Un dernier élément, Mesdames et Messieurs: les clients et les actionnaires des banques tiennent à la discrétion, ils ne veulent pas que les conseils d'administration soient soumis à des querelles politiques, ils veulent que la priorité soit accordée aux compétences et à rien d'autre. Le modèle proposé n'est pas compatible avec la cotation en bourse du titre ni avec la présence de 14 530 actionnaires privés - ce sont les chiffres au 30 juin 2018; il nuirait à la réputation de la banque, à son statut autonome, à son image auprès de la clientèle. La Banque cantonale de Genève ne doit pas devenir l'otage des politiques, elle doit rester indépendante, elle doit poursuivre le chemin de la réussite et de la croissance, elle doit continuer à verser des dividendes au canton et aux collectivités publiques, et je vous encourage, au nom du Conseil d'Etat, à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi qui porterait atteinte aux immenses progrès accomplis par cette institution dont notre canton est extrêmement fier. Merci, Mesdames et Messieurs les députés.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. A présent, nous passons...
Mme Jocelyne Haller. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenue ? (Quelques mains se lèvent.)
Une voix. C'est un peu mou, tout ça...
Une autre voix. Ouais, c'est un peu mou.
Le président. Il faut vingt et une voix, c'est ça ? (Remarque.) Ah, pardon: onze. (D'autres mains se lèvent.) C'est bon, c'est bon ! Nous passons au vote nominal sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11414 est rejeté en premier débat par 58 non contre 28 oui et 1 abstention (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)