Séance du vendredi 1 novembre 2019 à 18h10
2e législature - 2e année - 6e session - 31e séance

PL 12211-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de Mmes et MM. Pierre Vanek, Cyril Mizrahi, Jean Batou, Jocelyne Haller, Claire Martenot, Salika Wenger, Christian Zaugg, Nicole Valiquer Grecuccio, Jean-Charles Rielle, Christian Frey, Olivier Baud, Romain de Sainte Marie, Salima Moyard, Marion Sobanek, Irène Buche modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Mise en conformité avec la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées - CDPH)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 24 et 25 mai 2018.
Rapport de majorité de M. Cyril Mizrahi (S)
Rapport de minorité de M. Murat Julian Alder (PLR)
PL 12212-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Pierre Vanek, Cyril Mizrahi, Jean Batou, Jocelyne Haller, Claire Martenot, Salika Wenger, Christian Zaugg, Nicole Valiquer Grecuccio, Jean-Charles Rielle, Christian Frey, Olivier Baud, Romain de Sainte Marie, Salima Moyard, Marion Sobanek, Irène Buche modifiant la loi sur l'exercice des droits politiques (LEDP) (A 5 05) (Mise en conformité avec la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées - CDPH)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 24 et 25 mai 2018.
Rapport de majorité de M. Cyril Mizrahi (S)
Rapport de minorité de M. Murat Julian Alder (PLR)

Premier débat

Le président. Nous abordons l'urgence suivante: les PL 12211-A et PL 12212-A. Le débat est classé en catégorie II, quarante minutes. La parole revient à M. Cyril Mizrahi.

M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, fierté et humilité sont les sentiments qui m'animent aujourd'hui pour vous présenter mon rapport de majorité sur deux projets de lois de mise en oeuvre de la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées.

Fierté, Mesdames et Messieurs, car si la majorité de commission est suivie par une majorité de ce plénum, nous pourrions jouer un rôle de pionniers en Suisse en supprimant toute privation de droits politiques subie par les personnes sous curatelle - un rôle de pionniers qui, ainsi que je vous le démontrerai, se fonde tout de même sur un terrain bien balisé au niveau non seulement helvétique, mais aussi international, puisque de nombreux pays ont déjà opté pour le régime que nous proposons ici.

Humilité également, car la constitution de 2012 ne s'est pas avérée la bonne solution sur cette question. Je vais reprendre les choses au début en vous brossant un petit historique. Tout d'abord, j'aimerais citer l'article 136 de la Constitution fédérale: «Tous les Suisses et toutes les Suissesses ayant 18 ans révolus qui ne sont pas interdits pour cause de maladie mentale ou de faiblesse d'esprit ont les droits politiques en matière fédérale.» Dans l'ordre juridique suisse, les droits politiques de rang fédéral sont affaire de la Confédération, ceux de rang cantonal sont affaire des cantons.

Jusqu'en 2012, le canton de Genève avait opté pour la solution fédérale dans sa constitution. Lors des travaux de la Constituante, un petit pas en avant a été fait, avant même l'entrée en vigueur en Suisse, en 2014, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées: le constituant cantonal a alors décidé qu'il convenait de mandater des juges pour qu'ils déterminent de cas en cas si une personne est durablement incapable de discernement et qu'il faut donc l'empêcher d'exercer ses droits politiques.

On espérait que cette mesure conduirait à une certaine ouverture et se révélerait progressiste, comme le prétend le rapporteur de minorité, mais il n'en a rien été. En réalité, c'est même l'inverse qui s'est produit: les travaux de commission ont montré que la disposition telle qu'appliquée actuellement par le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant dépossède davantage de gens de leurs droits politiques que sous l'empire de l'ancien droit: d'après l'exposé des motifs du PL 11969, que le Conseil d'Etat a entre-temps retiré, environ 1000 personnes sont privées des droits politiques - on parle du moment où le projet de loi a été déposé, donc selon la législation actuelle - dont environ 60 des droits politiques fédéraux uniquement, c'est-à-dire des personnes sous curatelle de portée générale dont le TPAE a «renoncé», entre guillemets, à suspendre les droits politiques cantonaux et communaux, et au contraire environ 120 des seuls droits politiques cantonaux et communaux, c'est-à-dire des personnes qui ne sont pas sous curatelle de portée générale mais à qui le TPAE a tout de même retiré les droits politiques. Autrement dit, le TPAE a décidé de spolier les droits politiques de 820 personnes sur 880 protégées par une curatelle de portée générale, soit plus de 93%. (Le président agite la cloche pour indiquer que l'orateur parle sur le temps du groupe.) Je prends sur le temps de mon groupe, Monsieur le président.

A cela s'ajoute la complexité administrative: l'Etat doit tenir plusieurs listes électorales en fonction des différentes options, tandis que le Pouvoir judiciaire se voit instruire en matière de droits politiques, ce qui n'est pas vraiment la fonction première du TPAE. Le projet de loi du Conseil d'Etat - retiré depuis, je le répète - proposait simplement de revenir à la situation antérieure, à savoir ôter automatiquement les droits politiques aux personnes faisant l'objet d'une curatelle de portée générale. Or les travaux de commission ont établi que c'était contraire au droit international, plus précisément à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, entrée en vigueur en 2014, ce qui a suscité une levée de boucliers des associations qui n'avaient pas été consultées. Voilà pourquoi le Conseil d'Etat a finalement retiré son projet de loi et pourquoi, par la suite, Pierre Vanek et d'autres signataires ont déposé les projets de lois 12211 et 12212.

Au cours des travaux, il est apparu que ces projets étaient soutenus non seulement par les organismes représentant les personnes handicapées et leurs proches, mais aussi par le gouvernement genevois, comme cela ressort d'une lettre annexée au rapport de majorité que je vous invite à consulter. En effet, le Conseil d'Etat s'est rendu compte de la dimension symbolique pour Genève, siège de l'ONU, qu'il y a à reconnaître toutes les personnes en situation de handicap comme des citoyennes et citoyens à part entière. Ainsi, les projets qui vous sont soumis aujourd'hui permettent de mettre en oeuvre l'article 29 de la CDPH qui garantit les droits politiques des personnes handicapées.

Dans la jurisprudence, le comité des droits des personnes handicapées chargé d'appliquer la convention nous dit la chose suivante: «L'article 29 ne prévoit aucune restriction raisonnable et n'autorise d'exception pour aucune catégorie de personnes handicapées. En conséquence, un retrait du droit de vote au motif d'un handicap psychosocial ou intellectuel réel ou perçu, y compris une restriction fondée sur une évaluation individualisée, constitue une discrimination fondée sur le handicap, au sens de l'article 2 de la Convention.»

Et ce n'est pas seulement l'avis du comité de l'ONU, mais encore celui de la doctrine, à ma connaissance unanime. Tanquerel et Hottelier, ce dernier peu convaincu dans un premier temps, se sont prononcés ensemble dans ce sens auprès de la commission. Depuis lors et sans se concerter, les professeurs Borghi et Tanquerel, spécialistes de renom, ont publié deux contributions dans les «Mélanges en hommage au prof. Luzius Mader» demandant la modification de l'article 136 de la Constitution fédérale. Même le rapporteur de minorité, M. Alder, ne s'exprime pas contre la suppression des discriminations à l'encontre des personnes handicapées en matière de droits politiques dans son récent article paru dans les «Etudes en l'honneur du Professeur Thierry Tanquerel».

Fondamentalement, toute réglementation qui traite spécifiquement de l'incapacité de discernement de personnes en situation de handicap, respectivement de personnes durablement incapables de discernement - et pas de celles passagèrement incapables, par exemple prises de boisson, sous l'effet de drogues ou qui ne comprennent pas l'objet soumis à votation - est forcément discriminatoire. La seule solution non discriminatoire, Mesdames et Messieurs, consisterait en un contrôle, lors de chaque opération électorale, de la capacité de discernement de l'ensemble des citoyens qui y prennent part, ce qui serait totalement disproportionné, naturellement. Il serait d'ailleurs impossible au TPAE, il faut le souligner, de déterminer si quelqu'un in abstracto est capable de discernement pour tous les votes, dont la complexité peut considérablement varier suivant les sujets.

Par ailleurs, contrairement à la gestion de patrimoine, le droit de vote est quelque chose d'éminemment subjectif, puisqu'il est soumis au principe de la liberté de vote. Imaginez que vous ayez rencontré quelques difficultés dans votre vie, fait de mauvais choix, et que vous vous retrouviez soudain sous curatelle; il n'est pas nécessaire d'être durablement et totalement incapable de discernement ni sous curatelle de portée générale... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Je termine, Monsieur le président ! ...pour être privé de ses droits politiques à Genève, contrairement à ce que semble soutenir le rapport de minorité qui parle d'ultima ratio. Imaginez qu'un médecin ou un juge gauchisant - quel cauchemar ! - doive évaluer si vous êtes capables de discernement alors que vous avez de solides convictions à droite de l'échiquier politique; pensez-vous qu'il soit sain que quelqu'un d'autre décide si vous êtes «capable», entre guillemets, de voter ? Exige-t-on cela pour des personnes sans curatelle ?

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Mizrahi.

M. Cyril Mizrahi. Le risque d'arbitraire est là, c'est pourquoi je vous invite, Mesdames et Messieurs, à faire preuve de courage et à soutenir sans détour ces deux projets de lois. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Murat Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité. La minorité de la commission des droits politiques ne partage absolument pas l'analyse de mon préopinant, et la raison en est la suivante: à l'heure actuelle, au niveau fédéral et dans la totalité des autres cantons de Suisse, les personnes qui souffrent d'une incapacité durable de discernement - j'insiste sur le terme de «durable», parce qu'il ne s'agit en rien d'une situation comparable à celle de quelqu'un qui, le temps d'une soirée, se mettrait en état d'ébriété, on parle de quelque chose de grave - sont privées d'office de leurs droits politiques.

A la Constituante, nous avons trouvé une solution de compromis qui a été saluée par les auteurs de doctrine que M. Mizrahi a cités tout à l'heure: au lieu d'un automatisme constitutionnel, on confie à une instance judiciaire le soin de déterminer, de cas en cas, si les personnes souffrent d'une incapacité de discernement durable pouvant justifier la suppression des droits politiques. Le canton de Genève est déjà pionnier, c'est le plus progressiste de Suisse dans ce domaine, et la minorité considère qu'il doit le rester.

La minorité déplore que durant la totalité des débats - et on l'a retrouvée dans le discours du rapporteur de majorité - il y ait eu une confusion assez grave entre les termes de «personnes handicapées», «personnes durablement incapables de discernement» et «personnes faisant l'objet d'une curatelle de portée générale». Ces trois notions sont complètement différentes, et c'est le lieu ici de rappeler que l'écrasante majorité des personnes handicapées détiennent la capacité de discernement, puisque cette catégorie d'individus ne se limite pas à celles souffrant de déficiences sur le plan psychique.

Ensuite, on vient nous dire, et cela dès le titre de ces deux projets de lois, qu'il s'agit de mettre en conformité le droit cantonal avec le droit international. Mesdames et Messieurs de la majorité, je vous défie de nous citer une seule décision qui attesterait que la Suisse viole ses obligations découlant de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, il n'y en a absolument aucune. Ce n'est pas à nous de jouer les bons élèves à travers le prisme de la bienséance et de la bienveillance ou selon notre appréciation de la situation, mais il revient aux autorités mises en place par la CDPH d'effectuer ce travail. Or, à ce jour, elles ne l'ont pas fait, donc il n'y a aucune raison de changer notre législation en la matière. C'est d'ailleurs ce que nous dit le Bureau fédéral de l'égalité pour les personnes handicapées lui-même. Je cite: «Il n'y a actuellement pas de raison de mettre en cause la règle de l'art. 136 al. 1 Cst et 2 LDP [...] Il s'agit» - on parle de l'incapacité de discernement - «d'une justification raisonnable pour l'exclusion prévue à l'art. 2 LDP.»

Pour la commission de gestion du Pouvoir judiciaire, il existe un risque avéré d'abus: les droits dont certaines personnes souffrant d'une incapacité durable de discernement ne seraient plus privées pourraient être exercés par des tiers, instrumentalisés, nous dit le procureur général, ce qui revient à introduire le vote plural en faveur de tiers qui ne seraient pas effrayés par l'interdit pénal de voter à la place d'autrui.

Mesdames et Messieurs, les droits politiques ne sont pas des droits fondamentaux...

M. Cyril Mizrahi. Mais si !

M. Murat Julian Alder. Non, les droits politiques ne sont pas des droits fondamentaux, ils appartiennent à une catégorie différente, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils sont par exemple réservés aux citoyens suisses au niveau fédéral ou aux personnes ayant atteint l'âge de majorité. Nier l'exigence selon laquelle il faut disposer de la capacité de discernement pour bénéficier des droits politiques, cela revient à dire que ces droits appartiennent à tout le monde dès le plus jeune âge; je m'étonne dès lors que l'auteur du rapport de majorité n'ait pas proposé le droit de vote dès la naissance, puisqu'il considère qu'il n'est pas nécessaire d'avoir la capacité de discernement pour l'exercer ! Non, il convient de ne pas tomber dans l'extrême inverse, d'en rester à la solution de compromis parfaitement raisonnable trouvée à la Constituante et d'arrêter de voir sans cesse des discriminations là où il n'y en a pas.

Mesdames et Messieurs, le principe de l'égalité commande que l'on traite de manière similaire des situations similaires et de manière différente des situations différentes. Or quelqu'un qui a la pleine possession de sa capacité de discernement ne saurait en aucun cas être comparé à un individu souffrant d'une incapacité durable de discernement. Du reste, la nouvelle constitution n'a commencé à déployer ses effets que depuis un peu plus de six ans, on n'a encore tiré aucun bilan de la mise en oeuvre de cette nouvelle disposition. Ainsi, avant de modifier les règles du jeu et de provoquer un débat politique et populaire sensible sur le sujet, il serait judicieux d'examiner comment les choses se sont déroulées depuis son entrée en vigueur. C'est la raison pour laquelle je vous invite, Mesdames et Messieurs, à renvoyer ces deux objets en commission afin qu'ils y soient traités une fois que l'on aura dressé un bilan des effets de la disposition constitutionnelle concernée. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Le président. Merci. Monsieur Mizrahi, avez-vous un mot à dire par rapport au renvoi en commission ?

M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de majorité. Oui, Monsieur le président, merci. Cette proposition ne vise qu'à retarder la restitution de leurs droits politiques à des personnes discriminées. Le travail a été effectué de manière complète en commission, Mesdames et Messieurs, donc je vous enjoins de refuser le renvoi.

Le président. Merci bien. Je lance le vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 12211 et 12212 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 45 non contre 44 oui et 1 abstention. (Commentaires pendant la procédure de vote. Exclamations à l'annonce du résultat. Commentaires de M. Cyril Mizrahi.)

Le président. Calmez-vous, Monsieur Mizrahi ! Nous poursuivons le débat, et je passe la parole à... (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Je passe la parole à M. Pierre Vanek.

M. Pierre Vanek (EAG). Merci, Monsieur le président. J'ai été quelque peu affligé par le discours du rapporteur de minorité, qui campe un rôle de composition - enfin, je ne sais pas s'il est de composition, mais il joue en tout cas au vieux député rétrograde et réactionnaire, et c'est dommage ! C'est dommage ! Que nous dit-il ? Il prêche que les droits politiques ne constitueraient pas un droit fondamental. Bon, je ne possède pas sa science juridique, mais quand même: en démocratie, exercer des droits politiques relève de libertés publiques essentielles, le fait de participer à la direction des affaires d'un pays figure dans la Déclaration universelle des droits de l'homme !

Ensuite, il nous indique que Genève n'a pas à jouer les bons élèves. Mais si, bien sûr que si: en matière de démocratie et de droits de l'homme, Genève doit jouer les bons élèves, et je regrette d'autant plus son allégation que dans cette affaire, le Conseil d'Etat a été exemplaire. A la base, en effet, le projet de loi qu'il proposait - texte qui visait une régression, un retour en arrière par rapport à l'avancée qu'avait faite la Constituante en soumettant à un juge la décision de privation des droits politiques pour les personnes concernées - était motivé essentiellement par des raisons administratives, il s'agissait d'harmonisation des registres, de simplification administrative; mais il a eu l'intelligence de nous écouter en commission, de prêter l'oreille aux experts que nous avons entendus, y compris sur la question de la captation de vote.

Tanquerel et Hottelier - ce document figure dès la page 51 du rapport de majorité - écrivent: «En effet, le risque qu'une personne réellement et durablement incapable de discernement» - donc celle que Murat Julian Alder évoquait - «en ce qui concerne l'exercice de ses droits politiques exerce effectivement ceux-ci est très faible. Il apparaît en particulier plus faible que le risque qu'une personne en réalité capable de se déterminer pour un scrutin déterminé soit privée de la possibilité de le faire par le régime d'exclusion trop schématique actuellement en place.» Voilà, nous avons un régime d'exclusion trop schématique dont Tanquerel et Hottelier doutent qu'il corresponde au droit supérieur, à la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Ils le mentionnent tout à fait explicitement, et c'est un développement nouveau, puisque la CDPH est en vigueur en Suisse seulement depuis mai 2014, donc bien après l'adoption de la constitution. Ils indiquent - je cite: «On peut même douter que la solution genevoise soit pleinement conforme aux exigences de la Convention.» Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont ces deux professeurs qui jouissent non seulement de toutes sortes de qualités s'agissant des connaissances juridiques, mais qui sont aussi des politiques ayant participé à l'élaboration de la constitution.

Un tout petit nombre de personnes seraient concernées - quelques centaines, tout au plus - et, de ce point de vue là, le Conseil d'Etat - il est rare que je lui rende hommage - a compris... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...qu'il était opportun et intelligent politiquement de retirer son projet de loi et de se rallier à la proposition alternative faite par la commission et adoptée par une majorité de celle-ci. Encore une fois, le rapport contient une lettre de François Longchamp, signée en tant que président du Conseil d'Etat, confirmant que la position du gouvernement n'a pas changé...

Le président. Je vous remercie...

M. Pierre Vanek. ...et que celui-ci soutient les deux projets de lois visés en titre. Mesdames et Messieurs, ne soyez pas plus bêtes...

Le président. Je vous remercie...

M. Pierre Vanek. ...que le Conseil d'Etat dans sa version précédente. (Applaudissements.)

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je ne suis pas juriste, alors je vais essayer d'exprimer les choses comme je les ressens s'agissant de ces deux projets de lois. Je rappelle en préambule que la disposition qu'on cherche à supprimer est la suivante: «Les droits politiques des personnes durablement incapables de discernement peuvent être suspendus par décision d'une autorité judiciaire.»

Tout d'abord, je pense qu'il faut distinguer deux aspects à ce qu'on appelle le discernement. Pour moi, il y a d'une part un discernement rationnel: on sait lire, on sait compter. Si certaines personnes ne disposent pas de ces capacités-là, eh bien il est possible de les placer sous assistance. D'autre part, en ce qui concerne le vote, il peut y avoir un certain nombre de composantes émotionnelles qui s'expriment, et d'ailleurs personne n'y échappe, même ceux qui sont en pleine possession de leurs fonctions cognitives: on incorpore un tas d'émotions. Il y a des individus qui ne disposent peut-être pas de toutes leurs capacités rationnelles, mais qui peuvent tout de même se prononcer sur un sujet soumis à votation. Par exemple, quand on leur demande s'ils aiment les animaux, ils pourront ressentir les choses d'une façon ou d'une autre... (Brouhaha.)

Le président. Attendez une minute, Monsieur Eckert.

Une voix. Chut !

Le président. S'il vous plaît, un peu de silence ! (Un instant s'écoule.) Merci. Vous pouvez poursuivre, Monsieur.

M. Pierre Eckert. Je disais qu'on peut s'exprimer de façon émotionnelle dans un vote, par exemple dans le cas d'une loi sur les animaux. Même pour une élection, le choix est parfois opéré d'après des images. Tous les partis politiques essaient de donner une bonne image d'eux-mêmes, on le constate avec les diverses photos et affiches qu'on voit fleurir un peu partout dans les rues. Ainsi, j'estime qu'il est extrêmement difficile pour une autorité judiciaire de juger de la capacité émotionnelle d'une personne à fonder une opinion.

Pareil quand on perd un certain nombre de fonctions cognitives - je parle surtout des personnes âgées: ça apparaît de façon plus ou moins progressive à travers différentes maladies, et il est particulièrement délicat pour un juge de déterminer à partir de quel moment il convient de supprimer les droits politiques. C'était le premier élément que je voulais souligner.

Le deuxième, c'est l'estimation des dangers. Concernant ceux qui ne disposent pas des capacités cognitives nécessaires, qui se trouvent isolés et placés sous l'assistance de proches aidants, je ne vois pas du tout le risque qu'il peut y avoir. Lorsque le matériel électoral arrive au domicile, les personnes qui les soutiennent peuvent, si elles le jugent nécessaire, discuter, examiner le sujet, puis voter avec eux. Ce n'est pas pire que quand, dans une famille, on discute ensemble en essayant de définir une position; il peut alors arriver que quelqu'un dise: «Inscris-moi les croix, je signerai ensuite.» Je pense que le danger n'est pas plus grand que ça à l'échelle individuelle.

Après, il y a le danger d'une captation de vote collective. C'est intéressant que nous ayons cette discussion maintenant, parce qu'on a débattu récemment à la commission des droits politiques du vote par correspondance et de l'identification des signatures. Il se trouve qu'on a reçu un certain nombre de garanties, par exemple pour les EMS où il y a passablement de personnes qui n'ont pas la capacité de discernement: des procédures sont mises en place pour qu'il ne soit pas possible de voter à la place de l'ensemble des pensionnaires. Ces garanties nous ont été données, le service des votations et élections nous a également dit que des contrôles étaient effectués de façon aléatoire grâce aux statistiques des cartes de vote et qu'il était ainsi possible d'éviter la plupart des fraudes que pourraient tenter de commettre des individus mal intentionnés.

En ce sens, je vous recommande fermement d'accepter ces deux projets de lois, c'est-à-dire de supprimer la disposition qui se trouve actuellement dans la constitution.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Je demande le renvoi à la commission des Droits de l'Homme, Monsieur le président, tout simplement parce que les travaux ont été teintés de certaines nuances qui risquent d'ouvrir la porte à des abus et à des manipulations de droits politiques, comme cela figure dans le rapport de minorité. Nous ne pouvons que regretter qu'il y ait eu confusion entre les termes de «personnes handicapées» et «personnes durablement incapables de discernement». Nous devons retravailler ces projets de lois qui ne nous semblent pas du tout adaptés à la réalité genevoise, et c'est la raison pour laquelle je sollicite leur renvoi en commission. Je vous remercie, Monsieur le président.

Le président. Merci. Je donne la parole à M. Mizrahi en ce qui concerne le renvoi en commission.

M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Comme je l'ai dit plus tôt, le travail a été effectué: nous avons entendu des experts sur ces questions, nous avons consulté la documentation. Et contrairement à ce qu'a indiqué le rapporteur de minorité, aucune confusion n'a été faite. Relisez l'article 136 de la Constitution, vous constaterez que les anciens termes de «maladie mentale» et «faiblesse d'esprit» y sont encore employés, donc il y a véritablement des discriminations faites sur cette base.

Certes, cela ne concerne pas forcément les personnes avec des handicaps physiques, mais cela touche très souvent celles qui souffrent de handicaps mentaux et psychiques. Or le problème qui se pose pour elles, c'est la définition de la capacité de discernement, dont l'évaluation est très difficile pour les raisons qui ont été évoquées.

Je conclurai ainsi, Monsieur le président: les personnes qui sont totalement incapables de discernement, par exemple qui se trouvent dans le coma...

Le président. C'est terminé, Monsieur Mizrahi !

M. Cyril Mizrahi. Je conclus, Monsieur le président ! ...ne votent de toute façon pas.

Le président. Merci. Monsieur Alder, pas de commentaire ? (Remarque.) Bien, alors je mets aux voix la proposition de renvoi à la commission des Droits de l'Homme... (Protestations. Commentaires.) Vous avez dit Droits de l'Homme, Madame von Arx.

Une voix. Oui, elle a dit Droits de l'Homme.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon. J'ai dit droits politiques !

Le président. Non, vous avez dit Droits de l'Homme.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon. Alors droits politiques, c'est évident.

Le président. C'est évident, mais vous avez dit Droits de l'Homme, donc je respectais votre demande ! Mesdames et Messieurs, merci de vous prononcer sur le renvoi à la commission des droits politiques.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 12211 et 12212 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 54 oui contre 42 non.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon. Je n'ai pas dit Droits de l'Homme !

Une voix. Si, Anne Marie, tu as dit Droits de l'Homme !