Séance du vendredi 18 octobre 2019 à 14h
2e législature - 2e année - 5e session - 24e séance

P 2054-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la pétition : Liberté et papiers pour Ayop Aziz !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 17 et 18 octobre 2019.
Rapport de majorité de M. Marc Fuhrmann (UDC)
Rapport de minorité de Mme Léna Strasser (S)

Débat

Le président. Nous abordons la P 2054-A, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de M. Marc Fuhrmann, à qui je passe la parole.

M. Marc Fuhrmann (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députées et les députés, il est question ici d'une pétition intitulée: «Liberté et papiers pour Ayop Aziz !» Elle parvint à la commission des pétitions le 10 décembre 2018 avec 37 signatures manuscrites et 2117 signatures électroniques, puis fut transmise ce même jour à la commission des affaires sociales. Là, elle fut débattue pas moins de quatre fois avec différentes auditions, notamment de l'association Solidarité Tattes et du service des réfugiés du CSP. Les conseillers d'Etat, MM. Apothéloz et Poggia, se sont aussi exprimés à ce sujet.

La demande de cette pétition est extrêmement simple: une autorisation de séjour pour Ayop Aziz, victime de l'incendie du foyer des Tattes. M. Aziz est en effet une des victimes de l'incendie de 2014; il a sauté de la fenêtre pour échapper à l'incendie et s'est, ce faisant, blessé à la tête notamment. Cet événement tragique a coûté la vie à l'un des habitants de ce foyer. Depuis 2014, la justice travaille sur le cas afin d'éclaircir les responsabilités des uns et des autres. Entre-temps, le SEM a refusé la demande d'asile de M. Aziz et le départ de Suisse lui fut donc signifié. Il faut rappeler que dans ce cas difficile, les autorités genevoises - l'OCPM - n'ont pas expulsé M. Aziz, qui, comme les autres victimes de cet incendie, a été indemnisé pour ses pertes. Je vous rappelle également que notre parlement se doit d'adopter des actes généraux et abstraits et non pas trancher dans un cas déterminé et concret. Dans les affaires migratoires, c'est le SEM, le Secrétariat d'Etat aux migrations, qui a le dernier mot.

La justice poursuit son travail, certes lent et laborieux. La majorité regrette bien évidemment cette lenteur, mais ce n'est pas au Grand Conseil de se substituer à la justice. De plus, il s'agit de ne pas créer de dangereux précédents, où par exemple une blessure vous mettrait au-dessus de la loi. N'oublions pas les difficultés rencontrées lors du voyage en Occident: si près du but, une blessure opportune serait alors salvatrice et ouvrirait bien des portes. Ce n'est pas acceptable ! Il y a le volet légal et le volet humanitaire. Le volet humanitaire est en ce moment clair s'agissant de cette personne; le volet légal suit son cours.

En conclusion, le parcours et la situation de M. Aziz ont touché les membres de la commission des affaires sociales en raison des difficultés auxquelles cette personne fait face. Il est toutefois apparu à une majorité des commissaires que, bien que sa situation soit difficile, pénible et tragique, il n'est pas souhaitable de contourner - voire détourner - nos lois et procédures pour ce cas individuel. Il me reste peu de temps; la majorité des membres de la commission a voté le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil par 9 voix pour et 6 contre, et je vous invite maintenant à faire de même. Merci.

Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le 16 novembre 2019, dans un mois, aura lieu le triste anniversaire - le cinquième - de l'incendie du foyer des Tattes. Cet incendie a coûté la vie à un jeune homme et blessé une quarantaine de personnes, dont certaines sont aujourd'hui encore invalides.

Comme l'a dit mon préopinant, il n'est pas de notre ressort de traiter de cas individuels, et nous le savons. Mais si la minorité de la commission est en faveur du renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, c'est que le cas particulier de M. Aziz n'est pas juste un cas particulier: il est symptomatique du non-suivi par nos autorités des conséquences de l'incendie du foyer des Tattes. M. Aziz en est l'une des nombreuses victimes; il a sauté du troisième étage pour échapper au feu, il a souffert d'une fracture du crâne et ses douleurs perdurent, de même que son état de stress dû à un syndrome post-traumatique. Il fait toujours l'objet d'un suivi médical.

L'histoire de M. Aziz exemplifie la manière dont certaines victimes de cet incendie ont été traitées. A nos yeux, au vu du drame de l'incendie, M. Aziz aurait dû obtenir un soutien, notamment un statut administratif lui permettant de s'ancrer quelque part, de se reconstruire et d'avoir accès à des soins adéquats en attendant une réponse de la justice. Pourtant, non; c'est même tout le contraire qui s'est passé. Le mouvement de citoyens solidaires qui le soutient, lui comme les autres nombreuses victimes de l'incendie, demande aujourd'hui un geste de notre part pour lui permettre de rester à Genève avec un statut, de pouvoir travailler, se soigner et se reconstruire - sa demande est extrêmement simple.

Mon préopinant a dit que d'autres blessés pourraient demander la même chose. En l'occurrence, il ne s'est pas blessé durant le voyage, Mesdames et Messieurs les députés ! Il s'est blessé ici, dans le lieu où il était logé, comme d'autres victimes. C'est afin qu'il reçoive un permis et bénéficie d'une situation stable que la minorité de la commission vous remercie de bien vouloir renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Mme Alessandra Oriolo (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, laissez-moi vous conter une histoire. Il était une fois un prince... non, pardon: un requérant d'asile qui s'appelait Ayop Aziz. Il n'est pas né dans un berceau doré mais dans un pays où les conditions de vie sont plus que difficiles, et vous le savez mieux que moi. Il n'avait pas forcément l'âme voyageuse, mais la vie ne lui a pas laissé le choix. Il a dû quitter son pays très jeune, traverser la Méditerranée sans un sou, affronter un voyage dangereux dans l'espoir de trouver une terre d'accueil et de paix. Il est arrivé dans la Genève humanitaire, dans un pays riche, développé et confortable. Il rêvait d'un futur meilleur; cela allait enfin être possible.

La réalité s'est, hélas, avérée bien différente: l'accueil fut froid et sans compassion. Il s'est retrouvé confronté aux procédures sans fin de notre politique d'asile. Mais l'aventure d'Ayop Aziz ne connaît pas de répit et vire au cauchemar. En 2014, il est victime d'un tragique incendie, dans un bâtiment appartenant à l'Etat, qui le laisse avec de graves séquelles physiques et psychiques - il ne s'agit pas de simples blessures comme l'a dit mon préopinant. Il obtient peu d'aide de l'Etat et pas de reconnaissance du statut de victime. La Suisse dorée lui refuse même un statut administratif qui lui permettrait de rester.

Sommé de partir, il quitte donc la Suisse pour l'Espagne, espérant y trouver des conditions de vie meilleures. Ne parvenant pas à payer ses traitements médicaux liés à l'incendie, il revient dans nos contrées en espérant trouver un travail. Malheureusement, bien qu'il tente de régulariser sa situation, il se voit arrêté et mis un temps en détention administrative. Oui, parce qu'en Suisse, certains de nos migrants et requérants d'asile sont traités comme des criminels ! Il frôle le renvoi dans son pays par vol spécial mais est sauvé in extremis par une mobilisation massive. Cinq ans après ce terrible incendie, Ayop Aziz n'a toujours pas été reconnu comme victime ni indemnisé pour les dommages subis. A l'heure où nous débattons au sein de ce parlement, son sort est incertain: Ayop Aziz est sur la sellette puisqu'il risque d'être prochainement expulsé de Suisse.

Il était une fois un prince... non, pas un prince, mais un jeune homme, un être humain, qui avait besoin d'aide mais s'est retrouvé laissé pour compte dans un des pays les plus riches du monde. Cette histoire, vous l'aurez compris, Mesdames les députées, Messieurs les députés, n'est pas un conte mais bien une véritable tragédie. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas rattraper nos erreurs: nous avons volé cinq années de la vie de ce jeune homme. (Commentaires.) Nous pouvons en revanche assumer nos responsabilités et changer un tout petit peu son histoire. Aujourd'hui, nous pouvons faire en sorte qu'Ayop Aziz puisse rester en Suisse, qu'il puisse se reconstruire, trouver un travail, suivre une formation et avoir un avenir digne. Ici, il s'agit certes d'un seul cas, mais ce cas est symptomatique du non-suivi par nos autorités des conséquences de l'incendie du foyer des Tattes. Il est le fruit d'une politique d'asile inhumaine et inadaptée.

S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, renversons la majorité; acceptez cette pétition ! Il y a urgence, car le temps juridique est bien trop long. Il en va de notre humanité, il en va de notre responsabilité collective. Faisons preuve de solidarité, pour Ayop et pour toutes les victimes de cet incendie: acceptez la pétition. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci. Nous passons au vote sur les conclusions de la majorité de la commission, soit le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des affaires sociales (dépôt de la pétition 2054 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 48 oui contre 36 non.