Séance du
jeudi 6 juin 2019 à
20h30
2e
législature -
2e
année -
2e
session -
6e
séance
R 884
Débat
Présidence de M. Jean-Marie Voumard, président
Le président. Notre urgence suivante est la R 884, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Il n'y a pas de prise de parole ? (Un instant s'écoule.) Je passe le micro à Mme Delphine Bachmann.
Mme Delphine Bachmann (PDC). Merci, Monsieur le président. Je suis un peu étonnée d'être la première à m'exprimer ! Si nous voulons l'égalité, si nous voulons augmenter notre population d'actifs pour financer nos retraites, il va falloir protéger les femmes enceintes, car la grossesse peut fragiliser un emploi ou une carrière, et cela pour plusieurs raisons: parce qu'il y a un congé maternité, parce qu'il y a parfois des arrêts maladie, sans compter le stress induit par un retour au travail précoce, couplé à de nombreux petits bonheurs que nous connaissons tous ici. Vous savez: le manque de sommeil, l'énergie mise dans une organisation qui ne fonctionnera pas, l'arrivée au bureau avec des traces de nourriture sur son tailleur après avoir dormi deux heures, le tout avec un pull à l'envers... (Rires.) ...les visites chez le pédiatre qui s'enchaînent, parce que la crèche, c'est top, ça développe l'immunité - et nous, ça nous fait les pieds - les habits qui sentent le vomi une fois par semaine, les collègues qui nous demandent si on prend notre journée quand en réalité on va gérer la roséole de Bibouli d'amour, alors qu'on rêvait déjà d'aller à l'apéro de départ de Jean-Michou - enfin, ce moment entre adultes qu'on attendait avec impatience ! Et je ne parle même pas du fait que, à choix, soit on est regardée de travers parce qu'on part à l'heure, soit on se dit, chaque fois qu'on arrive en retard à la crèche, que les éducateurs vont refiler Bibouli d'amour aux services sociaux à la première occasion.
Alors c'est vrai, on l'a voulu, mais en attendant j'aimerais quand même vous dire que la législation en place n'est pas vraiment suffisante. Toutes les études le montrent, on peut faire mieux, particulièrement en Suisse. Des solutions doivent être trouvées, mais elles doivent l'être au travers d'un partenariat avec les milieux sociaux et économiques. C'est ensemble que nous y arriverons, en étant incitatifs, constructifs, et pas seulement punitifs envers les employeurs, car il ne faut pas oublier que beaucoup s'engagent déjà dans ce sens.
Pour ces raisons, le parti démocrate-chrétien demande le renvoi de cette résolution en commission pour que nous puissions auditionner les différents acteurs concernés, que ce soient les syndicats ou les milieux patronaux. Si ce renvoi est refusé, nous vous proposerons un amendement tenant compte de cette réalité, que nous vous invitons à soutenir. Je précise d'ailleurs que, si le renvoi en commission est rejeté, le parti démocrate-chrétien appuiera cette résolution uniquement si son amendement est accepté. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Il est pris note de votre demande de renvoi, qui sera mise aux voix à la fin du débat. En attendant, je passe la parole à Mme Simone de Montmollin.
Mme Simone de Montmollin (PLR). Merci, Monsieur le président. Après la description haute en couleur de ma préopinante, je ne vais pas dépeindre une nouvelle fois ce qu'une femme endure lorsqu'elle revient du travail fourbue, qu'elle entame sa deuxième journée à la maison et que le lendemain ça recommence ! Il est évident qu'il faut préserver les chances des femmes - notamment celles qui viennent de vivre une maternité - d'être maintenues dans leurs fonctions au travail. Cette proposition de résolution part donc d'une bonne intention. Toutefois, nous souhaitons rappeler que 90% des licenciements en entreprise sont dus à des raisons économiques ou à l'évolution des besoins et pas, même si les rapports pointent cette problématique, pour sanctionner une professionnelle parce qu'elle serait confrontée à la difficulté supplémentaire d'être mère et de l'assumer.
Chercher à protéger plus efficacement les mères au retour du congé maternité part d'une bonne intention, disais-je, mais nous craignons aussi que le fait d'augmenter les sanctions ou d'imposer des mesures trop contraignantes n'aboutisse au résultat inverse, à l'image de ce que nous observons en Allemagne, où c'est finalement une difficulté à l'embauche que les femmes éprouvent, car les employeurs, en raison des contraintes supplémentaires, renoncent à des candidatures féminines au vu des pressions trop importantes qu'ils risqueraient de subir. Nous sommes donc d'avis que cette résolution doit pour le moins être examinée en commission et que nous devons entendre les partenaires sociaux et étudier les rapports évoqués dans l'exposé des motifs. C'est à cette condition que nous souhaitons aborder le débat. Nous sommes d'accord avec l'amendement du PDC, mais il nous semble qu'un passage en commission est quand même indispensable dans tous les cas. Je demande dès lors, comme ma préopinante, le renvoi en commission. Je vous remercie.
Mme Marion Sobanek (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une énième résolution adressée à l'Assemblée fédérale... Eh bien - je suis spécialiste - j'irai de nouveau à Berne défendre cette cause !
En Suisse, les femmes ont en moyenne 30,7 ans à la naissance de leur premier enfant. C'est l'âge où l'on construit sa carrière. Or, un septième d'entre elles cessent leur activité professionnelle. D'autre part, le travail à temps partiel est beaucoup plus répandu dans notre pays qu'ailleurs en Europe: avant 42 ans, plus de 66% des femmes ont un emploi à temps partiel; après 42 ans, ce taux s'élève à environ 50%. Ce manque d'activité, nous le savons, a cependant des répercussions sur les rentes, l'AVS, etc.
La protection des mères au retour du congé maternité est tout simplement insuffisante. Elle est moindre chez nous comparativement aux pays voisins. C'est également le cas en ce qui concerne le congé maternité lui-même. La Suisse, comme toujours, est championne et brille en ayant la législation la moins sociale de toute l'Europe. Cette inégalité face au travail quand on est mère - ma préopinante l'a bien expliqué - induit aussi des inégalités dans le partage des tâches, et il est quand même nécessaire de rappeler que, là encore, la société donne le cadre pour que le vivre-ensemble soit plus avantageux pour tout le monde. Si vous regardez quelles personnes sont au chômage, vous verrez que ce sont le plus souvent les mères, et les bureaux de l'égalité de Zurich et Genève ont relevé un gros problème en matière de licenciements au retour du congé maternité: ils indiquent que les jeunes mères sont littéralement fauchées dans leur carrière après la grossesse.
L'argument de mes préopinantes selon lequel une plus grande protection... A ce propos, je précise qu'il est question ici d'une protection légèrement plus grande: il ne s'agit pas d'une protection de nature soviétique, comme certaines pourraient le penser ! Cette protection est nécessaire, et elle n'empêchera pas du tout de réaliser quelque chose d'efficace. La réponse que le Conseil fédéral avait fournie aux interpellations des différents parlementaires montre que le problème le préoccupe, mais rien n'est fait dans la pratique. Mesdames et Messieurs, il faut qu'on arrête avec ce blabla ! Les soi-disant discussions entre partenaires sociaux n'ont rien donné depuis tant d'années ! Actuellement, je suis toujours étonnée... (Remarque.) Ah, je n'ai plus de temps de parole, je vous incite donc à accepter cette résolution telle quelle. Merci beaucoup ! (Applaudissements.)
Mme Isabelle Pasquier (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, une femme sur dix est licenciée à son retour de congé maternité. Hier soir, sur la RTS, le chiffre même d'une femme sur sept a été évoqué au «19h30». C'est un chiffre choquant, et cela à plus d'un titre. La maternité est évidemment essentielle à la survie de notre espèce, elle est également nécessaire pour la pérennité de notre système économique, mais elle reste bien souvent une entrave dans la vie professionnelle des mères, comme l'attestent les différences salariales, le moindre accès aux postes à responsabilité ainsi que les licenciements abusifs. Car c'est bien de cela qu'on parle. Les cas dénoncés montrent que ces licenciements sont rarement justifiés par des restructurations internes ou des raisons économiques. Il s'agit au contraire de licenciements liés à la nouvelle situation familiale de ces femmes, les employeurs craignant un investissement moindre de leur part.
La meilleure solution pour changer cette perception ? Le congé parental, bien sûr. Mais la route est encore longue. C'est pourquoi, en attendant, il est nécessaire d'agir comme le proposent le parlementaire fédéral Mathias Reynard ou le député suppléant Youniss Mussa. Cela fait déjà plusieurs années que des interventions ont lieu au Conseil national. Le Conseil fédéral reconnaît le problème, mais considère qu'il n'y a pas lieu d'agir. Je cite: «La période de seize semaines offre une protection de deux semaines au retour du congé [...]. Ensuite de cela, un licenciement en raison de la maternité reste illicite mais n'est plus sanctionné par la nullité mais par une indemnité de six mois de salaire au maximum. Le Conseil fédéral estime que ce dispositif légal offre dans l'ensemble une bonne protection.» Sympa: c'est illicite, mais on tolère. Eh bien non, on ne tolère pas ! Il faut agir rapidement pour améliorer la protection des femmes et des familles, parce que la société se doit de les protéger dans ces moments intimes, intenses, mais aussi éprouvants. Augmenter la durée de protection contre le licenciement s'avère donc nécessaire, et améliorer l'information est un complément bienvenu.
A ce titre, j'aimerais mentionner les conclusions d'un rapport publié par le Conseil fédéral en 2016 suite à un postulat de 2012 - oui, car depuis 2012 il y a des postulats et des réflexions à ce sujet, mais rien de concret. Les auteurs indiquent que si les femmes enceintes et celles qui ont récemment accouché peuvent obtenir gain de cause en justice, il est toutefois rare qu'elles entreprennent cette démarche. Ils recommandent donc des mesures de sensibilisation et d'information. Ils demandent en outre que les centres de consultation et de médiation enregistrent systématiquement tous les cas dont ils ont connaissance. Ils recommandent finalement que la loi fédérale sur l'égalité soit modifiée dans le sens d'un rehaussement à douze mois de salaire de l'indemnité maximale perçue en cas de licenciement abusif. Pour toutes ces raisons, les Verts vous invitent à soutenir cette résolution telle quelle et n'accepteront pas l'amendement proposé. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je ne serai pas aussi loquace que mes préopinantes. J'annonce simplement que le MCG soutiendra naturellement cette proposition de résolution. Merci.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Les considérants de cette résolution sont particulièrement alarmants, et les personnes qui se sont exprimées avant moi l'ont très clairement dit. En Suisse, une femme sur dix est licenciée à la suite de son congé maternité. Même s'il n'y en avait qu'une, ce serait encore une de trop, alors une sur dix... Admettez, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il y a là un danger incroyable et une injustice flagrante. Cette pratique trop souvent utilisée ne constitue rien d'autre qu'une manière de renvoyer les femmes au foyer ou au chômage. Il faut absolument remédier à cette distorsion, qui est inacceptable. Il convient sans tarder de renforcer la protection des mères de retour à leur poste, notamment en étendant la durée de cette protection. Il est surtout nécessaire d'inverser le fardeau de la preuve et de prévoir de sévères compensations en cas de licenciement abusif afin de dissuader les employeurs de méfaire en la matière.
J'avoue qu'il est décevant d'entendre les représentants des partis de droite dire que ces pratiques ne sont pas acceptables et nous demander ensuite d'édulcorer les invites de cette résolution. Quant à ce qu'évoquait Mme de Montmollin - vous transmettrez, Monsieur le président - à savoir qu'il est difficile de déterminer s'il s'agit réellement de motifs de licenciement liés au retour au travail après une maternité, je renvoie cette assemblée à une étude réalisée sur le plan fédéral et publiée la semaine dernière, qui indique que 9% des employeurs avouent avoir déjà procédé à des licenciements pour ce motif. Le risque est dès lors avéré. Il importe ainsi d'agir, et rapidement, Mesdames et Messieurs les députés ! Il faut améliorer la situation des femmes à leur retour au travail après une maternité, raison pour laquelle le groupe Ensemble à Gauche soutiendra la résolution dans sa forme d'origine et ne votera pas l'amendement présenté par les femmes du PDC, car une fois de plus il affaiblit drastiquement ce texte, qui n'en a vraiment pas besoin. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Nous allons maintenant nous prononcer sur les deux demandes de renvoi à la commission des affaires sociales qui ont été formulées.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 884 à la commission des affaires sociales est adopté par 51 oui contre 39 non.