Séance du
jeudi 22 mars 2018 à
20h30
1re
législature -
4e
année -
13e
session -
73e
séance
PL 11764-A et objet(s) lié(s)
Suite du premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons nos débats sur le projet de loi concernant la laïcité, et je donne la parole à M. Mizrahi.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, quelle urgence y a-t-il à se doter d'une loi sur la laïcité ? Vous me direz qu'on s'est déjà prononcé sur l'urgence, mais tout de même, Mesdames et Messieurs, chers collègues, quelle est la nécessité ? Est-ce qu'on a vu des gens descendre dans la rue pour réclamer une loi sur la laïcité ? Mis à part M. Maudet, bien sûr, qui n'est peut-être pas là ce soir pour cette raison... Les Genevoises et les Genevois ont des problèmes de logement, des problèmes d'emploi, des problèmes d'accès aux soins, des problèmes de mobilité, voilà entre autres les réels problèmes qui se posent aujourd'hui ! Mais les Genevoises et les Genevois ont-ils des problèmes de laïcité ? Non ! Pourquoi ? Parce que nous avons une constitution de 2012 qui fixe des principes en matière de laïcité, des principes clairs de neutralité de l'Etat en matière religieuse, de séparation entre les communautés religieuses et l'Etat, et d'interdiction du subventionnement du culte. L'alinéa stipulant que l'Etat entretient des relations avec les communautés religieuses a été mis là simplement pour dire que l'Etat a effectivement la possibilité d'entretenir des relations avec ces communautés religieuses, comme avec n'importe quelle association. Ni plus ni moins. Et ce cadre constitutionnel, Mesdames et Messieurs, ne fixe aucune obligation de légiférer, il faut le dire clairement, notamment suite à ce qui a été indiqué par le conseiller d'Etat en charge au début de ce débat. Depuis, il a quelque peu revu sa position, mais en tout cas il n'y a pas d'obligation de légiférer, c'est une question de pure opportunité politique.
Actuellement, nous n'avons pas rien. Nous avons ce cadre constitutionnel ainsi que de la jurisprudence qui fixe également un cadre raisonnable. Cette jurisprudence est notamment rappelée dans la brochure sur la laïcité à l'école, par exemple, qui a été rédigée par le DIP. Nous avons donc une tradition de laïcité à la genevoise, une tradition à laquelle une majorité de ce parlement - mais pas la totalité - est attachée, une tradition de laïcité qui est une laïcité de l'Etat: non pas une laïcité que l'on impose à tous, non pas une négation du phénomène religieux, mais une laïcité qui s'applique à l'Etat, et en particulier à ses agents. Pourquoi remettre en cause cette tradition de la laïcité genevoise et vouloir figer cela dans une loi qui ne pourra pas facilement évoluer par la suite ? Ce faisant, Mesdames et Messieurs, on ouvre tout simplement la boîte de Pandore. Certains souhaiteraient une loi très restrictive, avec une vision de la laïcité très anticléricale; d'autres voudraient au contraire élaborer une loi sur les religions, donner une place plus grande aux religions, faire en sorte que les religions aient un statut officiel et finalement remettre en cause cette laïcité que nous connaissons. Eh bien moi, ce que je vous propose aujourd'hui, c'est de refermer cette boîte de Pandore et d'éviter que nous nous retrouvions en fin de compte avec une laïcité de rejet, une laïcité à géométrie variable, une laïcité en somme contraire à notre tradition genevoise de la laïcité, et pour cela, Mesdames et Messieurs, je vous recommande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Yves de Matteis (Ve). En préambule, puisque j'ai présidé la commission ayant traité cet objet, j'aimerais remercier M. Conne, le précédent président, mais aussi M. Castella et Mme Moro, notre procès-verbaliste, de même que Mme Pestalozzi, qui a eu la tâche difficile d'organiser durant ces deux années les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé.
Je voudrais ensuite dire qu'au sein du groupe des Verts, nous avons parfois eu des positionnements assez différents. Au final, même si une majorité s'est quand même dégagée sur la plupart des amendements et des aspects concernant cette loi, chacun des membres de notre groupe aura la liberté de parole ainsi que la liberté de vote sur cet objet.
Venons-en maintenant à la laïcité. On a à peu près tout entendu: la laïcité devrait être ceci, devrait être cela... C'est un peu comme si la laïcité était une idée platonicienne avec des caractéristiques auxquelles il faudrait à tout prix obéir. Or ce qu'on voit, quand on regarde ce qui se passe dans le monde, c'est qu'il y a la laïcité à la française, la laïcité à la neuchâteloise - c'est d'ailleurs le seul autre canton de Suisse à avoir le principe de laïcité dans ses fondements, puisque aucun autre canton n'en dispose - la laïcité à la québécoise, qui est considérée comme une laïcité ouverte, etc. Il existe donc différentes variantes, mais ce qu'il faut avant tout savoir - et M. Mizrahi l'a bien dit - c'est qu'il y a la laïcité à la genevoise. Et la laïcité à la genevoise, ce sont des pratiques, des traditions, des habitudes qui, au cours des dizaines d'années, des siècles, se sont déposées un peu comme des strates d'un mille-feuille et qui font qu'aujourd'hui on a ce principe de laïcité qui est unique au monde et qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Pour vous donner deux ou trois exemples de la laïcité genevoise, c'est entre autres les liens qui existent entre l'Etat et les organisations religieuses, quelles qu'elles soient, c'est le rôle social des organisations religieuses comme l'AGORA, qui s'occupe des migrants, ou d'autres structures, et c'est également l'information sur les religions, telle que le Centre intercantonal d'information sur les croyances - qui est cofinancé par le canton de Genève, mais aussi par d'autres cantons - la met à disposition des citoyens et des citoyennes, notamment sur son site internet. La laïcité à la genevoise, c'est en outre l'interdiction pour les agents de l'Etat d'afficher des signes religieux ostensibles quand ils sont en contact avec le public, mais de manière assez paradoxale et dans le même temps, c'est aussi l'habitude ou la tradition, pour le Conseil d'Etat, de prêter serment sur la Bible ou en tout cas à proximité de la Bible - je précise bien sûr qu'il s'agit de l'Ancien Testament. Or il est quand même assez paradoxal qu'au sommet de l'Etat - un Etat qui interdit la visibilité des religions dans le cadre de l'administration - les responsables prêtent serment sur un texte religieux, qui plus est dans une cathédrale. C'est vrai que c'est tout de même assez surprenant, mais c'est aussi ça, la laïcité genevoise, avec son lot de contradictions.
Le projet de loi du Conseil d'Etat avait en tout cas cela d'intéressant qu'il reprenait ces éléments un peu disparates pour les mettre au sein d'une loi et faire en sorte que, pour ceux qui ne sauraient pas vraiment comment s'orienter, il y ait quand même une certaine règle permettant d'ordonnancer l'action de l'Etat, mais aussi les responsabilités des individus ainsi que des institutions et organisations religieuses. Il y a donc véritablement ici la volonté de concrétiser et d'inscrire dans la loi ces traditions de façon globale dans un texte visible pour tous, de manière très transparente. Je mentionnerai quand même deux exceptions à cette retranscription de la tradition de la laïcité genevoise. Je pense d'abord à l'article relatif à la prestation de l'Etat consistant à collecter les contributions religieuses volontaires. En effet, l'Etat a la possibilité de percevoir une espèce de contribution, d'impôt ecclésiastique pour les organisations religieuses reconnues - en l'occurrence aujourd'hui les catholiques chrétiens, les catholiques romains et les protestants. C'est vrai que ça peut paraître assez contradictoire avec la laïcité, mais c'est pourtant aussi une caractéristique de la laïcité genevoise, et le propre de la loi du Conseil d'Etat est d'ouvrir cette prestation à toutes les organisations religieuses qui obéiraient à certains critères. Cet élément est relativement nouveau, mais c'est une obligation qui vient du fait que l'article 15 de la constitution genevoise interdit les discriminations basées sur la religion; il aurait donc été impensable de maintenir cette tradition en même temps que la constitution sans l'élargir à l'ensemble des religions qui réuniraient les critères nécessaires.
La deuxième disposition assez différente de la tradition de la laïcité genevoise figure à l'article 7, lequel interdit - dans des cas très exceptionnels, il est vrai - le port de signes religieux ostensibles sur le domaine public, dans les bâtiments publics, scolaires, universitaires, etc. C'est effectivement un élément relativement nouveau, qui constitue en quelque sorte une rupture avec la tradition de la laïcité à la genevoise. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Verts ne pourront pas voter la loi dans son ensemble si cet article 7 est maintenu. C'est l'une des deux lignes rouges que nous observerons lors de nos votes, en tout cas pour ce qui est de la majorité du groupe.
Je ne vais pas entrer dans le détail des amendements - je pense qu'on le fera par la suite - mais je voudrais en revanche souligner à nouveau le bon travail effectué par la commission, dans une ambiance qui a permis le 95% du temps de travailler de façon très fructueuse et très cordiale, même si c'était parfois un peu difficile. J'ajouterai que ce que j'ai trouvé assez intéressant, c'était la volonté de la commission de prendre en compte non seulement les croyants, mais aussi les non-croyants, c'est-à-dire les agnostiques et les athées. On a donc modifié un certain nombre d'articles en ce sens, et on le doit peut-être aux représentants d'une laïcité un peu plus stricte - qui n'ont pas toujours été consultés, il est vrai - puisqu'il faut savoir que, alors que dans les années 60-70 il y avait 1% d'agnostiques ou d'athées, aujourd'hui, en 2017-2018, les agnostiques et athées représentent environ 37% de la population... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...et c'est un chiffre qui va en augmentant.
Voilà pour cette petite mise en bouche. Je reprendrai la parole par la suite, car je vois que le temps s'écoule et on n'est pas dans l'éternité du paradis... Mais je vais m'abstenir de métaphores qui pourraient heurter la laïcité à la genevoise ! Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Christian Decorvet (MCG). Le débat qui nous occupe aujourd'hui est tout sauf anodin pour Genève. Notre république a souvent eu l'occasion de se déchirer sur le fait religieux au cours des siècles, mais depuis ces temps de troubles et de violences, les Genevois ont appris à maîtriser le feu de la passion, lui préférant la douceur de la paix confessionnelle. Cela dit, malgré l'arrivée du principe fondateur de la neutralité de l'Etat dans le fait religieux, il a fallu poser un cadre à ce qui est aujourd'hui devenu la laïcité, et c'est à ce titre que les constituants ont élevé ce principe au rang constitutionnel lors de la révision complète de notre charte fondamentale. L'ordre juridique suisse est ainsi fait qu'il faut une loi pour appliquer ce principe constitutionnel, et c'est l'objet de notre débat. Le cadre de cette loi n'est toutefois pas seulement notre constitution cantonale; c'est aussi et surtout celle qui gouverne notre pays. Or, dans l'ordre juridique que pose la Constitution fédérale, et pour comprendre la nécessité absolue de cette loi, il faut connaître l'article 36 de la Constitution fédérale. Que nous dit cet article qui nous intéresse ici ? La liberté religieuse en Suisse est un droit; comme tout droit, elle peut connaître des restrictions, mais l'article 36 nous dit précisément que toute restriction d'un droit fondamental doit reposer sur une base légale. Ce dont nous sommes en train de discuter ici est essentiel, puisque c'est la ligne de frontière entre deux principes: d'une part la neutralité religieuse de l'Etat et d'autre part la liberté de croyance. Pour tracer cette frontière, nous devons poser une loi claire. Nous voulons que le bon sens permette à chacun de vivre sa foi sans empiéter sur l'espace public, car un tel empiétement est très majoritairement intolérable aux yeux de nombreux Genevois. Le projet qui nous est présenté est de nature à atteindre cet objectif, il faut donc le soutenir. Votons le PL 11764 ainsi que ses amendements - sauf un - afin de maintenir la paix confessionnelle.
Une voix. Bravo !
M. Eric Stauffer (HP). Mesdames et Messieurs les députés, je vais vous donner la position des quatre députés indépendants membres de Genève en Marche, mais j'aimerais quand même vous dire qu'à titre personnel je suis passablement irrité par ce qui est en train de se passer globalement. Tout d'abord, il est clair et sans discussion possible que l'Etat doit être laïque. Ça ne fait pas l'ombre d'un doute, c'est une question de respect, de dignité humaine, toutes les religions doivent être respectées. En revanche, ce qui m'inquiète, Mesdames et Messieurs, c'est qu'à cause de certains ou de certaines religions dans les extrêmes, nous sommes tous atteints d'une «légiférite» aiguë et on commence à s'autolimiter. Il faut qu'on soit clair, Mesdames et Messieurs ! La Suisse et le canton de Genève sont chrétiens depuis les origines. Nous avons grandi, nous avons été élevés... Je suis moi-même catholique romain... (Commentaires.) ...et je suis fier de ma religion, mais je respecte toutes les religions et toutes les formes de religions. Ce qui me désole, et vous le verrez plus tard dans la discussion, notamment avec les amendements qui vont être déposés - les débats n'auront d'ailleurs plus la même tenue que jusqu'à présent - c'est qu'on commence à s'autolimiter. A l'article 7, par exemple, le Conseil d'Etat a prévu ceci: «Afin de prévenir des troubles graves à l'ordre public, le Conseil d'Etat peut restreindre ou interdire, sur le domaine public, dans les bâtiments publics, y compris les bâtiments scolaires et universitaires, pour une période limitée, le port de signes religieux ostentatoires. [...]» Et là on parle de quoi, Mesdames et Messieurs ? Parce qu'il faut qu'on soit clair, encore une fois ! On pose le sujet sur la table car vous avez voulu le débat; pour notre part, nous pensions qu'il n'y avait pas d'urgence... Eh bien on parle du voile, on parle du niqab, et dans cette «légiférite» aiguë on va même en arriver à dire un jour prochain qu'il ne faut plus porter d'alliance parce que ça symbolise le mariage, c'est catholique, c'est un signe ostentatoire religieux. Mais je vous préviens, Mesdames et Messieurs, je m'y opposerai avec toute l'énergie que vous me connaissez. (Brouhaha.) C'est là qu'on va avoir un problème ! Alors moi je vous le dis en vérité, chers collègues... (Exclamations. Commentaires.)
Une voix. Vas-y, Jésus !
Une autre voix. C'est Jésus !
M. Eric Stauffer. Je vous le dis en vérité...
Une voix. En vérité, je vous le dis ! (Commentaires.)
M. Eric Stauffer. Je pense qu'au vu des amendements qui vont être déposés, ce projet n'est pas encore tout à fait mûr pour être traité en plénière. Je demande donc le renvoi en commission, Monsieur le président.
Une voix. Et c'est parti !
Une autre voix. Parole d'Evangile !
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission, sur laquelle peuvent s'exprimer les rapporteurs et le Conseil d'Etat.
Des voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenus ? (Quelques mains se lèvent.) C'est un peu court ! (Commentaires. D'autres mains se lèvent.) Très bien, c'est suffisant. Messieurs les rapporteurs et Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez la parole sur le renvoi en commission. Qui veut s'exprimer en premier ? (Remarque.) Allez-y, Monsieur Halpérin, je vous en prie.
M. Lionel Halpérin (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Cette proposition revient au fond à demander que l'on renvoie cet objet à une commission qui a travaillé pendant deux ans sur ce sujet et qui a entendu un nombre considérable de personnes. On est en train de nous demander ce renvoi pour continuer les travaux et les prolonger indéfiniment... La réalité, c'est que les travaux en commission ont été extrêmement complets et que vous avez un rapport de 800 pages qui les relate. Je crois donc qu'on en est maintenant au point où il faut qu'on se détermine. On décidera dans un sens ou dans un autre, chacun est libre de ses convictions à ce sujet, mais il n'est plus temps de renvoyer ce projet en commission.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Je suis obligé de reprendre 80% de ce que vient de dire le rapporteur de majorité. En effet, qu'allons-nous faire de mieux en commission ? Réponse: rien. (Brouhaha.) Maintenant c'est à chacun de savoir, au tréfonds de sa conscience, si on doit de nouveau tomber dans un Etat pseudo-théologico-démocratique et laisser la métaphysique entrer parmi nous... Non, Mesdames et Messieurs, ayons du courage ! Je crois que ce soir il faut avoir du courage ! Personnellement, à ce stade des débats, c'est-à-dire tant que l'entrée en matière n'est pas votée - on verra que les amendements seront beaucoup plus scabreux - je pense qu'il n'est pas opportun de renvoyer ce texte en commission.
Une voix. Très bien !
Une autre voix. Bravo !
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Je partage le point de vue de mes deux préopinants rapporteurs. Eric Stauffer a raison sur un point: la multiplicité des amendements montre que le projet n'est pas mûr. Mais la conclusion que j'en tire, ce n'est pas qu'il n'a pas passé suffisamment de temps en commission. Il a en effet été étudié durant deux ans, voire plus, ce qui représente des centaines d'heures. Des dizaines d'auditions ont été effectuées, les uns et les autres ont accompli un travail très sérieux pendant toutes ces séances, et tout ça démontre que le problème n'est pas un déficit de travail en commission. Le problème est «ab ovo et initio» ! Il est fondamental ! Le problème, c'est qu'on essaie de résoudre la quadrature du cercle: on essaie d'avoir un Etat qui se dit neutre en matière religieuse, qui se dit laïque, or on commence à faire une loi sur les religions, dont quelques angles ont été arrondis, mais qui pose problème pour ce motif. Et ça, on ne le réglera pas en renvoyant ce projet de loi en commission, mais bien en en refusant l'entrée en matière. Je vous invite donc, Monsieur Stauffer, à vous rallier à cette solution qui est plus simple et plus élégante que celle que vous aviez imaginée.
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, non seulement il y a eu deux ans de travaux en commission - avec à la clé un rapport qui, par sa complétude, est probablement le plus important que vous ayez produit - mais j'aimerais aussi rappeler qu'une commission d'experts s'est préalablement réunie, qu'une procédure de consultation extrêmement vaste a été menée et que ce travail a été fait de bout en bout de manière à permettre un débat ce soir. C'est pour cela que je vous invite à poursuivre vos travaux et à ne pas renvoyer ce texte en commission.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Monsieur Stauffer ?
M. Eric Stauffer (HP). Monsieur le président, au vu de ces déclarations je retire ma demande de renvoi en commission. (Brouhaha.)
Le président. Très bien. Cette demande de renvoi en commission est donc retirée. La parole est à M. Gauthier pour la seconde fois.
M. Pierre Gauthier (HP). Je vous remercie, Monsieur le président. Je crois qu'il importe, à ce stade du débat... (Commentaires de M. Alberto Velasco.)
Le président. Un, vous n'avez pas la parole et, deux, cela a été fait dans les règles ! Il n'y a plus de demande de renvoi en commission, tout se passe bien, calmez-vous ! Merci, Monsieur ! Vous pouvez poursuivre, Monsieur Gauthier.
M. Pierre Gauthier. Je vous remercie, Monsieur le président. (Commentaires de M. Alberto Velasco. Brouhaha.)
Des voix. Chut !
Une autre voix. Calme-toi !
M. Alberto Velasco. Il va faire ça vingt fois !
Des voix. Mais c'est pas grave !
Le président. On va attendre qu'il y ait un peu de calme, Monsieur Gauthier ! On a jusqu'à demain soir, il n'y a pas de problème... S'il vous plaît, un peu de silence, sinon on ne reprend pas les débats. (Brouhaha.)
M. Pierre Gauthier. Monsieur le président, est-ce que vous pourriez ramener un peu de calme dans cette honorable assemblée ?
Le président. On attend, Monsieur Gauthier, le silence va revenir ! (Commentaires.) C'est valable pour M. Cerutti comme pour tout le monde ! On ne reprend pas les débats tant qu'il n'y a pas un peu de calme, c'est clair ? (Brouhaha.) Monsieur Cerutti, c'est valable pour vous aussi ! Allez-y, Monsieur Gauthier.
M. Pierre Gauthier. Je vous remercie, Monsieur le président. Jusque-là les débats étaient sereins et intéressants, je souhaite donc qu'ils continuent sur cette ligne. Après ma première intervention de tout à l'heure, je vais formuler un certain nombre de critiques que nous avons émises contre ce projet de loi. La première critique, qui est d'ordre général, c'est que ce projet de loi ressemble un peu à un fourre-tout traitant de très nombreux, de trop nombreux domaines. A la différence du projet de loi du Conseil d'Etat, le texte que j'ai déposé avec Magali Orsini a quant à lui au moins l'avantage de la simplicité: il propose un cadre extrêmement clair, et les autres domaines d'activité de l'Etat auraient pu s'y référer et s'adapter au principe de laïcité ainsi défini très clairement. La commission a choisi une autre voie en étudiant le projet de loi du Conseil d'Etat, mais ce fourre-tout traite du droit de réunion, de la sécurité des domaines publics et de l'exigence générale de police, il introduit malgré tout une discrimination entre les personnes qui confessent une religion et celles qui n'en confessent pas, il réglemente des aspects du personnel de l'Etat, il intervient dans la loi sur l'instruction publique, il traite de questions fiscales, du financement des aumôneries, etc. Le premier reproche que l'on pourrait faire à ce projet de loi est donc que qui trop embrasse mal étreint.
Je le disais, le projet de loi du Conseil d'Etat crée des discriminations et une différence entre les personnes qui confessent une religion et celles qui n'en confessent pas, et c'est aussi une critique très importante que l'on doit lui faire. Je vous rappelle qu'à Genève environ 65% des habitants du canton se répartissent en plusieurs religions et que 35% - soit à peu près le tiers, une personne sur trois - ne confessent aucune religion. Or le projet de loi du Conseil d'Etat introduit une discrimination notamment au travers de ce que l'on nommait autrefois l'impôt ecclésiastique et aujourd'hui la contribution religieuse volontaire, qui offre finalement à des groupes religieux une vitrine de respectabilité qui n'est pas du tout dispensée aux 35 autres pourcents de la population. Il y a donc une différence de traitement, une inégalité profonde de traitement. Pourquoi d'ailleurs les communautés religieuses bénéficieraient-elles de ce traitement ? Pourquoi pas les associations sportives, les associations philosophiques, les associations diverses ? A cette question personne ne répond, et c'est très inquiétant. Je rappelle quand même que cet impôt ecclésiastique, que cette contribution religieuse volontaire est née en 1946 après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les trois religions les plus importantes à Genève s'étaient retrouvées financièrement quasi exsangues à la suite de l'assistance qu'elles avaient portée aux victimes du conflit mondial. Mais nous sommes aujourd'hui en 2018, si mes souvenirs sont justes, et il me semble que les effets du deuxième conflit mondial sont largement effacés et que cette contribution religieuse volontaire n'a donc plus aucune raison d'être.
La deuxième injustice - qui elle n'est pas forcément liée au projet de loi, mais que celui-ci aborde sans vraiment l'aborder jusqu'au fond - c'est la discrimination envers les organisations religieuses elles-mêmes. En effet, du fait de la constitution, si nous adoptions ce projet de loi du Conseil d'Etat, nous accepterions que les propriétaires fonciers et immobiliers que sont les organisations religieuses ne puissent pas disposer de leurs biens comme n'importe quel autre propriétaire. Or c'est une discrimination, une différence de droit qui, de mon point de vue, ne se justifie absolument plus. Ce projet de loi entérine donc en réalité une discrimination envers les propriétaires immobiliers que sont les Eglises, qui du coup demandent l'assistance de l'Etat par le biais de la contribution religieuse, alors que si elles pouvaient bénéficier du plein usage de leurs propriétés, cette contribution religieuse n'aurait évidemment pas de raison d'être.
Toujours sur ce plan-là, le projet de loi du Conseil d'Etat souffre d'une tare profonde, car pour que des organisations religieuses puissent bénéficier de cette contribution religieuse volontaire, l'Etat doit déterminer un certain nombre de critères de reconnaissance, or selon un principe de laïcité bien appliqué, l'Etat est indifférent aux religions et ce n'est pas à lui de déterminer quelle religion est compatible et quelle religion ne l'est pas. Notamment - et je vais terminer sur ce point - parce que lorsqu'il s'est agi d'établir les critères de reconnaissance et que j'ai demandé que la reconnaissance de l'égalité entre hommes et femmes soit acceptée par les religions qui sollicitaient le droit d'avoir l'impôt ecclésiastique, il m'a été répondu que si on inscrivait comme critère le respect de l'égalité hommes-femmes, aucune des religions ne pourrait avoir droit à cet impôt... Pour terminer sur cette note un peu humoristique, je pense donc que ce projet de loi est encore largement perfectible et j'espère que les amendements que les uns et les autres ont déposés vont aller dans le sens de son perfectionnement. Je vous remercie, Monsieur le président.
Mme Magali Orsini (EAG). Je voudrais tout d'abord répondre à M. Mizrahi, qui trouve que les problèmes de laïcité n'intéressent pas la population genevoise. Moi je vois au Grand-Saconnex des prières de rue, j'y entends des hurlements d'Eglises évangéliques, et la police ne semble absolument pas savoir que la loi sur le culte extérieur est encore en vigueur. Il s'agit de nouveautés ! Alors qu'on ne me dise pas que la population ne s'intéresse pas à cela. D'ailleurs, il n'a pas l'air de se rendre compte de tous les messages d'encouragements et de remerciements que nous recevons de la population quand nous nous opposons publiquement à ce genre de choses.
D'autre part, nous sommes un peu lassés de la rengaine de la laïcité à la genevoise. On ne répétera jamais assez que la laïcité est une, c'est la séparation des Eglises et de l'Etat, et on ne parle pas de la laïcité à la genevoise comme on parle des tripes à la mode de Caen, on ne le redira jamais assez. Et ça, c'est pour le plus grand bien de la république et de ses citoyens.
Je voudrais maintenant signaler les éléments du projet de loi du Conseil d'Etat sur lesquels il me semble que l'on ne peut pas transiger. Concernant l'article 3 - et c'est le sens des amendements que nous venons de déposer - on ne peut pas tolérer de signes religieux ostentatoires, non seulement de la part des magistrats communaux, du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, mais également d'aucun membre du Grand Conseil et des délibératifs communaux, et je pense qu'il faut l'écrire une bonne fois pour toutes dans la loi. Les agents de l'Etat doivent renoncer aux signes ostentatoires, et pas uniquement quand ils sont en contact avec le public. En effet, je pense que ces signes peuvent être tout aussi gênants au back office et, de toute façon, rien ne dit que ces agents ne seront pas en contact avec le public très rapidement. De plus, en cas de promotion ou de changement d'affectation, j'imagine qu'il y aurait beaucoup de résistance de la part des personnes qui auraient conservé leurs signes ostentatoires.
L'article 5 concernant la contribution religieuse volontaire doit complètement disparaître, à notre avis. Il nous semble que de nos jours, l'administration fiscale a autre chose à faire que de collecter l'impôt ecclésiastique. Et si on l'autorise pour une, deux ou trois religions, je ne vois pas pourquoi on ne l'autoriserait pas pour n'importe quelle organisation, y compris sectaire, qui le demanderait.
J'en viens à l'article 11 qui traite de l'enseignement du fait religieux. Je pense qu'on nous a tous appris le fait religieux à l'école laïque, mais il s'inscrivait dans le cadre des cours d'histoire, de géographie, d'instruction civique, etc. Je ne vois donc pas ce qui empêche d'enseigner l'histoire du fait religieux dans les disciplines existantes, et il est hors de question d'admettre qu'on fasse une discipline spéciale pour enseigner le fait religieux.
J'estime que les amendements que nous vous proposons, Pierre Gauthier et moi-même, représentent des exigences minimales, et nous vous remercions de les regarder avec attention, parce que leur adoption constitue la condition à laquelle nous accepterions de voter ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Florian Gander (MCG). Ce soir, j'ai juste envie de vous lire une citation. (Exclamations.) «Un Suisse découragé n'est pas un véritable Suisse, pas davantage ceux qui marchent à la remorque de l'étranger... Etre Suisse, c'est être ferme dans ses convictions politiques et religieuses, tout en étant respectueux de celles des autres. Etre Suisse, c'est être fraternel, c'est chercher l'inspiration individuelle et collective dans l'esprit chrétien, base immuable d'une démocratie véritable dans laquelle liberté et autorité s'appellent réciproquement.» Et c'est signé le général Guisan. Merci.
M. Pierre Conne (PLR). J'aimerais saluer la qualité des travaux de la commission, auxquels j'ai participé, ainsi que celle du rapport dans son ensemble. Le PLR soutiendra l'entrée en matière de ce texte qui, je le rappelle, est une loi non pas sur les religions, mais sur les relations entre l'Etat et les communautés religieuses. Cette loi réaffirme simplement ce qui est inscrit dans la législation genevoise depuis le XIXe siècle et qui nous a valu la paix religieuse que nous connaissons. Après la loi sur les corporations religieuses, la loi sur le culte extérieur, il était nécessaire de moderniser aujourd'hui ce texte, comme cela a été précisé par le rapporteur de majorité. Le but de cette loi - je pense que c'est important de le rappeler ici, parce que je ne sais pas si chacun l'a lue - est de protéger la liberté de conscience, de croyance et de non-croyance. Contrairement à ce que certains ont prétendu ici, elle s'adresse à chacune et chacun, quelles que soient ses convictions personnelles. Voilà pour le premier point.
Deuxièmement - et je m'arrêterai là pour le moment dans la citation textuelle de la loi - puisque l'on parle de la neutralité religieuse de l'Etat, j'aimerais rappeler que l'article 3, alinéa 2, précise ceci: «La neutralité religieuse de l'Etat interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. [...]» Il n'y a pas meilleur cadre pour préciser une nouvelle fois que cette loi a justement pour but de garantir la liberté religieuse, la liberté de croyance et de non-croyance, sans discrimination, et si on s'écarte de cette vision-là, on ne parle pas de cette loi mais de tout autre chose, qui n'est pas l'objet de nos débats.
S'agissant du contenu de la loi, je souhaiterais m'arrêter sur trois points. On est en train de se demander dans le fond s'il s'agit d'une bonne loi, d'une mauvaise loi, d'une loi utile ou pas, et je pense donc qu'il faut quand même savoir ce que cette loi va apporter aujourd'hui à la communauté genevoise concernant l'affirmation, l'incarnation de la laïcité de l'Etat. Je mentionnerai tout d'abord la question du port de signes d'appartenance religieuse dans l'administration publique. C'est une réalité aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, cette loi règle ladite question du port de signes d'appartenance religieuse dans les administrations cantonales et communales ainsi que dans les administrations de droit public. C'est un point extrêmement important, une clarification nécessaire. La clarification quant au port de signes d'appartenance religieuse et aux propos tenus concerne également les magistrats du pouvoir judiciaire ainsi que les magistrats cantonaux et communaux. C'est un point extrêmement important. De plus, cette loi garantit la neutralité de l'occupation de l'espace public s'agissant des manifestations à caractère cultuel. C'est aussi un élément très important, et c'est ce qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui, pour assurer la paix religieuse dans notre canton.
Troisièmement, j'ai entendu parler d'impôt ecclésiastique, de la part de quelqu'un qui a été un contributeur tout à fait constructif dans le cadre de la commission et que je ne retrouve absolument pas dans cette enceinte. Je ne sais pas de quoi il parle ! Cette loi ne parle pas d'impôt ecclésiastique. Elle règle la question de la perception de la contribution religieuse volontaire pour toutes les communautés religieuses, toutes les associations qui le souhaiteraient; c'est donc un service d'encaissement des cotisations d'une association, rien de plus. A Genève l'impôt ecclésiastique n'existe pas, n'a jamais existé, et il ne figure pas dans cette loi. Là encore, elle apporte une clarification sur cette question et évite bien sûr toute discrimination entre les communautés religieuses, puisque demain, une fois que nous aurons voté cette loi, le service de perception de la contribution religieuse volontaire sera ouvert à toutes les communautés. Je vous remercie et reprendrai la parole tout à l'heure pour compléter mes interventions. (Quelques applaudissements.)
M. Pascal Spuhler (HP). Mesdames et Messieurs les députés, légiférer sur la laïcité et les religions est extrêmement délicat, périlleux, voire quasiment dangereux. Effectivement, si on se vante depuis un certain nombre d'années à Genève d'avoir une politique laïque et d'appliquer une certaine laïcité, notamment dans la manière de gérer nos concitoyens, eh bien aujourd'hui on prend un risque. On prend le risque de vexer certaines personnes, d'offenser certaines religions, certaines pratiques. Il s'agit d'un domaine très privé, très intime ! J'ai entendu plusieurs personnes parler d'aspects personnels, de domaine privé, or là on gère le domaine public ! Peut-on oui ou non se promener librement sur le domaine public avec des signes extérieurs religieux ? Je pense que sur le principe, oui, sans exagération. Je vois M. Lussi faire non de la tête, mais je dirais que oui, sans exagération. Encore une fois, ce sont des choses très privées, très personnelles.
Aujourd'hui on a effectivement un problème avec l'islam, surtout l'extrémisme islamiste, où on retrouve ces signes beaucoup plus flagrants dans la société, notamment économique, mais également dans l'administration. Et le problème est là, parce que l'administration est au service du public, et en tant que telle elle doit être neutre. Totalement neutre. Or dans cette loi, malheureusement, même si on l'indique, on l'indique timidement. Mais de quoi avons-nous peur, Mesdames et Messieurs ? De quoi avons-nous peur ? Nous devons être beaucoup plus fermes. Il est exclu que dans les administrations un signe ou un symbole religieux soit arboré. Point barre ! C'est tout ! Les gens qui travaillent doivent être totalement neutres. Je ne veux pas dire qu'ils doivent être tout gris, bien au contraire, j'aime la différence, je suis le premier à prôner la différence, mais la religion constitue une affaire tellement privée qu'elle doit rester intime. Elle est là, la question. Cette intimité de la religion, cette pratique personnelle... Pour ma part, je suis totalement athée, mais je n'ai aucun problème avec mes amis qui sont musulmans, bouddhistes ou autres. Zéro problème ! Ils pratiquent leur religion dans leur intimité, dans leur vie privée, et je les aime comme ils sont.
Mesdames et Messieurs, la laïcité est un sujet délicat, je le répète et j'insiste sur ce point. On l'a dit, le projet de loi prévoit que les signes religieux soient interdits dans l'administration, mais je trouve étonnant - et d'ailleurs des amendements ont été déposés en conséquence - que le Grand Conseil ait été épargné par cette interdiction des signes religieux, de même que les Conseils municipaux. En revanche, on a décidé que les membres des exécutifs ne pourraient pas arborer de signes religieux. Eh bien je vois mal comment une musulmane, par exemple, qui porterait le voile et qui siégerait en tant que conseillère municipale dans une commune quelconque pourrait s'entendre dire tout à coup, parce qu'elle a été élue dans un exécutif, qu'elle ne peut plus le porter alors qu'elle l'a fait pendant un certain nombre d'années dans l'enceinte du Conseil municipal en question. Il y a là un illogisme qu'il faut absolument corriger, et il est donc évidemment nécessaire que vous votiez les amendements qui rectifient cette erreur ou cet oubli de la commission.
Un autre point me paraît quand même assez délicat, à savoir l'école. Mesdames et Messieurs, l'éducation religieuse doit venir des parents et non pas de l'école. C'est primordial, parce que l'influence, hélas, que peut avoir un maître d'école sur l'enseignement est extrêmement importante. Vous savez à quel point cette influence peut être grande, je pense qu'il n'est pas nécessaire de vous rappeler le cas - très présent dans nos mémoires et dans tous les quotidiens - d'un certain monsieur qui a usé et abusé de sa prestance de maître d'école, de professeur, pour inciter ses élèves à certaines choses. A ce titre - et je ne citerai pas son nom ni ne préciserai ce qu'il a fait - vous savez à quel point il est risqué de vouloir enseigner quelque religion que ce soit à l'école. Vous avez certes abordé ce sujet en l'étudiant sûrement dans tous les sens, mais je pense réellement, Mesdames et Messieurs, que l'enseignement de la religion à l'école - ou même l'information sur la religion - est extrêmement tributaire de la personne qui va le produire. C'est extrêmement délicat, je suis donc vraiment très frileux par rapport à cet article 11, alinéas 1 et suivants.
J'aimerais également mentionner l'alinéa 2 de l'article 7, car je suis assez étonné de sa teneur. Je vous le lis: «Dans les administrations publiques, les établissements publics ou subventionnés, ainsi que dans les tribunaux, le visage doit être visible.» Jusque-là, tout va bien, on comprend ce que ça veut dire. Puis il est écrit: «Les exceptions sont traitées par voie règlementaire.» J'aimerais donc savoir quelles exceptions on peut admettre pour qu'un visage soit caché dans une administration, un tribunal ou autre.
M. Cyril Mizrahi. On porte par exemple un masque à l'hôpital !
M. Pascal Spuhler. Monsieur Mizrahi, je ne vous ai pas demandé de m'interrompre ! J'aimerais savoir quelles exceptions on peut admettre, en dehors du cas peut-être où une personne est défigurée, et encore... Sincèrement, je doute qu'un règlement puisse admettre des exceptions dans ce domaine. Je suis assez dubitatif sur ce point.
En conclusion, Mesdames et Messieurs, est-ce qu'on doit vraiment légiférer sur ce sujet ? Est-ce qu'on doit légiférer pour une bande de fanatiques qui tiennent à peine sur un tapis de prière ? Je dois dire que je suis un peu dubitatif. Nous allons peut-être suivre les amendements qui ont été proposés pour structurer et préciser un peu plus certains points, en l'occurrence la question du port de symboles religieux par les membres du parlement... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...mais encore une fois j'attends la fin des débats pour être sûr de ma conviction, parce qu'il s'agit d'une conviction personnelle. La religion touche chacun de nous à titre personnel et ça ne peut être en aucun point un acte politique. Ça ne peut aucunement être une position dogmatique politique, c'est une position personnelle, et j'insiste là-dessus. Merci, Monsieur le président.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'aimerais profiter de l'occasion pour répondre à mon préopinant sur deux points, à commencer par la question des parlements. De prime abord, j'entends dire que je serai d'accord avec mon préopinant sur la conclusion, mais pas sur le détail de la loi. Effectivement, pour ce qui est de la conclusion, je pense que la nécessité de légiférer n'est pas démontrée, je l'ai dit tout à l'heure. Actuellement, les choses fonctionnent. Mais si vous entrez en matière, je pense qu'on aura là effectivement des divergences assez profondes car, comme l'a relevé précédemment Pierre Vanek, c'est un peu la quadrature du cercle. Il vaudrait donc peut-être mieux s'abstenir, et je vous invite à y réfléchir.
Mais revenons-en à la question des parlements: pourquoi avons-nous décidé en commission de prévoir une interdiction des signes religieux pour les exécutifs, le pouvoir judiciaire ainsi que la Cour des comptes, et pas pour les parlements ? Eh bien en définitive pour une raison évidente, Mesdames et Messieurs. C'est parce que la laïcité, c'est la laïcité de l'Etat et de ses agents, c'est la laïcité de celles et ceux qui représentent l'Etat. Est-ce que vous et moi, quand nous intervenons dans ce parlement, nous représentons l'Etat ? Non ! Nous représentons des groupes politiques, nous représentons des électeurs et des électrices qui nous ont élus pour un programme. S'agissant par exemple de la situation d'une élue de la commune de Vernier - pour ne pas la citer - qui porte le voile, eh bien cette personne le portait déjà sur sa photo au moment de l'élection, les électeurs et électrices ont donc décidé de l'élire en toute connaissance de cause et je ne vois pas de problème au fait que des élus, qui ne représentent que la population et non l'Etat, portent des signes religieux. C'est finalement aux électeurs et électrices de décider. Il en va en revanche tout différemment des membres des exécutifs et des autorités judiciaires, qui ont pour leur part véritablement une fonction représentative, ce qui justifie de leur demander d'observer une neutralité comme les autres agents de l'Etat.
Le deuxième point soulevé par mon préopinant - il ne m'écoute plus trop, mais ce n'est pas grave, je vais quand même lui répondre - concerne le fait de cacher son visage au sein d'établissements publics. Pourquoi y aurait-il des exceptions ? Je vais vous donner un exemple très concret. Aux HUG, il est fréquent de voir des soignants mais également des malades porter un masque, simplement pour éviter la transmission de maladies; eh bien ce masque cache le visage ! Veut-on donc interdire aux HUG le port de masques ? (Commentaires.) Voilà, vous comprenez pourquoi nous avons prévu un régime d'exceptions. Je vous remercie. (Commentaires. Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Vanek, vous voulez intervenir maintenant ?
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Oui, j'interviens volontiers maintenant, si vous voulez bien. (Brouhaha.)
Le président. Après ?
M. Pierre Vanek. Maintenant et après !
Le président. Allez-y, Monsieur, je vous en prie.
M. Pierre Vanek. Merci, Monsieur le président. (Brouhaha.)
Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !
M. Pierre Vanek. Mesdames et Messieurs les députés, mon voisin rapporteur de majorité a eu droit à deux tranches ou une tranche et demie pour faire son intervention initiale...
Le président. Mais il n'y a aucun problème, Monsieur, allez-y !
M. Pierre Vanek. ...j'ai donc moi aussi demandé la parole pour continuer mon intervention initiale. Bien sûr, j'ai entendu beaucoup de choses entre-temps, des propos intelligents comme des bêtises; j'ai entendu des gens gloser sur l'origine chrétienne ou dans la Grèce antique de la laïcité, j'ai entendu quelqu'un - je ne sais plus qui - dire qu'on ne pouvait pas interdire le blasphème dans les lois... La personne en question ignore l'article 261 du code pénal suisse ! Effectivement, on a un problème, dans la mesure où on baigne dans une situation de relative non-laïcité: l'emblème de la République et canton de Genève porte le trigramme «In hoc signo» qui est manifestement chrétien, il y a les clés de saint Pierre sur notre drapeau...
M. Patrick Lussi. Et l'aigle impérial !
M. Pierre Vanek. L'aigle impérial, c'est politique, c'est le Saint Empire romain germanique, mais enfin l'empire en question était saint, donc il n'était guère laïque ! Nous avons également une Constitution fédérale, que nous avons tous promis de respecter, qui commence par les termes «Au nom de Dieu Tout-Puissant !» Soyons donc modérés et prudents dans nos exigences par rapport aux autres, sauf à considérer qu'on voit la paille qui est dans l'oeil du voisin et pas la poutre qui est dans le nôtre, parce que nous avons un poids relativement lourd de non-laïcité dans notre passé, et certains ne le voient pas.
J'aimerais maintenant reprendre le fil du discours général... Ah non, je vais quand même faire une remarque ! Un préopinant du MCG a indiqué tout à l'heure, en citant quelqu'un - ça fait partie des bêtises qui ont été dites - que pour être suisse, il fallait être ferme dans ses convictions religieuses. C'était M. Gander, je crois. Eh bien on m'a donné ça... (L'orateur montre sa carte d'identité suisse.) ...j'ai dû me battre un peu pour l'avoir, mais enfin on me l'a donnée, je suis suisse comme vous, Monsieur Gander, et comme les députés dans cette salle, et pourtant je ne suis nullement ferme dans mes convictions religieuses. Je suis ferme dans mes convictions matérialistes et athées ! Soyons donc un peu prudents dans tout ce qu'on affirme au cours de ce débat.
Je reviens à présent aux propos du rapporteur de majorité, qui a dit qu'on ne pouvait pas remplacer les éléments du dispositif législatif, des lois anciennes, qui sont en fait des lois anticléricales, sans... Au passage, quelqu'un a dit que Carteret et Fazy, c'était la même chose. Pas du tout ! Les lois anticléricales, sectaires et refusant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, c'est Carteret, tandis que la séparation de l'Eglise et de l'Etat, c'est plutôt Henri Fazy. A l'époque, il y avait en effet suffisamment de place dans le parti radical pour qu'il existe des courants très différents et contradictoires. Aujourd'hui, on n'a plus de parti radical, il a été phagocyté par le parti libéral, et on peut avoir quelques regrets à ce sujet. Mais pour en revenir au discours de mon adversaire ici, soit le rapporteur de majorité du parti libéral-radical - qui dans cette affaire est relativement peu libéral - il disait qu'il fallait quelque chose pour remplacer ces lois afin de poursuivre la tradition de la laïcité genevoise en la matière. Sérieusement, la loi sur les corporations religieuses n'a jamais été appliquée, on aurait pu la balayer d'un revers de la main ou la laisser s'éteindre dans notre corpus législatif, et la loi sur le culte extérieur est absurde: elle est contraire au droit supérieur et n'a rien de laïque ! Elle prévoit une exception à la célébration des cultes extérieurs pour l'armée, pour les cultes et services religieux à destination des militaires, et il est évident que le règlement, qui reconnaît trois religions comme étant publiques... D'ailleurs, on ne sait pas ce que ça veut dire ! Eh bien les trois religions que sont les deux espèces de catholicisme et l'Eglise nationale protestante...
Une voix. Les deux espèces ?!
M. Pierre Vanek. Les deux variétés, les deux... (Exclamations.) Je parle de l'Eglise catholique nationale - enfin, chrétienne, aujourd'hui - qui était inféodée au pouvoir radical, à la tour Baudet... (Brouhaha.) ...et de l'Eglise catholique romaine, qui était inféodée à Rome. Je ne sais pas ce qui était le mieux, mais l'Eglise catholique nationale, ça n'a pas marché, comme expérience. Le régime de Pékin, par exemple, a une Eglise catholique nationale dans le même goût, estimant qu'il n'est pas possible de... Non, tout cela n'est pas très libéral !
Pour en revenir à ce que je disais, le rapporteur de majorité a indiqué qu'il était nécessaire de remplacer ce dispositif législatif - enfin, on pouvait simplement l'oublier ou le balayer sous le tapis - par quelque chose de solide. Eh bien, Mesdames et Messieurs, j'ai quelque chose à vous proposer pour le remplacer, parce qu'on a évoqué Genève, la laïcité genevoise, l'esprit de Genève, etc., mais Genève est aussi la ville des droits de l'homme ! Genève est aussi une ville de liberté, d'affirmation, qui abrite le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, et ça fait également partie de la tradition genevoise et d'une tradition bien supérieure à ces trois lois que vous avez citées, qui sont plutôt liberticides et problématiques. La Déclaration universelle des droits de l'homme, en son article 18, énonce en effet ceci: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction [...]» Ça veut dire qu'il implique aussi le débat religieux et le prosélytisme religieux dans l'espace public, les tribunaux l'ont dit... Et je ne cite pas n'importe quel document, mais l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui est repris à l'article 9, je crois, de la Convention européenne des droits de l'homme. Je ne suis pas sûr du numéro, mais vous me pardonnerez cette imprécision, je ne suis pas juriste ! Je vous lis la suite de l'article 18: «[...] ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé [...].» Nous avons donc effectivement un problème avec cette loi, à savoir la question des signes extérieurs. On en discutera quand on arrivera à ces dispositions au deuxième débat, s'il a lieu... Mais ça ne tient pas la route un seul instant ! Et l'idée, qui est emblématique de ce que nous avons à dire contre cette loi, que la liberté de manifester soit différente... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Qu'on soit communiste, syndicaliste ou défenseur de telle ou telle cause environnementale ou sociale, on aurait des droits de manifester régentés et régis par la loi sur les manifestations, mais tout à coup, si on se trouve dans le domaine religieux - et alors à ce moment-là l'Etat doit commencer à trier et à définir ce qui est une religion et ce qui ne l'est pas - eh bien on serait soumis à une loi spéciale sur la manifestation en matière religieuse. De ce point de vue là, ça ne va pas du tout !
Le président. Il vous faut terminer, Monsieur.
M. Pierre Vanek. Je termine ! Il y a certes des gens qui disent que la religion relève de la sphère privée. Bien sûr, mais la sphère privée est une protection, on ne peut pas aller investiguer et torturer les gens pour leur faire changer de religion ou savoir ce qu'ils pensent ! Ils ont le droit de manifester publiquement leur avis, qu'ils soient athées, religieux ou n'importe quoi.
Le président. Merci, Monsieur.
M. Pierre Vanek. C'est la liberté que je défends ici.
M. Eric Stauffer (HP). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai retiré ma demande de renvoi en commission, je ne vais pas la redéposer...
Une voix. Non !
M. Eric Stauffer. ...mais quand même, chers collègues ! Là encore, pendant quelques minutes, tout va bien. La température est normale. Mais dès que vous aurez voté l'entrée en matière - si elle passe - nos concitoyens vont voir un tout autre débat, et sincèrement je souhaiterais éviter cela. Monsieur le président, si vous pouviez transmettre aux sept saints qui représentent le gouvernement... Parce que j'ai regardé sur internet, c'est tous des saints: saint Antoine, saint Serge, saint Luc, saint François, saint Mauro, sainte Anne, aussi... C'est tous des saints ! Et j'aimerais quand même que tout le monde...
Une voix. Saint Stauffer !
M. Eric Stauffer. Non, saint Stauffer n'existe pas; ça devait être autre chose ! (Brouhaha.) Soyons un tout petit peu respectueux. Je ne suis pas souvent d'accord avec l'extrême gauche mais là, en l'occurrence, quand elle dit qu'il n'y a pas à légiférer pour l'instant, je suis désolé mais je suis obligé de lui donner raison. En effet, M. Gauthier, par exemple - vous transmettrez, Monsieur le président - est assis juste devant un saint représenté sur le vitrail derrière lui. C'est donc un signe religieux ! Et qu'est-ce qu'on va faire, Mesdames et Messieurs, si vous ouvrez la boîte de Pandore avec ce projet de loi de saint Pierre ? On va commencer à dire que s'il y a un saint sur l'un des vitraux de la salle - qui est historique - dans laquelle notre parlement siège, eh bien il va falloir l'enlever parce que c'est un signe religieux ! Et que faire du drapeau genevois, Mesdames et Messieurs ? Il porte les clés de saint Pierre ! Du reste où est-il ce soir, saint Pierre ? Je ne l'ai pas vu ! (Brouhaha. Rires.) Non, chers collègues, une fois encore je vous le dis en vérité... (Exclamations.) ...soyons raisonnables. Il n'est pas nécessaire aujourd'hui de légiférer et d'ouvrir une voie qui n'est pas la bonne et qui va fustiger nos concitoyens dans le canton de Genève. Je vous donne deux exemples. Lors de ma précédente prise de parole, je vous ai dit qu'un jour on en arriverait à dire de faire attention parce que les alliances c'est le mariage, c'est la chrétienté, et qu'il ne faut donc pas en porter. Puis tout de suite j'ai reçu plein de messages. On m'a dit notamment: «Monsieur le député, vous savez qu'en Ville de Genève un conseiller municipal a déposé un amendement pour que lors de la rénovation de l'église de Saint-Gervais, on puisse mettre des rideaux qui descendent afin de cacher les vitraux qui sont religieux ?!» Un autre conseiller municipal de la Ville de Genève - vous savez, ce gouvernement dans le gouvernement... On ne sait parfois pas très bien qui dirige le canton ! - s'est offusqué du fait qu'on distribuait des pommes dans les écoles. Eh oui, Adam et Eve, la pomme, le péché originel... (Exclamations. Commentaires.) Supprimons donc les pommes, Mesdames et Messieurs, supprimons les églises, rebaptisons tous les villages qui s'appellent Saint-Luc, Saint-Maurice...
Une voix. Saint-Triphon !
M. Eric Stauffer. Saint-Triphon, exactement ! Merci, Monsieur le député Barrillier ! Et changeons aussi les armoiries du canton de Genève pour enlever ces satanées clés de saint Pierre. Bon, ça, on verra aux élections. Les sondages disent qu'il va encore les avoir... Mais enfin, Mesdames et Messieurs, je vous le demande...
Une voix. En vérité !
M. Eric Stauffer. Non, je n'ai pas dit «en vérité» ! Je vous le dis sincèrement: il va encore y avoir quelques prises de parole, mais je ne voudrais pas que nos concitoyens voient un autre visage de ce parlement lors du deuxième débat si on vote l'entrée en matière. (Remarque.) Je vais donc demander une fois encore, mais ce sera la dernière, Monsieur le président, le renvoi en commission. (Commentaires.)
Une voix. T'avais pas dit que tu le ferais pas ?!
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes donc saisis d'une nouvelle demande de renvoi en commission. Les rapporteurs ne souhaitent pas intervenir, c'est très bien. Je pense que le Conseil d'Etat non plus... (Remarque.) Monsieur Longchamp ? Oui, allez-y.
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Saint Eric, martyr, qui a échoué dans sa conquête de conversion de la Finlande au XIIe siècle... (Exclamations.) ...va échouer une deuxième fois dans sa tentative de conversion à l'idée qu'il nous faut interrompre ce débat maintenant. Je pense qu'il convient au contraire que nous terminions ce débat d'entrée en matière pour que nous puissions finir d'échanger et nous déterminer. Le Conseil d'Etat aura d'ailleurs quelques éléments à vous indiquer dans ce tour de préconsultation. Je vous invite donc à refuser cette demande de renvoi en commission.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Je mets aux voix la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 11764, 11766, 11927 et 12191 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 83 non contre 9 oui et 3 abstentions.
Le président. Nous continuons notre débat. Je passe la parole à M. Romain.
M. Jean Romain (PLR). Merci, Monsieur le président. J'ai écouté avec attention ce que nous disait M. Vanek de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de ses articles; il nous répétait, au fond, qu'il faut que chacun ait le droit d'exercer sa religion en public ou en privé. Il se trouve que l'article 29 des mêmes droits de l'homme dit à l'alinéa 2: «Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui [...].» (Quelques applaudissements.)
Des voix. Ah !
M. Jean Romain. Nous sommes justement en train d'essayer de voir, Monsieur Vanek, comment se dessinent les contours de ce respect d'autrui. Nous avons aussi entendu M. Mizrahi dire que l'article 3, alinéa 3 de la constitution vise simplement à manifester que l'Etat entretient des relations avec les religions. On mange de temps en temps des petits fours ensemble, n'est-ce pas; si ce problème-là était aussi anodin qu'on le dit, il n'aurait pas le droit à un article - l'article 3, alinéa 3 - dans la constitution, notre constitution, sur laquelle vous avez travaillé.
Ce qui me désole un tout petit peu, c'est qu'on a entendu dans la bouche de certains... On a fait miroiter l'idée que la laïcité est en fait une manière élégante de résister aux religions qui justement demandent, pour certaines d'entre elles, de plus en plus de visibilité. Elles sont de plus en plus présentes et peut-être parfois arrogantes. Et donc, sous couvert de laïcité, on lutterait contre telle ou telle faction religieuse fanatique. Dans la bouche de certains, notamment de celui qui a parlé avant moi, la laïcité serait alors une façon honorable d'affirmer une certaine intolérance. Eh bien, dans notre commission, nous n'avons pas du tout travaillé dans cet esprit-là; nous n'avons pas conçu la laïcité comme une sorte de voile - je m'excuse - derrière lequel on se cache pour que notre intolérance ne se voie justement pas.
Il n'y a pas plusieurs laïcités, chers collègues; il y a la laïcité ! Ce qu'il y a en revanche de multiple, ce sont bien sûr les histoires locales où cette laïcité s'applique. Un laps de temps important s'est écoulé entre la loi de 1907 et cette nouvelle loi, si elle est acceptée, de 2018. L'ère de la chrétienté est finie ! Nous sommes à l'ère du christianisme: la civilisation de la chrétienté s'est transformée. Elle a perdu son rôle de pôle unique de référence, qu'on le veuille ou non, mais elle reste néanmoins dans le patrimoine local. Certains craignent que l'on débaptise le parking Saint-Antoine pour le nommer parking Antoine, ou que l'on touche aux dates d'origine religieuse qui ont orchestré et structuré notre histoire; c'est tout simplement idiot. Nous n'allons pas faire ça ! Nous allons faire en sorte qu'à partir de 2018, comme ça a été le cas à partir de 1907, il y ait une loi sur la laïcité qui dessine les contours de nos libertés, de nos droits, de nos devoirs et peut-être surtout de notre liberté de conscience. Mais il n'est pas question de revenir sur plusieurs siècles qui ont fondé notre histoire. Nous tenons à cette histoire et, en tout cas à Genève, qu'on le veuille ou non, celle-ci est chrétienne.
Il y a une dimension chrétienne qui constitue évidemment aussi des coups de canif, n'est-ce pas, à la notion de laïcité; on a demandé de supprimer certaines croix qui ne sont pas ostentatoires ou ostensibles, peu importe le nom. Ce que nous devons faire, c'est permettre à chacun d'entre nous, qu'il soit chrétien ou qu'il ne le soit pas, qu'il soit athée ou qu'il soit agnostique, de vivre. Et dès lors que l'on a une constitution qui dit clairement - mais peut-être d'une manière un peu négligente - que l'Etat entretient des relations avec les religions, il est assez normal que quelqu'un se lève de son lit, de son sommeil dogmatique, et demande: «Oui, mais quelles relations ?» Eh bien, cette loi essaie justement de préciser quelles sont ces relations. C'est pourquoi, à l'appui de ce qui a été très bellement dit par mes deux préopinants, nous allons entrer en matière. Et il est certain que nous allons soutenir les amendements. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Gauthier. Monsieur Gauthier, vous prenez la parole pour la troisième fois dans le premier débat; c'est donc la dernière. On remettra les compteurs à zéro dans le deuxième débat.
M. Pierre Gauthier (HP). Je vous remercie, Monsieur le président. Je dois effectivement tout d'abord donner crédit à notre collègue, ancien président de la commission des Droits de l'Homme, Pierre Conne: la dénomination exacte n'est évidemment pas «impôt ecclésiastique», mais bien «contribution religieuse volontaire». Je vous en fais crédit, cher Monsieur, mais cela n'enlève rien au fond de mon intervention.
Pour cette troisième intervention, j'aimerais juste expliquer un petit peu les amendements que nous avons déposés avec ma collègue Magali Orsini. Ces amendements signifient d'abord que malgré nos réticences, que j'ai pu exprimer préalablement, nous sommes plutôt favorables à ce que notre république puisse disposer d'une loi générale sur un tel sujet. Il ne faut pas avoir peur de prendre nos responsabilités ! Et certains, qui utilisent tous les stratagèmes pour éviter de les prendre, ne méritent pas les égards qu'on leur accorde. Nos prédécesseurs, ne l'oublions pas, n'ont pas hésité à légiférer au début du XXe siècle dans un contexte autrement plus tendu que celui qui est le nôtre aujourd'hui. Vous le savez, nous le savons tous, l'adage nous le dit: gouverner, c'est prévoir. Et prévoir, pour nous, c'est légiférer. Non pas pour endiguer un problème passé, mais pour anticiper d'éventuels problèmes futurs: si demain nous n'avons pas les outils pour maintenir la paix civile et reléguer les intégristes obscurantistes de toutes obédiences dans une saine incapacité de nuire - parce que c'est aussi de ça qu'il s'agit - eh bien, nous n'aurons pas gouverné. Cette déresponsabilisation est inacceptable de la part d'un parlement comme le nôtre.
Il y a néanmoins pour nous, les laïques, des limites - des lignes - à ne pas franchir et des compromis à ne pas faire s'ils devaient conduire à ce qu'on appelle des compromissions. C'est exactement le sens des amendements que nous avons déposés et que vous avez reçus sur vos pupitres. L'Etat est confessionnellement neutre - ni l'un ni l'autre; ses agents le sont, de même que celles et ceux qui le représentent ou celles et ceux qui le constituent. Si les élues et les élus ne sont peut-être pas, au sens strict, les représentants de l'Etat, ce sont en tout cas celles et ceux qui le constituent, et ce à quelque niveau qu'ils se trouvent. Arborer d'une manière ostensible, voire provocatrice, un certain nombre de signes ou de vêtements liés à une obédience religieuse établit que la personne qui les porte refuse au fond le principe selon lequel les députés, les conseillers municipaux - les élus - agissent librement. Vous le savez: le mandat impératif est interdit dans notre république et canton. C'est pour cela que nous devons aller jusqu'au bout de notre logique et demander que les élus observent eux aussi une totale neutralité religieuse. Les partisans du laxisme en cette matière oublient sans doute que certains signes ont une signification et que cette signification est très claire; elle n'a aucune ambiguïté et est parfaitement contraire aux principes d'égalité entre hommes et femmes notamment, qui sont l'un des fondements de nos principes démocratiques.
Le fait religieux: qui peut nier que la ou les religions ont par le passé modelé notre histoire et certaines de nos valeurs ? Personne, absolument personne, ne peut le nier. Il est donc essentiel que l'école républicaine transmette dans son enseignement ce qui nous a constitués. Mais, comme l'a déjà dit notre collègue Magali Orsini, le fait religieux n'est pas une matière enseignable en soi. Le fait religieux appartient à l'évidence à l'histoire, à la géographie, à la littérature, à la philosophie et même à la musique. C'est pour ça qu'il ne nous semble pas opportun d'imaginer qu'il puisse être une matière enseignée en elle-même.
Enfin, nous proposons de compléter les articles modifiant les différentes lois sur le protocole: on doit affirmer que les agents de l'Etat ont une obligation d'observer une neutralité religieuse, qu'ils soient ou non en contact avec le public. Je vous remercie, Monsieur le président.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). D'abord, je remercie la commission qui a travaillé et préparé ces différents rapports. La laïcité, tout le monde l'a dit, est une chose extrêmement difficile à traiter, à cerner et à nommer. Elle est certainement encore plus difficile à vivre ! La proposition du projet de loi me semble relativement raisonnable: elle donne un cadre, pas trop strict, que l'on peut discuter à l'infini, mais il me semble que les présupposés les plus importants ont été posés sans qu'on soit trop excessif. J'aimerais cependant juste revenir quelques années en arrière, au moment où nous avons travaillé dans l'Assemblée constituante. Nous ne voulions évidemment pas que la constitution genevoise commence par «au nom de Dieu», et son préambule est le suivant: «Le peuple de Genève, reconnaissant de son héritage humaniste, spirituel, culturel et scientifique, ainsi que de son appartenance à la Confédération suisse [...]» Je me souviens très très bien du temps que nous avons passé à préparer ce préambule et à essayer de trouver un dénominateur commun à l'ensemble du groupe de constituants, représentatif du peuple, pour donner une sorte d'élan, un sens, une âme à un texte de constitution.
On pourrait se demander pourquoi; une constitution pourrait ne pas avoir d'âme, ne pas avoir d'élan particulier et s'adresser à tout un chacun d'une manière extrêmement neutre. Alors, nous nous sommes posé la question - et je me la pose - de la neutralité. La laïcité, c'est un peu la même notion appliquée à un autre sujet: celui des religions. On a pu voir que la neutralité constituait un principe exceptionnel au moment où la Suisse s'est positionnée comme moteur dans la médiation d'énormément de situations de guerre et autres. Mais la Suisse a aussi été à Auschwitz, par le biais d'un envoyé spécial de la Croix-Rouge suisse, pour dénoncer la volonté d'annihilation complète du peuple juif, et a été jusqu'à dire, au nom de la neutralité, qu'il ne se passait rien de particulier ! Ça a été reconnu, la Croix-Rouge suisse s'est évidemment excusée de ces millions de morts. Ce que je veux dire par là, c'est que notre travail de ce soir sur la laïcité m'apparaît très rigide, très sec ! Il n'y a pas de corps, il n'y a pas d'esprit ! Vous me direz peut-être que chacun a le droit d'entrevoir cet élan ou non, que cette âme, cet esprit, il les mettra là où il veut. Mais un texte constitutionnel comme celui que nous avons rédigé dans l'Assemblée constituante mérite à mon sens d'avoir un certain souffle, pas seulement pour aujourd'hui mais pour les prochaines années: nos enfants, nos petits-enfants le lisent et s'en imprègnent. J'ai trouvé que ce cadre-là était suffisant ! Parce que ça devient complètement absurde de rigidifier les choses en indiquant pour tout le comment et le pourquoi - pourquoi on ne va pas le faire, pourquoi on met le voile comme ci, pourquoi la croix doit avoir telle dimension ou telle autre.
On vit dans un monde totalement différent, et c'est à chacun de nous... Bien sûr, comme vous l'avez très bien dit, il faut avoir cette laïcité républicaine à l'Etat; on est bien d'accord. Mais laissons un peu de ventilation autour de cela ! Personne ne va nous dicter la manière de concevoir la transcendance qui nous convient, notre relation à un dieu ou à l'âme, etc. Nous vivons tous actuellement de manière tellement étriquée, tellement petite, qu'elle en devient presque mesquine. Est-ce qu'on va indiquer à chaque personne de religion différente de quelle manière nous parler, pratiquer l'empathie, nous embêter, etc. ? Non ! Ce que nous voulons, ce sont des principes ! Réellement des principes: une relation aux autres de qualité, le respect, le respect de l'indépendance et de l'autonomie. C'est notre façon d'être qui en fin de compte fera preuve d'une certaine laïcité et pas seulement ce qu'on met dans les textes. Je vous demande bien sûr de voter l'entrée en matière sur ce projet de loi, mais arrêtons de le rétrécir parce que bientôt on ne va plus très bien savoir ce qu'est la laïcité. Je vous remercie, mes très chers collègues.
Le président. Merci, Madame. Le Bureau décide de clore la liste des demandes de parole: en plus des rapporteurs et du Conseil d'Etat, ont encore la parole MM. de Matteis, Lance, Spuhler, Velasco, Batou et Mme Magnin. Monsieur de Matteis, c'est à vous.
M. Yves de Matteis (Ve). Merci, Monsieur le président. Mon intervention sera très brève: j'aimerais surenchérir sur ce qu'a dit M. Mizrahi concernant le fait que les délibératifs ou les législatifs - donc nous-mêmes - ne sont pas l'Etat et ne le représentent pas. Le Conseil d'Etat, comme son nom l'indique, représente l'Etat. J'en veux pour preuve le fait qu'il est censé, le plus souvent possible, parler d'une seule voix; d'où la célèbre collégialité du Conseil fédéral ou du Conseil d'Etat. Ce n'est pas toujours une règle absolue, mais c'est en tout cas une volonté, une logique puisque le Conseil d'Etat représente l'Etat. Or, j'espère que vous en êtes bien conscients ce soir, si nous - le parlement - devions représenter l'Etat, ce serait avec des voix discordantes, contradictoires, complètement incompatibles avec la notion même d'unicité de l'Etat. Rien que pour cette raison, je pense qu'on ne peut vraiment pas dire que nous représentons l'Etat ! Même si nous pouvons effectivement, en tant que législatif, rédiger des lois.
Ensuite, on a pu voir dans plusieurs Conseils municipaux des élus qui arboraient des signes religieux ostensibles, et ça n'a posé de problème à personne. Des membres de tous les partis représentés ici ce soir faisaient partie de ces délibératifs et cela ne leur a posé aucun problème: aucun projet de loi n'a été déposé durant toutes ces années alors que ces personnes-là siégeaient de manière tout à fait normale dans les délibératifs de nos communes. Merci, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
M. François Lance (PDC). Je ne veux pas refaire le débat que nous avons eu en commission, nous avons passé deux ans sur ces aspects-là. Mais j'aimerais quand même répondre à deux interventions, l'une de M. Gauthier et l'autre de M. Spuhler, concernant tout d'abord la contribution religieuse volontaire. Effectivement, M. Conne l'a dit, ce n'est pas un impôt mais une contribution volontaire, et les communautés religieuses paient pour cette prestation. La discussion sur ce sujet a été très longue au sein de la commission; nous nous sommes demandé si cet aspect devait subsister et nous nous sommes vite rendu compte qu'il fallait non seulement garder cette contribution, mais qu'il fallait aussi l'ouvrir aux autres communautés religieuses. Pourquoi ? Parce que celles-ci ne reçoivent aucune subvention; elles n'ont pas le droit d'en recevoir, alors que dans certains cantons suisses l'Etat verse au contraire des subventions à des communautés religieuses. A Genève, les communautés religieuses ne reçoivent effectivement pas de subventions et, eu égard à leur engagement social au sein de la collectivité, il est normal de garder ces contributions. Si on les supprimait, on peut se demander si ces communautés renonceraient à leur engagement social, en particulier pour l'intégration des étrangers et toutes sortes d'autres prestations sociales.
Autre réponse à M. Spuhler, pour redire que l'enseignement du fait religieux prévu dans ce projet de loi, ce n'est pas de l'éducation religieuse, ce n'est pas du catéchisme, il faut bien le rappeler. Cet enseignement vise à expliquer ce que représentent les différentes religions pratiquées dans notre canton. On l'a dit tout à l'heure: notre canton compte 400 communautés religieuses, il faut donc quand même expliquer aux enfants et aux adolescents ce que c'est qu'une religion. C'est important, ça relève aussi de la prévention; les élèves doivent disposer de ces ressources pour mieux comprendre ce qu'est une religion. Souvent, ils ne le savent pas; ils en parlent mais n'ont aucune idée de ce que ça peut représenter. Et au vu de l'importance des questions religieuses dans les débats de société, les enfants et les adolescents doivent disposer de ces éléments. C'est pourquoi l'enseignement du fait religieux est effectivement prévu dans cette loi, mais, contrairement à ce que dit M. Gauthier, comme une matière vraiment à part des autres matières enseignées. Voilà pour ces précisions; nous reviendrons certainement là-dessus au deuxième débat. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. Je me permets de vous rappeler que vous devez vous adresser au président et non pas à un député. Merci. Monsieur Spuhler, c'est à vous.
M. Pascal Spuhler (HP). Merci, Monsieur le président. J'ai bien entendu la réponse - vous transmettrez, Monsieur le président - mais je ne suis pas convaincu par vos propos, ni d'ailleurs par ceux de M. Mizrahi, quant à la question du masque et des exceptions que le Conseil d'Etat pourrait accorder. Il aurait peut-être été plus simple de dire que ceux qui travaillent et doivent utiliser un masque dans le cadre de leur profession ont le droit de le porter ! Ça aurait été tellement plus simple que de dire qu'il y a des exceptions dont on pourra discuter plus tard. A mon avis, vous n'avez pas franchement abordé tous les points et toutes les possibilités qu'impliquent ces sujets, parce que si on faisait la liste des exceptions, elle serait énorme. Vous pouvez l'imaginer, elle va du soudeur au pompier en passant par l'infirmier - vous l'avez dit - j'en passe et des meilleures.
Maintenant, j'en profite pour répondre à M. Lance quant à l'école. J'entends bien, je l'ai bien compris dans ce sens-là, Monsieur Lance - vous transmettrez, Monsieur le président - et je ne peux qu'espérer que ce soit simplement une information généraliste sur l'ensemble des religions. Vous l'avez dit: 400 religions, je crois, ou 400 confessions différentes. Mais enfin, il y a beaucoup à apprendre ! Est-ce que ce sont des cours sérieux sur l'ensemble des religions ? J'ai un petit doute; j'ai un petit doute sur l'ensemble, et surtout sur ceux qui vont amener ce savoir, parce que c'est là qu'est le problème et non pas dans le but.
Encore une fois, pour reprendre les propos de M. Jean Romain - Monsieur le président, vous transmettrez: la laïcité, c'est la tolérance. La laïcité, c'est effectivement la tolérance, pas l'intolérance. Je vois, moi, dans ce projet de loi une voie pour l'intolérance, et c'est tout le problème. Il y a des dogmatiques de la laïcité comme il y a des dogmatiques dans chaque religion; les dogmatiques de la laïcité, demain... Je me permets de reprendre également l'exemple de M. Jean Romain sur le parking Saint-Antoine: demain, on va nous demander de supprimer le «Saint» de Saint-Antoine ! Vous avez dit qu'on n'allait pas le supprimer, mais on risque bien de le faire, à force de tout planifier et de vouloir tout rendre tellement transparent pour ne pas choquer qui que ce soit ou ne gêner personne ! Bon Dieu, je suis athée, mais je reconnais que j'ai une éducation chrétienne ! Et j'aime bien utiliser la formule «bon Dieu», vous l'aurez remarqué. Ça ne me pose pas de problème de voir des croix dans les églises, ça ne me pose pas de problème de fêter Noël. Vous voulez que, demain, les dogmatiques de la laïcité nous suppriment Noël et tous les signes religieux qu'on peut voir tout au long de l'année dans notre vie quotidienne ?
C'est le risque de ce genre de projet de loi, où on veut tout maîtriser; le problème est là. Est-ce que la constitution a été assez loin ? Je suis persuadé que non. Elle a été arrangée, on a un petit peu manipulé les lois, on a effacé deux ou trois petites choses, mais on n'a pas été courageux avec cette constitution ! On n'a pas été courageux: on a dit qu'à Genève on appliquait la laïcité, qu'on pouvait légiférer ou pas mais que ce n'était pas nécessaire. Il fallait être plus ferme ! L'Etat est laïque, point barre ! On n'en parle pas, on ne va pas plus loin ! Je pense qu'il ne faut pas voter ce projet de loi: vous ouvrez la voie aux dogmatiques, vous ouvrez la voie à tous les fanatiques, musulmans ou autres - islamistes, excusez-moi: je devrais utiliser ce terme plutôt que «musulman». Excusez-moi, amis musulmans. Vous ouvrez la voie à tous les extrémistes, chrétiens et d'autres religions. Avec ce projet de loi, vous serez attaqués à tout bout de champ sur chaque décision que vous prendrez: sur le nom que vous donnerez à la rue Untel ou la place Machin, sur la manière que vous aurez de construire cet édifice, sur la manière dont vous allez éduquer les enfants à l'école. Mesdames et Messieurs, voter ce projet de loi tel qu'il est là, c'est vous tirer une balle dans le pied. Merci.
Une voix. Bravo.
M. Alberto Velasco (S). Monsieur le président, j'allais justement demander ce que vous avez proposé: boucler les prises de parole du premier débat. Mais puisque j'ai la parole, je vais m'exprimer. (Remarque.) Bah, écoutez, quand même ! Vous savez, M. Spuhler n'a pas si tort. Restez là, Monsieur Spuhler ! (L'orateur rit. Rires.) J'ai l'impression qu'on a presque bâti une loi anti-islam et je vais vous dire pourquoi. Vous savez que je préside un local de vote, Monsieur le président. Je convoque, comme ça, dix jurés; je choisis toujours cinq hommes et cinq femmes, et j'essaie de mélanger les citoyens de différentes origines - des citoyens suisses, parce qu'on peut être d'origine maghrébine et citoyen suisse. Me concernant, on n'a jamais compris que je sois d'origine espagnole et suisse, mais enfin, c'est comme ça. Parmi les dix jurés, une dame est arrivée voilée. Elle était voilée, Monsieur le président ! Et je me suis dit: «Eh bien, dis donc, une femme voilée qui va être jurée électorale et recevoir les citoyens ! Que fais-je ?» Eh bien, j'ai dit que c'était une jurée, une citoyenne et que c'était comme ça. Savez-vous qu'elle a été la meilleure jurée que j'aie eue depuis trois ou quatre ans que j'exerce ? Savez-vous que cette femme était hyper respectueuse et faisait son travail d'une manière exemplaire ? (Commentaires.) Mais savez-vous... (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Monsieur le président, est-ce que je peux continuer ? Moi qui croyais que les citoyennes et les citoyens allaient être choqués par cette femme voilée, mais non ! Mais non, ils étaient plutôt contents et fiers de leur république ! Fiers de voir comment cette dame qui portait le voile était intégrée dans nos institutions et exerçait ce jour-là comme citoyenne appelée, bénévole. Voilà, Monsieur le président ! On n'a pas vraiment besoin de cette loi, parce qu'elle va amener autre chose sur les religions.
Je suis né dans une région internationale, disons, à Tanger, de mère juive et de père catholique. Au bout de quarante ans, je suis allé visiter la tombe de mon père dans un cimetière chrétien. Savez-vous qui gardait ce cimetière ? C'était un musulman, un Arabe. Savez-vous qui enterrait les chrétiens qui mouraient ? Des Arabes. Alors j'ai dit aux Arabes: «Mais comment pouvez-vous enterrer des morts chrétiens ? Je ne comprends pas !» Ils m'ont dit: «Tu sais, ce sont tous des enfants de Dieu. Ils ont leur dieu mais on les enterre quand même.» Quand je suis arrivé au cimetière le deuxième jour, j'ai vu le gardien qui priait sur la tombe d'un chrétien; il y avait une croix et il priait. C'était extraordinaire ! Je lui ai demandé s'il n'enfreignait pas les préceptes de sa religion et il m'a répondu que pas du tout. Ce que je suis en train de montrer, Monsieur le président, c'est que les gens de ce côté-là de l'Orient semblent avoir une ouverture d'esprit un peu plus grande que nous, en Occident, qui nous croyons tellement supérieurs en tout: notre culture serait supérieure, tout comme notre religion. Non, je crois franchement qu'il y a des lieux en ce monde, en Orient, où les religions ont coexisté - toutes les religions ont coexisté - sans aucun problème. Sans aucun problème !
Ce n'est pas un problème de religion. La laïcité a été inventée en France pour une raison bien précise - bien précise: comme en Espagne, la religion avait le contrôle économique, culturel et total du pays. C'est pour ça qu'on a inventé la laïcité ! Pour en finir justement avec ce contrôle. C'est de là que vient la laïcité. Il se trouve - c'est très intéressant - que dans Al-Andalus, en Andalousie, ils ne comprenaient pas la laïcité parce qu'il y avait une séparation totale, comme toujours dans l'islam, entre la fonction d'Etat et la fonction religieuse. On ne le dit pas mais, voyez-vous, l'islam a séparé ces deux fonctions et c'est pour ça que les musulmans ne comprennent tout simplement pas la laïcité. Tout ça pour vous dire, chers collègues, que la Constituante a fait preuve de beaucoup de sagesse, mais il me semble qu'on a parfois été un peu trop loin - ou pas assez - dans la sagesse. Parce que je crois qu'à Genève les choses vont très très bien et qu'il n'y a aucun problème. Et on va s'en créer avec cette loi ! Le jour où une Suissesse, une citoyenne genevoise, ira à l'administration avec un voile et qu'on lui dira qu'elle ne peut pas exercer sa fonction, eh bien, cette personne s'adressera - je l'espère - au Tribunal administratif, puis au Tribunal fédéral et ensuite à la Cour européenne des droits de l'homme, et elle gagnera. Voilà où on en sera arrivé, Mesdames et Messieurs. Je respecte la majorité qui votera cette loi; je la respecte, mais j'ai moi aussi le droit de dire ce que je pense. Donc voilà: on aurait pu s'éviter cette loi. Merci.
M. Jean Batou (EAG). J'aimerais tout d'abord dire que je suis opposé à toute forme de loi qui vise à disposer du phénomène religieux comme d'un phénomène particulier et spécial. Nous avons tous des convictions philosophiques, politiques, idéologiques, et nous avons le droit de les défendre publiquement: nous espérons convaincre les autres. Nos adversaires devraient être ceux qui veulent imposer une seule façon de croire, une seule façon de réfléchir, une seule façon de se prononcer. Toutes les sociétés qui ont essayé d'imposer une seule façon de croire, une seule façon de penser ont été en échec parce que le progrès de la société et des rapports humains est lié à la discussion, au libre débat. Il ne faut pas avoir de loi particulière à l'égard du phénomène religieux.
Le phénomène religieux se nourrit de la souffrance. Vous connaissez peut-être la phrase du tout jeune Karl Marx qui disait: «La religion est l'opium du peuple.» Il ne pensait pas à une drogue hallucinogène, mais à un calmant. La religion est un moyen de moins souffrir et avant de dire qu'elle est l'opium du peuple, il disait qu'elle est surtout le coeur d'un monde sans coeur et l'esprit d'une époque sans esprit. Eh bien, essayons d'avoir un monde avec coeur et une société avec esprit, et vous verrez que la religion, dans ses côtés caricaturaux, dans ses côtés dogmatiques, reculera ! Je suis d'accord avec ceux et celles qui disent ici que l'intégrisme religieux n'est pas le seul danger: tous les intégrismes en sont un ! Et je connais des intégristes athées ! Je suis athée mais je ne suis pas intégriste: je respecte les croyants. Je suis athée mais je ne suis pas intégriste: je respecte toutes les religions. Mais nous avons aussi des intégristes de la laïcité qui veulent nous imposer leur manière de penser. Nous devons refuser tous ces intégrismes et nous souvenir que la richesse de notre société, c'est de laisser chacun s'émanciper à sa manière. Pour moi, c'est tout de suite, sur terre, dans le combat politique; pour d'autres, ce sera demain, au ciel. Mais si on peut travailler à l'émancipation de l'humanité aujourd'hui, ensemble, eh bien, je suis partant pour le faire avec tous les croyants et toutes les philosophies pourvu qu'on soit d'accord de converger vers des objectifs qui profitent à la majorité !
Enfin, à ceux qui nous disent ici que les religions sont responsables de l'oppression des femmes - les religions ont leur part de responsabilité - n'oublions pas que la Suisse a donné le droit de vote aux femmes en 1971 ! Arrêtons de nous gargariser de la supériorité de notre civilisation ! Nous avons beaucoup à apprendre des autres dans ce domaine, sur ce terrain; je connais bien des croyants pourvus de convictions en matière d'égalité homme-femme qui auraient des choses à apprendre à de prétendus laïques ou à de prétendus athées. Je revendique mon incroyance, tout comme je revendique mon respect pour tous ceux qui pensent autrement que moi. Raison pour laquelle je m'oppose à l'introduction d'une loi spéciale contre - ou qui cadre - les phénomènes religieux. Arrêtons avec cette absurdité: il faut refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. (Applaudissements.)
Mme Danièle Magnin (MCG). Au contraire, je pense qu'il est absolument indispensable de voter l'entrée en matière sur ce projet de loi. Précisément, la loi - la Bible, pour moi - c'est la Constitution fédérale, puis la constitution genevoise. L'article 8 de la Constitution fédérale parle de l'égalité entre hommes et femmes et dit en particulier, si mon truc veut bien se rouvrir... (L'oratrice essaie d'accéder à l'information sur sa tablette.) Je suis désolée, c'est un peu lent. Il dit: «L'homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l'égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail», etc. Ensuite, l'article 15 parle de la liberté de conscience et de croyance comme faisant partie des droits fondamentaux, et l'article 36 dit qu'on ne peut pas restreindre ces droits fondamentaux si on n'a pas de base légale. Or, le droit de prier où on se trouve - dans la rue, pourquoi pas... Imaginons à l'angle de la rue des Eaux-Vives et de l'avenue de la Grenade, vous savez, là où il y a une maison avec des éléments en vert: ils commencent à vouloir faire la prière dans la rue ! Comment est-ce qu'on va le leur interdire si on n'a pas une base légale ? Ils ont commencé à l'aéroport !
Je voudrais vous citer quelqu'un, un monsieur qui s'appelle Sami Aldeeb, qui a un blog - et j'en donne l'adresse à qui voudra bien le lire - où il explique notamment comment l'islam progresse et ses méthodes. Je vous la fais courte: «A partir de 5%, ils exercent une influence démesurée, comparée à leur pourcentage dans la population. Ils pousseront à l'introduction de la nourriture halal (préparée selon les normes de l'islam), s'assurant ainsi que les tâches de préparation de la nourriture halal soient attribuées à des musulmans. Ils augmenteront la pression sur les chaînes de supermarchés pour la trouver sur leurs étagères [...]» Ça aussi, c'est contraire à ce que l'on pratique en Suisse où l'on doit étourdir les animaux avant de les égorger ! «Après 20%, attendez-vous à des émeutes déclenchées pour un rien, la formation de milice du jihad, des massacres épisodiques et des incendies d'églises et de synagogues.» Mais vous voyez bien que ça se passe autour de nous, dans les pays alentour ! Et quand on atteint les 40%, ce sont «des massacres fréquents, des attaques continuelles de terroristes et la guerre continue des milices». Mesdames et Messieurs, nous avons vu tout ce qui est arrivé en France, nous voyons ce qui arrive en Angleterre.
L'islam, contre lequel on veut se prémunir et auquel les Bisounours ne voient aucun inconvénient, c'est un tout. Ce n'est pas seulement une religion, Mesdames et Messieurs, c'est une conception sociétale qui veut prendre le pouvoir sur la planète entière. Alors il faut nous en prémunir ! Il ne faut pas simplement se laisser aller à des propos lénifiants, à penser que c'est une affaire de coeur. Mais non, ce n'est pas une affaire de coeur ! Lorsque j'étais enfant, j'étais dans des écoles religieuses et je devais porter un foulard pour aller à la messe ! On n'en est heureusement plus là ! Et c'est ce que nous voulons éviter à l'avenir ! Pour moi, une femme qui porte le voile islamiste dit à tout le monde à travers ce voile-là: «Je me soumets à l'homme, que ce soit à mon père, à mon frère ou à mon époux.»
Une voix. A l'imam.
Mme Danièle Magnin. Eh bien, ça ne respecte pas notre Constitution fédérale. Je vous le dis: ce ne sont pas des femmes, ce sont des sous-êtres humains ! Parce qu'un être humain doit être libre, il doit être fier ! Il n'y a aucune raison de laisser de la place à ces gens-là pour qu'ils amènent chez nous leurs lois, leur façon de voir la vie et la charia, comme ça arrive avec le communautarisme qu'on voit en Angleterre ou au Canada. Les Anglais s'en moquent un peu parce qu'ils restent entre eux, mais nous, nous aimons avoir une société où tout le monde est ensemble et heureux ensemble.
Je voudrais aussi vous dire que j'ai beaucoup lu sur la manière dont l'islam s'est répandu. Le christianisme, dans lequel nous vivons, est une religion qui prône l'amour alors que l'islam se répand au contraire par la violence. C'est: «Tu te convertis ou tu meurs !» Et éventuellement: «On te tolère si tu paies un impôt, une taxe qui est assez élevée.» Mais nous ne voulons pas de ça ! Lisez, je vous en prie, Mahomet et Charlemagne. Ce sont deux cultures qui s'opposent aux VIIIe-IXe siècles. C'est simplement épouvantable; rappelez-vous ! Rappelez-vous tout ce qui s'est passé ! Rappelez-vous: «Que diable allait-il faire dans cette galère ?» C'est dans «Les Fourberies de Scapin» de Molière. Rappelez-vous l'ordre de Malte qui rachète les chrétiens emmenés en esclavage. Nous ne voulons pas de cela ! Nous voulons la dignité pour les hommes et pour les femmes de notre pays. Pour cela, nous devons mettre des limites à ce qui peut être fait. Je pourrais encore vous citer divers ouvrages, par exemple «Le Génocide voilé» qui parle du fait que les Arabes ont emmené des millions de gens d'Afrique noire pour les faire travailler chez eux. Ne serait-ce que, je ne sais pas, «Les Pêcheurs de perles» de monsieur... Je ne sais plus son nom, mais il raconte comment on abuse très facilement au nom de cette idéologie.
Je vous demande d'accepter l'entrée en matière pour que nous puissions avoir des lois fermes nous permettant de nous protéger, de telle sorte qu'on ne se fasse pas retoquer au Tribunal fédéral lorsque des décisions administratives seront prises, qu'on ait la base légale nécessaire pour le faire. Je vous remercie de m'avoir écoutée.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Je suis un peu étourdi par ce que je viens d'entendre. Ma préopinante a dit beaucoup de choses, et beaucoup de choses difficiles à accepter sur l'image d'un christianisme tolérant et qui respecterait l'égalité, sur le fait que l'esclavage serait imputable à d'autres religions que les nôtres. Non, mais, un peu de recul ! Un peu de modestie par rapport à notre propre histoire ! Ce n'est pas vrai: un certain nombre de musulmans et de juifs ont connu les délices de l'inquisition chrétienne en Espagne, et l'esclavage a été pratiqué jusqu'aux Etats-Unis par toutes sortes de gens extrêmement blancs et extrêmement chrétiens, soutenus d'ailleurs par cette Angleterre que vous mentionniez dans le cadre de la guerre civile américaine qui voulait supprimer l'esclavage. Bref, il y a aujourd'hui sur ces questions-là une vision un tout petit peu problématique et délirante, je dirais - excusez-moi du terme, il est fort.
Mesdames et Messieurs, quel manque de confiance ! Quel manque de confiance dans nos institutions, dans nos libertés, que d'affirmer qu'il faut des lois spéciales en matière religieuse ! Le rapporteur de majorité, qui est intelligent - j'allais dire malin - a dit: «Il n'y a pour l'heure pas de problème, mais c'est justement le moment de voter ces lois parce que plus tard, il sera trop tard !» Non ! J'ai, moi, une pleine confiance dans la défense d'un certain nombre de droits démocratiques, dont ceux mentionnés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme que j'ai citée, et dans l'application rigoureuse de nos lois qui sanctionnent les excès problématiques. J'ai parlé de sacrifices humains; eh bien, il n'y a pas besoin de loi contre les sacrifices humains puisque nous avons des lois contre le meurtre et l'assassinat. On fait une loi spéciale pour promouvoir la paix religieuse, comme le stipule l'article 1 exposant les buts de la loi, alors qu'il n'y a pas... Ça ne viendrait à l'idée de personne... Notre histoire politique impliquant les radicaux est, à Genève, conflictuelle et turbulente: ils ont mené la révolution en 1846 et, dans les années 1860, faisaient le coup de feu quand ils perdaient une élection. Le Bâtiment électoral était surnommé la «boîte à gifles» parce qu'on se tapait dessus au moment des élections. A qui viendrait-il aujourd'hui l'idée de définir un objectif de politique publique qui serait de promouvoir la paix politique ? Non, Mesdames et Messieurs, on a le droit de se faire la guerre en matière d'idées ! Victor Hugo, que quelqu'un a cité, disait: «La guerre, c'est la guerre des hommes; la paix, c'est la guerre des idées.» Bien sûr que, sur le plan des idées, j'ai l'ambition de convaincre toutes sortes de personnes et d'arriver à une majorité avec des vues qui sont aujourd'hui minoritaires. Mais la seule contrainte qu'on doit et qu'on peut m'imposer, c'est de le faire par des moyens démocratiques, pacifiques, qui respectent les libertés des autres ! C'est ce que nous proposons en refusant une législation particulière sur la religion, comme l'a expliqué Jean Batou tout à l'heure avec plus de talent que moi.
Prenons un autre exemple qui a été cité sur ces questions de signes religieux. Les partisans de l'interdiction de ces prétendus signes religieux confondent deux choses: la neutralité de l'Etat en matière religieuse, qui signifie que l'Etat ne doit, d'aucune manière, faire de l'appartenance religieuse un critère pris en compte dans une quelconque décision, et les règles que l'Etat impose à ses employés. La liberté de conscience, d'opinion, d'association et donc la liberté de croyance ne doivent connaître d'autres limites que celles prévues par les lois générales ! Que signale par exemple un employé de la Ville qui serait de confession juive et porterait une kippa dans une bibliothèque ? Une employée musulmane qui porterait un voile derrière tel ou tel guichet de l'administration fiscale ? Un travailleur de la voirie latino qui aurait un t-shirt «I love Jesus» ? Un conducteur de bus qui serait sikh et porterait un turban, comme on en trouve en Angleterre ? Une employée de ludothèque avec une petite étoile de David ? Individuellement, ils signalent certes leur appartenance religieuse - donc leur exercice d'un droit fondamental - mais du point de vue institutionnel, ils signalent précisément que l'Etat est neutre. Qu'il y a une diversité ! Il serait anormal que dans un canton multiculturel, multinational, avec de nombreuses croyances et beaucoup de non-croyants, tous les employés de l'Etat soient purement et simplement formatés sur ce plan-là. Si une administration n'avait que des hommes au guichet et parmi ses collaborateurs, eh bien, on serait en droit de lui faire un procès pour sexisme, pour non-respect de l'égalité et de la neutralité en matière de rapport de genres. Si telle commune - la Ville de Genève, pour en prendre une grande - n'avait aucun employé de couleur, il serait parfaitement logique de considérer sa politique de recrutement comme contestable sur le plan de l'égalité et discriminatoire en matière raciale, ce qui est contraire à nos lois.
Cette multiplicité d'employés qui ont une appartenance religieuse et, le cas échéant, ne la cachent pas le matin quand ils vont au travail signale la force et le pluralisme de notre société. Nous sommes tout à fait favorables à ce qu'une indication générale signale que les employés de l'Etat doivent manifester une neutralité religieuse dans leurs rapports avec le public, mais de là à exiger qu'ils se déguisent en ce qu'ils ne sont pas ! Ça démontre un peu les perversités dans lesquelles nous entraîne l'idée de légiférer en la matière. Sans parler de mille autres difficultés que posent ces questions ! (Brouhaha.) On dit que les gens ne doivent pas signaler leur appartenance religieuse; donc Pierre Vanek, qui est un athée - et encore, le savez-vous vraiment ? - aurait le droit, à titre décoratif, de porter de petites croix, des étoiles de David et Dieu sait quoi, alors qu'un employé dont ça refléterait la conviction n'aurait pas le droit de le faire ! On doit par conséquent commencer à ficher les gens ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) A noter la religion des uns et des autres dans les dossiers du personnel des différentes administrations, et jusqu'à ceux de la Banque cantonale ! On est dans un délire frénétique de contrôle qui ne répond à aucune nécessité et à aucun intérêt public, et c'est au nom de cette absence d'intérêt public réel qu'on viole les dispositions du droit supérieur...
Le président. Il vous faut terminer.
M. Pierre Vanek. ...notamment l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Ça s'est un peu calmé. Je vous laisse la parole, Monsieur Lussi.
M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est avec intérêt - je le dis franchement - que j'ai écouté chacun d'entre vous parce qu'on ne parle en définitive pas d'une position politique, mais simplement des convictions de chacun et de la manière dont il se représente la société dans laquelle il aimerait vivre. Au risque d'en froisser quelques-uns, je tiens quand même à dire que la laïcité provient des philosophes des Lumières... (Remarque.) ...et que le premier - on n'a pas parlé de la cité - à avoir promulgué un édit de tolérance, le 12 novembre 1781, c'est Joseph II, empereur d'Autriche. Il a décidé d'octroyer les mêmes droits aux non-catholiques, c'est-à-dire, à l'époque, aux protestants et aux juifs. C'est après cela que la laïcité a gagné, Mesdames et Messieurs, parce que nous devons, au sein d'un organe législatif et d'un Etat neutre, bannir de notre vocabulaire le terme «tolérance». La tolérance signifie simplement que l'on accepte du bout des lèvres une chose dont on ne voudrait pas. Et la tolérance, dans cet esprit, a été mise de côté par la laïcité parce que celle-ci traite tout le monde sur un pied d'égalité; nous l'avons dans notre constitution puisqu'il y est question de la liberté de pensée, de religion et autre.
J'ai entendu dire que la laïcité n'est pas neutre. Si, la laïcité est une forme de neutralité, mais pas d'ordre politique ou autre, comme certains voudraient la définir. Le fait que la laïcité soit neutre signifie simplement qu'elle se considère comme incompétente et indifférente en matière de doctrines et de croyances. Pourquoi ? Parce que la laïcité est un principe qui fonde nos lois: c'est par rapport à ces lois que le peuple décide dans quelle direction il veut aller et ce qu'il veut sanctionner ou pas. Je tiens à dire qu'il est normal qu'il y ait une loi; selon mon approche, elle sanctionne les comportements et non pas les pensées. En ce sens, quitte à en heurter certains, même dans mon parti, je tiens à cette sacro-sainte liberté de pensée qui peut être religieuse, qui peut être politique, qui peut être n'importe quoi, mais qui s'exprime dans le domaine privé, entre amis. Je suis par contre absolument inflexible sur le domaine public et la représentation de l'Etat: cette neutralité, justement, ne doit pas permettre la présentation de signes ostensibles, que l'on peut assimiler non pas au droit de pratiquer sa religion mais à une provocation. Souvent, les signes ostensibles religieux sont là pour nous provoquer, pas simplement pour dire qu'on a le droit de pratiquer sa religion; c'est en tout cas ce qu'on vit ces derniers temps.
Il y a un point sur lequel j'ai aussi discuté en commission, à savoir le fait religieux. C'est important: est-ce qu'on doit l'enseigner à l'école ? A mon avis, l'enseignement du fait religieux doit informer les jeunes sur les différents systèmes de pensée, mais en n'omettant pas non plus les travers de ces systèmes - je crois que Jean Romain s'est exprimé à ce sujet. En ce sens, il est nécessaire. La grande question est de savoir si on doit confier cet enseignement aux enseignants ou à d'autres, aux parents. Cette question n'a pas été résolue et n'est pas résolue dans ce projet de loi. Mais balayer simplement d'un revers de la main l'enseignement du fait religieux, non. Il ne s'agit pas de faire du prosélytisme, simplement d'informer les jeunes sur ce que sont les religions et leurs travers, et leur éviter de sombrer dans les fanatismes sectaires ou autres que l'on remarque aussi. C'est peut-être pour moi la vertu principale de cet enseignement quand on voit ce qui se passe maintenant.
Au final, Monsieur le président, j'aimerais dire: n'ayons pas honte d'affirmer que nous sommes un Etat laïque respectueux, que nous avons une législation et que nous sommes des députés aimant et soutenant la liberté de pensée, mais absolument rigoureux sur les dérives. C'est pour cela - je terminerai par là - que je m'oppose à ce projet de loi sur la laïcité: non pas en raison de son contenu, mais de son intitulé. J'aurais préféré qu'on parle d'une loi, basée sur le principe de laïcité, réprimant les dérives religieuses et sectaires de certains. Ce serait une bonne formulation, qui me conviendrait. La laïcité in extenso n'a pas à être intrinsèquement mêlée à cela, et c'est pour ça que j'ai déclaré au début: ne la souillons pas de règles, mais osons dire dans une loi que nous allons nous battre contre les extrémismes et outrances de certains. Mais ne mêlons pas le principe de laïcité à cela. Je confirme donc que je ne voterai personnellement pas l'entrée en matière sur ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
M. Lionel Halpérin (PLR), rapporteur de majorité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il est symptomatique de constater dans ce débat que les opposants à la loi, au moment d'essayer de convaincre les gens de ne pas voter l'entrée en matière, se sentent obligés de créer ou d'inventer des risques qui n'existent pas. Personne, dans tous les débats que nous avons eus au sein de la commission - vous pouvez lire les rapports, vous le verrez - n'a suggéré qu'il faille changer le nom du parking Saint-Antoine, personne n'a suggéré d'enlever les symboles religieux dans la rue. Il a même été expressément dit qu'il n'en était pas question, et il n'y a pas eu une seule personne au sein de la commission pour le réclamer ! C'est vous dire que nous sommes très loin du danger que certains veulent mettre en exergue maintenant. Il faut revenir à ce qu'est ce texte de loi: c'est d'abord un texte sur la laïcité.
La laïcité n'est pas un instrument contre les religions et encore moins contre les religions minoritaires. Au contraire, c'est la laïcité qui a permis aux religions minoritaires de se faire une place dans notre société, et celles-ci doivent se le rappeler. Quand on défend la laïcité, on ne s'en prend pas à la pratique de telle ou telle religion. On défend simplement le droit pour tous de pratiquer sa religion et d'avoir ses convictions personnelles; c'est ça, d'abord, la laïcité. Et c'est aussi ce que dit ce projet de loi.
Ce soir, j'ai entendu un peu tout et son contraire. Je vous parlais de ces craintes; certains ont déploré une loi qui créerait trop de contraintes, et les mêmes, dans la suite du même discours, ont expliqué qu'ils regrettaient que des exceptions soient prévues dans la loi ! Il faut savoir ce qu'on veut, parce que la liberté religieuse est un principe constitutionnel. On veut une loi qui permette de mettre un certain nombre de cautèles et d'éviter notamment une pratique de la religion sur le domaine public, en tout cas accrue, mais en même temps, on ne veut pas d'une loi qui interdirait à chacun de pratiquer sa religion comme il l'entend, du moins quand il est chez lui.
Ce que propose cette loi, au fond, c'est le maintien et la persistance d'un état d'esprit qui prévaut à Genève depuis un siècle et demi: chacun peut pratiquer sa religion comme il l'entend, librement, mais en principe pas sur le domaine public. Il semble que certaines jurisprudences ont laissé entendre autre chose; je crois quant à moi que les Genevois ont eu la sagesse de décider qu'on ne pratiquait pas la religion sur le domaine public. Cette sagesse tient à une chose: quand il y a des périodes de tension - il y en a de temps en temps en matière religieuse, et on sait ce qu'elles peuvent donner - eh bien, si on évite de créer des frictions par une présence des religions sur le domaine public, on rend service à la population et on contribue à la paix religieuse. C'est cela que ce texte vous demande, et c'est pour cela que je vous invite à accepter l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Une voix. Très bien !
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, la question qui se pose, si l'on devait résumer ce débat préliminaire, est de savoir si nous pouvons en la matière faire l'économie d'une loi ou pas. Le Conseil d'Etat est d'avis qu'on ne le peut pas, car il y a des éléments qui méritent précisément que votre Grand Conseil donne des directions et imprime dans notre corpus législatif des données essentielles. La notion, désormais constitutionnelle, de communauté religieuse doit trouver une explication; la norme constitutionnelle ne suffit pas à la lui donner. La délimitation du champ de ces relations devra également s'accommoder d'une loi, tout comme devront être clarifiées dans le cadre d'une loi, avec calme, les restrictions vestimentaires que l'on peut, que l'on doit ou que l'on ne doit pas demander aux représentants de l'Etat. La Convention européenne des droits de l'homme le précise dans son article 9 et indique aux Etats signataires - la Suisse en est depuis 1974 - que de telles restrictions doivent avoir une base légale. Votre Grand Conseil ne pourra pas faire l'économie de ce débat, et le gouvernement vous invite à avoir cette discussion dans le calme, dans la sérénité, car ces questions-là occupent l'espace politique dans tous les pays qui nous entourent et occuperont un jour le nôtre comme elles l'ont fait au début du siècle dernier.
Restreindre, temporairement ou pas, certaines manifestations d'appartenance religieuse supposera aussi, tôt ou tard, une loi. Que l'on veuille pérenniser ou, au contraire, interdire ce type de pratique, la question des contributions ecclésiastiques devra également faire l'objet d'une loi afin de bénéficier d'une base légale claire et réglementaire. Enfin, Mesdames et Messieurs, l'article 218 de la nouvelle constitution est essentiel - M. l'ancien constituant socialiste qui parlait tout à l'heure, M. Mizrahi, devrait le savoir: relatif aux biens incamérés, il vous demande spécifiquement une base légale pour déterminer leur sort. Il faut savoir que c'est un sujet éminemment actuel pour les différentes Eglises et qu'il s'agit de donner une réponse politique et juridique à cela. Enfin, il s'agit aussi d'avoir conscience que nous avons besoin de rénover notre législation. La plus jeune de nos lois en la matière date de 1907, c'est la loi sur la suppression du budget des cultes; la plus ancienne encore en vigueur a cent quarante-trois ans et remonte à 1875, c'est la loi sur le culte extérieur. Je suis un radical, Monsieur Vanek, et Dieu sait s'il m'en coûte d'imaginer que ces lois, à l'origine même de la philosophie radicale, doivent être revues. Mais je crois qu'après cent onze et cent quarante-trois ans, il est temps de le faire, car ces bases légales ne sont assurément pas suffisantes.
Monsieur Vanek, vous citiez Victor Hugo, qui entretenait des relations étroites avec un certain nombre des hommes qui ont créé et incarné le radicalisme au XIXe siècle. Victor Hugo écrivait aux constituants genevois... (Brouhaha.)
Des voix. Chut !
M. François Longchamp. ...le 17 novembre 1862... (Remarque.)
Des voix. Chut !
M. François Longchamp. ...alors même qu'ils étaient en train de réfléchir à la constitution... (Remarque.)
Des voix. Chut !
M. François Longchamp. ...et à la question essentielle à l'époque de savoir si la peine de mort devait figurer dans cette loi ou pas. (Brouhaha.)
Le président. Monsieur Florey, s'il vous plaît !
Une voix. Il y a un schisme à l'UDC ! (Rires. Commentaires.)
M. François Longchamp. Victor Hugo écrivait ceci: «Les mots sont vains si les idées ne sont pas dessous. Il ne suffit pas d'être la république, il faut encore être la liberté; il ne suffit pas d'être la démocratie, il faut encore être l'humanité. [...] Au moment où l'Europe recule, il serait beau que Genève avançât.» Voilà ce que disait Victor Hugo aux constituants, voilà ce que je vous propose, au nom du Conseil d'Etat, de faire ce soir. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous allons voter sur l'entrée en matière du projet de loi 11764.
Une voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Largement. Le vote est lancé.
Mis aux voix, le projet de loi 11764 est adopté en premier débat par 63 oui contre 26 non et 3 abstentions (vote nominal).
Le président. Monsieur Stauffer, vous avez une demande ? (Exclamations. Protestations.)
M. Eric Stauffer (HP). Non, chers collègues, ce n'est pas pour un renvoi en commission. Je voudrais juste, pour la sérénité des débats, demander le huis clos. (Rires. Commentaires.)
Le président. Très bien, c'est une demande que vous avez le droit de faire. Vous devez être suivi par les deux tiers des députés pour que le deuxième débat se tienne à huis clos; je lance le vote.
Mise aux voix, la demande de huis clos est rejetée par 85 non contre 7 oui. (Commentaires pendant la procédure de vote.)
Le président. Mesdames et Messieurs, nous reprendrons nos travaux sur ce projet de loi - le deuxième débat - demain à 16h. Merci pour la qualité des débats.
Troisième partie du débat: Séance du vendredi 23 mars 2018 à 16h