Séance du
vendredi 24 novembre 2017 à
14h
1re
législature -
4e
année -
9e
session -
48e
séance
M 2411-A
Débat
Le président. Nous examinons maintenant la M 2411-A. Le rapport est de Mme Haller, à qui je donne la parole.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le traitement de la proposition de motion 2411 s'est fait avec célérité en raison notamment de l'intérêt qu'elle a suscité auprès des membres de la commission de l'économie, qui ont estimé qu'il était absolument indispensable qu'elle soit examinée rapidement afin de respecter le calendrier d'ores et déjà mis en place. Il était selon nous fondamental que ce parlement donne un signal fort en traitant et en acceptant cette motion, et je vais vous détailler la manière dont les choses se sont passées.
Rappelons tout d'abord que ce texte a été clairement désigné par son premier signataire comme voué à limiter les dégâts s'agissant de la situation de la «Tribune de Genève», à la suite des mesures de concentration des rédactions et de réduction des postes ayant conduit à une diminution alarmante de la diversité et de la proximité de la presse. Au début de l'année 2017, la suppression du magazine «L'Hebdo» avait été annoncée, ainsi que la réduction des effectifs du «Temps»; une quarantaine de personnes avaient été licenciées; cette motion repose sur la crainte que le scénario qui se dessine pour la «Tribune de Genève» prenne la même direction. En effet, la rédaction doit être déplacée à Lausanne, et il est plus que probable que des licenciements massifs soient prononcés, bien que l'éditeur s'en soit défendu.
De l'examen de la motion, il ressort que la concentration envisagée, au-delà des mutations de la presse et notamment de son développement numérique, ne résulte pas d'un manque de rentabilité des publications, mais plutôt d'une organisation différenciée des divers types d'activités qui empêche interactions et équilibrages financiers. Au vu de cet élément, la restructuration de la «Tribune de Genève» n'est pas inéluctable; c'est le mode de fonctionnement du groupe de presse qui induit un déficit financier et, par conséquent, doit être remis en cause. Comme je viens de le mentionner, les membres de la commission se sont rapidement entendus pour exprimer la claire volonté de défendre le principe d'une presse libre et indépendante - à vrai dire, qui oserait postuler le contraire ? - mais surtout pour s'élever contre la restructuration prévue par Tamedia et ses incidences sur les contenus rédactionnels et les postes de travail.
A l'origine, la proposition de motion 2411 contenait quatre invites, les deux premières explicitement relatives à la condamnation de la restructuration envisagée et à la préservation des postes, les deux suivantes concernant une action visant à réunir l'ensemble des acteurs concernés afin de réfléchir à l'opportunité de créer un fonds public-privé en faveur de médias locaux écrits, radiophoniques et télévisuels forts et indépendants, de même que pluriels, avions-nous ajouté lors des discussions. Si un consensus s'est dégagé promptement sur les deux premières invites, les deux dernières se sont révélées prématurées, nécessitant en effet, selon les commissaires, un examen plus attentif qu'il n'aurait pas été possible de réaliser dans l'urgence. C'est pourquoi il a été décidé de ne conserver que les deux premières et de revenir plus tard, sur l'impulsion de l'un ou l'autre des députés, sur les deux autres.
La commission de l'économie, désireuse d'envoyer un signal politique clair, s'est donc entendue pour amender la motion et vous invite à l'accepter afin de soutenir résolument le personnel de la «Tribune de Genève». Je vous remercie de votre attention. (Quelques applaudissements.)
M. Boris Calame (Ve). Chères et chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites par ma préopinante. Hier, nous avons traité... (Le micro de l'orateur siffle.) Je suis désolé, je n'ai rien fait !
Une voix. C'est radioactif !
M. Boris Calame. Ça sonne...
Une voix. Enlève ta ceinture ! (Rires.)
M. Boris Calame. C'est bon, là ? (Le micro cesse de siffler.) Oui, parfait. Hier, nous avons traité avec attention la motion sur ABB, aujourd'hui il est temps de faire de même avec celle sur la «Tribune de Genève». Nous devons exprimer un message clair et univoque quant à l'importance que revêt ce journal pour notre canton. La nouvelle façon de consommer les médias est certes un challenge à relever pour ceux-ci, mais il est primordial que Genève puisse conserver son quotidien principal, qui existe depuis 1879. En effet, 138 années de lien à notre Julie, ce n'est pas rien ! Les Verts vous demandent de soutenir très fortement cette motion afin que le signal lancé à Tamedia soit clair. Je vous remercie.
M. Guy Mettan (PDC). Je tiens à remercier la commission de l'économie pour la célérité dont elle a fait preuve dans le traitement de cette motion. En effet, il était important d'aller vite. Merci aussi à la rapportrice pour son travail qui, lui aussi, a été rapide. Je ne vais pas revenir sur le fond, parce que nous serons évidemment d'accord avec le contenu de cet objet. Simplement, je regrette qu'il ait fallu supprimer les deux dernières invites, qui auraient tout de même mérité une discussion. Alors peut-être le moment était-il malvenu, mais il aurait été important selon moi d'en maintenir n'en serait-ce qu'une, parce que, sous cette forme, le texte a un peu perdu ses dents. Or ce qui compte, pour qu'une motion soit efficace, c'est qu'elle transmette non seulement un message, mais aussi quelques griffes ! Je déplore donc la disparition des deux dernières invites et j'espère que nous aurons l'occasion d'y revenir, parce que le dossier n'est malheureusement pas clos.
Il faut savoir qu'entre-temps, les représentants de Tamedia ont déployé tout un arsenal afin de convaincre à la fois les chefs de partis et les milieux économiques locaux et de justifier la décision du groupe. Ils ont été entendus, ce qui est normal, ça fait partie du droit démocratique d'être écouté, mais ce qui n'a peut-être pas été dit, c'est que Tamedia est passé à une deuxième phase d'opération en déplaçant à Lausanne non seulement les quatre rubriques dont il est question dans la motion, mais également le secrétariat de rédaction, les graphistes, la mise en page, les photographes. Ainsi, contrairement au message qui a été transmis, la concentration se poursuit, voire s'accélère, d'où l'inquiétude légitime que nous pouvons ressentir aujourd'hui.
Voilà ce que je tenais à dire. En tout cas, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de l'attention que vous avez portée à cette motion.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste s'associe résolument au soutien à la «Tribune de Genève». Comme cela est indiqué dans la motion, il s'agit de garantir une autonomie rédactionnelle ainsi qu'une information sur l'actualité de la région genevoise, toutes choses qui passent par un média inséré dans le tissu local. Notre condamnation doit être ferme, parce qu'il faudra sans doute beaucoup d'énergie et d'actions pour que Tamedia consente à discuter. En effet, les manifestations internes comme les soutiens externes n'ont de loin pas suffi et, comme l'a rappelé M. Mettan, le déplacement des employés dans le canton de Vaud se poursuit.
Cela étant, affirmer notre soutien au personnel, revendiquer une autonomie rédactionnelle et prendre position contre les licenciements devra passer par des mesures. Le texte condamne le démantèlement, et on s'en félicite, mais je suis d'accord avec le fait qu'il est dommage d'avoir supprimé les deux dernières invites, notamment celle sur la création d'un fonds public. Il ne sera pas possible à la presse de se maintenir si le public ne défend pas résolument, y compris par des moyens financiers, la qualité des contenus rédactionnels et la préservation des journalistes dans le tissu régional. Aussi, je suis persuadée que nous devrons revenir sur cette question.
De la même façon, il est dommage d'avoir supprimé l'ajout proposé par Ensemble à Gauche sur le numérique et le soutien à une presse plurielle. A mon sens, cet aspect aurait dû être conservé pour montrer que ce que nous voulons, c'est garantir une information large, qui suscite le débat démocratique et, par là même, renforce les institutions et le vivre-ensemble. Ce qu'il faut en tout cas retenir dans un premier temps, c'est le soutien que nous manifestons à notre journal local. Mais, je le répète, nous devrons très certainement revenir sur ce sujet avec des moyens concrets, y compris financiers.
M. François Baertschi (MCG). Inutile de rappeler que le MCG, depuis sa création, entretient une relation conflictuelle avec la «Tribune de Genève». Au début, certains d'entre nous traitaient même le quotidien de «Pravda» genevoise, estimant qu'il constituait l'expression d'une certaine pensée unique, ce qui nous déplaisait - vous comprenez ça, Monsieur le président. Je ne vais pas énumérer la liste de tous les reproches que nous lui avons adressés, nous avons surtout souligné des problèmes s'agissant d'informations pas toujours objectives ou ne respectant pas forcément le pluralisme. Cela dit, je dois reconnaître une certaine amélioration sur ce point-là, il me semble que ces derniers temps, on y considère davantage les différentes opinions - c'est une remarque que je fais à titre personnel.
Le MCG a décidé de soutenir cette motion. Pourquoi ? Parce que la profession de journaliste est actuellement sinistrée, et il faut autant que faire se peut, même par le biais d'une motion, envoyer un signal fort. C'est l'ensemble du milieu politique qui doit réagir, même ceux qui, pour une raison ou pour une autre, connaissent des divergences de points de vue avec le rédacteur en chef ou la rédaction - beaucoup plus souvent avec le rédacteur en chef qu'avec les journalistes, mais je ne vais pas en faire une affaire de personne.
Nous devons soutenir la «Tribune de Genève», parce qu'il s'agit du dernier journal généraliste genevois, et il faut lui donner les moyens pour qu'elle le reste, qu'elle ne devienne pas une feuille de propagande, mais continue à être une publication ouverte à tous. C'est ce qu'attendent ses employés, c'est ce qu'attend peut-être la population genevoise, et c'est tout le bien que nous lui souhaitons. Voilà pourquoi nous tenons à tout prix à lui offrir ce soutien; même s'il a peu d'importance, ça ira sans doute dans la bonne direction. Tel est le sens de notre appui à cette motion.
M. André Pfeffer (UDC). Le groupe UDC soutiendra cette motion telle qu'amendée et approuvée par la majorité de la commission de l'économie. Nous reconnaissons évidemment l'importance d'avoir une presse libre et indépendante. Au vu de l'échéancier, notre parti approuve et s'associe à ce signal politique. Si la motion reste telle quelle, c'est-à-dire sans les deux invites abrogées en commission, l'UDC confirmera son appui. Merci de votre attention.
M. Georges Vuillod (PLR). Le PLR s'associe évidemment au soutien à cette motion. La suppression de la troisième et de la quatrième invite était clairement la seule option pour pouvoir répondre rapidement au problème. Même si nous pouvons comprendre la volonté de restructuration au sein de la rédaction, nous souhaitons tout de même que la «Tribune de Genève» reste le journal de communication qu'il est pour Genève, pour la Genève internationale et pour l'ensemble des Genevois. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Stauffer.
M. Eric Stauffer (HP). Combien de décibels, Monsieur le président ? (L'orateur rit.) Je plaisante, je plaisante ! Monsieur le président, vous transmettrez à mon préopinant du MCG que j'adore quand on parle de moi en disant que le MCG, dès le départ, a eu des problèmes avec la «Tribune de Genève». Vous lui rappellerez qu'aux débuts de ce parti, il n'était que journaliste dans un autre quotidien genevois et qu'il est venu bien après - mais c'est un détail pour l'histoire.
En ce qui me concerne, mes relations avec la «Tribune de Genève» pourraient être définies selon le principe «je t'aime, moi non plus», pour dire la stricte vérité. En revanche, ce que je n'apprécie guère en tant que député indépendant, c'est cette sorte d'hypocrisie dont font preuve tous les partis en encensant ce journal, espérant ainsi obtenir un article positif... (Exclamations.)
Une voix. C'est pas vrai ! (Huées.)
M. Eric Stauffer. Pour ma part, j'estime que la presse et les institutions politiques doivent être complètement séparées. C'est la raison pour laquelle je ne participerai pas au vote, étant totalement neutre et laissant au quatrième pouvoir une indépendance totale ! Merci. (Commentaires.)
Le président. Je vous remercie et passe la parole à M. Vanek. (Un instant s'écoule.) Monsieur Vanek !
M. Pierre Vanek (EAG). Ah, c'est mon tour ? Excusez-moi, j'étais distrait par l'humoriste au fond de la salle ! (Rires.) Mesdames et Messieurs, peu de choses à dire, si ce n'est que bien sûr, il nous faut une presse plurielle, bien sûr, il nous faut une presse de qualité, bien sûr, il nous faut une presse d'opinion, bien sûr ! Bon, d'aucuns, parlant de presse plurielle, ont remis en cause la capacité de la «Tribune de Genève» à bien faire ce qu'il faudrait faire. En même temps, s'il est difficile d'avoir une démocratie vivante avec un parti unique, il est difficile d'avoir une presse plurielle avec un journal unique - et ce n'est pas la faute de la «Tribune de Genève» !
Quant à moi, je regrette le temps où, à la tribune de la presse, il y avait un représentant du «Journal de Genève», un représentant de «La Suisse», un représentant de... Combien y avait-il de quotidiens à Genève, Monsieur Baertschi, cinq ? Tous avec des correspondants parlementaires formés. Naturellement, la «Tribune de Genève» ne peut pas à elle seule, malgré les qualités infinies de ses journalistes - ça, c'est pour avoir bonne presse et parce qu'on est en période électorale ! - simuler une presse plurielle. Vous me direz qu'il y a aussi «Le Courrier», c'est vrai, avec ses limites et les moyens très modestes dont il dispose, mais ce n'est pas encore très pluriel quand on atteint péniblement le chiffre de deux !
Mesdames et Messieurs, il y a là un problème de fond qui ne sera pas réglé avec la motion que nous allons voter, je l'espère, de la manière la plus unanime possible. D'autres pistes avaient été évoquées dans les deux dernières invites de la motion, qui ont été supprimées, comme l'a expliqué Jocelyne Haller, pour des raisons de temps de traitement et d'unanimité au sein de la commission. Il y a encore du boulot à faire !
La libre formation de l'opinion publique - c'est une notion inscrite dans la nouvelle constitution genevoise, à l'article 44, si je ne m'abuse - a besoin de ce support, a besoin d'un terreau médiatique qui ne soit pas soumis à la simple exigence de profit pour les actionnaires des groupes éditeurs ou réalisateurs de tel ou tel média. Il faut réussir à dégager la presse, comme l'industrie genevoise - on en a parlé hier soir - de l'emprise d'une exigence de profit à court terme, ça ne va pas comme ça. Voter cette motion est un début, mais il faudra qu'on revienne sur le sujet.
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur Vanek, vous aviez quelque peine à citer le cinquième quotidien genevois disparu; je vous rappelle qu'il s'agissait de la «Voix ouvrière» ! (Exclamations. Rires.)
Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous demande de soutenir cette motion avec vigueur, et de la soutenir si possible à une majorité suffisamment forte pour qu'elle ait du poids politique. Pourquoi ? Parce que ce qui a été indiqué dans votre rapport, Madame Haller, comme par plusieurs des personnes qui viennent d'intervenir, est juste: nous avons de la peine à comprendre pour quelle raison le groupe éditeur de la «Tribune de Genève», qui dégage pourtant des bénéfices substantiels, même en progression, entend soumettre le quotidien genevois à une réorganisation qui ne consiste qu'en une procédure de démantèlement anticipé, prémices de mesures qui deviendront évidentes lorsqu'on aura regroupé une partie des rédactions à Lausanne: on viendra alors dire qu'elles se dupliquent et on les supprimera lors des mesures d'économies suivantes.
Nous invitons votre parlement à adresser un message politique fort à l'endroit du Conseil d'Etat pour que nous puissions nous appuyer sur cette unanimité politique dans le cadre des négociations que nous menons avec - je tiens à le préciser - le canton de Vaud. En effet, celui-ci se trouve exactement dans la même situation que nous avec son quotidien phare «24 heures», lequel est soumis peu ou prou aux mêmes nuages, à la même épée de Damoclès que la «Tribune de Genève» actuellement.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, je vous prie de bien vouloir vous prononcer sur la prise en considération de ce texte.
Mise aux voix, la motion 2411 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 77 oui contre 1 non et 3 abstentions.