Séance du
vendredi 13 octobre 2017 à
16h
1re
législature -
4e
année -
7e
session -
39e
séance
PL 11929-A
Premier débat
Le président. Nous passons au PL 11929-A. Cet objet est classé en catégorie II avec quarante minutes de temps de parole. Le rapport de majorité est de M. Saudan qui est remplacé par Mme de Montmollin et le rapport de minorité est de M. Frey. Madame de Montmollin, je vous laisse la parole.
Mme Simone de Montmollin (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, ce projet de loi propose de revoir le montant des loyers pris en compte dans le calcul d'octroi des prestations complémentaires cantonales, des prestations complémentaires familiales et de l'aide sociale. Pour rappel, le montant du forfait loyer est déterminé au niveau fédéral et n'a plus été revu depuis 2001. Il est actuellement de 1100 F par mois pour une personne seule et de 1250 F pour un couple. Pour les motionnaires, cette somme est insuffisante au regard des augmentations de loyer observées depuis 2001 et estimées par eux à environ 30%. Les motionnaires proposent donc une augmentation des forfaits loyers allant de 25% à 50% selon les cas. Cette proposition intervient alors qu'une réforme est en préparation au parlement fédéral, réforme qui a pour but principal d'adapter les montants du forfait afin de couvrir les loyers effectifs de 90% des bénéficiaires de prestations complémentaires fédérales. Pour ce faire, elle définit trois niveaux de forfaits selon la zone géographique: grands centres, villes et campagnes. Elle prend en compte de manière plus fine le nombre de personnes vivant dans le ménage...
Le président. Une petite seconde, Madame, s'il vous plaît. Monsieur Stauffer, ne téléphonez pas dans la salle, s'il vous plaît ! Merci ! Si tout le monde faisait comme vous, ce serait insupportable. (Commentaires.) Madame de Montmollin, c'est à vous.
Mme Simone de Montmollin. Merci, Monsieur le président. Ce projet envisage enfin une réévaluation tous les dix ans. Les motionnaires souhaiteraient, eux, anticiper voire préempter cette réforme fédérale tout en allant plus loin sur deux points: élargir le projet cantonal en intégrant les bénéficiaires des prestations complémentaires familiales et de l'aide sociale et appliquer le barème le plus élevé prévu dans le projet fédéral, à savoir celui réservé aux grands centres, à l'ensemble du canton.
Une large majorité de la commission des affaires sociales a refusé d'entrer en matière. Pourquoi ? Pour trois raisons essentielles. D'abord, parce qu'une réforme fédérale est effectivement en cours et que le fait d'adopter un projet de loi plus ambitieux au niveau cantonal aura des conséquences financières que la majorité a jugées rédhibitoires. En effet, l'acceptation de ce projet cantonal sans réforme fédérale coûterait 12 millions de francs par année au canton alors que le projet fédéral en coûterait quatre fois moins, soit environ 3 millions de francs par année. Deuxièmement, il faut savoir que Genève a mis en place des mesures pour assurer des besoins non couverts par les prestations complémentaires fédérales; il s'agit des prestations complémentaires cantonales qui sont respectivement entre 55% et 70% plus élevées que les prestations fédérales pour l'AVS et l'AI. A ce titre, seuls trois cantons suisses sont proches de Genève, ce qui démontre que Genève a déjà pris des mesures en la matière. Par ailleurs, les élargissements demandés par les motionnaires font aussi l'objet de mesures cantonales spécifiques, s'agissant notamment de la taille des ménages, tout comme d'autres soutiens permettent de compléter les revenus et d'assurer les besoins vitaux. Les éventuels cas de rigueur font l'objet d'une attention particulière du département. C'est ainsi qu'attentive aux mesures permettant de soulager les personnes dans le besoin, Genève prend des dispositions importantes, puisqu'elle y consacre pas moins d'un milliard de francs par année, voire plus, dont seulement 200 millions sont pris en charge par la Confédération. Chaque année, des sommes supplémentaires doivent compléter ces besoins, tant les besoins augmentent dans la situation actuelle. La majorité a donc jugé qu'à ce stade, il était inopportun de charger encore le bateau alors que des mesures fédérales sont sur le point d'aboutir, qui permettront d'atteindre le même objectif tout en limitant les coûts pour le canton. Enfin, cette majorité aimerait aussi rendre hommage au département pour le travail sérieux qu'il a réalisé afin de chiffrer les coûts induits par cet objet, soit quatre fois plus qu'avec le projet fédéral en cours d'étude. C'est pour cela que nous vous invitons à refuser ce projet de loi.
M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Je ne vais pas répéter les chiffres que la rapporteuse de majorité a cités. Simplement, je vous dirai que le problème est vraiment lancinant à Genève: il n'y a pas eu d'indexation de ces forfaits maximaux depuis un temps beaucoup trop long. Il est excellent que la Confédération se mobilise, n'empêche que les moulins de la Confédération sont lents, et la question qui se pose maintenant avec une certaine urgence ne peut pas attendre x années supplémentaires pour que la Confédération, à la fin de ses consultations et de ses processus, y arrive vraiment. Il faut agir maintenant ! Par ailleurs, à l'occasion de ce projet de loi, il faut quand même bien noter que le projet fédéral s'arrête à quelque chose qui, à notre avis, n'est pas tout à fait satisfaisant. C'est pour ça que le projet de loi que vous avez sous les yeux va plus loin. Effectivement, il ne s'arrête pas à quatre personnes, si on considère un foyer de six ou sept personnes. Il continue pour cinq personnes, pour six personnes, pour sept personnes, pour huit personnes et il va jusqu'à neuf personnes ! C'est rare, mais il existe des ménages de neuf personnes ayant besoin d'un logement adapté à leurs besoins.
D'autre part, ce projet de loi prévoit une indexation beaucoup plus courte. Si on considère l'évolution des loyers à Genève, on n'est pas dans un régime avec une indexation tous les dix ans: il faut absolument un délai plus court ! Il est prévu un régime de cinq ans. En ce qui concerne les coûts, ils ont été mal estimés, pour une raison très simple. Pour l'aide sociale en particulier, des dérogations sont admises; il semble même que les dérogations qui dépassent les forfaits vont jusqu'à 20%. Alors, bien sûr, quand on calcule le coût et qu'on dit qu'il est exorbitant, il faut tenir compte de ces dérogations. Nous n'avons pas obtenu de chiffres précis sur les dérogations à accorder à 20% des bénéficiaires de l'aide sociale, par exemple.
Une autre raison d'insatisfaction pour la minorité, c'est que les auditions ont quelque part été bâclées. La position «ça coûte, donc laissons tomber» n'a pas permis de procéder aux auditions de la Chambre genevoise immobilière ou de l'ASLOCA, par rapport à l'évolution des loyers. On aurait pu demander si on peut continuer comme ça et si les loyers vont encore augmenter de manière significative dans les années à venir. Tout ceci a été balayé: trop cher, trop compliqué. En un mot: inadéquat !
Mesdames et Messieurs les députés, nous vous recommandons d'entrer en matière sur ce projet de loi parce qu'il va permettre d'anticiper d'une ou deux années, voire plus. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Je viens de dire que la réforme fédérale est lente ! Cela va permettre de tenir compte du nombre de personnes dans un ménage sans limitation, en comptant la composition effective du ménage. On évitera les effets pervers de la loi actuelle qui ne tient pas compte des liens qui unissent les personnes qui habitent dans le même ménage. Ce projet de loi permettra de réévaluer périodiquement - tous les cinq ans et pas tous les dix ans ou plus - les forfaits loyers. On harmonisera ces forfaits loyers entre les bénéficiaires des prestations complémentaires de l'aide sociale et des prestations complémentaires familiales.
Le président. Temps de parole du groupe !
M. Christian Frey. Cela clarifiera la situation des enfants logeant régulièrement pendant une partie de la semaine ou pendant les congés scolaires chez l'un ou l'autre des parents, suite à une séparation ou à un divorce, selon le principe que ces enfants comptent comme une personne dans le ménage. Pour toutes ces raisons, la minorité vous invite à accepter l'entrée en matière sur ce projet de loi. (Quelques applaudissements.)
M. Jean-Luc Forni (PDC). Le parti démocrate-chrétien est extrêmement perplexe et ennuyé face à la non-entrée en matière sur ce projet de loi. Nous nous étions d'ailleurs abstenus en commission. Pourquoi ? Simplement parce que le problème des loyers associé à celui des primes de caisses maladie fait que, finalement, le système ne fonctionne plus puisque les aides ne sont pas suffisantes, malgré les montants généreux que le canton offre à ses bénéficiaires. Enveloppe après enveloppe, il faut souvent prendre dans une enveloppe financière réservée à la nourriture, dans une enveloppe réservée à autre chose pour finalement parvenir à payer son loyer. Il est clair pour nous que bon nombre de citoyens sont confrontés à un problème sérieux. Une non-entrée en matière signifierait pour nous un mépris de ces citoyens en proie à des difficultés. C'est pour cela que nous allons vous proposer un renvoi en commission.
Pourquoi un renvoi en commission ? On l'a entendu, parce qu'il y a un projet fédéral en cours; ce projet fédéral a été certes bien expliqué par le département, mais on n'a pas encore considéré tous les paramètres pour imaginer peut-être une solution transitoire dans cette problématique. On voit aussi que malgré la générosité des prestations complémentaires familiales, de la LIASI et du service des prestations complémentaires dans sa globalité, il y a quand même un problème d'application. Peut-être pourrait-on aussi imaginer une meilleure gestion de toute cette problématique des aides et des subsides qui sont attribués ? Il nous paraît donc opportun que le département ne calcule pas seulement la justesse des coûts. On sait qu'il est très créatif et il pourrait utiliser cette créativité pour nous proposer des solutions: quand on a toutes les manettes pour agir, on a une vue globale de la situation que n'ont certes pas les partis politiques. Il serait peut-être aussi judicieux que nous puissions avoir des ébauches de solutions de ce côté-là. Mesdames et Messieurs, au nom du parti démocrate-chrétien, je demande le renvoi de ce texte à la commission des affaires sociales.
Le président. Merci, Monsieur. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. Les rapporteurs veulent-ils s'exprimer ? (Commentaires.) Madame de Montmollin ?
Mme Simone de Montmollin (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Notre avis est qu'un travail est en cours aux Chambres fédérales, et ce travail doit aboutir à des conclusions satisfaisantes et harmonisées pour l'ensemble de la Suisse. Il ne nous paraît pas opportun d'anticiper cette réforme et d'en créer une spéciale genevoise en plus. Donc, de notre point de vue, le retour en commission n'est pas nécessaire. Le cas échéant, une fois la réforme fédérale aboutie, il y aura lieu de se poser la question si elle est suffisante pour la réalité genevoise ou pas, mais dans l'intervalle, nous sommes d'avis que la situation doit rester telle qu'elle est aujourd'hui.
M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. La minorité est favorable à un renvoi en commission pour deux raisons. L'une est l'urgence du problème: on ne peut pas simplement attendre que le processus fédéral se mette en place. Il est favorable et bon, mais il va peut-être mettre du temps à s'imposer. La deuxième raison, c'est qu'il y a des améliorations qui ont lieu d'être discutées maintenant. Je vous rappelle juste ce qu'il en avait été avec la LAMat: le canton de Genève avait anticipé de quelques années quelque chose qui est venu après au niveau fédéral. Je pense que personne dans cette salle ne regrette cette anticipation !
Le président. Merci. Monsieur le conseiller d'Etat, voulez-vous prendre la parole sur le renvoi en commission ? (Remarque.) Pas sur le renvoi, très bien. Nous pouvons donc passer au vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11929 à la commission des affaires sociales est rejeté par 49 non contre 42 oui.
Le président. Nous poursuivons notre débat. La parole est à Mme Perler.
Mme Frédérique Perler (Ve). Merci, Monsieur le président. Voilà une occasion manquée de mener un certain nombre d'auditions par rapport à ce projet ! L'argument de la majorité par rapport à la réforme fédérale en cours est à nos yeux tout à fait insuffisant et participe d'un mépris tant envers la population concernée qu'envers les auteurs de ce projet de loi, puisque c'est un argument uniquement financier. Monsieur le président, on se gargarise assez régulièrement avec un certain nombre de rapports du Conseil d'Etat sur la pauvreté et sur la situation des Genevoises et des Genevois, mais on se satisfait de ces rapports sans se soucier de ce que signifie la mise en oeuvre de ces politiques sociales là. L'estimation des suppléments de prestations complémentaires cantonales dont parlait la rapporteuse de majorité concerne trois cantons, et nous serions finalement assez généreux. Il y a quand même une chose assez choquante: on estime des besoins vitaux pour un certain nombre de personnes qui bénéficient des prestations complémentaires, mais on ferme les yeux sur ceux qui doivent entamer ce minimum vital pour payer leur loyer. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, les augmentations de loyer sont le fait de qui ? Certainement pas de l'Etat de Genève ! Il y a donc un certain nombre de personnes qui bénéficient de ces augmentations de loyer et il est extrêmement choquant de laisser des loyers sans indexation depuis 2001 ! Ça, c'est une première chose.
Il est dit dans nos constitutions fédérale et cantonale qu'on mesure l'état d'une société à la protection garantie aux plus vulnérables. C'est une valeur que les Verts s'accordent à relever, mais là, très sincèrement, Mesdames et Messieurs les députés, on pèche sérieusement ! On ne peut pas ignorer cette situation. Qui plus est, dire que le Conseil national est en train d'initier une réforme revient à refiler la patate chaude plus loin: cette réforme n'interviendra pas avant 2019 ! L'Etat de Genève avait l'occasion de faire un petit bout de quelque chose pour les personnes pour lesquelles des programmes ont été mis en place. On est tous d'accord qu'il faut être extrêmement attentif à la pauvreté des personnes âgées; alors d'un côté, on fait des études et on met en place des programmes qui ont un coût mais qui sont normaux; d'un autre côté, on les rogne tout en disant qu'au fond le minimum vital est là. Ce n'est pas vrai ! Ce minimum vital est entamé et nous le regrettons sincèrement. Nous ne pouvons pas accepter l'attitude de ce Grand Conseil aujourd'hui par rapport à ce projet de loi et nous vous invitons à soutenir le rapport de minorité. Nous acceptons donc ce projet de loi. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). La majorité de la commission des affaires sociales a refusé l'entrée en matière sur ce projet de loi au motif - je cite le rapport de majorité - que «ce PL était irréaliste au vu de son coût à mettre en oeuvre et dans un canton qui a déjà une politique sociale très généreuse». Irréaliste ? Qu'est-ce qui est irréaliste ? Prendre acte d'une véritable difficulté à laquelle est confrontée une partie de la population et vouloir y remédier? Ou nier cette réalité et répéter comme un mantra que Genève figure parmi les cantons les plus généreux et que nous faisons déjà bien assez pour ces gens-là ? Il faut en finir avec ces faux-fuyants ! A Genève, l'un des cantons les plus riches de Suisse, le risque de pauvreté est plus élevé de 30% que dans les autres cantons. Est-ce la faute de ceux qui sont touchés par cette pauvreté ? Ou faut-il en imputer la responsabilité au contexte économique et social de notre canton, aux caractéristiques et processus évoqués dans le rapport sur la pauvreté dans le canton de Genève ? Oui, la pauvreté augmente ! Oui, elle a un coût ! Comme on le dit communément, si vous trouvez que les politiques sociales coûtent trop cher, essayez la misère ! Essayez les ruptures de cohésion sociale ! Les politiques publiques bien inspirées, prospectives, devraient être conscientes de leurs responsabilités et devraient avoir le courage d'investir non seulement pour lutter contre les effets de la pauvreté, mais aussi pour agir contre leurs causes.
Il faut en finir aussi avec ce mythe d'une Genève plus généreuse que les autres cantons en matière de prestations sociales ! Il suffit de se souvenir de ce qui est apparu dans la consultation sur la révision des normes CSIAS: cette révision a fait apparaître d'une part que Genève était le canton le plus sévère en matière de prestations aux jeunes adultes et qu'il était celui qui infligeait les sanctions les plus lourdes en cas de fautes. Cela a déjà été dit aussi, les maxima de loyers n'ont pas été réadaptés depuis 2001. Entre-temps, les loyers ont augmenté de presque 30%. Et quoi ? Les gens les plus pauvres de ce canton devraient prendre cette différence à leur charge ? C'est inconcevable, d'autant plus que ce fait obère gravement la part des prestations destinée à la couverture des autres besoins considérés comme des besoins vitaux ou des besoins vitaux sociaux. Fréquemment, les personnes se privent donc d'éléments indispensables à la couverture de ces besoins vitaux pour assurer simplement le paiement de leur loyer. Ce n'est pas acceptable et la Confédération elle-même l'a admis puisqu'elle a engagé un processus de révision des maxima pris en compte pour les prestations complémentaires. Vous-mêmes, dans ce parlement, à l'occasion du vote sur la LIASI, aviez considéré que les maxima de loyers de l'aide sociale n'étaient pas assez élevés et vous aviez voté une disposition - l'article 60, alinéa 12 - qui, malheureusement et paradoxalement, n'est toujours pas appliquée. Il s'agit d'un déni de droit qui n'est pas acceptable et j'attends toujours des explications de la part de M. Poggia qui s'était engagé à vérifier pourquoi cette disposition n'était pas appliquée.
Enfin, attendre la fin du processus fédéral est une forme d'atermoiement, une manière de jouer la montre qui n'est pas correcte. Vous le savez, le canton de Genève prend en charge 85% des prestations complémentaires fédérales: quand bien même la Confédération prendrait des décisions d'indexation des maxima des loyers pris en compte, ce serait encore le canton qui devrait en assumer 85%. Alors soyez conséquents ! D'une part, sur la manière de prendre en charge ces charges, mais aussi pour donner une réponse à cette part de la population qui, aujourd'hui, doit se priver de manger et prendre sur son minimum vital pour payer son loyer ! C'est la raison pour laquelle nous accepterons ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Madame. Mesdames et Messieurs les députés, je vous propose une petite pause, parce qu'il y a encore beaucoup de personnes inscrites pour une prise de parole.