Séance du
vendredi 13 octobre 2017 à
16h
1re
législature -
4e
année -
7e
session -
39e
séance
PL 11870-A
Suite du premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons le traitement du PL 11870-A en catégorie II, quarante minutes. (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Le débat sur ce sujet a commencé hier, je le rappelle, avec la lecture d'une longue lettre concernant ce projet de loi. Je passe maintenant la parole à M. Buchs, rapporteur de majorité. (Brouhaha.) S'il vous plaît, un peu de silence ! Monsieur Pistis ! (Commentaires.)
M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Le texte que nous allons traiter n'est pas politique: il aborde un sujet de société, un sujet très important, et nous remercions ici les auteurs de ce projet de loi, de même que le rapporteur de minorité pour la qualité de son rapport. Un projet de loi de ce type a également été déposé dans le canton de Vaud, où il a été accepté, et si un tel texte a vu le jour dans ce canton, c'est parce qu'il a connu une situation extrêmement pénible: une personne vivant en EMS a dû aller mourir dans une roulotte sur le parking de l'EMS parce qu'on ne lui avait pas permis de le faire dans sa chambre. La question qui s'est posée à la commission de la santé - laquelle a pris du temps pour en discuter - a été de savoir s'il était nécessaire de légiférer sur ce sujet à Genève et s'il existait dans notre canton des exemples démontrant que des personnes ayant choisi de partir dignement n'ont pas pu le faire dans le cadre d'un EMS. Je rappelle ici qu'un EMS est considéré comme un domicile privé et que les personnes peuvent y faire ce qu'elles pourraient faire chez elles. A ce propos, la question du suicide assisté à domicile ne se pose pas, puisque là les choses se passent tout à fait correctement. Du reste, s'il n'y avait eu que la question du suicide assisté à domicile, il n'aurait pas été nécessaire de demander de légiférer à ce sujet.
Toutes les auditions que nous avons menées ont montré que la situation était tout à fait acceptable à Genève, sauf dans un EMS, celui de l'Armée du Salut, où il semble qu'il existe des problèmes, plutôt liés à la religion, qui empêchent la discussion. Mais dans tous les autres EMS, les discussions avec le personnel et la direction ont permis à des résidants de recourir au suicide assisté dans leur cadre de vie. La majorité de la commission a donc considéré qu'il ne fallait pas légiférer puisque actuellement la situation ne comportait aucun problème à Genève.
Vous avez entendu hier la lecture d'une lettre qui concernait l'Hôpital cantonal. Dans le cadre des travaux de la commission, nous n'avons pas auditionné l'Hôpital cantonal, parce que nous partions du principe qu'on parlait des EMS, mais nous avons entendu des cliniques privées qui nous ont dit qu'elles aussi avaient changé leur façon de faire, que les discussions qui se tenaient lorsqu'il y avait des cas de suicide assisté étaient ouvertes et qu'on permettait de le faire. Il est vrai que la lettre qui a été lue hier soulève un problème, mais la commission n'en a pas discuté. Il s'agira donc peut-être d'un sujet qui va être abordé cet après-midi.
Pour terminer, j'aimerais dire que, s'agissant du suicide assisté, la question est de savoir s'il faut légiférer, c'est-à-dire si cela doit devenir automatique ou s'il faut maintenir cette discussion dans le cadre de vie de la personne. Pour nous, il est vraiment important de dire que, même si cela se passe au sein d'un EMS, il faut que le personnel de l'EMS, le médecin répondant de l'EMS, le médecin traitant du patient et EXIT puissent en discuter. Ce n'est pas une situation facile à vivre pour les gens qui travaillent à l'EMS ainsi que pour les résidants, il convient donc qu'il y ait un travail d'équipe et que ce ne soit pas automatique. Cela nécessite une discussion longue et difficile, mais il faut intégrer toutes les personnes au sein des EMS.
Si l'entrée en matière de ce projet de loi est acceptée, nous proposerons des amendements qui n'ont pas été discutés en commission, mais à ce stade j'en reste là. Je vous remercie.
M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Comme le rapporteur de majorité vient de le dire concernant ce projet de loi, il ne s'agit pas d'une question gauche-droite: ce texte fait appel à notre droit fondamental, à l'autodétermination et à la responsabilité individuelle pour notre propre vie. Cette responsabilité pour notre propre vie, tant que nous avons la capacité de discernement, personne ne peut nous la prendre, ni les médecins, ni les soignants, ni les proches. Le but de ce projet de loi est de garantir que le droit à l'autodétermination et à l'exercice de la responsabilité individuelle pour notre propre existence soit respecté partout, à domicile comme à l'hôpital et dans les EMS. La question qui se pose, et qui vient d'ailleurs d'être mentionnée, est celle de l'opportunité de légiférer. Lors de nos auditions, les éthiciens - je pense en particulier à la commission d'éthique de la FEGEMS, mais aussi au professeur Samia Hurst, bioéthicienne - la police - nous avons auditionné Mme Bonfanti - ainsi que le ministère public - nous avons entendu le procureur Jornot - étaient tous, Mesdames et Messieurs, tous favorables à ce projet de loi, compte tenu de l'absence de législation claire, tant au niveau fédéral - mais il s'agit là d'un autre problème - qu'au niveau cantonal. La question qui se pose maintenant - je le dis en complément à ce que vient d'indiquer le rapporteur de majorité - est de savoir s'il y a des abus ou des entraves à ce droit fondamental, puisque le droit est reconnu comme tel. Il n'est pas nécessaire de répéter ce qui a été dit dans la longue lettre qui a été lue hier, mais j'aimerais simplement rajouter des éléments plus nuancés.
Le professeur Samia Hurst nous a fait part de réticences et de délais de réponse exagérés en parlant des HUG. Si un patient exprime ce désir aux HUG et qu'on met, je ne sais pas, cinq ou six semaines à répondre, ce dernier aura souffert et sera peut-être décédé dans l'intervalle. Il faut donc effectivement mettre fin à ce qu'elle considère comme étant des réticences, des confusions et des délais non acceptables dans le cadre des HUG. On a déjà parlé de situations de retour forcé au domicile suite à des refus aux HUG, ces cas figuraient dans la lettre lue hier, je ne vais pas y revenir. Mais le constat est donc qu'il y a des abus, des délais et des entraves à ce droit fondamental, ce qui signifie que légiférer dans ce domaine a tout son sens.
La minorité vous invite par conséquent à accepter l'entrée en matière de ce projet de loi, qui permet de garantir le droit à l'autodétermination des personnes concernées, ainsi que le droit à l'égalité de traitement entre personnes résidant à domicile et celles résidant dans un établissement de santé, qui permet d'établir des règles strictes d'accès au processus du suicide assisté en institution - qui est une chose très délicate et compliquée - qui permet aussi de rassurer le personnel des établissements de santé en clarifiant ce qui est légal en la matière et ce qui ne l'est pas, en un mot, qui évacue les zones d'ombre susceptibles de créer des drames, comme Genève et d'autres cantons - le rapporteur de majorité a mentionné un cas dans le canton de Vaud - en ont vécu. La minorité vous enjoint donc d'entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Salima Moyard (S). Mesdames et Messieurs les députés, en rédigeant pour le parti socialiste ce projet de loi touchant la question de l'autodétermination face à la mort, j'ai eu et j'ai toujours l'espoir d'en faire un projet rassembleur et consensuel sur un sujet ô combien délicat. Je n'ai donc pas perdu cet espoir. Que demande ce projet de loi ? Cela a été dit par le rapporteur de majorité, il s'inspire du texte vaudois, car à mon avis il y a parfois des choses intéressantes à reprendre de l'autre côté de la Versoix. Il a pour but qu'une assistance au suicide soit possible, sans entrave, dans les EMS, les hôpitaux et les cliniques, comme c'est le cas à domicile. Il donne un cadre commun à toutes ces institutions afin d'en finir avec une politique au cas par cas, en fonction des institutions. Bien entendu, des cautèles sont prévues pour éviter toute dérive et clarifier les rôles des uns et des autres: il faut que la personne ait une capacité de discernement attestée, qu'elle souffre d'une maladie ou de séquelles d'accident, incurables et graves, et que des soins palliatifs aient été proposés et discutés. Le médecin répondant est chargé de vérifier que ces conditions sont remplies et peut se faire aider d'un autre collègue médecin dans la prise de décision. L'ensemble de la procédure doit se dérouler dans un délai raisonnable: ni trop long, pour garder de la pertinence, ni trop court, pour éviter d'agir sur un coup de tête. Enfin, il ne peut y avoir aucune participation à titre professionnel dans l'acte lui-même du personnel impliqué dans les soins. Tout cela uniquement dans l'idée de garantir à chaque personne remplissant ces conditions la liberté d'avoir accès à une assistance au suicide, si elle le souhaite, quel que soit son lieu de domicile.
Suite au travail au sein de la commission de la santé, qui a été fort intéressant, j'ai lu avec grand intérêt le rapport de majorité de M. Buchs ainsi que celui de mon excellent collègue Christian Frey, dont la lecture, à mon sens, ne peut que vous conduire à accepter ce projet de loi ou en tout cas à accepter de continuer à l'étudier. Le parti socialiste retire de la lecture de ce rapport plusieurs éléments. D'une part - et nous le regrettons - la prise en compte à notre avis insuffisante, par la majorité qui s'est dessinée à ce moment-là en commission, de la personne concernée par l'assistance au suicide et de ses souffrances, souvent devenues insupportables. Dans ce sens-là, j'espère que la lecture d'hier, certes un peu longue, aura pu donner un peu de corps à ces situations à travers des exemples concrets de ce que ces souffrances peuvent être. D'autre part, le parti socialiste a le sentiment qu'on s'est surtout occupé de ceux qui restent - des institutions, de la société au sens général, du personnel, des autres résidants des EMS, par exemple - ce qui est nécessaire, bien sûr, mais pas suffisant dans une telle réflexion. Et au fond, la raison du refus en commission n'était pas tellement le principe - il a été réaffirmé par quasiment tous les partis - mais le fait que ce projet de loi était considéré comme inutile et superfétatoire: RAS, circulez, il n'y a rien à voir, tout va bien. Or, à en croire encore une fois le courrier lu hier, ce n'est peut-être pas si simple, et il existe des situations très actuelles - vous en avez entendu quatre exemples, mais il y en a d'autres - dans lesquelles des entraves inacceptables ont eu lieu, notamment aux HUG. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
C'est pour cette raison que le parti socialiste vous propose d'accepter le renvoi en commission de ce rapport, afin que la discussion puisse se poursuivre sur ce texte. En effet, tant le PLR et le PDC que M. Poggia ont dit la même chose - respectivement aux pages 11, 12 et 13 du rapport de majorité - à savoir qu'ils n'y étaient pas défavorables sur le principe, mais que comme il n'y avait pas de problème concrètement, ils s'opposeraient à ce projet de loi. Eh bien étant donné qu'il y a précisément des problèmes, soyez cohérents ! J'espère donc que nous pourrons continuer à étudier cet objet, avec éventuellement les amendements déposés par des médecins répondants d'EMS et repris par M. Buchs, et que nous pourrons les examiner non pas ici en plénière, mais en commission. C'est pour cette raison que le parti socialiste vous propose le renvoi de ce rapport à la commission de la santé. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission, sur laquelle peuvent s'exprimer les deux rapporteurs. Je vous laisse la parole, Monsieur Frey.
M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Je suis tout à fait d'accord avec le renvoi à la commission de la santé, compte tenu de la complexité de la question et de son importance.
M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité. Monsieur le président, je pense qu'un renvoi en commission est juste, parce qu'il faut intégrer dans ce projet de loi le cas de l'Hôpital cantonal. Je rappelle qu'un EMS est un domicile privé, mais que l'Hôpital cantonal n'en est pas un. C'est là que se pose le problème. Je pense qu'on devrait procéder à une modification dans ce sens pour intégrer l'Hôpital cantonal dans le projet de loi déposé par le parti socialiste. Par ailleurs, la lettre qui a été lue hier nous a interpellés et soulève un problème, or nous avons toujours dit en commission que s'il y avait des exemples probants de non-respect de la liberté propre aux gens de choisir leur fin de vie, nous voterions ce projet de loi. Nous acceptons donc le renvoi en commission.
Le président. Je vous remercie, Monsieur. Nous allons maintenant voter sur cette demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11870 à la commission de la santé est adopté par 85 oui et 1 abstention.