Séance du
vendredi 13 octobre 2017 à
14h
1re
législature -
4e
année -
7e
session -
38e
séance
P 1984-A
Débat
Le président. Nous abordons la P 1984-A en catégorie II, trente minutes. La parole est donnée à M. le député Guy Mettan, rapporteur de majorité.
M. Guy Mettan (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je vais faire comme les Anglais à la bataille de Fontenoy: je vais dire à mon adversaire de tirer le premier et puis je réagirai - s'il y a lieu !
M. Pascal Spuhler (MCG), rapporteur de minorité. Effectivement, cette pétition est un peu particulière. Après son dépôt en 2014, le planning de la commission a fait qu'on a dû patienter avant de la traiter, et, malheureusement, le pétitionnaire est décédé depuis. Même s'il est décédé, ce pétitionnaire a laissé une trace dans ce parlement: en effet, il n'y est pas inconnu puisqu'on parle bien de M. François Lavergnat. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît ! Il y a des gens qui parlent et si vous voulez discuter entre vous, il y a des salles réservées à cette occupation. Vous avez la parole, Monsieur Spuhler.
M. Pascal Spuhler. Merci ! Je pense que le combat de M. Lavergnat mérite un peu plus de respect. C'était un combat long et fastidieux puisqu'il s'est battu toute sa vie contre les sectes. Mesdames et Messieurs les députés, après ses trente ans de combat, M. Lavergnat a vu l'évolution de la société et a constaté qu'il y avait beaucoup de parallèles entre la radicalisation - je parle bien de la radicalisation - et le sectarisme. La manipulation mentale pour la radicalisation a beaucoup de points communs avec le sectarisme. C'est pour ça qu'il a composé ce petit pamphlet, le petit fascicule que je tiens dans la main. Il proposait avec la présente pétition que le Conseil d'Etat diffuse largement cette publication auprès de toutes les entités et associations qui pourraient être intéressées. Parce que, comme les sectes, la radicalisation est un fléau de notre société d'aujourd'hui et il est important que les gens puissent être informés de la manière la plus simple possible. Si vous avez pu lire ce petit fascicule, vous verrez qu'il aborde le sujet d'une manière relativement simple et explicite, en expliquant également son combat de toute une vie. Ce combat tellement important pour lui, il l'a reporté sur la radicalisation. Je pense réellement qu'il y a des parallèles à appliquer et que le Conseil d'Etat devrait se pencher sur ce fascicule et ne pas refuser de le diffuser à qui de droit.
Donc, ce n'est pas que la commission des pétitions n'ait pas voulu aborder le sujet, mais nous étions effectivement dans une situation particulière, avec le décès de ce monsieur. Il n'y avait personne pour reprendre le flambeau, si j'ose dire, et on a préféré classer le dossier. Moi, je vous demande de ne pas classer cette pétition, justement, et d'envoyer ce fascicule au Conseil d'Etat, qu'il fasse le nécessaire pour qu'une diffusion efficace soit assurée auprès des milieux concernés.
M. Guy Mettan (PDC), rapporteur de majorité. Juste quelques mots. Je trouvais bien qu'on rende hommage à M. Lavergnat parce que beaucoup d'entre nous l'ont connu. Moi-même, quand j'étais rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», je lui ai souvent donné l'occasion de s'exprimer. Son combat méritait effectivement toute notre attention, mais je crois que l'ensemble des membres de la commission étaient conscients de ce fait et partageaient très largement les vues de M. Lavergnat. Malheureusement, les circonstances ont fait qu'il est mort: comme chaque fois, on meurt toujours au mauvais moment. Du coup, il n'a pas pu venir défendre cette motion. Nous étions très empruntés et il n'y avait guère d'autre option que celle du dépôt sur le bureau du Grand Conseil - qui est aussi quand même une forme de prise en considération de ce combat. Voilà pourquoi le dépôt me paraît tout à fait justifié quant à la forme.
Sur le fond, à propos de la problématique de la lutte contre la radicalisation, je dois quand même rappeler que cette lutte a lieu: le Conseil d'Etat ne s'est pas du tout dérobé à cette tâche et à cette mission. Encore récemment, il a pris des mesures concrètes. Nous étions pour certains d'entre nous présents ce matin au Dies academicus; grâce notamment au discours de l'un des lauréats, M. Yadh Ben Achour, qui vient enseigner à la faculté de théologie, on a pu constater que des mesures concrètes sont justement prises pour lutter contre la radicalisation. Sur le fond, eh bien, cette menace est prise en considération ! Pour moi et pour l'immense majorité de cette commission, tant sur la forme que sur le fond, il y a plutôt matière à déposer ce texte qu'à le renvoyer au Conseil d'Etat.
M. Stéphane Florey (UDC). Il est vrai que la commission s'est retrouvée dans une situation particulière, n'ayant pas pu auditionner le pétitionnaire malheureusement décédé entre-temps. Toutefois, cela n'empêche pas la commission de traiter une pétition, la commission n'ayant aucune obligation d'auditionner le pétitionnaire; elle peut très bien faire le choix de n'auditionner personne et traiter la pétition comme elle l'entend. Partant de là, je vous rappellerai que nous avons déjà traité par le passé une pétition sur la même problématique et qui venait de la même personne, entre autres. Cela nous fait dire que, même si nous n'avons pas pu auditionner cette personne, il nous semblerait logique de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat; d'une part parce que le combat de cette personne n'est malheureusement de loin pas terminé, d'autre part parce que les risques pour la population sont réels. Ce serait également l'occasion pour le Conseil d'Etat de nous faire part de ce qu'il entreprend, de ce qu'il fait actuellement et de ce qu'il compte faire à l'avenir. Cela permettrait d'informer ce Grand Conseil et la population sur le combat mené par nos institutions contre les sectes.
M. Christian Frey (S). Ce n'est pas du tout par manque de considération pour feu M. Lavergnat que notre groupe propose le dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Effectivement, pour M. Lavergnat, c'était le combat de sa vie: j'ai eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises et il a entrepris plusieurs démarches, comme le député Florey l'a mentionné - vous transmettrez, Monsieur le président. A cette occasion, nous avions fait une étude très approfondie: nous avions vu des représentants du Centre intercantonal d'information sur les croyances; nous avions rencontré une psychiatre, la doctoresse Franceline James, membre d'un groupe de psychiatres qui s'occupent de victimes de sectes ou d'endoctrinement, etc. Nous avons aussi rencontré le procureur Bertossa, qui nous a indiqué les possibilités et les limites dans les interventions par rapport à l'activité des sectes. Pour toutes ces raisons, nous ne voyons absolument pas l'utilité de renvoyer encore une fois cet objet au Conseil d'Etat, nous ne voyons pas ce que le Conseil d'Etat fera de plus que ce qui a déjà été fait.
Peut-être une dernière remarque: dans cette pétition, on trace un lien entre la manipulation et la radicalisation. Les choses ne sont pas aussi simples, Mesdames et Messieurs les députés ! Croyez-en l'ex-théologien que je suis ! Qu'est-ce qu'une secte ? Il faut constater qu'il n'est pas très facile de considérer ce qu'est une secte ainsi que le lien avec la radicalisation, considérant ce qui se passe actuellement, avec l'EI ou d'autres organisations de ce type. Pour toutes ces raisons, avec beaucoup de considération pour la vie de feu M. Lavergnat dont un membre de la famille est décédé dans ce contexte, malgré cela et le respect que nous lui devons, je pense qu'il est clairement opportun, non pas de diffuser ce document très largement, comme il le souhaitait, mais effectivement de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. Raymond Wicky (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, beaucoup de choses ont été dites. Je peux me rattacher autant aux propos tenus par M. Frey - vous transmettrez, Monsieur le président - qu'aux propos du rapporteur de majorité. Il faut rendre hommage à cette personne que nous avons eu l'opportunité et l'honneur de croiser à la commission des pétitions, non seulement pour son travail et sa vision, mais également pour sa défense acharnée des intérêts de tous les individus pris dans des sectes, lui-même ayant vécu certaines expériences extrêmement pénibles. Encore une fois, il faut lui rendre hommage à ce sujet.
Par contre, d'un autre côté, sans revenir sur le détail de ce qui a déjà été dit, si l'on doit assurer la diffusion des écrits de toute personne qui a un combat aussi légitime dans cette république, je pense qu'on ne va pas s'en sortir, mes chers collègues ! Pour toutes ces raisons, je vous propose de suivre les conclusions de la majorité de la commission. La proposition de dépôt a été faite avec un grand respect pour l'intéressé et elle ne constitue en tout cas pas un acte de mépris.
M. François Baertschi (MCG). Pour ceux qui ont eu la chance de le rencontrer, il est vrai que M. Lavergnat était un personnage touchant, un personnage engagé dans un combat, un combat pour la dignité humaine, un combat contre l'asservissement à des idéologies morbides et sectaires. Son dernier combat, celui qu'il n'a pu mener jusqu'au bout, portait sur la radicalisation, le nouvel extrémisme en train de contaminer nos civilisations. C'est cela, son message, et je pense que c'est un message important, qui mérite d'être écouté. Est-ce qu'on peut reprocher à M. Lavergnat de nous avoir quittés trop tôt ? C'est un peu le reproche que l'on ferait si on déposait sa pétition sur le bureau du Grand Conseil ! Je pense que chacun doit y réfléchir en sa conscience, s'interroger et se dire que M. Lavergnat était une brave personne, quelqu'un qui a pensé au bien d'autrui, qui a été victime des sectes, qui voulait justement que les nouvelles générations en soient protégées, avec ses moyens, avec sa façon d'agir, qui était plus dans la sincérité que quelque chose de scientifique ou qui entrait dans les normes. Je pense qu'il a beaucoup apporté, il a beaucoup apporté dans ce combat contre les sectes et Genève lui en est redevable. La dernière chose qu'il a voulu faire, c'était s'attaquer à la nouvelle radicalisation, à l'islamisme et à ses dérives qui ne perturbent pas uniquement notre continent, mais le monde entier, malheureusement. Je crois que c'est un combat important, nous devons le soutenir et c'est pour ça qu'il faut renvoyer impérativement cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Pascal Spuhler (MCG), rapporteur de minorité. Chacun d'entre vous qui êtes intervenus sur cette affaire avez salué le travail de M. Lavergnat, mais vous le saluez d'une manière un peu particulière puisque vous classez de façon luxueuse cette pétition. C'est bien regrettable, parce que cette pétition ne demandait finalement pas grand-chose; elle demandait seulement de prendre en considération ce fascicule qui parle de son combat et met également en exergue la relation entre radicalisation et sectarisation. Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle que cet homme, loin d'être un imbécile, était un homme aimé et qui aimait les gens: il menait ce combat parce qu'il aimait les gens ! On peut aussi considérer cet homme comme un expert dans ce domaine, parce qu'il a consacré sa vie à cela. Je ne peux pas entendre qu'on ne considère pas ses écrits comme une chose de valeur à laquelle on peut se fier. Je pense réellement que le Conseil d'Etat devrait tirer de ce fascicule l'essentiel, pour le diffuser à qui de droit, afin que le travail d'une vie soit efficacement utilisé. Mesdames et Messieurs les députés, vous voulez rendre hommage à M. Lavergnat en l'enterrant lui et ses travaux sur le bureau du Grand Conseil: renvoyez cette pétition au Conseil d'Etat, je vous remercie !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je fais voter l'assemblée sur la conclusion du rapport de majorité, à savoir le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1984 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 46 oui contre 27 non et 2 abstentions.