Séance du jeudi 24 novembre 2016 à 20h30
1re législature - 3e année - 10e session - 54e séance

PL 11733-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Cyril Mizrahi, Jocelyne Haller, Jean-Marie Voumard, Emilie Flamand-Lew, Bernhard Riedweg, Sophie Forster Carbonnier, Lydia Schneider Hausser, Salima Moyard, Jean-Charles Rielle, Sandro Pistis, Christian Frey, Henry Rappaz, Alberto Velasco, Daniel Sormanni, Jean-François Girardet, Christian Flury, Pascal Spuhler, Thierry Cerutti, Florian Gander, Magali Orsini, François Lefort, Francisco Valentin, Frédérique Perler, Boris Calame, Jean-Michel Bugnion, Lisa Mazzone, Nicole Valiquer Grecuccio, Roger Deneys, François Baertschi modifiant la loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile (LaCC) (E 1 05) (Pour un accès facilité des consommatrices et consommateurs à la justice)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 2 et 3 juin 2016.
Rapport de majorité de Mme Irène Buche (S)
Rapport de première minorité de M. Murat Julian Alder (PLR)
Rapport de deuxième minorité de M. Bernhard Riedweg (UDC)

Premier débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha. Commentaires.) Monsieur Vanek ! Monsieur Vanek, s'il vous plaît ! (Un instant s'écoule.) Merci. Mesdames et Messieurs, nous reprenons notre ordre du jour ordinaire avec le PL 11733-A que nous traitons en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité est de Mme Irène Buche, celui de première minorité de M. Murat Julian Alder, remplacé par Mme Nathalie Fontanet, et le rapporteur de seconde minorité est M. Bernhard Riedweg. Madame Buche, je vous passe la parole.

Mme Irène Buche (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi, qui a été déposé par des députés de cinq groupes de ce parlement, vise à faciliter l'accès à la justice pour les consommateurs dans le cadre des litiges de consommation visés à l'article 32 du code de procédure civile. Qu'est-ce qu'un contrat de consommation ? Il s'agit d'un contrat «portant sur une prestation de consommation courante destinée aux besoins personnels ou familiaux du consommateur et qui a été offerte par l'autre partie dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale». On voit que la notion de litige de consommation est clairement définie par la loi et, de surcroît, précisée par la jurisprudence. En ce qui concerne la valeur litigieuse - c'est-à-dire la valeur litigieuse maximale pour qu'on parle d'un contrat de consommation ou d'un litige de consommation - il est admis par la jurisprudence qu'elle se situe en principe à 30 000 F, ce qui correspond d'ailleurs à la valeur maximale dans la procédure simplifiée.

Le premier but de ce projet de loi est de ne plus exiger du justiciable le paiement des frais judiciaires ni de condamner la partie qui perd à payer les honoraires d'avocat de l'autre partie, à l'instar de ce qui se pratique de longue date au Tribunal des baux et loyers. Le second but, qui est le pendant du premier, est de faire office de levier pour rééquilibrer les rapports entre les entreprises et les consommateurs, ceux-ci étant très généralement la partie faible au contrat. Il s'agit ainsi de faciliter le règlement des différends en amont. En effet, si une entreprise sait que le consommateur a les moyens de saisir la justice parce que l'accès en est facilité, elle acceptera plus facilement de discuter et d'essayer de trouver une solution négociée. Actuellement, une telle entreprise n'est pas incitée à le faire car elle sait que le consommateur avec lequel elle est en litige ne saisira en principe pas la justice faute de moyens.

Durant les débats en commission, plusieurs questions ont été discutées, notamment la notion de litige de consommation, dont je viens de vous parler, la nature des frais faisant l'objet de l'exemption - frais judiciaires et/ou dépens - et la question de la valeur litigieuse. Certains commissaires ont relevé que le consommateur serait davantage dissuadé par les honoraires de son propre avocat que par les frais de justice, d'autres se sont inquiétés de l'augmentation possible du nombre de procédures après l'adoption de cette loi et du coût supplémentaire que cela représenterait pour la justice. Différents amendements ont été proposés, mais qui ont tous été refusés; finalement, le projet de loi a été voté dans sa forme initiale.

Lors des auditions, tant la FRC que l'Ordre des avocats et l'Association des juristes progressistes se sont déclarés favorables à ce projet de loi car il permet de faciliter l'accès à la justice tout en favorisant la négociation et la médiation en amont. Ils ont tous déclaré que ce projet de loi ne devrait pas surcharger les tribunaux puisqu'il s'agit justement de renforcer la position du consommateur pour lui donner les moyens de négocier avec l'entreprise avant une procédure, qui doit être l'ultima ratio. Quant au pouvoir judiciaire, il a certes exprimé sa crainte de voir le nombre de procédures augmenter, mais a également reconnu que les litiges actuels ne représentent qu'une infime minorité de l'ensemble des litiges pendants devant le pouvoir judiciaire. A cet égard, il a d'ailleurs été relevé par d'autres auditionnés que la juridiction des baux et loyers n'avait pas connu de hausse du nombre de procédures après l'introduction de la gratuité.

A plusieurs reprises, la minorité a déclaré que ce projet de loi manquait sa cible, notamment...

Le président. Il vous reste trente secondes, Madame le rapporteur, ou vous prenez sur le temps de votre groupe.

Mme Irène Buche. Merci. ...parce que les honoraires d'avocat à la charge du consommateur sont la principale entrave à l'accès à la justice. Or il faut rappeler que tout justiciable peut saisir la justice sans être assisté d'un avocat pour autant qu'il dispose de formulaires ad hoc fournis par le pouvoir judiciaire et puisse bénéficier de conseils d'un organisme tel que la FRC. Ce n'est donc pas un obstacle, et la majorité vous invite à voter ce projet de loi tel que sorti de commission. Je vous remercie.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de première minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, j'excuse une fois encore l'absence de M. Alder, retenu pour son devoir militaire, et reprends son excellent rapport de minorité. La première minorité n'est pas favorable à ce projet de loi pour les motifs suivants: le but de ce texte est de soumettre les litiges qui concernent le droit de la consommation aux mêmes règles, en matière de frais de justice, que celles applicables aux causes soumises à la juridiction des baux et loyers, soit la gratuité totale. Or les causes en matière de baux et loyers sont facilement identifiables; il n'en va malheureusement pas de même des contrats à la consommation qui, contrairement aux autres contrats, ne sont pas réglés par le code des obligations. Il s'agit d'une notion sans cesse en évolution et dont la jurisprudence est mouvante. Ainsi, la question de savoir si un cas soumis au tribunal pourra être considéré comme un contrat à la consommation devra sans aucun doute être tranchée au préalable par le tribunal, avant même qu'il ne puisse se déterminer sur le fond. Cela ne manquera pas de surcharger inutilement le Tribunal de première instance, et cette crainte a d'ailleurs été confirmée par la présidente dudit tribunal.

Par ailleurs, ce projet n'améliorera en rien l'accès des consommateurs à la justice. En effet, en cas de litige entre un consommateur et sa partie adverse, ce n'est en règle générale pas l'avance de frais judiciaires qui décourage le consommateur, mais plutôt les honoraires d'avocat. Dans la plupart des cas, ceux-ci sont plus élevés que les frais de justice, et comme la question de savoir si le litige concerne bien un contrat de consommation devra être tranchée au préalable et nécessitera sans aucun doute une prestation supplémentaire de l'avocat, cela ne manquera pas de les augmenter encore.

Troisièmement, il n'est pas soutenable de mettre sur le même pied les litiges à la consommation et ceux en matière de baux et loyers ou des prud'hommes, qui nécessitent une défense accrue et impliquent une protection sociale. L'exemption des frais doit être réservée à ces litiges particuliers; comparer les conséquences d'un licenciement avec effet immédiat ou la résiliation d'un bail d'une famille avec celle d'un litige à la consommation n'est pas défendable. Partant, leur appliquer la même gratuité n'a pas de sens. Au vu de ce qui précède, la première minorité vous invite à refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi qui rate sa cible, qui aura pour effet d'encombrer les tribunaux, qui ne remédiera en rien à la question centrale des honoraires d'avocat et qui vise à traiter de la même façon des causes qui n'ont rien de semblable et qui ne sont en aucun cas touchées... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...par les mêmes besoins de protection sociale.

Cela étant, Mesdames et Messieurs, si la majorité de ce parlement devait accepter l'entrée en matière, la première minorité vous soumettra un amendement visant à clarifier le montant de la valeur litigieuse, lequel n'est pas prévu expressément à l'article 22, alinéa 5, ce qui a d'ailleurs été relevé et regretté par l'Ordre des avocats. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) La minorité souhaite en effet limiter à 10 000 F le montant de la valeur litigieuse prise en compte pour l'exemption des frais. Il est notoire que les consommateurs qui hésitent le plus à agir en justice sont ceux qui ont des litiges portant sur de très faibles montants. Ce sont ces derniers qu'il convient de défendre davantage, si nous devons décider de protéger les consommateurs. Mesdames et Messieurs...

Le président. Vous prenez sur le temps du groupe, Madame.

Mme Nathalie Fontanet. Eh bien non, j'ai terminé ! ...la minorité vous recommande de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.

M. Bernhard Riedweg (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Après les rapporteurs de majorité et de première minorité, que peut-on encore dire pour intéresser les députés ? Ce projet de loi a fait l'objet d'un débat essentiellement entre avocats - qui sont au nombre de cinq au sein de la commission judiciaire et de la police - mais les autres commissaires n'ont pas démérité pour autant. La question de l'accès à la justice est avant tout politique. En 2014, le nombre de procédures ayant trait à un contrat de consommation à Genève s'élevait à environ 250. Les représentants du pouvoir judiciaire nous ont dit qu'en règle générale, les tarifs appliqués dans le canton de Genève étaient reconnus comme favorables pour celui ou celle qui intente l'action, si on compare les tarifs entre cantons. A ce jour, aucun canton n'a introduit la gratuité des litiges en matière de consommation.

En ce qui concerne le projet de loi, la conciliation ou la médiation seraient un bon remède avant le dépôt d'une demande en paiement devant le tribunal, et en cas d'échec d'une médiation, le requérant pourrait s'adresser à un tribunal lui assurant l'accessibilité au système judiciaire. Rendre gratuit le traitement judiciaire des litiges de consommation représente une discrimination vis-à-vis des autres utilisateurs de la justice car c'est le contribuable qui sera sollicité pour payer les frais de justice du consommateur lésé, ce qui n'est pas correct. Il faut savoir que la gratuité des frais de justice entraînera des interpellations de la justice... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...plus fréquentes pour les litiges de consommation et augmentera ainsi le nombre de procédures, ce qui impliquera une dotation financière supplémentaire pour les tribunaux. Il n'y a pas lieu de banaliser les recours à la justice, qui sont déjà excessifs dans certains domaines.

Si le consommateur lésé est impécunieux, il peut toujours bénéficier de l'assistance juridique civile, laquelle est d'ailleurs sollicitée à hauteur de 10 millions par année dans notre canton. La conception prévalant en Suisse est que le coût d'un procès doit en principe être assumé par les parties en présence et non collectivisé dans le cadre de procédures gratuites financées par le contribuable. Intenter une action en justice est un choix qui doit être financé à l'entrée de la procédure par la personne ayant pris la décision d'agir. Notre parti estime que les frais de justice doivent être une aide à la réflexion avant d'agir devant un tribunal. Enfin, pour que le consommateur s'autoprotège, il y a une solution toute prête, à savoir les assurances de protection juridique, qui peuvent aussi faciliter l'accès à la justice. Sur la base de ces arguments, l'Union démocratique du centre vous demande de ne pas accepter ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.

M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, chers députés, le groupe Ensemble à Gauche soutient résolument l'idée que l'accès à la justice pour les consommatrices et les consommateurs, une catégorie dont nous faisons toutes et tous partie, doit être libre de toute entrave. Il est en effet très difficile aujourd'hui d'obtenir justice contre une société ou une entreprise dans les cas où un contrat n'est pas respecté. En effet, les frais de procédure judiciaire et les honoraires d'avocat en vue d'introduire une cause puis d'aller ensuite en conciliation représentent une dépense qui dissuade généralement les consommatrices et les consommateurs de déposer plainte.

Nous avons écouté et entendu les observations et les recommandations de la Fédération romande des consommateurs, de l'Ordre des avocats et de l'Association des juristes progressistes, qui ont tous préconisé la procédure simplifiée pour des litiges qui ne dépasseraient pas un montant de 30 000 F, voire l'introduction de la gratuité. A contrario, le pouvoir judiciaire, qui considère que la gratuité occasionnerait des frais de procédure supplémentaires et un encombrement administratif au Tribunal de première instance, a quant à lui manifesté quelques réticences - pour ne pas dire une opposition - vis-à-vis de ce projet de loi.

Cela étant, après avoir bien débattu notamment de la procédure simplifiée et risqué quelques amendements proposés par notre collègue Cyril Mizrahi, nous en sommes revenus au projet initial qui nous apparaît comme plus simple et plus explicite. Ce projet, je vous le rappelle, consiste à introduire un nouvel article 22, alinéa 5, de la loi d'application du code civil suisse stipulant: «Il n'est pas prélevé de frais pour les litiges concernant les contrats conclus avec les consommateurs.» On ne saurait être plus clair, et je vous invite par conséquent à le soutenir.

M. Vincent Maitre (PDC). Ce projet de loi part d'un bon sentiment mais rate malheureusement sa cible parce qu'il heurte foncièrement le sentiment de justice et d'équité, et je m'adresse à cet égard plus particulièrement aux membres d'Ensemble à Gauche et du MCG, que je sais sensibles à cette problématique, à ce sentiment de justice. Pourquoi est-ce qu'il heurte la justice et le sentiment d'équité ? Tout simplement parce que le code de procédure civile permet aujourd'hui à un justiciable qui se serait fait flouer et qui obtient gain de cause devant les tribunaux de mettre à charge de sa partie adverse - la partie dite succombante - l'entier de ses frais judiciaires et d'avocat.

Avec ce projet de loi, ce ne serait plus possible. Résultat des courses: le consommateur qui saisirait... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...la justice pour un montant relativement modique, quand bien même il obtiendrait gain de cause, se verrait malgré tout contraint de payer ses honoraires d'avocat qui, eux, pourraient se révéler largement supérieurs à la valeur litigieuse. Ainsi, il n'aura probablement que faire d'avoir gagné devant les juridictions civiles si cela lui coûte au final plus cher que s'il n'avait pas engagé d'action en justice. C'est en ce sens-là que ce projet de loi est mauvais et qu'il prétérite la situation des consommateurs à la faveur de commerçants qui, eux, auront financièrement les reins bien plus solides pour supporter un procès et ses coûts. Pour cette simple raison et au-delà de celles éminemment justes et pertinentes évoquées par les deux rapporteurs de minorité, je vous encourage à refuser ce projet de loi.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et donne la parole à M. Eric Stauffer pour deux minutes.

M. Eric Stauffer (HP). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il ne faut pas se voiler la face: si ce projet de loi était accepté aujourd'hui, il créerait un engorgement voire une explosion des procédures par-devant les tribunaux. J'aimerais vous rappeler qu'il existe déjà un office de l'Etat, soit le greffe de l'assistance juridique, qui peut être sollicité quand un contribuable n'a pas les moyens de payer les frais d'introduction et de procédure; l'Etat se substitue alors à ce contribuable qui n'a pas suffisamment de moyens... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Il y a donc déjà un filtre.

Imaginez, par impossible, qu'une majorité de ce parlement vienne à voter ce projet de loi ce soir: on va se retrouver avec des centaines de procédures ! M. Dupont des Eaux-Vives, par exemple, aura acheté une machine à laver à crédit - c'est un contrat à la consommation - puis provoqué une inondation mais il va dire: «Non, ce n'est pas ma faute, ce n'est pas moi qui ai mal branché le tuyau, c'est la faute de celui qui me l'a vendue.» Avec la procédure simplifiée, ça va arriver au tribunal et il n'y aura évidemment personne pour lui dire, comme le fait aujourd'hui l'assistance juridique, qu'il ne gagnera pas en procédure. Voilà ce que vous êtes en train de proposer aujourd'hui.

Je vous le dis: le greffe de l'assistance juridique reçoit des centaines de cas par année de contribuables qui n'ont pas les moyens de payer les frais d'introduction. A quoi jouez-vous ce soir, Mesdames et Messieurs ? A être plus royalistes que le roi en voulant augmenter le nombre de procédures ? Et quand il faudra voter les augmentations de budget pour la justice, vous direz: «Non, non, surtout pas !»

M. Cyril Mizrahi. On les votera !

M. Eric Stauffer. Oui, vous les voterez ! Je vous prends au mot, Monsieur Mizrahi, parce que vous avez déjà failli à votre parole bien des fois depuis que je siège dans ce parlement, mais évidemment... (Remarque.)

Le président. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Eric Stauffer. Je vais conclure ! ...c'est évidemment l'apanage de la gauche de raconter tout et son contraire.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons entendu plein d'experts, vous savez ce que l'UDC votera. Comme l'a dit notre rapporteur de deuxième minorité, c'était un débat vraiment technique, un débat d'avocats - M. Maitre vient de nous en faire une brillante démonstration. En ce qui me concerne, j'aimerais ramener la discussion sur quelque chose qui est en définitive l'un des fondements essentiels de la politique de l'UDC, à savoir la responsabilité personnelle. Mesdames et Messieurs, doit-on toujours donner à d'autres la responsabilité de résoudre nos problèmes parce que nous n'avons pas été capables de nous en occuper suffisamment tôt ? C'est sur cet aspect que j'aimerais insister. L'excellent rapport de première minorité de M. Murat, avocat, cite l'article 22 qui contient déjà toute une liste de gratuités, de cas où on ne paie pas de frais. On est un peu dans cette dynamique maintenant: faites n'importe quoi, achetez n'importe comment, ce n'est pas grave car la justice viendra derrière pour rectifier votre erreur, votre omission ou votre manque d'attention; et là, on entre dans le problème des frais.

Vous connaissez tous la problématique, l'engorgement des tribunaux; en commission, ceux qui jugent les premiers, soit les présidents de tribunaux, nous ont dit que ce projet n'était pas forcément nécessaire parce qu'il existe plein d'autres moyens pour engager une procédure et surtout parce que ça les surchargerait de travail. Mesdames et Messieurs les députés, il y a un moment où il faut arrêter de dire: «Demain, on rase gratis.» Non, on ne rase pas gratis ! La première chose à faire, avant d'en arriver à ces frais, c'est de nous montrer responsables et de déterminer si nous faisons le bon choix, si nous nous sommes assurés d'un minimum de précautions avant d'acheter - parce qu'on est bien en train de parler de petits biens de consommation, on n'est pas en train de jouer à la bourse, pour autant qu'on le puisse. Mesdames et Messieurs les députés, très sincèrement, en raison de la responsabilité individuelle, le groupe UDC vous demande de refuser ce projet de loi.

M. Pierre Conne (PLR). J'aimerais juste revenir au libellé de la loi. Que propose-t-elle ? «Il n'est pas prélevé de frais pour les litiges concernant les contrats conclus avec les consommateurs.» Et de quoi s'agit-il en fait ? «Sont réputés contrats conclus avec des consommateurs les contrats portant sur une prestation de consommation courante destinée aux besoins personnels ou familiaux [...]». On parle là vraiment de prestations, d'échanges de biens et de services qui ne sont pas essentiels. Voilà, c'était pour recadrer le contenu.

Maintenant, j'aimerais vous citer une phrase de la juriste de la FRC qui, dans le cadre de son audition relatée dans le rapport de majorité, «signale que la plupart des plaintes liées aux télécoms sont effectivement résolues par l'ombudsman, qui se nomme ombudscom. Une grande majorité des plaintes sont de cette nature. Elle confirme que la plupart des personnes n'iront pas en justice, même si certains frais ne seront plus à payer grâce au PL». Je pense qu'on ne peut pas être plus clair. D'entrée de cause, la FRC soutenait ce PL pour des raisons théoriques ou idéologiques et nous disait qu'il s'agissait d'une bonne idée. Or quand on pousse la problématique jusqu'au bout, on s'aperçoit que ce projet de loi concerne des prestations précises, essentiellement liées à des conflits avec les opérateurs téléphoniques et réglées par médiation avec l'ombudscom. Il n'y a donc aucune opportunité de légiférer sur ce point, je pense qu'il faut en être bien conscient.

Partant, est-ce qu'il vaut la peine de faire des lois qui ne servent à rien ? Parce qu'à partir du moment où une nouvelle loi existe, elle sera peut-être médiatisée, et on dira aux gens: «Allez en justice, c'est gratuit, vous pourrez attaquer le vendeur ou le prestataire !» A ce moment-là, on va tomber dans la situation qui nous a été bien décrite par la présidente du Tribunal de première instance, à savoir que ça va encombrer le tribunal et retarder les procédures. Et, à la sortie, l'intéressé qui aura confondu frais de justice et honoraires d'avocat se rendra compte que ce sera le même prix pour sa poche ! C'est donc de l'esbroufe, pour ne pas dire de l'escroquerie, alors ne vous laissez pas avoir et refusez ce PL. Je vous remercie.

Une voix. Très bien, bravo !

M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, au nom du groupe socialiste, j'aimerais revenir sur quelques contrevérités qu'on a entendues ainsi que sur certains arguments qui ont été énoncés mais qui n'en sont pas, et je commencerai par la fin. Tout d'abord, de manière générale, on ne peut pas nous dire que ce projet va entraîner un total engorgement des tribunaux et, en même temps, qu'il est complètement inutile, que personne ne va utiliser cette voie mais que les personnes qui n'utiliseront pas cette voie vont quand même se faire gruger. Tout ça est passablement contradictoire ! M. Conne nous cite de manière un peu tronquée les propos de la représentante de la FRC qui, je me plais d'ailleurs à le souligner, est issue de vos rangs - on voit donc que des gens du PLR très raisonnables soutiennent en réalité ce projet de loi ! Vous nous citez uniquement, Monsieur Conne - vous transmettrez, Monsieur le président - l'exemple du téléphone alors que de nombreux autres exemples ont été cités en commission - je vous invite à relire le rapport - et qu'il n'existe pas d'ombudsman dans toutes les branches ! Il y en a un pour le téléphone, oui, mais pas pour d'autres domaines.

Ce qu'on veut faire, c'est précisément encourager les grandes entreprises peu scrupuleuses - je ne dis pas que toutes les entreprises sont peu scrupuleuses, mais certaines le sont - à l'être un peu plus grâce à cet instrument qui permettra de rendre réellement accessible au consommateur la menace sérieuse d'une action en justice. Aujourd'hui, on nous dit que le système qu'on essaie de mettre en place sera quasiment au désavantage du consommateur alors qu'en réalité, ce système fonctionne très bien au Tribunal des baux et loyers. Pourquoi ? Parce qu'il protège à la fois les locataires s'agissant des frais d'introduction mais également contre le risque. Or c'est justement ça qui décourage le plus les personnes à agir en justice, c'est le risque de devoir payer les frais d'avocat astronomiques de la partie adverse qui a bien évidemment beaucoup plus de moyens.

Mais les avocats n'ont pas le monopole de la justice et, ainsi que l'a souligné Mme Buche, des formulaires sont mis à disposition au TBL, le droit fédéral le permet et donc on peut tout à fait mettre à disposition ces formulaires qui permettront aux gens d'agir par eux-mêmes, le cas échéant avec les conseils de la Fédération romande des consommateurs. Contrairement à ce qui a été dit, il s'agit d'une définition extrêmement claire qui fait référence à la consommation courante, on n'est pas en train de parler de caprices de bobo ou de je ne sais quoi, de biens de luxe; on est en train de parler de la consommation courante qui nous concerne tous. Certes, il y a l'assistance juridique, à la bonne heure ! Mais les conditions sont de plus en plus restrictives...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Cyril Mizrahi. Merci, Monsieur le président. ...et ceux qui trinquent sont évidemment ceux qui ont de petits revenus, qui gagnent juste un petit peu trop pour bénéficier de l'assistance juridique mais certainement pas assez pour faire le poids face à de grandes entreprises peu scrupuleuses. Finalement, les entreprises en général ont tout à gagner avec ce projet de loi qui rétablit une concurrence saine en sanctionnant celles qui ne jouent pas le jeu. Enfin...

Le président. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Cyril Mizrahi. D'accord, Monsieur le président. Je vous encourage, Mesdames et Messieurs, à voter ce projet de loi.

M. François Baertschi (MCG). Je rencontre fréquemment des justiciables qui dépensent des sommes considérables pour des procédures en justice, qu'il s'agisse de frais de justice, de frais de greffe, de frais d'avocat - il faut bien que les avocats soient payés pour leur travail. Tout ce qu'on peut faire en faveur des personnes modestes qui n'ont pas beaucoup de moyens et qui se trouvent confrontées à la justice doit être fait. En effet, quand on se place du côté du justiciable, on se rend compte qu'il n'est pas toujours dans une position favorable.

Parlons des consommateurs: eux aussi se retrouvent face à des intérêts gigantesques, face à des entreprises aux moyens considérables, qui ont des lobbys présents au niveau politique, particulièrement dans la Berne fédérale - on sait le poids de certains lobbys, je ne vais pas revenir là-dessus. Quand on connaît la faiblesse des consommateurs, je pense qu'il est juste de leur donner des droits et donc de leur assurer la gratuité des frais de justice, comme ça a été fait pour les locataires, à raison, comme ça a été fait aussi pour les bénéficiaires d'assurances sociales.

Ce n'est que justice, ce n'est qu'intelligence de ne pas vouloir alourdir le budget des Genevois, qui sont déjà dépouillés au quotidien par l'assurance-maladie... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...par les émoluments des amendes, par le montant scandaleux des amendes. (Commentaires.) Les gens se retrouvent dans des situations où ils n'arrivent plus à boucler leurs fins de mois et, en plus, on veut les empêcher de défendre leurs droits légitimes en agissant sur leur porte-monnaie ? C'est particulièrement lâche et scandaleux, je vous demande donc de soutenir cette loi. (Quelques applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Les rapporteurs souhaitent-ils encore s'exprimer ? (Remarques.) Ce n'est pas le cas, alors je passe la parole à M. le conseiller d'Etat Pierre Maudet. (Brouhaha.) Un instant, s'il vous plaît ! (Un instant s'écoule.) Merci. Vous avez la parole, Monsieur le conseiller d'Etat.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat s'est montré particulièrement circonspect dans l'étude de ce projet de loi. Il n'a d'ailleurs pas été auditionné, considérant que la question de l'accès à la justice est fondamentalement politique - je reprends ici les propos du représentant du pouvoir judiciaire qui, lui, a été auditionné - et qu'il appartient au législateur de se prononcer là-dessus. Nous sommes restés en retrait, nous avons écouté avec attention le débat de ce soir mais il nous importe, à nous, le Conseil d'Etat, d'attirer votre attention sur trois éléments.

Tout d'abord, sachez que nous avons comme vous à coeur de faire en sorte que l'accès à la justice soit un droit, mais un droit fondé sur des critères. Si l'on se réfère, comme le veut le projet de loi, à la nature de la procédure et que l'on octroie la gratuité à son accès indifféremment du revenu, nous pensons que nous allons très loin et que cela aura, Mesdames et Messieurs, des conséquences financières. Si, en revanche, on se penche sur la situation personnelle du requérant et que l'on consacre l'idée que l'on ne doit pas entraver quelqu'un qui n'en a pas les moyens dans sa capacité à recourir en justice, alors là nous pensons que cela en vaut la peine, mais ce n'est pas ce que propose ce projet de loi; ce projet de loi est profondément lié à la nature de la demande, et tout litige dans le domaine de la consommation se verrait ainsi octroyer une forme de gratuité.

S'agissant des baux et loyers - puisque c'est ce qui apparaît en arrière-fond du débat - la situation est totalement différente. En effet, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation de pénurie d'appartements; on peut tout à fait imaginer qu'une pression s'exerce sur le requérant et que, dans ce cas-là, oui, la gratuité soit fondée - il ne s'agit évidemment pas de la remettre en cause à travers ce projet de loi. Mais nous ne pouvons pas comparer des litiges dans le domaine de la consommation avec des litiges dans le domaine des baux et loyers.

La troisième considération, celle qui fonde principalement cette intervention, est relative aux finances publiques. Tout comme vous, nous sommes soucieux de ne pas voir les frais d'assistance judiciaire augmenter par trop, ils vont déjà s'accroître sensiblement l'année prochaine en raison de l'expulsion judiciaire, une nouveauté introduite en droit fédéral, consacrée par la population lors du vote d'une initiative en 2010, qui a trouvé un écho dans l'initiative dite de mise en oeuvre de 2016. L'année prochaine déjà, nous allons donc connaître une hausse substantielle des frais d'assistance juridique; nous ne pouvons pas cautionner, Mesdames et Messieurs les députés - il appartient en principe au Conseil d'Etat de fixer les montants et les tarifs - cette augmentation supplémentaire.

C'est la raison pour laquelle, malgré la circonspection de circonstance sur ce projet de loi, nous vous invitons vivement à le rejeter ou à tout le moins à le renvoyer en commission pour l'amender et l'adapter non pas en fonction de la nature du litige mais en fonction de la situation du requérant, comme c'est le cas par ailleurs dans le domaine des baux et loyers. Merci de votre attention.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie de bien vouloir vous prononcer sur l'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 11733 est adopté en premier débat par 48 oui contre 44 non.

Deuxième débat

Le président. Monsieur Stauffer, vous avez la parole.

M. Eric Stauffer (HP). Merci, Monsieur le président. Au vu de la demande émise par M. le conseiller d'Etat, je sollicite le renvoi en commission.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et ouvre le scrutin sur cette requête.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11733 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 48 non contre 46 oui.

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Le président. A l'article 22, nous sommes saisis d'un amendement présenté par Mme Nathalie Fontanet, consistant à modifier l'alinéa 5 comme suit:

«Art. 22, al. 5 (nouvelle teneur)

5 Il n'est pas prélevé de frais pour les litiges concernant les contrats conclus avec les consommateurs dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 10 000 F.»

Madame Fontanet, c'est à vous.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de première minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Ainsi que je l'ai indiqué tout à l'heure, l'Ordre des avocats a déploré le manque de clarté s'agissant de la valeur litigieuse, c'est-à-dire le montant sur lequel se rapportent les litiges à la consommation. Nous avons également entendu le fait que, bien souvent, les litiges en question portaient sur des marchandises de faible valeur, et ce sont donc ces personnes concernées qui doivent pouvoir aller devant la justice parce qu'elles se trouvent généralement face à de très grosses entreprises ou entités professionnelles. Aussi, nous proposons un amendement visant à limiter la valeur litigieuse à 10 000 F. Merci, Monsieur le président.

Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur Mizrahi, je suis désolé mais vous n'avez plus de temps de parole. Je passe le micro à Mme Irène Buche.

Mme Irène Buche (S), rapporteuse de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Pour notre part, nous vous invitons à refuser cet amendement qui n'est pas conforme à l'esprit de la loi ni à la notion de litige de consommation. Comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, l'article 32 CPC définit bien ce qu'est un contrat de consommation tandis que la jurisprudence a fixé une limite maximum à la valeur litigieuse pour la procédure simplifiée, il n'y a donc aucune raison que nous acceptions une valeur litigieuse inférieure à 30 000 F. Je vous remercie.

M. Bernhard Riedweg (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Une courte intervention, Mesdames et Messieurs: le rapporteur de deuxième minorité vous demande d'accepter cet amendement du PLR. Merci.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur... (Remarque.) Monsieur Deneys, s'il vous plaît ! J'invite maintenant l'assemblée à voter sur cet amendement.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 45 oui.

Mis aux voix, l'art. 22, al. 5 (nouveau) est adopté.

Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).

Le président. Madame Buche, souhaitez-vous vous exprimer ?

Mme Irène Buche. Non, je me suis trompée, Monsieur le président, excusez-moi.

Le président. D'accord. Et vous, Monsieur Romain ?

M. Jean Romain (PLR). Oui, Monsieur le président, merci. Etant donné que notre amendement n'a pas passé la rampe, le PLR sollicite à son tour le renvoi en commission.

Des voix. Non !

Le président. Merci, Monsieur le député. Je mets aux voix votre demande de renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11733 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 50 non contre 45 oui.

Troisième débat

La loi 11733 est adoptée article par article en troisième débat.

Le président. Pour terminer, je lance le vote d'ensemble...

Une voix. Vote nominal !

Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est le cas.

Mise aux voix, la loi 11733 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 49 oui contre 45 non (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Loi 11733 Vote nominal