Séance du
jeudi 1 septembre 2016 à
17h
1re
législature -
3e
année -
6e
session -
37e
séance
RD 1032-A
Débat
Le président. Le prochain objet à l'étude est le RD 1032-A. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes, et je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Cyril Mizrahi.
M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous sommes aujourd'hui saisis de ce rapport du Conseil d'Etat RD 1032 relatif à la mise en oeuvre de la nouvelle constitution. Le principal reproche émis par la majorité est que sous couvert de choix techniques ou juridiques - le Conseil d'Etat nous dit au final: «Nous n'avons pas de marge de manoeuvre, nous sommes dans un carcan juridique et, de fait, nous faisons un rapport technique» - le Conseil d'Etat se livre à des choix politiques. En soi, ce n'est pas vraiment un problème mais nous aurions aimé qu'il reconnaisse faire un rapport politique et assume ses choix.
Je vais vous donner quelques exemples. Le rapport est assez complet, et un certain nombre de questions précises ont été adressées durant les différentes auditions au président du Conseil d'Etat, auxquelles nous n'avons pas, du point de vue de la majorité, obtenu de réponse satisfaisante, par exemple s'agissant de la laïcité ou de la répartition des tâches. Concernant la laïcité, le gouvernement n'a de cesse de nous indiquer que la constitution nous oblige à adopter une loi alors qu'une brochure sur le sujet - ma foi fort bien faite - vient de paraître qui montre qu'un cadre juridique existe déjà, et aucune norme dans la constitution ne nous oblige à agir dans ce domaine. Quant à la répartition des tâches, il y a une loi sur l'administration des communes, ce n'est pas moi qui le dis, ainsi qu'un avis de droit sur cette question; on peut être d'accord ou pas avec cette répartition des tâches mais il n'y a en tout cas aucune urgence à changer la législation. Ce que je veux dire, c'est que le Conseil d'Etat, quand ça l'arrange politiquement, au lieu de nous dire: «Nous avons envie de déposer une loi sur la laïcité» ou «Nous avons envie de procéder à une nouvelle répartition des tâches», ce qui est tout à fait respectable, nous dit: «Nous sommes obligés de faire ça».
Or quand ça ne l'arrange plus, tout à coup le Conseil d'Etat ne prête plus attention à ces obligations constitutionnelles, et c'est singulièrement le cas avec le bureau de la médiation administrative: nous avons adopté une loi extrêmement claire qui prévoit l'élection sans délai d'un médiateur administratif ou d'une médiatrice administrative, cette loi a été proposée par le Conseil d'Etat lui-même et, ensuite, celui-ci - je ne dévoile aucun secret puisque tout est documenté dans des échanges de correspondance entre le Bureau et le Conseil d'Etat - vient demander au Bureau, pour d'obscures raisons budgétaires, de ne pas mettre à l'ordre du jour de notre Grand Conseil l'élection du médiateur respectivement de la médiatrice alors que le rôle du Conseil d'Etat n'est pas de dicter au Bureau l'ordre du jour mais d'appliquer les lois et de prévoir les mesures budgétaires en conséquence.
Sur une série d'autres points également, le Conseil d'Etat manifeste quasiment une volonté de ne pas agir. J'en citerai quelques-uns sans prétention à l'exhaustivité: l'article 42 de la constitution relatif au mécanisme indépendant d'évaluation de la réalisation des droits fondamentaux, l'article 38 sur les questions de logement d'urgence, l'article 26 sur les lanceurs d'alerte, la disposition sur la liberté syndicale...
Le président. Monsieur le député, vous prenez sur le temps de votre groupe.
M. Cyril Mizrahi. Merci, Monsieur le président. ...l'article 166 sur l'accès public aux rives du lac et enfin l'article 110 sur la procédure de consultation où le Conseil d'Etat - qui a actuellement l'air absorbé par d'autres choses ! - reconnaît la nécessité d'adopter une législation, comme je l'ai dit tout à l'heure, mais ne donne finalement aucun calendrier par rapport à cela. Pour toutes ces raisons et d'autres encore qui sont détaillées dans le rapport, la majorité n'est tout simplement pas satisfaite de ce rapport et c'est pourquoi elle vous propose de le retourner à son expéditeur afin d'obtenir une nouvelle version qui tienne compte de ces remarques et nous donne, Mesdames et Messieurs, chers collègues, des réponses satisfaisantes sur les différents points qui ont été soulevés. Je vous remercie de votre attention.
M. Murat Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je ne vais pas paraphraser ce que j'ai déjà eu l'occasion de mettre par écrit mais, pour la sagesse et le bon déroulement des débats, il me semble nécessaire de préciser certains points. Fondamentalement, deux types de programmes sont prévus par la nouvelle constitution: un programme législatif, qui est de nature technique et est prévu par l'article 226, alinéa 2 - dans les dispositions transitoires, d'ailleurs - et un programme de législature qui, lui, est de nature politique et est prévu non pas par les dispositions transitoires mais par le corps même du texte constitutionnel à l'article 107 ainsi qu'à l'article 66 de la LRGC. Le programme législatif n'est pas prévu par la LRGC vu que c'est un acte unique en son genre, il a été déposé largement dans les délais par le Conseil d'Etat et celui-ci s'est même engagé à l'affiner au fur et à mesure, chose qu'il n'a naturellement pas pu faire puisque ce rapport divers est resté bloqué à la commission législative puis dans notre ordre du jour pendant de nombreux mois.
Pour résumer, la position de la majorité est tout simplement infondée car elle procède d'une confusion de ces deux programmes ! Le programme législatif dont il est question ici est un programme de nature purement technique - juridique, pour être précis - et n'a absolument pas vocation à faire l'objet de quelconques discussions politiques. Je précise à ce propos que le programme de législature donne les grandes impulsions politiques d'une législature tandis que le programme législatif ne propose que des moyens pour les atteindre. Or ces moyens ne sont pas de nature politique, et pour répondre à M. Mizrahi sur la question de la réalisation de l'article 42 de la constitution relatif à l'évaluation périodique indépendante des droits fondamentaux, celle-ci est déjà prévue à l'heure actuelle à Genève puisque la Suisse subit régulièrement l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme de l'ONU et, évidemment, lorsque l'on examine la situation des droits fondamentaux en Suisse, on l'analyse également dans les différents cantons; cette évaluation périodique existe donc déjà. Alors à moins que la majorité de la commission respectivement des partis qui y sont représentés ne veuillent créer une nouvelle usine à gaz avec une nouvelle instance d'évaluation de la réalisation des droits fondamentaux qui coûtera de nouveaux millions et pèsera ainsi davantage sur notre budget, je pense que nous devrions revenir à quelque chose de plus raisonnable et tout simplement accepter le fait que le Conseil d'Etat a joué les règles du jeu et rempli sa mission avec ce rapport divers dont je vous invite, au nom de la minorité de la commission législative, à prendre acte.
M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, la modification législative dans le cadre de la nouvelle constitution est admise, tout comme le délai de cinq ans pour l'entrée en vigueur de celle-ci. Le présent rapport a pour objectif principal d'éclaircir les tâches et de les catégoriser. En l'état, et nous avons là une divergence d'opinion avec d'autres partis, ce rapport a surtout un caractère technique. Toutes les règles et les lois seront élaborées et débattues ultérieurement. Pour cette raison, le groupe UDC prend acte de ce rapport. Merci de votre attention.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, notre groupe était opposé au texte issu de la Constituante: nous estimions qu'il était à bien des égards proclamatoire et nous n'en attendions pas grand-chose. Or la manière dont est traitée la mise en application de ce texte aujourd'hui démontre bien que nous avions raison sur un certain nombre de points et qu'il n'y avait pas grand-chose à attendre de ce point de vue là.
Par ailleurs, j'aimerais revenir sur la distinction que M. Alder - Monsieur le président, vous voudrez bien transmettre - opère entre le programme politique et le programme législatif, comme si la manière de définir un programme législatif n'était pas éminemment politique et que, dans le choix de ne pas mettre en oeuvre la décision de ce parlement de créer un bureau de la médiation administrative, il n'y avait pas de décision politique. En effet, des moyens ont été trouvés pour d'autres projets et, paradoxalement, il n'y en aurait tout à coup pas pour celui-ci ?! Cela n'est pas acceptable.
On a vu aujourd'hui le sort réservé à la consultation; si nous n'étions pas forcément favorables au projet tel que présenté, nous estimons en revanche que nous aurions dû pouvoir débattre du principe de consultation. On a vu le sort réservé aux instances consultatives, donc qu'on ne vienne pas nous dire maintenant que les choix opérés dans la mise en oeuvre de la constitution ne sont pas politiques ! C'est pourquoi notre groupe refusera ce rapport du Conseil d'Etat.
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Patrick Dimier.
M. Patrick Dimier. C'est une erreur, Monsieur le président.
Le président. D'accord, alors je la cède au président du Conseil d'Etat, M. François Longchamp... (Protestations.) Excusez-moi ! Monsieur le rapporteur de majorité, c'est à vous.
M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Très brièvement, j'aimerais apporter une précision sur deux points par rapport à ce qui a été indiqué par Murat Alder. S'agissant tout d'abord de l'article 226 et de la distinction entre les programmes, cet article ne mentionne pas que le rapport doit être technique, c'est un choix du Conseil d'Etat de faire un rapport entre guillemets «technique» mais, en réalité, il ne l'est pas puisqu'il comporte un certain nombre de lacunes ou de silences qualifiés - peu importe, cela signifie que le Conseil d'Etat a fait des choix.
Concernant ensuite l'article 42 sur le processus d'évaluation des droits fondamentaux, on nous sort chaque fois une nouvelle idée ! Aujourd'hui, Murat Alder nous dit: «C'est déjà fait !» Mais même si c'est déjà fait par une instance onusienne, ce n'était évidemment pas la volonté du constituant d'instaurer une norme spécifique pour quelque chose qui est déjà fait, il ne faut pas se payer de mots ! Après, le président du Conseil d'Etat nous a dit que cela pouvait être fait par la commission des Droits de l'Homme mais il n'y a eu aucun projet sérieux, aucune discussion à cet égard. Les mécanismes d'évaluation de l'Organisation des Nations Unies fonctionnent très bien, des concluding observations sont rendues par pays; or ce que le constituant a voulu, avec ce mécanisme, c'est quelque chose de focusé - vous excuserez mon mauvais français, je fais pour l'occasion entorse à l'article 5 ! - sur le canton de Genève et pas quelque chose de général à l'échelle suisse. En conclusion, je vous invite, Mesdames et Messieurs, à renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat: c'est la seule façon dont on peut le refuser.
M. Murat Julian Alder (PLR), rapporteur de minorité. Brièvement, Monsieur le président, lorsqu'à la table des rapporteurs vous faites asseoir deux anciens constituants, vous ne pouvez pas les empêcher de se lancer dans un débat d'interprétation des textes, c'est ce qu'ils aiment et ils l'assument pleinement ! Pour ma part, j'aimerais simplement lire l'article 226 de la constitution:
«Art. 226 Législation d'application
1 Les modifications législatives requises par la présente constitution sont adoptées sans retard, mais au plus tard dans un délai de 5 ans dès son entrée en vigueur.
2 A cette fin, le Conseil d'Etat soumet au Grand Conseil un programme législatif avant le 1er janvier 2014.»
Autrement dit, afin que les modifications soient adoptées sans retard mais au plus tard dans le délai fixé, le Conseil d'Etat dépose un programme devant le Grand Conseil. On aurait pu utiliser le mot calendrier ou encore celui de plan horaire, cela n'aurait strictement rien changé: le sens même du libellé de l'article 226, c'est bien de ne pas demander un programme de nature politique mais un échéancier, de demander que le Conseil d'Etat nous indique comment il entend préparer les modifications législatives et, en ce sens-là, le rapport divers 1032 remplit parfaitement les conditions qui lui ont été posées.
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, jamais le Conseil d'Etat ne pourra réconcilier les constituants sur l'interprétation de leur travail et jamais il ne pourra vous dire l'interprétation de chacun car c'est un peu l'auberge espagnole: chaque personne y trouve ce qu'elle y a amené. Néanmoins, certains articles imposent des choses nouvelles. Le Conseil d'Etat a déposé avec diligence devant ce Grand Conseil tous les projets qui nécessitaient une application immédiate - vous les avez d'ailleurs votés - ainsi que tous ceux qui exigeaient une application accélérée, y compris certains dont on pouvait interroger la réelle urgence; c'est ainsi que vous avez examiné il y a quelques mois un projet de loi sur les fusions de communes alors qu'aucune commune n'a jamais manifesté ne serait-ce que l'amorce de l'envie d'esquisser éventuellement une discussion préparatoire sur l'idée de créer peut-être un jour une commission chargée d'examiner si une fusion de commune était possible, mais nous l'avons fait avec diligence et exactitude et nous avons également déposé un rapport indiquant précisément pour le délai final du 31 mai 2018 les différentes lois qui doivent encore être modifiées. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs été votées entre le dépôt de ce rapport et aujourd'hui, cela a notamment été le cas ce matin du deuxième train - nous en sommes déjà au deuxième train ! - de mesures sur le désenchevêtrement des tâches entre le canton et les communes.
Monsieur le rapporteur de majorité, si nous n'avons pas mis en application le bureau de la médiation administrative, c'est pour une raison toute simple: la commission des finances, à une très large majorité incluant les représentants de votre propre parti, nous a demandé de ne pas le faire dans la mesure où nous n'avions pas les disponibilités budgétaires nécessaires. Il nous est donc impossible de verser aujourd'hui un salaire aux personnes que vous nous demandez d'embaucher et d'engager les dépenses générales pour pouvoir assumer les différents frais liés à cette nouvelle institution, encore moins depuis un vote récent de la commission des finances nous empêchant même les reports de crédits sur les dépenses générales. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat s'est engagé à déposer un nouveau projet de loi, qui est à l'ordre du jour de l'une de ses séances hebdomadaires - pas celle de la semaine prochaine mais celle de la suivante - et, d'ici quelques semaines, vous aurez le loisir de l'examiner, de le voter ou de l'amender d'ici le 31 mai 2018. Pour le surplus, nous ne pouvions guère faire plus que ce que la constitution nous demande de faire, c'est-à-dire un calendrier des différentes lois et mesures qui devaient être prises, en vous signalant qu'à ce jour, tous les délais ont été tenus par le Conseil d'Etat.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande à présent de voter sur la prise d'acte de ce rapport du Conseil d'Etat RD 1032.
Mise aux voix, cette proposition est rejetée par 48 non contre 41 oui et 3 abstentions.
Le rapport du Conseil d'Etat RD 1032 est donc refusé et renvoyé à son auteur.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission RD 1032-A.