Séance du
vendredi 24 juin 2016 à
14h
1re
législature -
3e
année -
6e
session -
31e
séance
Déclaration sur le Brexit
Déclaration du Conseil d'Etat sur le Brexit
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union européenne, dont il était l'une des puissances politiques essentielles et l'un des membres fondateurs. C'est une décision démocratique, appartenant à un pays qui se trouve à l'origine même de la démocratie, notamment de la démocratie parlementaire, et il ne convient pas de commenter cette décision, sauf pour faire le point sur les conséquences que ce vote aura pour Genève et notre pays.
Il y a d'abord des conséquences économiques immédiates qui s'observent, certaines depuis ce matin, notamment l'affermissement du franc suisse, devenu encore plus une valeur refuge qu'il ne l'était jusqu'ici, ce qui a les conséquences que vous connaissez, non seulement sur le commerce local, mais aussi sur nos entreprises d'exportation. La chute de la livre a aussi des conséquences régionales très importantes, dans la mesure où, pour la région lémanique, qu'on parle du canton de Vaud, du Valais, de Genève ou de la France, le tourisme britannique est la principale source de recettes touristiques. A la fois l'affermissement du franc suisse et la chute de la livre risquent donc évidemment d'avoir sur nos cantons et départements voisins certaines conséquences. Enfin, la chute des bourses observée aujourd'hui a des suites qui nous amèneront peut-être à relativiser les discussions que vous avez tenues hier sur la situation de la CPEG, puisque ce qui se passe à l'heure où je vous parle dans les bourses internationales aura des conséquences très directes sur l'équilibre financier de toutes les caisses de retraite, et donc de la CPEG. Il est cependant beaucoup trop tôt pour céder à la panique sur ces différents éléments, car on ne sait pas comment les marchés et les cours des monnaies vont se stabiliser et si les impacts boursiers vont se confirmer ou non sur la durée. Il faut néanmoins avoir à l'esprit que ce qui s'est passé ce matin sur les marchés des changes et boursiers a des conséquences qui, aujourd'hui, sont dommageables.
Les répercussions politiques suisses sont, elles, très immédiates, très concrètes et très durables. Le 9 février 2014, le peuple suisse a voté - un peu dans les mêmes conditions que le peuple du Royaume-Uni hier d'ailleurs - une initiative qui donne un délai de trois ans, soit jusqu'au 9 février 2017, pour que la Confédération et les cantons réinstaurent les contingents en matière de main-d'oeuvre étrangère et d'immigration. S'agissant de la stratégie du Conseil fédéral, qui a été poursuivie depuis le vote de cette initiative, le canton de Genève y a été étroitement associé, puisque à l'invitation du Conseil fédéral, je me suis rendu tous les mois à une séance d'information avec trois de ses membres, qui ont tenu à renseigner les différents cantons, notamment ceux qui étaient les plus touchés par les effets de l'initiative du 9 février. Cette stratégie du Conseil fédéral se basait sur l'hypothèse que le vote du Royaume-Uni serait favorable à son maintien dans l'Union européenne et consistait donc, dans la foulée immédiate de ce vote, à partir d'aujourd'hui jusqu'au 21 juillet - période durant laquelle l'Union européenne prend ses vacances horlogères, c'est-à-dire suspend les activités de son administration... Le Conseil fédéral avait des éléments concrets, nous disait-il - même si nous doutions un peu de son optimisme - qui indiquaient qu'un accord était possible entre l'Union européenne, ses vingt-huit Etats membres et la Suisse pour imaginer une solution pour la Suisse basée sur le modèle de l'accord qui aurait été passé avec le Royaume-Uni pour son maintien dans l'Union européenne.
Cette stratégie optimiste du Conseil fédéral, que les cantons, malgré quelques doutes, ont soutenue - car il était dans l'intérêt politique général du pays d'y croire - est aujourd'hui totalement réduite à néant. Il n'y a aucune espèce d'espoir que le calendrier européen, après le choc qui vient de se produire, soit centré sur le destin de la Suisse. En effet, même si la Suisse est un pays important, elle n'est pas membre de l'Union européenne. Or aujourd'hui, l'un des pays fondateurs de l'Union européenne vient de décider démocratiquement de la quitter, le premier ministre a démissionné dans la foulée et l'Espagne est à la veille d'élections qui risquent de prolonger l'incertitude politique que vit ce pays depuis six mois. Ce sont donc deux pays importants de l'Union européenne qui se trouvent aujourd'hui dans des situations d'incertitude et cela constitue évidemment les principaux soucis de l'Union européenne, qui passent bien avant l'amour que l'Union européenne porte à notre pays, qui, bien qu'immodéré, n'est tout de même pas celui porté à un membre du club !
La deuxième des certitudes que nous avons aujourd'hui, c'est qu'il n'y aura aucun accord politique possible avec l'Union européenne avant le 9 février 2017. Il n'y en aura pas cet été et il n'y aura de toute façon pas le temps de pouvoir négocier un accord et obtenir l'imprimatur respectivement du Parlement fédéral et du peuple suisse. Chacun aura bien compris que, sachant que nous sommes aujourd'hui le 24 juin 2016, il n'y a aucune espèce d'espoir que tout ce processus parlementaire et tout ce processus démocratique se déploient et prennent fin en février 2017, ce d'autant que l'Union européenne, je le rappelle, a refusé d'ouvrir des négociations sur les bilatérales; elle considère que ce dossier est un dossier stable sur le plan politique. Seule la Suisse est demandeuse d'une ouverture de négociations. Or, dans ces circonstances, la Suisse ne tient pas le couteau par le manche dans ces négociations. C'est l'évidence même et chacun s'en est aperçu.
Ensuite, les accords bilatéraux négociés avec la Suisse devront, quoi qu'il arrive, être renégociés avec l'Union européenne, mais nous devrons désormais discuter de nouveaux accords bilatéraux avec le Royaume-Uni, notre quatrième partenaire commercial, puisque les accords économiques qui nous lient avec ce pays sont des «accords parapluie» de l'Union européenne qui s'appliquent aux vingt-huit pays membres, dont le Royaume-Uni. Or, à partir du moment où celui-ci sort de l'Union européenne, il faut entrer dans une négociation bilatérale non seulement avec l'Union européenne et les pays qui la constituent et qui sont au nombre de vingt-sept désormais, mais également avec le pays qui a décidé d'en sortir; et ce pays n'est pas un pays anodin, c'est le Royaume-Uni, le quatrième partenaire économique de Genève après la France, Hong Kong et les Etats-Unis, mais avant l'Allemagne, l'Italie et d'autres pays limitrophes européens. Le Royaume-Uni est donc un partenaire essentiel et d'autant plus essentiel que, pour un des points qui fait la force du canton de Genève, sa place financière, il est un partenaire certes, mais aussi, n'ayons pas peur des mots, un concurrent. Nous pourrions évidemment nous réjouir des malheurs de ce concurrent, considérant que le Royaume-Uni n'a plus grand-chose d'uni. En effet, vous aurez vu ce matin, d'une part, que le vote marque aussi une très grande désunion à l'intérieur du pays, entre les régions qui sont productrices sur le plan économique et d'autres qui sont plutôt à la traîne. D'autre part, certaines parties du Royaume-Uni ayant pris la décision de voter pour un maintien dans l'Union européenne, prenant ainsi leurs distances avec le reste du royaume - je pense notamment à l'Ecosse - elles ont décidé aujourd'hui de se poser la question de savoir s'il fallait rester dans le Royaume-Uni et sortir de l'Europe ou quitter le Royaume-Uni pour rester dans l'Europe. Ce pays connaîtra donc de très grandes incertitudes. Le royaume reste un royaume, c'est certain, une très agréable et très charmante arrière-grand-mère nonagénaire continuera à assurer le destin de la monarchie britannique, mais évidemment la situation du pays restera durablement instable.
Alors, Mesdames et Messieurs, que faire dans ces circonstances et face à ce constat ? On peut évidemment gloser sur la politique internationale et avoir chacun les avis les plus divers. Le Conseil d'Etat, ici, par ma voix, vous invite à essayer de vous concentrer sur ce qui dépend de nous et sur ce qui constitue des solutions possibles aux différents événements et dommages collatéraux que je viens d'évoquer, survenus suite à une décision qui ne nous appartient pas, qui n'a pas été prise sur notre sol, mais qui a des conséquences très concrètes pour nos populations et notre pays.
C'est ainsi que le canton de Genève continue à demander, avec un certain succès, que nous réglions le problème de nos accords avec la Croatie, un pays de l'Union européenne auquel les accords bilatéraux n'ont pas été étendus. Cela a des conséquences qui, sur le plan pratique, sont assez modestes, vous en conviendrez - aucun d'entre nous ne serait vraiment capable de déterminer quelle est l'immigration de masse possible venant de Croatie, ni à quoi ressemble un Croate et en quoi ils nous sont concurrents - mais qui pourtant sont très concrètes pour ce qui est de notre université, de notre formation et de notre système de recherche, puisque, comme vous le savez, du règlement du dossier croate dépend l'avenir de nos accords en matière de recherche, notamment le programme Horizon 2020.
Une décision, qui a reçu l'aval du Conseil d'Etat et de l'ensemble des cantons suisses, a été prise ce matin au cours d'une séance extraordinaire de la Conférence des gouvernements cantonaux, en vertu de l'article 55 de la Constitution fédérale selon lequel les cantons doivent prendre part aux négociations menées par le Conseil fédéral sur les sujets qui les concernent en matière de politique européenne. Dans la mesure où, pour les raisons que je vous ai indiquées tout à l'heure, le Conseil fédéral se trouve aujourd'hui dans une impasse par rapport à sa stratégie, nous avons fait la proposition d'une clause de sauvegarde dite «bottom-up», dont l'élaboration a été confiée à un éminent professeur, le professeur Ambühl. Celui-ci, depuis plusieurs mois, en étroite collaboration avec différents organes de la conférence des cantons et des gouvernements cantonaux, a proposé et continue de proposer une clause de sauvegarde qui est fédéraliste, car elle préserve les intérêts et la diversité des cantons, et qui préserve aussi la diversité politique exprimée le 9 février. Je vous rappelle que le canton de Genève et, de manière générale, l'ensemble des cantons lémaniques mais aussi des cantons contributeurs à la péréquation financière - Zurich, Bâle, Zoug - s'étaient très massivement opposés à l'initiative du 9 février. A l'inverse, d'autres cantons avaient radicalement changé de position par rapport au vote précédent sur les bilatérales. Ces différents éléments amènent la nécessité d'une approche fédéraliste et compatible avec l'accord sur la libre circulation des personnes, c'est-à-dire un accord qui a priori ne supposerait pas la réouverture de négociations propres avec l'Union européenne, tout en remplissant les conditions fixées par le peuple le 9 février 2014.
Il s'agit d'une solution qui, grossièrement résumée, indique qu'en cas, d'une part, de migration nette supérieure dans l'ensemble du pays à celle qu'on observe sur l'ensemble des autres pays européens, et, d'autre part, en cas d'apparition de difficultés particulières dans des branches économiques, respectivement dans des régions spécifiques, il y aurait une possibilité d'activer une clause de sauvegarde qui serait, à teneur des études réalisées jusqu'ici, compatible avec l'actuel accord de libre circulation des personnes sans qu'il soit nécessaire de le revisiter. Cette décision prise ce matin par la conférence des cantons l'a été bien évidemment avec l'accord du canton de Genève. L'ensemble des cantons, à l'unanimité, a décidé de soutenir cette voie et de demander désormais au Conseil fédéral de s'impliquer dans cette affaire.
Un dernier élément important à évoquer, car il ne dépend cette fois que de Genève, est la question des incertitudes. Les incertitudes sont aujourd'hui dommageables à notre avenir économique, à notre place financière, à nos emplois et à notre prospérité. Il existe un moyen de régler certains problèmes qui ne dépendent ni de l'Europe, ni de l'Ecosse, ni du Royaume-Uni, ni de l'Espagne, ni de qui que ce soit d'autre, ils ne dépendent que de nous: il s'agit de la réforme des entreprises, qui est attendue par celles-ci. Elles sont aujourd'hui soumises à toutes ces incertitudes qui n'ont fait que s'accroître depuis cette nuit et ont besoin de réponses claires de la part des autorités suisses. Ces réponses ont été données au niveau fédéral, même si un référendum fédéral, sur lequel le peuple aura donc le dernier mot, est aujourd'hui en cours. Mais il y a aussi un rendez-vous que le Conseil d'Etat vous donne, à savoir le 30 août à 10h, date et heure auxquelles le Conseil d'Etat présentera les conclusions de ses réflexions liées notamment à la table ronde présidée par M. Dal Busco et à laquelle MM. Pierre Maudet et Antonio Hodgers participent avec les différents partis politiques réunis dans cette enceinte ainsi qu'avec des partenaires sociaux, pour que nous puissions vous proposer une solution et vous demander de vous en saisir rapidement dès la rentrée, afin de pouvoir lever le plus rapidement possible ces incertitudes.
Mesdames et Messieurs, le destin des peuples leur appartient, que l'on soit pour ou contre l'Europe, que l'on soit un Européen convaincu ou que l'on pense que l'Europe est responsable du déclin des mines de charbon dans le nord de l'Angleterre - alors même qu'il faudrait être éminemment créatif pour voir un lien entre cette première politique et la deuxième. Le destin des peuples leur appartient. Le destin de la Suisse et le destin de Genève sont liés à notre capacité d'assurer l'avenir de notre système de formation en signant et en acceptant d'étendre à la Croatie les effets de l'accord sur la libre circulation des personnes, en imaginant une clause de sauvegarde compatible avec cet accord qui permette une approche fédéraliste et qui respecte la volonté du peuple exprimée le 9 février 2014. Le destin de la Suisse et de Genève est également lié à notre capacité d'offrir un environnement fiscal et économique stable aux entreprises genevoises et suisses qui font notre prospérité. C'est ce à quoi le gouvernement, par ma voix mais dans son ensemble, vous invite désormais.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat.