Séance du
vendredi 3 juin 2016 à
18h
1re
législature -
3e
année -
5e
session -
25e
séance
M 2194-B
Débat
Le président. Nous traitons la M 2194-B, en catégorie III. Monsieur Romain, souhaitez-vous prendre la parole ? (Remarque.) Très bien. Je passe la parole à Mme la députée Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le rapport du Conseil d'Etat sur cette motion est limpide. Réduire la formation des enseignants de quatre à trois ans représenterait non seulement un non-sens financier étant donné que cela n'engendrerait aucune économie pour l'université, mais entraînerait un coup supplémentaire pour le DIP qui devrait assurer davantage de formations continues; ce serait aussi et surtout une détérioration grave de la qualité de la formation des enseignants, et par corollaire, une détérioration de la qualité de l'enseignement dispensé dans les écoles de notre canton. En effet, réduire le temps de formation de quatre à trois ans... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...impliquerait une restriction dans la formation didactique et en ce sens, théorique. Or, il ne suffit pas, comme on a pu l'entendre lors des débats de commission sur cette motion, d'avoir le feu sacré, ni d'avoir la possibilité d'apprendre cette profession sur le tas. Non, Mesdames et Messieurs les députés, les maîtres doivent pouvoir fonder leurs enseignements sur des bases théoriques solides acquises durant leur formation.
De plus, la réduction du temps de formation des enseignants provoquerait des restrictions dans la formation, en particulier pour les compétences transversales, dont notamment l'intégration scolaire et le soutien aux élèves en difficulté. L'école évolue et les caractéristiques des élèves également: on compte un nombre plus important d'élèves allophones ou rencontrant certaines difficultés sociales engendrant des difficultés scolaires. La formation des enseignants doit tenir compte de ces évolutions afin d'armer les futurs maîtres pour faire face à ces situations nouvelles. Renier ces cours - ce qui serait absolument inévitable avec une formation en trois ans - revient à se diriger vers une école élitiste, qui renie son rôle intégratif et qui refuse d'assurer l'égalité des chances. Une formation des enseignants en trois ans, c'est également une formation moindre pour l'école inclusive. Pour qu'une école inclusive réussisse, il faut former les enseignants pour qu'ils acquièrent ces nouvelles compétences et assument leurs nouvelles fonctions intégratives. Enfin, une formation en trois ans signifie aussi moins de polyvalence pour les maîtres, puisqu'ils ne pourront plus enseigner de la première à la huitième primaire, mais uniquement se spécialiser sur l'un des deux cycles, ce qui impliquerait la nécessité de suivre par la suite des formations continues. Tout cela, les autres pays qui nous entourent en Europe l'ont bien compris, puisqu'on constate une nette tendance à la prolongation des études des enseignants du primaire.
Par ailleurs, une majorité de députés voulait plus de pratique dans ce cursus de formation, mais également des compétences accrues en matière linguistique; cela n'est pas demandé directement dans cette motion, mais cela a fait l'objet de très longues discussions en commission et en plénière, lors du traitement de cet objet. Le parti socialiste reconnaît que ces deux points constituent une faiblesse dans la formation des enseignants. Cependant, on ne réglera pas ces problèmes et ces points faibles en réduisant le temps de formation, bien au contraire; de plus, le rapport du Conseil d'Etat répond à ces préoccupations et accède aux demandes de la majorité de ce Grand Conseil...
Le président. Il vous reste trente secondes.
Mme Caroline Marti. ...puisqu'il demande plus de pratique et des exigences linguistiques renforcées dans la réforme de la formation des enseignants. Mesdames et Messieurs les députés, s'entêter à défendre une formation en trois ans, après les différents arguments détaillés dans le rapport, relève de l'acharnement idéologique en dépit de toute logique, de toute rationalité et de tout bon sens. Je vous remercie, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la formation des enseignants du primaire est une question qui a déjà été largement débattue dans ce parlement, je serai donc assez bref. Je remercie le Conseil d'Etat pour sa réponse claire et limpide. Actuellement, à Genève, les maîtres du primaire sont formés en quatre ans - baccalauréat et certificat - pour enseigner, il faut le mentionner, de la première à la huitième primaire: huit degrés, des élèves de quatre à douze ans, ce qui est quand même assez complexe. L'enseignement spécialisé requiert le niveau de la maîtrise, soit cinq ans. Pour le secondaire, il s'agit de six ans, voire six ans et demi. C'est une progression assez logique: quatre ans, cinq ans et six ans et demi. On l'a déjà dit ici, il y a quelque chose de particulièrement aberrant à vouloir demander toujours plus à l'école, à vouloir augmenter la qualité de la formation des élèves, et en même temps, à réclamer que les maîtres aient une formation moindre. Je suis désolé, mais c'est complètement illogique et indéfendable. La scolarité obligatoire dure de quatre à quinze ans, nous avons des maîtres qui sont formés pour cela, et bien formés. Certes, toutes les formations sont perfectibles, et on a toujours raison de demander que le département les améliore. Mais cette réponse du Conseil d'Etat prévoit cela, le département a déjà pris des mesures pour améliorer cette formation. On peut toujours estimer que la théorie, l'articulation entre théorie et pratique n'est pas idéale, etc.: or, j'estime que par définition, une formation n'est jamais parfaite. Nous devons donc travailler à l'améliorer, mais cette réponse du Conseil d'Etat nous convient parfaitement. Il n'y a aucune raison de diminuer la durée de la formation. Si on veut une formation de qualité pour les élèves, Mesdames et Messieurs les députés, ne réduisons pas la formation de nos enseignants. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Thomas Bläsi (UDC). Chers collègues, à ce stade du travail en commission, le groupe UDC ne se contentera pas de la réponse fournie actuellement par le département. Le rapport de la Cour des comptes sur l'IUFE, qui critiquait en particulier la formation pour le secondaire, n'épargne pas non plus le primaire. Je dois dire que mon groupe est assez heureux que le parti socialiste reconnaisse quelques faiblesses au système, dès lors que ce rapport est probablement le pire rapport produit par la Cour des comptes. Nous pensons donc que tout cela n'est absolument pas mûr et nous demandons le renvoi en commission.
M. Jean Romain (PLR). Chers collègues, la réponse du DIP reprend, à l'exception d'un seul, tous les arguments déjà réfutés en commission. C'est comme si on vous disait: nous avions raison, vous n'avez pas bien compris, donc nous allons répéter. Il est inutile de répéter, nous avons bien compris, nous avons compris les particularités cantonales, les immenses difficultés de la population genevoise par rapport aux autres cantons, la polyvalence des maîtres, etc., etc. Il reste pourtant une question: pourquoi les autres cantons peuvent-ils faire mieux en trois ans ce que nous faisons en quatre ? C'est la seule question qui me semble fondamentale.
L'argument que nous n'avions pas entendu, le seul, est celui du coût. Le département, grâce à une gymnastique mathématique, nous affirme que trois ans sont, chez nous, plus chers que quatre ans. J'ai dû lire plusieurs fois le passage, digne de l'acrobatie intellectuelle la plus extravagante. Le raisonnement veut qu'étudiants ou pas, les cours à la FAPSE sont donnés de toute façon et qu'il faut les payer. Alors à Genève, les choses se déroulent de la manière suivante: lorsque vous passez d'une formation de trois ans à quatre ans, cela coûte plus cher. Ce qui est logique ! Ensuite, lorsque vous voulez revenir d'une formation de quatre ans à trois ans, cela coûte encore plus cher. (Rires.) Dans ce jeu de tic-tac, Genève n'a pas intérêt à continuer trop longtemps, vous le comprendrez tous, parce que le jour où quelqu'un voudra supprimer deux années d'un coup, ce sera hors de prix ! Le PLR ne prend pas acte de cette réponse alambiquée. De plus, il est déçu que le DIP ne veuille pas suivre la commission de l'enseignement supérieur. Le PLR ne pourra pas en rester là sur ce dossier, par conséquent, il fera un pas de plus vers l'enseignement en trois ans pour les enseignants du primaire. (Quelques applaudissements.)
M. Guy Mettan (PDC). M. Romain a mis le doigt sur le problème qui nous intéresse, à savoir: quelle devrait être la durée d'une formation pour des maîtres ? La création de l'IUFE a été soutenue par le parti démocrate-chrétien, il y a cinq ou six ans; notre parti était entré en matière - j'étais membre de la commission de l'enseignement supérieur à cette époque - parce que nous avions cru ce que l'université et le DIP nous avaient dit, de bonne foi sans doute. Malheureusement, les faits ont montré que cet institut ne fonctionne pas, que les enseignants qui suivaient ces cours étaient profondément insatisfaits - nous les avons reçus à plusieurs reprises. Le rapport de la Cour des comptes le confirme, etc. Je crois que le diagnostic a été fait, il a été reconnu également par le DIP. Dans la réponse que celui-ci nous a envoyée au sujet de cette motion, des progrès ont été constatés, notamment grâce à l'introduction de stages et d'une sorte de raccourcissement, un peu abstrait quand même, du temps de formation. Par conséquent, ce constat d'échec a eu quelques progrès pour conséquence. Mais la réponse qui nous est donnée aujourd'hui ne nous satisfait toujours pas. Pourquoi ? Parce que je pense qu'il est important qu'on revienne à un cursus de formation de trois ans pour les maîtres du primaire, pour des raisons qu'on a déjà évoquées ici.
J'aimerais en rappeler une qu'on laisse trop souvent tomber, à mon avis: dans la formation des apprentis, dans la formation des enseignants - c'est pour cela que je m'intéresse à la formation du primaire - dans le cursus de formation en général, qui va du primaire au postobligatoire, et qui va des apprentis, avec le système qu'on met en place, aux universitaires, on assiste à une espèce d'académisation forcenée. De ce fait, l'ensemble de notre système fabrique des gens surdiplômés pour des postes qui n'existent pas dans l'économie, qui ne sont pas offerts par les entreprises. On est donc en train de fabriquer des chômeurs, et ceci à tous les niveaux de formation: à l'université, où des personnes accumulent des formations, des masters, des bachelors, etc., restent jusqu'à trente ans à étudier et ne trouvent pas de travail; ou au niveau des apprentis qui ont vu leur formation académisée pour ensuite soit la rater, soit se faire exclure du système. On est en train de fabriquer des jeunes chômeurs, car ces formations excluent plutôt que d'intégrer. Quelle en est la cause ? C'est que dans cette course à l'académisation, tous ceux qui décident des critères de formation, par exemple dans le domaine des ressources humaines, sont eux-mêmes passés par l'université et surestiment les critères académiques au détriment des critères pratiques. Or, je m'excuse, mais pour de nombreuses tâches, comme servir dans un restaurant ou balayer nos rues, on n'a pas besoin d'un niveau de bachelor; maintenant, c'est à peu près ce qu'on demande aux apprentis. Ça commence par quoi ? Par la formation des maîtres...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Guy Mettan. ...et c'est pourquoi je pense que pour l'école primaire, on n'a pas besoin d'un master, d'une formation quasiment de cinq ans - en l'occurrence quatre - mais que trois ans suffisent amplement. C'est la raison pour laquelle nous serions disposés à renvoyer cet objet au Conseil d'Etat, afin de remettre l'ouvrage sur le métier, jusqu'à ce que le message passe.
Le président. Merci, Monsieur le député. S'agit-il d'une demande formelle de votre part de renvoi au Conseil d'Etat ?
M. Guy Mettan. Oui.
Le président. Très bien, merci. Je passe la parole à M. le député Jean-François Girardet.
M. Jean-François Girardet (MCG). Merci, Monsieur le président. Le MCG n'est, bien sûr, pas satisfait par la réponse du département. Pour ma part, trois ans de formation me paraissent amplement suffisants pour former un enseignant. Un bon maître le devient au cours de ses années d'expérience. Mieux vaut donc un enseignant formé en partie peut-être à l'université, mais surtout sur le terrain, pour qu'il puisse se perfectionner par la suite et ainsi obtenir soit des certificats complémentaires, soit une licence, après avoir obtenu en trois ans un bachelor. Par conséquent, nous serions favorables à un examen de ce rapport en commission, comme il a été proposé par l'UDC; je ne vois pas ce que peut amener de plus dans la réflexion un renvoi au Conseil d'Etat, alors que nous aurions aimé faire un pas supplémentaire dans la direction demandée par cette motion. Nous soutiendrons en tout cas le renvoi au Conseil d'Etat pour ce faire. Nous nous passerons de l'étude de la motion à la commission de l'enseignement supérieur, pour autant que l'objet soit renvoyé au Conseil d'Etat. Par la suite, nous préparerons certainement un projet de loi pour aller vers ces trois ans de formation. En outre, des formations complémentaires viendraient dans un second temps rendre plus performants encore des enseignants qui ne seraient pas moins bien formés à Genève, Vaud ou Fribourg, en comparaison de la situation actuelle des étudiants sortant de l'IUFE après quatre ans de formation. Je vous remercie.
M. Jean-Michel Bugnion (Ve). Nous sommes tous d'accord pour dire que l'IUFE présente de graves dysfonctionnements, cela a été constaté. Toutefois, cela a été constaté essentiellement dans son secteur secondaire de formation des maîtres, et non pas primaire: ce secteur-ci n'allait plutôt pas mal, on peut le dire, il fonctionnait en tout cas à satisfaction de ses usagers. Cette motion est en train de dégoupiller une grenade qui risque de faire pas mal de dégâts. Le premier que je vois est l'obligation de recommencer entièrement le processus d'accréditation par la CDIP. Si vous voulez modifier la formation primaire pour qu'elle soit réduite de quatre à trois ans, il faut complètement la réorganiser, donc redemander l'accréditation auprès de la CDIP. Ce seront des années de travail avant de pouvoir y arriver.
Deuxièmement, cette motion est une grenade aussi parce qu'elle touche les intérêts des enseignants. L'enseignant en primaire, comme ceux du secondaire I et du secondaire II, bénéficie, à Genève, d'une forme de privilège, on peut le dire: celui de la mobilité. Dans le secondaire, il est possible aussi bien d'enseigner au cycle d'orientation qu'au collège ou à l'ECG; dans le primaire, on peut aussi bien enseigner dans le cycle élémentaire que dans le cycle moyen. La formation actuelle sur quatre ans permet cette mobilité.
Enfin, c'est une grenade quant aux besoins des élèves. Deux points: d'abord, vous savez que maintenant l'allemand et l'anglais sont enseignés à l'école primaire. Vous vous rendez compte de ce que cela présuppose, dans la formation des maîtres du primaire - qui sont des généralistes - pour qu'ils l'enseignent correctement. Deuxième point, vous avez vu qu'à Genève, on prend en compte ce qu'on appelle les besoins spécifiques. Il y a de plus en plus d'élèves dyslexiques, dyspraxiques, etc. C'est toute une formation qu'il faut donner au maître pour qu'il les prenne correctement en charge; sans parler de l'école inclusive. Je pense que cette motion est dangereuse, particulièrement à l'heure actuelle, et le groupe des Verts n'y donnera pas suite.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Marie-Thérèse Engelberts pour une minute et trente secondes.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Merci, Monsieur le président. Je suis très déçue qu'à Genève, on soit sans arrêt en train d'essayer de diminuer le temps de formation. On l'a déjà fait pour les infirmières, très bien. Vous savez que la moyenne de durée dans la profession n'augmente pas forcément, et je pense que c'est un très mauvais calcul. Finalement, on ne donne aux jeunes que ce qui leur est directement utile. Or, dans une vie professionnelle et dans une carrière, on a besoin de voir un petit peu plus loin que ce qu'il y a dans sa classe. Je citerai Piaget, puisqu'il doit quand même se retourner dans sa tombe - ses mots ont été réinscrits dans le rapport: «Les ressources investies devraient être inversement proportionnelles à l'âge des élèves: "Plus l'écolier est jeune et plus l'enseignement est difficile ainsi que gros de conséquences pour l'avenir."» Je crois que c'est toujours d'actualité. En outre, avec l'école inclusive, nous avons la prétention de vouloir - et c'est vraiment juste - travailler sur de nouvelles compétences. De nouvelles compétences représentent du temps de formation. C'est très important ! On ne peut pas apprendre ça simplement...
Le président. Il vous reste trente secondes.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. ...sur le tas, de cette manière-là. D'autre part, M. Bugnion a parlé de la reconnaissance par la CDIP. Si nous mettons en place une nouvelle formation, cela prendra à nouveau cinq à six ans pour qu'elle soit reconnue, alors que l'actuelle ne nous coûte pas et qu'il y a une faculté de psychologie et de pédagogie qui a fait ses preuves et dont il est bien dommage de ne pas profiter.
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. François Baertschi pour une minute.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. On traite de l'IUFE, qui est un problème central actuellement, en raison de l'afflux scandaleux d'enseignants frontaliers...
Des voix. Rooh !
M. François Baertschi. ...dans les divers secteurs de l'enseignement, en particulier, les 10% de permis G qui travaillent au cycle d'orientation. C'est proprement scandaleux. On a des «automaticités» de reconnaissance de diplômes, avec des gens qui ont des diplômes français, des CAPES, qui viennent directement enseigner à Genève, alors que nous n'avons pas l'équivalence du côté français, nous, avec nos pauvres petits diplômes suisses. Nous nous trouvons dans une situation de scandale gigantesque où on favorise l'emploi frontalier, alors qu'il y a de nombreux jeunes qui seraient tout à fait compétents pour assumer ces postes d'enseignement potentiels...
Le président. Il vous reste quinze secondes.
M. François Baertschi. Monsieur le président, permettez-moi d'exprimer ce dépit, parce que je crois qu'on est dans un point central, on est en train de détruire l'école genevoise, on détruit notre culture genevoise et c'est un SOS que je lance. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Thomas Bläsi pour une minute et vingt secondes.
M. Thomas Bläsi (UDC). Merci, Monsieur le président. C'est pour une petite précision, je n'aurai pas besoin d'autant de temps. J'aimerais juste dire à mon collègue M. Bugnion - vous lui transmettrez, Monsieur le président - que le secondaire est touché de manière catastrophique selon le rapport de la Cour des comptes. Mais si le primaire semble aller mieux, c'est grâce à un effet de creux, car en réalité, il n'est pas du tout épargné par ce rapport. Le groupe UDC - petite correction - demandera donc le renvoi au Conseil d'Etat et non pas en commission, comme je l'avais annoncé. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Jean Romain pour une minute.
M. Jean Romain (PLR). C'est Byzance, Monsieur le président ! Je vous remercie. Je ne peux pas laisser M. Bugnion dire que le rapport de la Cour des comptes a été catastrophique pour l'enseignement secondaire et supérieur mais n'a pas touché le primaire, ce n'est pas vrai du tout. Il y a des problèmes dans tout cet Institut universitaire de formation des enseignants. Nous avons bien entendu, notamment à la commission de contrôle de gestion et à celle de l'enseignement supérieur, que le problème était lié à la gestion bicéphale, qui féconde continuellement un déséquilibre. Concernant la reconnaissance par la CDIP, j'écoute Mme Marie-Thérèse Engelberts pleurnicher à ce sujet et dire que ça prendra quatre ou cinq ans. Mais c'est complètement faux ! C'est complètement faux ! Nous n'avons pas la reconnaissance pour l'enseignement supérieur de l'IUFE, et fort de cela, on pourrait finalement faire quelque chose qui soit acceptable pour les professeurs, pour les politiques et pour les étudiants. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Cela dit, je réitère ce que j'ai dit auparavant, la réponse ne nous satisfait pas et nous irons plus loin.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Caroline Marti pour dix secondes.
Mme Caroline Marti (S). Merci, Monsieur le président. C'était simplement pour vous dire que tout est bien explicité dans ce rapport, mais nous vous proposons le renvoi en commission, pour que la magistrate puisse venir nous apporter des compléments d'informations sur les différents points détaillés dans le texte. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. J'en ai pris acte. Je passe la parole à Mme Anne Emery-Torracinta.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais d'abord remercier les motionnaires. En effet, si l'IUFE, pour la formation secondaire, a suscité les titres de la presse, a provoqué la colère des uns et des autres - je n'ai jamais reçu autant de lettres que celles à propos de la formation pour le secondaire - je dois dire qu'à peu près personne ne parlait de la formation du primaire, et cette motion a au moins eu l'avantage de nous obliger à nous mettre au travail, après celui qui a été fait en commission. Un groupe de travail au sein du département a permis d'analyser en long, en large et en travers les avantages et les inconvénients de cette formation... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...pour éventuellement pouvoir vous proposer des améliorations. Cela dit, la proposition des motionnaires de revenir à une formation à trois ans est une fausse bonne idée. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi en quelques points.
Premièrement, je crois que tout le monde, aujourd'hui, s'accorde sur la nécessité d'une formation des enseignants de qualité. M. Bugnion a très justement parlé, par exemple, des élèves dyslexiques. La commission de l'enseignement supérieur a reçu il y a quelques jours copie d'un courrier qui m'a été envoyé par des parents dont l'enfant a un haut potentiel. Cette lettre mettait en évidence que les enseignants et les directions d'établissements sont encore peu formés sur ces questions-là. Eh bien nous avons de plus en plus d'élèves dyslexiques, d'élèves qui ont des besoins particuliers, d'élèves à haut potentiel, et nous avons besoin que ces personnes soient formées. L'un des objectifs auxquels j'aimerais tendre est une formation initiale qui donnerait les outils aux enseignants pour faire face à ces difficultés.
En outre, la tendance internationale - je parle des pays développés, des pays de l'OCDE, des pays qui nous entourent - est à l'augmentation du temps de formation des maîtres vers quatre, voire cinq ans pour des enseignants du primaire. La Suisse fait exception - mis à part Genève - et si elle fait encore exception, c'est que la plupart des cantons ont des projets d'allongement de la formation pour le primaire, qu'au vu de leurs difficultés financières actuelles ils ont dû stopper et reporter. Par conséquent, nous naviguerions un peu à contre-courant. C'est quand même dommage par rapport à tout ce que l'on sait en matière de pédagogie.
Nous nous sommes rendu compte qu'avec une formation de trois ans - et nous avons véritablement essayé de faire ce travail au département, j'avais demandé à mes services de préparer un modèle en trois ans afin de voir le résultat - on irait à l'encontre d'un des objectifs des motionnaires, celui d'augmenter la pratique, car les stages diminueraient. C'est un peu absurde. D'autre part, on serait obligé de supprimer une des particularités de la formation genevoise, particularité très intéressante en termes de ressources humaines pour le département, celle qui veut que les enseignants soient formés aussi bien pour le cycle élémentaire - les quatre premières années - que pour le cycle moyen. Que se passe-t-il dans les autres cantons ? Prenons nos voisins vaudois: les enseignants sont formés dans un seul cycle. S'ils veulent enseigner dans l'autre cycle, ils doivent passer par de la formation continue, ce qui, en réalité, ajoute une année. Or, il est intéressant pour le département à Genève de pouvoir déplacer éventuellement certains enseignants en fonction des besoins. Un exemple récent, très concret: le mercredi matin. Votre parlement, la population genevoise, ont décidé d'ajouter une demi-journée d'école au primaire. Nous avons dû engager beaucoup d'enseignants pour la rentrée 2014. Grâce au fait que tous nos nouveaux enseignants ont été formés pour les deux cycles, élémentaire et moyen, on a pu les engager en les obligeant à travailler dans le cycle moyen. Le système offre donc de la souplesse pour les ressources humaines, et ce serait un peu dommage de perdre cet élément-là.
Troisième élément, et non des moindres, qui peut paraître paradoxal - je vous l'expliquerai volontiers en détail en commission: supprimer une année ne coûtera rien en moins, voire quelques centaines de milliers de francs en plus. Pourquoi ? C'est très simple: lors de la première année, donnée actuellement à l'université - l'année sûrement la plus théorique, même s'il y a des stages en accompagnement - sont dispensés des cours de didactique, d'histoire de l'éducation, etc., obligatoires selon les exigences de la CDIP, c'est-à-dire que le canton de Genève ne peut pas décider de ne pas les dispenser; de plus, ces cours sont ouverts non seulement aux étudiants qui suivent la formation d'enseignant primaire, mais aussi à des étudiants inscrits dans d'autres types de formations offertes par la FAPSE, par exemple en psychologie. Par conséquent, ces cours ne nous coûtent rien. Nous avons établi des listes - que je ne pouvais pas faire figurer dans le rapport sur la motion - qui donnent par exemple le détail, pour chaque cours, du nombre d'étudiants actuellement en formation en psychologie, en formation d'enseignement primaire, etc., dans le but d'évaluer l'effet qu'aurait la suppression des cours pour les futurs maîtres du primaire. Nous nous sommes rendu compte que cette première année ne nous coûte en réalité presque rien; je simplifie un peu, mais je vous montrerai volontiers les détails en commission. La petite économie faite sur un ou deux cours serait compensée par l'absence de formation unique - cycle élémentaire et cycle moyen - qui entraînerait la nécessité de proposer des cours spécifiques, soit pour un cycle, soit pour l'autre, cours actuellement suivis par les mêmes groupes d'étudiants. C'est donc une fausse bonne idée.
De surcroît, la formation est aujourd'hui dispensée à l'université; si on devait organiser désormais des formations continues - comme l'a suggéré M. Girardet en disant: «Mais au fond, qu'on les mette à enseigner et ils compléteront par des certificats complémentaires !» - ces certificats-là coûteront au département, car la formation initiale se trouve actuellement dispensée par l'université et est payée par elle; en revanche, ce n'est pas le cas de la formation continue, et la commission de contrôle de gestion le sait bien, nous avons un objet en traitement à ce propos. Cela occasionnerait probablement des coûts supplémentaires - même si cela dépend du nombre de personnes qui suivraient ces formations - et donc n'engendrerait aucune économie. Fausse bonne idée encore. Enfin, il est vrai qu'il faudrait recommencer tout le processus de reconnaissance par la CDIP; de fait, nous perdrions notre reconnaissance.
Face à cette situation, qu'est-ce que le département a choisi de vous proposer ? Il a choisi de vous proposer de maintenir un modèle en quatre ans, mais de l'améliorer pour aller dans le sens des motionnaires. D'une part, il s'agit de prévoir plus de pratique, puisque c'était votre souhait, notamment une pratique mieux ancrée dans les besoins du terrain. Actuellement, les stages sont peut-être trop perlés, on a pu voir cela grâce au travail du groupe d'étude; notre souhait est d'augmenter le nombre d'heures de stage et surtout de les organiser dès la première année, dans la même école. Cela permettra à l'enseignant de se retrouver vraiment ancré dans le travail d'une année dans une école, sans qu'il passe trois mois ici, trois mois là, ou qu'il parte ailleurs. Des stages moins morcelés, donc, et plus proches des besoins du terrain. Deuxièmement, nous allons demander aux enseignants en formation d'assumer des groupes d'études surveillées. Bien entendu, ils seront cadrés et suivis par des formateurs, car nous avons constaté que c'était nécessaire, que c'était un besoin - soit dit en passant, cela permettrait aussi de dégager de sérieuses économies pour l'Etat, car cette prestation coûte au canton près d'un million par année actuellement. Troisièmement, les plus jeunes d'entre vous, qui ont eu de l'allemand à l'école primaire, ont sans doute des souvenirs de leurs enseignants d'allemand - sans parler de l'anglais, introduit seulement récemment. Vous avez souvent dû vous dire: mais mon Dieu, les enseignants primaires n'ont pas un niveau suffisant d'allemand ou d'anglais ! De ce fait, dans le cadre de la formation améliorée, nous demandons des stages linguistiques, qui peuvent avoir lieu soit avant, soit pendant la formation.
Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais que vous fassiez confiance au gouvernement, et j'aimerais pouvoir vous expliquer tout cela en détail. Il y a des éléments que je ne peux pas donner dans une réponse à une motion, notamment les coûts. Par conséquent, je rejoins la demande déjà formulée: je souhaiterais que cet objet soit renvoyé à la commission de l'enseignement supérieur, afin de vous exposer tous les éléments. Vous pourrez ainsi par la suite juger en votre âme et conscience, sur pièces et non sur des a priori, et nous accorder un tout petit peu de confiance. Merci de votre attention. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes saisis de deux demandes de renvoi: l'une à la commission de l'enseignement supérieur, l'autre au Conseil d'Etat. Nous allons d'abord nous prononcer sur la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2194 à la commission de l'enseignement supérieur est adopté par 56 oui contre 17 non et 22 abstentions.