Séance du
jeudi 2 juin 2016 à
20h30
1re
législature -
3e
année -
5e
session -
22e
séance
PL 11874-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous abordons la première urgence parmi celles que vous avez votées tout à l'heure, soit le PL 11874-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et je donne la parole au rapporteur, M. Raymond Wicky... (Un instant s'écoule.) ...qui ne la prend pas, alors elle revient à M. le député Bernhard Riedweg.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi est très technique: il a pour objectif de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature de manière à le rendre conforme à la nouvelle constitution. Il faut savoir que cet organe veille au bon fonctionnement des juridictions et s'assure que les magistrats du pouvoir judiciaire exercent leur charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité. Ainsi, les juges titulaires, assesseurs ou suppléants sont soumis à sa surveillance. La nouvelle constitution a introduit la notion de préavis pour les candidats à la magistrature, et ce système de sélection a fonctionné lors des élections générales des magistrats au printemps 2014.
Composé de sept à neuf membres, le Conseil supérieur de la magistrature introduit la possibilité d'avoir des juges suppléants et prévoit qu'une minorité de ses membres soit issue du pouvoir judiciaire. De cette manière, on conserve le même quorum lors des séances du conseil. Le mandat de certains membres du Conseil supérieur de la magistrature arrive à échéance le 1er septembre 2016 et, pour éviter sa paralysie, il est nécessaire de le prolonger, ce qui fait l'objet du présent projet de loi prévoyant une disposition transitoire. Cela permettra d'assurer que les préavis requis en cas de candidature à une élection judiciaire soient délivrés et les postes vacants repourvus dans un délai raisonnable pour le bon fonctionnement des juridictions concernées. L'Union démocratique du centre vous invite à voter ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
M. François Baertschi (MCG). Une fois de plus, on se trouve face à une justice politisée avec des gens qui ne peuvent siéger comme juges que s'ils sont membres d'un parti, ce qui est tout à fait inacceptable et représente une atteinte aux libertés les plus fondamentales de l'être humain puisqu'on oblige les gens à adhérer à un groupe. Dieu merci, il n'y a pas encore de parti unique... Pas encore ! On parle bien évidemment d'une disposition transitoire, donc il s'agit d'agir intelligemment et de suivre ce texte de loi mais celui-ci pose malgré tout de graves problèmes, notamment celui de l'omnipotence et de l'omniprésence du procureur général, véritable dictateur institutionnel... (Exclamations.) ...qui a de plus en plus de pouvoir...
Le président. Modérez vos propos, Monsieur.
M. François Baertschi. Sauf son respect, je ne vise pas la personne mais l'institution et la façon dont elle est gérée, ce qui n'est pas acceptable en termes institutionnels. J'en resterai là, je ne me permettrai pas de faire des attaques personnelles, contrairement à certains en d'autres occasions ! Je ne vise personne, Monsieur le président, je parle uniquement de principes et, à ce niveau-là, la situation de la justice genevoise n'est pas acceptable. On est dans le déni des droits les plus fondamentaux, qu'on le veuille ou non, et c'est d'ailleurs pour cette raison que nous allons prochainement déposer un texte de loi contre cette injustice fondamentale; nous donnerons ainsi la possibilité à ce parlement et éventuellement au peuple de voter sur ce sujet. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Cyril Mizrahi (S). Chères et chers collègues, un mot à l'attention de mon collègue du MCG - vous transmettrez, Monsieur le président: je pense qu'il ne faut pas se tromper de débat, et j'aurai d'ailleurs la même remarque à faire à l'égard de mon collègue Riedweg. Je vais vous expliquer pourquoi. Tout d'abord, il est incorrect de dire que les juges doivent être affiliés à un parti politique, c'est factuellement faux: certains magistrats ne sont pas membres d'un groupe politique et sont élus tout de même, donc ce n'est pas une obligation.
Ensuite, je suis quelque peu étonné, Mesdames et Messieurs, d'entendre le MCG critiquer ce système, celui-là même qu'il soutient par ailleurs lorsqu'il s'agit des conseils d'administration des régies publiques. Ce système avec une représentation des différents partis - d'ailleurs, il ne figure pas dans la loi mais dans la pratique - vise à garantir un équilibre des sensibilités. Si on admet un équilibre des sensibilités politiques au sein des régies publiques, je ne vois pas pourquoi ça ne pourrait pas être le cas au sein du pouvoir judiciaire. Certes, ce système surprend à l'étranger, mais il faut reconnaître qu'il garantit un certain équilibre et que, dans les faits, les juges sont totalement indépendants des partis et ne suivent aucune instruction à partir du moment où ils sont élus. De ce point de vue là, il n'y a pas de problème.
S'agissant du fait que le procureur général, qui est à la tête du ministère public, est également à celle du pouvoir judiciaire, c'est un autre débat. Encore une fois, on pourrait souhaiter un modèle différent, et c'est d'ailleurs ce que mes collègues du groupe socialiste pluraliste et moi-même avions défendu à la Constituante, à savoir qu'il reviendrait plutôt au président ou à la présidente de la Cour de justice de diriger le pouvoir judiciaire. Ce n'est pas le cas, dont acte - on pourra toujours déposer un projet de loi sur cette question.
Maintenant, je reviens sur les propos de mon collègue Riedweg. En réalité, il faut bien comprendre qu'il y a deux projets séparés; ici, on ne traite en urgence que d'une prolongation de deux ou trois mois - je ne me souviens plus de la durée exacte - du mandat des personnes actuellement élues. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas renouveler les mandats du Conseil supérieur de la magistrature une deuxième fois sans violer les règles de la nouvelle constitution, c'est ce qu'elle stipule dans une disposition transitoire. Finalement, on est obligé de prolonger un tout petit peu ce mandat parce qu'on nous livre ce projet de loi trop tard, il faut dire les choses telles qu'elles sont. On peut le regretter, mais il ne faut pas que le Conseil supérieur de la magistrature soit paralysé, donc je vous suggère de voter ce projet de loi qui consiste en une disposition transitoire pour nous permettre d'adapter les règles d'élection et de composition du Conseil supérieur de la magistrature à la nouvelle constitution. Voilà, je m'en tiendrai là. Merci, Monsieur le président.
M. Patrick Lussi (UDC). C'est en ma qualité de président actuel de la commission judiciaire et de la police que je m'exprime. Mesdames et Messieurs, ne nous trompons pas de débat, n'ayons pas une discussion d'avance ou de retard. Le Conseil d'Etat nous a présenté deux projets de lois visant à définir exactement ce que sera le Conseil supérieur de la magistrature selon les dispositions constitutionnelles qui ont été votées - même si je n'étais pas d'accord.
D'ici que nos travaux se terminent - et au vu de notre rythme et des discussions qui risquent de durer quelque temps, ce n'est pas demain la veille - il nous est demandé d'accepter cette mesure transitoire pour que le Conseil supérieur de la magistrature actuel puisse continuer de fonctionner. Mesdames et Messieurs, nous sommes tous pour un fonctionnement fluide et optimal de nos institutions, ne commençons pas avec des chicaneries politiques alors que, ce soir, le but est simplement de voter ce qui existe déjà actuellement en accordant une prolongation jusqu'à ce que la nouvelle loi soit votée. Le groupe UDC vous demande d'accepter sans autre ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Murat Julian Alder (PLR). Ce sera simplement pour vous dire quelque chose que peu de députés au sein du Grand Conseil genevois pourront dire durant cette législature, à savoir que M. Cyril Mizrahi a raison ! (Rires.) Si nous voulons que le Conseil supérieur de la magistrature fonctionne, il faut absolument voter en faveur de ce projet de loi.
Quant à M. le député François Baertschi, qui faisait l'éloge du respect des institutions, je me demande juste si le fait de traiter de dictateur le procureur général, qui est le plus important magistrat du pouvoir judiciaire du point de vue protocolaire, relève réellement du respect des institutions. Poser la question, c'est y répondre, Monsieur le président.
M. Vincent Maitre (PDC). Je ne peux m'empêcher de répondre aux propos de M. Baertschi et l'invite à une réflexion quant à l'initiative que le MCG s'apprête à déposer s'agissant du fonctionnement des institutions judiciaires. Le système que nous connaissons actuellement est de loin - de très loin, même - le moins mauvais; il n'est certes pas parfait mais c'est le moins mauvais en comparaison avec d'autres, en particulier en Europe. Si vous souhaitez un système de cooptation des magistrats à la française, eh bien je vous confirme que c'est bien plus néfaste que ce que nous connaissons ici. En effet, le premier magistrat de France est élu ou plutôt désigné par le président de la République et coopte lui-même tous les juges de France autour de lui - je vous laisse imaginer ce que ça peut impliquer en termes de représentation politique au sein du pouvoir judiciaire, c'est évidemment catastrophique.
Le système que nous connaissons est évidemment le moins mauvais, même si nous pouvons effectivement discuter du pouvoir attribué au procureur général, qui est de rang constitutionnel; discutons-en une fois si vous le voulez, il n'empêche que le procureur général, que cela vous plaise ou non, est élu par le peuple comme tous les juges du pouvoir judiciaire d'ailleurs. Et pour revenir au respect des institutions judiciaires, commencez peut-être, Monsieur Baertschi et vos dix-huit autres collègues du MCG, par prendre part à la prestation de serment des membres du pouvoir judiciaire plutôt que de boycotter cette institution, qui est le troisième pouvoir de la république ! Voilà, je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). J'aimerais d'abord rappeler à M. Murat Julian Alder - vous transmettrez, Monsieur le président - qui n'a peut-être pas entendu tout ce que j'ai dit, que ce n'est pas la personne que j'attaque, mais l'institution - il faut en effet rester au niveau des principes. Si nous ne sommes pas venus à la prestation de serment du pouvoir judiciaire, c'est parce que nous contestons le système tel qu'il est pratiqué actuellement à Genève, c'est cela que nous mettons en cause, ce ne sont pas les personnes. Nous devons aller au coeur des problèmes, c'est notre fonction, c'est aussi tout à notre honneur...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. François Baertschi. ...que d'aborder le fond de ces questions. Enfin, pour répondre à M. Mizrahi, je pense qu'il a une vision un peu idyllique de la façon dont se déroulent les élections judiciaires, c'est-à-dire en petit comité, dans une commission occulte. Ce n'est pas ce qu'il y a de mieux, on est véritablement dans un système de cooptation, et je crois qu'il faut le reconnaître...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. François Baertschi. Ce n'est peut-être pas directement en lien avec le projet de loi, mais ce sont des choses qui doivent être dites, Monsieur le président. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je suis désolé, Madame Magnin, mais vous n'avez plus de temps de parole. Celle-ci revient au rapporteur, M. Raymond Wicky.
M. Raymond Wicky (PLR), rapporteur. Oui, merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, comme vous l'avez probablement remarqué, il n'était pas question que je prenne la parole mais étant donné que le débat a été un peu contaminé, si j'ose dire, par un autre projet de loi, je vais dire quelques mots. On a parlé d'une part du projet de loi 11873, qui est en cours d'examen et a pour but d'adapter le Conseil supérieur de la magistrature à la nouvelle constitution, et d'autre part du pouvoir judiciaire sous l'angle général, et je remercie d'ailleurs notre collègue Mizrahi d'avoir remis de l'ordre dans le débat car, en effet, on dépassait un peu le créneau. Permettez-moi simplement de vous rappeler qu'il s'agit ici d'un seul et unique sujet, à savoir de prolonger les mandats de certains membres du Conseil supérieur de la magistrature afin d'éviter une carence de postes et, par voie de conséquence, un fonctionnement inadapté. Je vous encourage donc, comme l'a fait la commission à l'unanimité, à voter ce projet de loi. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer sur ce texte.
Mis aux voix, le projet de loi 11874 est adopté en premier débat par 82 oui et 11 abstentions.
La loi 11874 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 11874 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 87 oui et 7 abstentions.