Séance du
jeudi 21 avril 2016 à
20h30
1re
législature -
3e
année -
3e
session -
12e
séance
R 808
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous en sommes à la R 808, en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au premier signataire, M. François Lefort.
M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce sujet va nous faire d'abord parcourir un peu d'histoire. Dès le début du XXe siècle, la Suisse s'est dotée d'instituts de recherche agronomique qui ont été réunis plus tard en un institut fédéral déployé sur tout le territoire, jusqu'au Tessin.
Présidence de Mme Christina Meissner, première vice-présidente
Cet institut a récemment été rebaptisé Agroscope; c'est un petit établissement, d'un millier de collaborateurs, pour un budget de 190 millions de francs, au service de l'agriculture et de la population. Pour nous, les Verts, il est d'une grande importance... (Brouhaha.) Madame la présidente, pouvez-vous demander le silence, s'il vous plaît ? (La présidente agite la cloche.) Pour nous, les Verts, il est d'une grande importance de maintenir une recherche agronomique en Suisse orientée vers le service à l'agriculture et le maintien des ressources génétiques des espèces animales et végétales suisses. (Brouhaha.)
La présidente. Monsieur Lefort, si vous permettez. Les personnes qui se sont inscrites pour s'exprimer sur cette proposition de résolution sont priées de se réinscrire, car toute la liste a été effacée, y compris celle qui comportait les projets de lois précédents. Poursuivez, Monsieur le député Lefort.
M. François Lefort. Merci, Madame la présidente. Nous savons tous que les thèmes de l'agriculture et de la nourriture sont chers à la population suisse, importants pour elle, puisqu'elle a accueilli très favorablement trois initiatives récentes provenant des milieux paysans et écologistes, qui traitaient de ces thèmes. Les Verts considèrent que la recherche agronomique et l'agriculture sont d'une importance stratégique face aux enjeux actuels que sont le réchauffement climatique et la crise énergétique. Nous avons été très fâcheusement surpris, il faut le dire, par le communiqué du chef d'Agroscope, le 6 avril, qui annonçait une réorganisation sous le titre: «Agroscope allège sa structure de direction». Sous un prétexte de simplification, ce communiqué annonce la suppression de quatre instituts et de dix-neuf divisions de recherche, remplacés par dix unités, ce qui entraînera la suppression de quatorze postes de hauts cadres, ceux-là même qui ont accompagné les réformes et les mutations des stations fédérales depuis une vingtaine d'années. Oui, Agroscope connaît des réformes depuis une vingtaine d'années, qui ont déjà conduit à une grande simplification et à une réduction des postes de chercheurs et d'autres catégories de personnel, sans que les tâches diminuent. Pour parler en termes de management entrepreneurial, les gains de productivité ont déjà été massifs à Agroscope, de même que les économies réalisées sur le budget.
La gouvernance qui vient d'être sacrifiée, Mesdames et Messieurs les députés, a été mise en place par le même chef d'Agroscope il y a moins de deux ans. Il avait pour objectif d'augmenter l'efficience et la flexibilité. La décapitation annoncée le 6 avril prétexte que les objectifs de cette nouvelle gouvernance n'auraient pas été atteints et que la situation financière d'Agroscope se serait dégradée. Dans une telle situation, et si cela était avéré, je suppose que l'échec devrait en être imputé au chef d'Agroscope; mais que nenni, cette fraîche nouvelle gouvernance n'est pas la bonne, la solution est donc de licencier vingt-quatre hauts cadres engagés dans la recherche agronomique suisse depuis longtemps. Oui, Mesdames et Messieurs, il s'agit du licenciement de vingt-quatre chercheurs expérimentés et méritants. La méthode est étrange, brutale, et nouvelle. Le licenciement de toutes ces personnes est une première en Suisse dans un établissement public fédéral. Il témoigne d'un manque de reconnaissance de l'engagement de ces fonctionnaires fédéraux, mais surtout d'un manque de connaissance de la psychologie humaine. Que croyez-vous, Mesdames et Messieurs, que ressentent ces vingt-quatre hauts cadres qui ont été licenciés depuis cette annonce, alors qu'ils ont consacré leur vie entière, sans compter leurs heures, à la recherche agronomique suisse ? Que croyez-vous que ressentent leurs collaborateurs actuellement ? La Confédération vient d'innover en créant le management par la déception et la punition. Il est clair que ce n'est pas un type de management propre à enthousiasmer les foules. Outre ses conséquences psychologiques, les conséquences financières de la désorganisation de la recherche agronomique qui va suivre n'ont pas pesé lourd, semble-t-il, face aux économies immédiates attendues de la suppression de quatorze postes.
Pour nous, les Verts, la recherche agronomique est un domaine éminemment stratégique pour le maintien d'une agriculture suisse de qualité, pour la sécurité alimentaire de ce pays et pour le peu de souveraineté alimentaire qui subsiste. Pour cette raison, nous vous serons reconnaissants de soutenir cette résolution qui demande quelque chose de simple au Conseil fédéral: d'abord de maintenir les capacités de la recherche agronomique suisse, de préserver les connaissances et le savoir-faire acquis et de continuer de les développer, et pour cela, bien sûr, de maintenir des équipes de chercheurs en nombre suffisant. Finalement, la principale demande de ce texte est que le Conseil fédéral réexamine la décision prise le 6 avril, c'est-à-dire de réexaminer ce dispositif de réorganisation. Au vu de ces explications, Mesdames et Messieurs les députés, je vous serais reconnaissant de renvoyer cette résolution directement au Conseil fédéral ce soir. Je vous remercie.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Vous avez pris sur le temps de votre groupe. Je passe la parole à M. le député Georges Vuillod.
M. Georges Vuillod (PLR). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette proposition de résolution fait suite à la décision prise par la Confédération de modifier drastiquement l'organisation de la recherche agronomique suisse. Cette décision prise sans concertation avec les branches de la production pose un problème important quant au devenir de la production agricole suisse. Il ne s'agit pas ici de contester la volonté d'optimiser le fonctionnement de la recherche, mais plutôt de s'étonner de la manière brutale, qui prend le risque de déstabiliser durablement la capacité de recherche agronomique en Suisse. Agroscope permet dans tous les secteurs de l'activité agricole de s'adapter aux exigences voulues par la Confédération, et donc par le peuple, concernant le type d'agriculture souhaité en Suisse, soit une agriculture plus verte et plus écologique, multifonctionnelle et productive.
Quelques constats doivent être faits: l'agriculture suisse est l'une des plus propres du monde grâce au concept de production intégrée mis en place depuis plusieurs décennies. L'agriculture suisse voit chaque année la disparition de nombreux produits phytosanitaires, ce qui nécessite des réponses nouvelles pour maintenir ses capacités productives. La population suisse souhaite une agriculture de proximité, productive et durable, afin de maintenir une certaine autonomie alimentaire. Plusieurs initiatives sont pendantes au niveau national sur ce sujet. Pour atteindre ses buts, l'agriculture a toujours pu s'appuyer sur la recherche agronomique, qui a notamment amené à évoluer sur les semences et les techniques culturales, permettant de cultiver des productions adaptées à notre climat, de cultiver de nouveaux cépages qui ne nécessitent que peu de traitements et dont la renommée est désormais internationale, de fournir aux professionnels des données techniques, climatiques, culturales leur permettant d'affiner leurs méthodes de production et de réduire ainsi l'utilisation de produits de traitement. La recherche agronomique doit peut-être se voir optimisée dans son organisation, mais ses fonctions doivent être maintenues, faute de quoi l'agriculture suisse ne pourra plus, à moyen terme, répondre aux attentes de la population. Nous vivons dans une société qui nous permet d'envisager de vivre plus longtemps et en bonne santé. Ce n'est pas le seul fait des découvertes de la recherche médicale, mais également, pour une large part, de l'amélioration des denrées alimentaires de qualité dont nous disposons en suffisance. Il est aussi important de maintenir la recherche, tant dans l'agriculture que dans les autres activités économiques. C'est un axe stratégique relevé par l'ensemble des formations politiques. Je vais me permettre un parallèle: notre pays s'est doté d'une stratégie énergétique ambitieuse en planifiant une transition qui nous permettra d'atteindre...
La présidente. Il vous reste vingt secondes.
M. Georges Vuillod. Merci, je vais aller vite. ...qui nous permettra d'atteindre une plus grande autonomie tout en respectant mieux l'environnement. La stratégie énergétique de chaque individu, c'est la nourriture, ne l'oublions pas, l'indispensable carburant de notre quotidien. Tous les producteurs de ce pays ont besoin d'une recherche agronomique suisse à même de relever ces défis. Pour toutes ces raisons, le groupe PLR soutiendra cette résolution. Je vous remercie.
Une voix. Très bien !
Mme Geneviève Arnold (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le PDC soutiendra cette proposition de résolution en la renvoyant au Conseil fédéral dans un esprit de reconnaissance de l'engagement des chercheurs dont les qualités scientifiques sont indispensables pour la production agricole helvétique. Le changement de gouvernance au centre fédéral pour la recherche agronomique annoncé par la Confédération dans son récent communiqué nous inquiète. Les compétences acquises au niveau de la recherche sont au service de l'agriculture, dans un esprit de durabilité. Les bénéficiaires en sont bien notre population, mais aussi le paysage, la nature au sens large. Notre pays doit pouvoir s'assurer de la pérennité de ses acquis tout en poursuivant les efforts accomplis et le développement scientifique. Non seulement il nous semble indispensable de préserver les emplois, mais nous tenons à relever que cela participe à la renommée d'un savoir-faire au-delà de nos frontières. La configuration actuelle permettra de relever les défis auxquels la Suisse sera confrontée dans un futur proche quant à son autonomie interne, à la mise en valeur de ses cultures, de notre nourriture en l'occurrence. Ainsi, nous ne pouvons rester sans agir face à la volonté des services fédéraux de réduire drastiquement les effectifs dans la restructuration annoncée de la direction en place. Nous tenons à préserver cette structure. Le PDC leur demande donc de revoir leurs considérations.
Mme Isabelle Brunier (S). Au moment où les surfaces diminuent, où les techniques doivent évoluer, où le climat change, où les Suisses se préoccupent de plus en plus du contenu de leur assiette et aspirent aussi de plus en plus à consommer local, au moment où d'autres défis vont se présenter à l'avenir, auxquels seule une recherche de précurseurs pourra faire face, il est vraiment incompréhensible que la Confédération puisse prendre cette décision. Les socialistes ont donc été convaincus - vous l'avez vu, puisque nous avons aussi apposé notre signature à cette proposition de résolution - par les arguments développés de manière très détaillée par mes préopinants, en particulier par François Lefort. Comme visiblement le reste de cette enceinte, nous allons approuver ce texte.
M. Eric Leyvraz (UDC). Mesdames et Messieurs, comme agronome, je peux vous dire une chose avec conviction: nous pouvons être fiers de la recherche agronomique en Suisse, qui est d'un très haut niveau. Nos chercheurs sont reconnus sur le plan international, dans plusieurs domaines ils ont laissé un nom; par exemple, les étapes du cycle du développement de la vigne, reconnues internationalement, ont été décrites par un de nos chercheurs; dans la virologie de la vigne, ils sont au plus haut niveau: vraiment, nos chercheurs sont reconnus partout et cette recherche agronomique doit continuer en Suisse. Nous sommes bons dans tous les domaines de la recherche, pourquoi abandonner celle concernant l'agriculture ?
Ce message que donne le Conseil fédéral nous inquiète beaucoup, nous, les paysans, pourquoi ? Parce qu'il semble qu'un certain nombre de personnes sont en train de se dire: «Mais dans le fond, pourquoi continuer la recherche agronomique, puisque dans ce pays, l'agriculture est condamnée ? Allons-nous continuer la recherche pour un secteur qui va disparaître ?» Mesdames et Messieurs, si on continue comme ça, dans trente ans, il n'y aura plus de vaches laitières en Suisse. C'est donc le moment de prendre les choses en main, de se dire que nous avons besoin d'une agriculture de proximité, de gens qui produisent ici, parce qu'un pays qui n'a plus d'agriculture, c'est un pays qui renonce à son indépendance. Je crois que nous avons la possibilité ici - et nous le faisons déjà - de produire de façon extrêmement économique, de façon extrêmement propre pour l'environnement - je pense qu'aucun pays au monde n'a autant de producteurs qui respectent les cycles écologiques. Il faut soutenir cette recherche indispensable pour nous, pour que nous continuions à pouvoir bénéficier de produits de première qualité. L'UDC est évidemment d'accord de renvoyer cette résolution au Conseil fédéral et vous demande d'en faire de même. Mesdames et Messieurs, vous avez besoin de l'agriculture, vous avez besoin de manger tous les jours, c'est quelque chose d'essentiel. Défendez vos paysans et vous en sortirez tous gagnants. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, la préopinante socialiste - je crois que c'était Isabelle Brunier - s'est exprimée en disant que la décision que nous contesterons par le renvoi de cette résolution était incompréhensible. Incompréhensible, vraiment ? Un programme consistant à supprimer brutalement des postes de travail dans le secteur public ? Il s'agit de vingt-quatre licenciements brutaux, il y en a déjà eu des dizaines - M. Lefort me le confirmera - dans les années précédentes. C'est parfaitement compréhensible ! Un programme qui consiste à mépriser l'agriculture dans ce pays, agriculture enracinée dans la terre de ce pays, au profit de la grosse paysannerie, de la marchandisation complète du secteur agricole, de l'agrobusiness, au mépris de ce qu'on met dans notre assiette, mais en respectant de manière sacro-sainte les profits, c'est un programme qui n'est pas incompréhensible: c'est le programme néolibéral standard, renforcé avec la nouvelle majorité aux Chambres fédérales ! Je ne vois donc pas là ce qu'il y a d'incompréhensible.
On pourrait dire que ce qui est incompréhensible, c'est le soutien du PLR à cette résolution. Non, c'est tout à fait compréhensible ! On a entendu le représentant du PLR dire que bien sûr, cette résolution ne visait d'aucune manière à remettre en cause l'optimisation du fonctionnement de la recherche en la matière. L'optimisation, ce sont tous les postes de travail supprimés dans ce domaine ces dernières années et qui le seront encore. Bien sûr que le PLR est prêt à verser aujourd'hui quelques larmes de tartuffe dans ce domaine. Mais c'est le produit de la politique qu'il défend, la politique de mondialisation marchande, capitaliste, au mépris des intérêts des travailleurs et de ceux de la paysannerie...
La présidente. Il vous reste trente secondes.
M. Pierre Vanek. ...et des intérêts, Mesdames et Messieurs, de la grande majorité des citoyens de ce pays. Et tout d'un coup, on se réveille, sur les bancs d'un parti gouvernemental représenté à Berne, qui est évidemment à la manoeuvre dans ce genre de saloperie ! (Rires.) Eh bien on se réveille et on dit: «Ouh là là, mais qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui se passe ? On est en train de supprimer des postes de travail dans le service public ! On est en train de prétériter deux-trois choses !» Et ensuite, bien sûr, il y a l'opportunité de se mettre d'accord avec les Verts...
La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. ...de qui c'est le fonds de commerce, de signer avec eux quelque chose qui ne mange pas de pain, et de considérer tout d'un coup que c'est très urgent ! (Commentaires.) Non, Mesdames et Messieurs, soyez un peu sérieux, un peu de décence dans cette assemblée !
La présidente. Merci, Monsieur le député !
M. Pierre Vanek. Pardon ? (Rires.)
La présidente. C'est terminé. Je crois qu'on a compris le message ! (Exclamations.)
M. Pierre Vanek. Je ne vous ai pas entendue, il y a quelqu'un qui parlait. (Exclamations.)
La présidente. On a bien compris le message, vous n'avez plus de temps de parole.
M. Pierre Vanek. Je suis désolé. Donc, votons cette résolution avec les réserves mentales que je viens d'exprimer. (Exclamations. Commentaires.)
M. André Python (MCG). Je serai beaucoup plus bref que mon préopinant. Nous avons besoin d'une agriculture efficace et proche du citoyen. Le groupe MCG soutiendra donc le renvoi de cette résolution au Conseil fédéral. Je vous remercie, Madame la présidente.
La présidente. Merci, Monsieur le député, pour votre brièveté. Vous avez laissé du temps de parole à votre collègue, M. le député Jean-François Girardet.
M. Jean-François Girardet (MCG). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, bien sûr que nous soutiendrons cette résolution, mais c'est clair qu'elle devrait habiter nos conseillers nationaux: c'est eux qui doivent s'approprier la défense de notre agriculture. Tous les partis ici... (Remarque.) ...sont représentés à Berne - peut-être pas Ensemble à Gauche - par nos conseillers nationaux, en tout cas le nôtre est vraiment convaincu que l'agriculture genevoise et suisse doit être défendue, et surtout qu'elle doit promouvoir la recherche pour pouvoir survivre. Je vous remercie de soutenir cette résolution de manière unanime.
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, nous pouvons passer au vote.
Mise aux voix, la résolution 808 est adoptée et renvoyée au Conseil fédéral par 80 oui contre 1 non.