Séance du
jeudi 21 avril 2016 à
17h
1re
législature -
3e
année -
3e
session -
11e
séance
PL 10883-B
Premier débat
Le président. Nous passons au PL 10883-B dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Edouard Cuendet.
M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Le 14 avril 2016, le parti socialiste a présenté son menu fiscal destiné à alimenter sa gloutonnerie insatiable, et les contribuables personnes physiques occupent une place de choix sur cette carte à recettes multiples. Le PL 10883-B constitue le plat de résistance de cette stratégie: il vise d'une part à supprimer le bouclier fiscal, d'autre part à augmenter l'imposition sur le revenu et la fortune en ajoutant des tranches supplémentaires. Ce projet soulève des questions importantes: voulons-nous attirer et conserver sur notre territoire des gros contribuables, pensons-nous véritablement que notre canton est une île située hors de toute concurrence fiscale intercantonale et internationale ? Ces deux questions vont nécessairement provoquer la nausée sur les bancs de gauche, où l'on voue une haine viscérale tant aux riches qu'à la concurrence - mais il faut quand même affronter ce débat.
Tout d'abord, Genève possède la progressivité de l'impôt la plus forte de Suisse ainsi que l'impôt sur la fortune au taux le plus élevé de notre pays - cela a été relevé par notre ministre des finances lors des auditions. Cette progressivité délirante a pour corollaire le fait que près de 35% des contribuables genevois ne paient pas un franc d'impôt et conduit de fait à la formation d'une pyramide fiscale extrêmement fragile dans la mesure où 4% des contribuables assurent près de 40% de l'impôt sur le revenu alors qu'à peine 500 d'entre eux disposent d'un revenu imposable supérieur à 1 million. Afin de s'assurer de la présence de ces contribuables vitaux pour les finances publiques genevoises, notre canton a adopté, lors d'une votation populaire en 2009, le principe du bouclier fiscal, lequel est remis en cause par le projet socialiste. Ce bouclier fixe une limite à 60% à la taxation cantonale et communale sur le revenu à la fortune; mais il faut encore y ajouter 11,5% pour l'impôt fédéral direct, de sorte que ce bouclier se situe en réalité à un taux de 71,5% du revenu imposable. De là à parler d'un paradis fiscal, il y a un pas que seuls les plus dogmatiques des membres de la gauche pourraient franchir ! Pour cette même gauche, il n'y aurait aucun problème à déplafonner ce taux d'imposition, qui devrait selon eux allègrement dépasser les 100% du revenu imposable, et imputer la substance de la fortune de manière confiscatoire, cela ne leur pose pas de problème.
Le président. Il vous reste trente secondes avant de prendre sur le temps de votre groupe.
M. Edouard Cuendet. Merci, Monsieur le président. Cela étant dit, un bouclier fiscal similaire existe déjà dans le canton de Vaud voisin, ainsi qu'en Valais et à Berne notamment; il est donc évident que si le canton de Genève venait à commettre l'erreur majeure de supprimer cette mesure sur son territoire, les contribuables concernés traverseraient immédiatement la Versoix pour fuir cet enfer fiscal. Voilà pourquoi je vous invite à rejeter massivement ce projet de loi destructeur de prospérité. Je vous remercie.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Je tiens tout d'abord à vous dire, Monsieur le président, que dans mon rapport figure un amendement visant justement à supprimer la partie que mon collègue rapporteur de majorité exècre, de même que le MCG, c'est-à-dire cette tranche supplémentaire, afin qu'il ne reste que la disposition de suppression du bouclier fiscal. Nous avons enlevé ça pour rallier le MCG qui, à l'époque, se disait d'accord d'éliminer le bouclier fiscal mais pas d'accord avec les tranches supplémentaires; nous l'avons fait pour satisfaire le MCG alors j'espère qu'il votera avec nous ! (Remarque.) Eh bien oui !
Je reviens à la loi en question. Contrairement à ce qui a été dit, je trouve que ce bouclier fiscal est tout simplement dégueulasse, c'est revenir à l'Ancien Régime, Mesdames et Messieurs, c'est revenir à l'Ancien Régime ! En effet, contrairement à ce que vous dites, cher collègue, et d'après ce que j'ai pu lire, sur les fortunes de 10 à 20 millions, ça ne représente que 7000 F mais ça rapporte paraît-il 40 millions à l'Etat ! A l'heure où on veut toucher à la fonction publique à raison de 100 F ou 1000 F ou encore toucher aux entités subventionnées à hauteur de 1% sous prétexte qu'on est en péril dans ce canton...! Si vraiment on est en péril, je m'excuse mais enlevez ce bouclier fiscal: ça nous rapporterait 40 millions et nous pourrions ainsi rétablir les finances publiques. Cet argument est donc faux, et je ne pense pas que des riches qui doivent payer 7000 F d'impôts supplémentaires vont traverser la frontière - vous savez très bien que le régime socialiste est pire que le nôtre de l'autre côté, donc ils vont rester ici. (Commentaires.) Non, non, en France voisine ! (Commentaires.)
M. Edouard Cuendet. Ils iront à Verbier !
M. Alberto Velasco. Vous nous racontez la même histoire depuis des années, ça fait vingt ans qu'on entend constamment le même catéchisme sur ces pauvres riches qui vont partir de l'autre côté de la frontière. Franchement, croyez-vous réellement que les riches vont être paupérisés, pensez-vous que ces pauvres riches qui résident dans ce pays, dans notre canton vont être paupérisés pour quelques malheureux 7000 F ou 8000 F ? Vous nous faites constamment le même chantage, Mesdames et Messieurs !
M. Edouard Cuendet. Vous ne les connaissez pas.
M. Alberto Velasco. Par ailleurs, Monsieur le président, j'aimerais citer une petite déclaration du Conseil d'Etat, à laquelle je me rallie. (Remarque.) Du Conseil d'Etat, oui ! Il s'agit d'un extrait de mon rapport, à la page 42: «Le rapporteur se rallie ainsi à la déclaration du Conseil d'Etat, automne 2014 - vous étiez déjà là en automne 2014, Monsieur le conseiller d'Etat - qui indiquait: "Entre temps, la reprise économique, généralement attendue après une crise comme celle de 2008-2009, s'est arrêtée net au 30 juin 2011.
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Alberto Velasco. Confronté à cela, le Conseil d'Etat a annoncé qu'il souhaitait suspendre le bouclier fiscal. Il reste en effet persuadé que, à moyen terme, dans une décennie qui va être difficile, ce n'est pas une bonne idée de trop dégrader les conditions-cadres sur ce plan."» C'est vous qui avez déclaré ça, Monsieur le conseiller d'Etat, ça figure dans le rapport, dans les PV, d'où je l'ai tiré. Je me rallie donc totalement à la position du Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs. Comme vous avez pu le voir, j'ai déposé un amendement pour supprimer ces tranches que vous exécrez et il ne nous reste donc plus que la disposition du bouclier fiscal à laquelle je vous demande de vous rallier, chers collègues, car 7000 F quand on possède 50 ou 100 millions, ce n'est tout de même pas énorme ! Merci beaucoup.
M. Jean Batou (EAG). S'agissant de toutes ces questions fiscales, je répéterai inlassablement que Genève n'est pas qu'une seule place financière, Monsieur Cuendet, Genève est aussi peuplée d'habitants avec des revenus modestes, et les plus riches de notre population doivent contribuer à hauteur de leurs moyens à l'entretien de ce qu'on appelle parfois le ménage commun. Cela signifie qu'il faut prendre acte de la réalité: ces dix dernières années, notre canton a connu une augmentation de plus de 50% des millionnaires. Si l'impôt était confiscatoire, je ne comprends pas comment une telle progression des millionnaires aurait été possible.
Ensuite, nous savons que le bouclier fiscal sert à protéger les revenus de la fortune et du capital, lesquels ne proviennent pas forcément du travail du contribuable qui les déclare mais plutôt de celui des personnes qu'il exploite - le mot vous surprend peut-être, mais c'est en général comme ça qu'on s'enrichit. Enfin, j'aimerais dire que s'il est possible d'augmenter la fiscalité des nantis dans ce canton, s'il est possible de se passer du bouclier fiscal, ce sera dans l'intérêt de la plus grande partie de la population. Même si ce Grand Conseil n'accepte pas ce projet de loi aujourd'hui, ce qui est malgré tout possible, nous reviendrons infatigablement à la charge parce que les écarts sociaux n'ont de cesse de se creuser dans ce canton et, un jour, la population prendre conscience majoritairement qu'il faut remettre en place un système de redistribution des ressources pour une société forte qui dépense en faveur des plus défavorisés afin de répondre à leurs besoins essentiels. Merci.
M. Eric Leyvraz (UDC). Le bouclier fiscal est fondamental pour conserver sur notre territoire une catégorie de gens fortunés - notre ministre des finances nous l'a bien répété - et, sans cette disposition, plusieurs contribuables importants partiraient, ce qui aurait des conséquences insupportables pour les ressources de notre canton. De plus, ajouter des tranches à l'impôt sur la fortune, qui est déjà le plus élevé non pas de Suisse mais du monde, est juste irréaliste. Je vous pose la question franchement: où est la justice fiscale lorsque 34% des gens ne paient pratiquement pas d'impôts dans ce canton et 34% en paient très peu ? Pour l'UDC, on est déjà proche de la spoliation et du taux confiscatoire alors qu'on n'est même pas dans le bouclier fiscal en payant 71,5% d'impôts. Vous travaillez huit mois et demi pour l'Etat, et les trois mois et demi qui restent, c'est pour vous; franchement, ça devient irréaliste.
En augmentant l'impôt sur la fortune, on va ruiner des personnes qui ont sagement économisé leur vie durant pour s'acheter une maison et y couler, pensaient-elles, tranquillement leurs vieux jours. Pourquoi ? Parce qu'il y a des quartiers où les prix augmentent fortement: vous êtes dans une maison que vous habitez depuis vingt ans, que vous avez payée, et puis le prix de cette maison double ! On finit par en arriver à des aberrations comme on en a vu sur l'île de Ré, en France, où les prix ont explosé: des gens qui sont nés dans leur maison se voient désormais imposés sur la fortune et n'ont plus d'autre choix que de vendre leur bien pour s'en sortir.
Une voix. Ils vont aller à Panama !
M. Eric Leyvraz. Ici, on a vu exactement le même phénomène. Je connais quelqu'un qui a maintenant de faibles revenus et qui n'arrive plus à payer son impôt sur la fortune; on lui a dit qu'il n'avait qu'à vendre ! Voilà où on en arrive. Si c'est la justice, on ne peut vraiment pas être d'accord. Le bouclier fiscal, comme l'a dit M. Cuendet, n'est pas une Genferei puisqu'on le trouve aussi dans les cantons de Vaud, du Valais et de Berne. Cette entrée en matière doit être refusée; en commission, elle l'a d'ailleurs été à une large majorité, par dix voix contre quatre, et je vous prie de faire de même.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, M. Alberto Velasco a fini de me convaincre définitivement qu'il faut renvoyer ce projet de loi dans les limbes. Je vais vous parler de chiffres, tout le monde l'a dit: 1% des contribuables paient 31% de l'impôt sur le revenu...
M. Alberto Velasco. C'est ça qui est grave !
M. Eric Stauffer. Non, figurez-vous que ce n'est pas grave. Qui sont les naïfs dans ce parlement ? Mais c'est vous, Mesdames et Messieurs de la gauche ! J'ai voulu, avec Carlos Medeiros... (Remarque.) Ecoutez-moi bien: j'ai voulu, avec Carlos Medeiros, faire un test réel pour savoir en combien de temps nous pouvions devenir résidents d'un paradis fiscal en Europe. Eh bien il nous a fallu trois semaines: nous sommes, Carlos Medeiros et moi, résidents en Estonie avec 0 F d'impôts ! (Applaudissements.) Il nous a fallu exactement trois semaines, Mesdames et Messieurs, et je suis en train de vous dire que si vous taxez... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...les gens de manière outrancière, ils feront la même démarche, tout en pouvant continuer à vivre ici six mois par année ! Voilà la réalité, Mesdames et Messieurs, et je vous le répète: les naïfs, c'est vous, et ce bouclier fiscal doit être maintenu ! Merci. (Quelques applaudissements. Commentaires. Le président agite la cloche.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs, un peu de calme ! (Commentaires.)
M. Pierre Vanek. En tant que membre du Conseil municipal, s'il est résident d'Estonie, il doit remettre son mandat ! (Quelques applaudissements. Remarque.)
Le président. Monsieur Vanek, je vous prie !
M. Pierre Vanek. Ce n'est pas gentil de l'avoir dénoncé ! (Commentaires.) Oh, c'est Poggia qui aura soufflé ! (Rires.)
Une voix. C'est vrai !
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, la parole est à Mme Sophie Forster Carbonnier.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Merci, Monsieur le président. Je viens d'apprendre avec satisfaction que M. Stauffer allait réellement se retirer de la vie politique genevoise pour aller vivre en Estonie, je le félicite pour cet heureux changement et lui souhaite plein de bonheur et de succès ! (Commentaires. Quelques applaudissements.) Mesdames et Messieurs les députés, le bouclier fiscal est une mesure récente, qui a été introduite en 2009 lors de la dernière révision sur l'imposition des personnes physiques à Genève. Ainsi, on ne peut pas laisser dire que sans ce bouclier fiscal, toutes les personnes riches quitteraient le canton puisqu'elles étaient déjà là avant l'instauration de ce bouclier qui est, je le répète, une mesure récente. Pour les Verts, il ne s'agit pas d'une bonne disposition parce qu'elle va à l'encontre du principe de progressivité de l'impôt et crée de fait une injustice fiscale.
Pour rappel, et cela a été dit par M. Velasco, le précédent Conseil d'Etat avait proposé de suspendre cette mesure pendant deux ans lorsqu'il s'était rendu compte que nous allions vivre des moments budgétaires difficiles et que l'on ne pouvait pas sévir uniquement sur les charges de l'Etat mais qu'il fallait aussi agir sur les recettes. Aujourd'hui encore, nous soutenons pleinement cette position parce que nous estimons qu'à l'heure où des sacrifices sont demandés à la population, il est injuste de vouloir faire peser uniquement sur les classes sociales moyennes et défavorisées la charge des économies liées au budget. Le groupe des Verts vous invite donc à accepter ce projet de loi et à renoncer au bouclier fiscal le temps que les finances de notre canton soient repassées au vert car il nous semble en effet important que la population sur laquelle repose actuellement le maximum des économies ne soit pas la seule à devoir souffrir et faire des efforts. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai le plaisir de saluer à la tribune M. Charles Beer, ancien président du Conseil d'Etat, ancien conseiller d'Etat et député, ainsi que ses élèves de troisième année en économie d'entreprise de la Haute école de gestion, qui nous rendent visite dans le cadre de leur cours «Economie globale et politique locale, impact sur la gestion d'entreprise» et que j'aurai le plaisir, je l'espère, de saluer tout à l'heure à l'occasion de notre entracte ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. La parole revient à M. le député Yvan Zweifel.
M. Yvan Zweifel (PLR). Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi pose la question suivante, de manière générale et pour le canton de Genève en particulier: est-ce qu'un bouclier fiscal est utile ou non ? Alors posons-nous la question de l'utilité ou non d'un bouclier fiscal et demandons-nous pourquoi il a été mis en place en 2009 - et approuvé par la population, rappelons-le tout de même. On remarque que le bouclier fiscal a deux utilités principales: premièrement, et je rejoins tout à fait M. Velasco, non pas dans ses conclusions mais dans son propos initial, il s'agit d'une question éthique. Est-il éthique qu'une personne, Mesdames et Messieurs, quel que soit le niveau de ses revenus, ait à payer un montant d'impôts équivalent à 80%, 90% voire plus de 100% des revenus qu'il encaisse en une année ? Poser la question, c'est évidemment y répondre, et vous avez raison: en matière de justice, ce n'est pas éthique, et le Tribunal fédéral a déjà jugé ce point-là et considéré que, dans certains cas, il y avait un aspect confiscatoire à avoir des impôts qui dépassent 100% des revenus car il s'agit d'une atteinte à la propriété privée. Il s'agit donc de répondre d'abord à une question éthique, vous avez raison, Monsieur Velasco, mais la conclusion est inverse, à savoir qu'il faut évidemment garder ce bouclier fiscal.
Deuxièmement, il s'agit d'un outil de promotion économique consistant à garder ici une substance fiscale, celle-là même qui permet de financer les prestations sociales, notamment aux plus démunis, que certains sur les bancs de gauche défendent à tout va mais vont finir par assécher. On n'aurait ainsi plus les moyens de défendre ces mêmes prestations, et c'est quelque chose que je ne peux évidemment pas comprendre. Je constate que M. Batou est resté bloqué au XIXe siècle et qu'il n'a sans doute pas remarqué que les choses avaient évolué, en particulier que les riches avaient acquis une mobilité bien plus grande qu'au XIXe siècle, ce dont il faut tenir compte. Se pose alors la question - vous avez raison, à gauche - de la probabilité: ces riches vont-ils partir ou rester ? Vous dites qu'ils vont rester, nous disons qu'ils vont partir. Il s'agit d'appliquer ici une méthode de gestion des risques.
La gestion des risques, c'est d'abord calculer la probabilité qu'un événement arrive ou n'arrive pas et ensuite, en admettant qu'il arrive, déterminer quel sera son impact. Pour imager, Monsieur le président, c'est comme quelqu'un qui entrerait dans une pièce sombre où on aurait ouvert du gaz et qui déciderait de craquer une allumette pour y voir plus clair; vous me direz, Monsieur le président, qu'il n'est pas certain qu'il se produise une explosion, et vous avez raison; mais vous serez aussi d'accord avec moi pour dire, Monsieur le président, que si par hasard l'explosion se produit, alors les conséquences sont désastreuses. C'est exactement la même chose ici: nous ne savons pas si ces riches partiront...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Yvan Zweifel. ...ou ne partiront pas, mais ce qui est sûr, c'est que s'ils partent, ce sera désastreux pour les finances publiques genevoises et donc pour les prestations sociales que vous prétendez défendre à longueur de journée. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je vous propose de refuser ce projet de loi, de suivre la majorité et de laisser la commission fiscale, qui traite actuellement du bouclier fiscal pour en trouver des améliorations, travailler là-dessus afin d'assurer la pérennité économique et sociale de notre canton. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Romain de Sainte Marie pour deux minutes trente.
M. Romain de Sainte Marie (S). C'est extrêmement court pour un tel débat mais merci, Monsieur le président. Tout d'abord, je pense qu'il faut établir le constat suivant: dans notre canton, la justice fiscale ne fonctionne pas ou en tout cas extrêmement mal depuis un certain nombre d'années, il suffit de voir les chiffres. En effet, depuis plus de dix ans, depuis 2003 pour être exact, la proportion de personnes qui ne peuvent pas payer d'impôts sur le revenu et la fortune à Genève - mais qui paient naturellement des impôts via la TVA - est passée de 28% à 34%; inversement, la fortune des 0,2% de contribuables les plus fortunés est passée de 20% à 30%. Nous assistons donc à une répartition catastrophique des richesses dans notre canton, à une justice sociale qui ne fonctionne absolument plus, et cela est très inquiétant pour la suite ainsi que pour la cohésion sociale à Genève.
Ensuite, Monsieur le président, vous transmettrez ceci aux députés MCG: s'ils veulent aller en Estonie, soit, mais il est certain qu'ils ne trouveront jamais la même qualité de vie, leurs enfants ne bénéficieront jamais de la même formation... (Commentaires.) ...ils n'auront jamais le même système de santé, ils ne profiteront jamais des mêmes transports. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) A Genève, cette qualité de vie a un coût, Mesdames et Messieurs, un coût qui passe par une fiscalité qui doit être juste. Et si Genève ne veut pas devenir l'Estonie, si Genève veut préserver cette qualité de vie, alors nous ne pouvons plus offrir de cadeaux aussi facilement, nous ne pouvons plus octroyer ce bouclier fiscal.
Pourquoi ? Parce que, récemment encore, notre canton a gratté dans les subsides d'assurance-maladie, il a encore coupé dans les prestations sociales - et c'est vous, Mesdames et Messieurs de la majorité de droite et du Conseil d'Etat, qui avez fait ça - alors que l'on sait que de plus en plus de gens, notamment des jeunes, se retrouvent à l'aide sociale à l'heure actuelle. Genève ne peut plus octroyer de tels cadeaux ! Avec 13 milliards de dette, avec les menaces que l'on sait, en particulier celle de la réforme de l'imposition des entreprises - si les projections avancées par la droite sont réalisées - on ne peut pas...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Romain de Sainte Marie. ...continuer à octroyer de tels cadeaux puisque, je vous le rappelle, il s'agit d'environ 45 millions de francs quand on parle du simple bouclier fiscal. Nous devons agir et je vous invite, Mesdames et Messieurs, à supprimer ce bouclier fiscal et à faire preuve de responsabilité pour Genève. (Quelques applaudissements.)
M. Vincent Maitre (PDC). Monsieur le président, je dois être d'accord sur un point avec Romain de Sainte Marie, c'est que l'inégalité, peut-être pas devant mais dans l'impôt, est manifeste, ceci pour une raison toute simple, qui a d'ailleurs été brillamment évoquée par le rapporteur de majorité: c'est principalement dû à la progressivité absolument hallucinante de l'impôt à Genève, et c'est justement pour combler ou pallier les méfaits de cette progressivité qu'il a fallu instaurer un certain nombre de ce qu'on appelle des niches, qui sont combattues par la gauche. Or à défaut de celles-ci, on plongerait définitivement une grande partie de la population dans l'indigence car elle serait incapable d'assumer sa charge fiscale.
Avant de me prononcer sur ce projet de loi, je voudrais corriger quelque chose que je ne peux pas laisser dire, même dans ce parlement. M. Jean Batou nous affirme avec force et conviction que les plus riches contribuables de ce pays ont acquis leur fortune par l'exploitation du travail. Eh bien, Monsieur Batou, les dizaines voire centaines de milliers de petits entrepreneurs en raison individuelle et d'indépendants qui travaillent chaque année jusqu'à mi-septembre pour le compte de l'Etat et qui, à partir de mi-septembre seulement, commencent à toucher le premier franc pour eux-mêmes vous remercient infiniment de l'honneur que vous leur faites, de la reconnaissance et de la gratitude que vous leur témoignez, eux qui paient pourtant toutes les prestations étatiques dont vous et vos milieux bénéficiez au quotidien.
Une voix. Bravo !
Une autre voix. Bien dit !
M. Vincent Maitre. S'agissant du projet de loi en question, il est évident qu'il est à refuser, et à refuser vigoureusement. Le bouclier est une nécessité non seulement financière mais également juridique, Mesdames et Messieurs, parce que le Tribunal fédéral a fixé un certain nombre de critères qui, lorsqu'ils sont remplis, définissent en quoi consiste un impôt confiscatoire. Supprimez ce bouclier fiscal et vous atteignez des taux d'imposition supérieurs à 60%; couplez ceux-ci avec les 11,5% de l'IFD et vous atteignez très vite le plafond de l'impôt dit confiscatoire par le Tribunal fédéral, ce qui est parfaitement illicite, dixit notre plus haute cour.
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Vincent Maitre. Enfin, Mesdames et Messieurs, je crois que nous avons, à quelques kilomètres d'ici seulement, l'exemple parfait de ce qu'il ne faut pas faire en matière fiscale. En effet, la France, qui a cru bon d'imposer ses plus riches contribuables à un taux de 75%, se voit aujourd'hui totalement vidée de ces recettes-là, lesquelles sont pourtant absolument vitales pour le fonctionnement de tout Etat et les prestations qu'il doit servir. L'exil fiscal est une réalité, Monsieur Velasco, cela existe bel et bien; ce n'est pas seulement, excusez-moi, une menace des plus riches...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Vincent Maitre. Sachez-le et faites confiance à ceux qui, à titre professionnel, peuvent parfois fréquenter ces personnes-là: certaines riches familles traditionnellement genevoises depuis des générations...
Le président. C'est terminé.
M. Vincent Maitre. ...ont déjà quitté le canton. (Quelques applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et donne la parole à M. Ronald Zacharias, à qui il reste une minute et trente-cinq secondes.
M. Ronald Zacharias (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous l'aurez remarqué, le débat gauche-droite sur les thématiques fiscales s'est quelque peu durci, les propos sont plus violents, parfois même haineux, et c'est bien, c'est très bien: le débat y gagne en honnêteté, il y a moins d'hypocrisie. Mesdames et Messieurs les députés, la gauche vous demande aujourd'hui d'abandonner le bouclier fiscal; laissez-moi vous rappeler en deux mots et avec quelques chiffres en quoi il consiste.
En termes de revenu imposable pour l'impôt communal et cantonal, le bouclier fiscal, c'est 60%, auxquels s'ajoutent 3% à 4% de l'impôt immobilier complémentaire - on en est donc à 64%. Vient s'y ajouter l'IFD - on arrive à 74% - et, pour déterminer le revenu disponible, il convient encore d'adjoindre l'AVS - on atteint les 84%. Non, Monsieur Maitre, on ne travaille pas pour l'Etat sur la base de ces chiffres-là jusqu'au 15 septembre mais jusqu'au 15 novembre. Mais ce n'est pas fini car, avec ces chiffres-là, on est toujours dans un paradis fiscal. Parce que la plaisanterie du bouclier - et je me trouve moi-même dans le cadre du bouclier fiscal...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Ronald Zacharias. ...c'est qu'il y a 1% de revenu nominal, or aucun gestionnaire de fortune n'arrive à 1% en francs suisses aujourd'hui. Dès lors, un calcul tout à fait basique et succinct nous convainc qu'avec le bouclier fiscal actuel, qu'il convient de réformer mais dans le sens opposé, bien évidemment, la plupart des personnes qui en bénéficient sont imposées au-delà de 100%. C'est la raison pour laquelle il convient bien sûr de refuser ce projet de loi, et je vous remercie de le faire. (Quelques applaudissements. Commentaires.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient à Mme la députée Magali Orsini, qui dispose d'une minute dix.
Mme Magali Orsini (EAG). Merci, Monsieur le président. Je me dépêcherai et me contenterai de rappeler une anecdote que j'avais déjà exposée à la commission fiscale quand j'y siégeais, soit celle de l'un de mes clients fortunés - mais oui, cela arrive ! Le logiciel, ne calculant pas le bouclier fiscal, avait indiqué des impôts à payer de l'ordre de 300 000 F, et ce client s'est vu octroyer un rabais de 70 000 F que je n'avais pas prévu: il s'agissait du bouclier fiscal. Voilà le cas typique d'une personne qui était prête à payer 300 000 F sans aucun problème et sans sourciller et à qui le fisc a fait un cadeau inespéré de 70 000 F, et c'est la même chose pour tous les bénéficiaires du bouclier fiscal dans notre canton. Je vous rappelle que le Tribunal fédéral a interprété la notion d'impôt confiscatoire d'une manière totalement restrictive...
Le président. C'est terminé, Madame la députée.
Mme Magali Orsini. ...les exemples que vous donnez sont de l'ordre d'un seul cas, et cela explique qu'il n'y ait pas eu la mention de recours dont vous essayez de nous parler. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la députée. Je cède la parole à M. Bernhard Riedweg pour une minute.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président, ce sera largement suffisant. Je vous informe, Mesdames et Messieurs les députés, que c'est en général le jour de la retraite que la fortune est la plus élevée. Parmi les riches, il y a beaucoup de retraités qui sont très mobiles et qui pourraient partir soit dans le canton de Vaud, soit en France voisine, soit à l'étranger où la fortune est moins imposée - c'est d'ailleurs ce qui arrivera à celui qui vous parle actuellement ! Merci, Monsieur le président. Et il faut refuser ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Velasco, je suis désolé mais vous n'avez plus de temps de parole. (Remarque.) C'est juste et équitable, Monsieur, voilà la différence. La parole est donc à M. Edouard Cuendet, rapporteur de majorité, à qui il reste dix secondes.
M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur de majorité. Ce sera amplement suffisant pour corriger un chiffre que M. de Sainte Marie a avancé et qui est erroné - vous transmettrez, Monsieur le président. A Genève, le problème de la progressivité, c'est le seuil d'assujettissement: une famille avec deux enfants est soumise à l'impôt à partir d'un revenu de 75 000 F; à Zurich, le seuil d'imposition est de 32 000 F...
Le président. C'est terminé, Monsieur le rapporteur.
M. Edouard Cuendet. ...ce qui explique la grande différence entre ces deux cantons. Merci.
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, s'il y a un domaine où j'ai toujours affiché de la constance dans le propos, c'est bien celui-là, donc je m'étonne quelque peu de ce qu'allègue le rapporteur de minorité s'agissant d'un changement de position de ma part en matière de bouclier fiscal - il faudra qu'il m'explique. Ce que je n'ai cessé de vous dire depuis que j'occupe cette fonction, Mesdames et Messieurs, c'est qu'il faut faire extrêmement attention avec des projets aussi intempestifs et excessifs que celui-ci. Aujourd'hui, je vous dirais même: arrêtons de jouer avec le feu. Arrêtons de jouer avec le feu !
La progressivité de notre système fiscal, notamment en matière d'impôt sur le revenu, est extrême: 1%, soit 2700 personnes, Mesdames et Messieurs, assument le tiers - le tiers ! - de l'impôt sur le revenu à Genève. Je peux vous certifier - et ce ne sont pas des affirmations déclamatoires, mais la réalité quotidienne de mon activité - que si le dispositif dont certains demandent l'abolition aujourd'hui n'existait pas, nous serions dans une situation extrêmement délicate, avec des velléités parfaitement avérées d'un certain nombre de contribuables de quitter le canton. Vous pouvez affirmer tout ce que vous voulez, notamment du côté de la gauche - dont les affirmations sont empreintes d'une forme d'idéologie qui, à mon avis, n'a pas lieu d'être dans ce contexte - mais je peux vous garantir que ce dispositif nous permet de maintenir la substance fiscale à Genève; vous me croirez ou non, je vous fais part de ma conviction profonde. Aussi faisons très attention, Mesdames et Messieurs, en particulier à l'heure où, comme vous le savez, nos finances publiques cantonales se trouvent dans une situation délicate.
La stratégie du Conseil d'Etat est de garder la substance fiscale imposable ici; c'est à ce prix-là que l'on peut, au demeurant, bénéficier de temps à autre de surprises extraordinaires - je n'ai pas besoin de vous rappeler ce qui s'est passé dans nos comptes 2014 et 2015. Quelques personnes physiques, par le simple fait qu'elles sont à Genève et pas ailleurs - c'est une lapalissade - peuvent, dans certaines circonstances, apporter des mannes fiscales absolument considérables. Faisons extrêmement attention, Mesdames et Messieurs, et je monte d'un cran dans le degré de l'avertissement: arrêtons de jouer avec le feu ! Je vous prie de bien vouloir refuser ce projet de loi. Merci. (Quelques applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat, et lance le scrutin...
Des voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenus ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, nous passons donc au vote nominal sur l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 10883 est rejeté en premier débat par 59 non contre 33 oui (vote nominal).